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31/08/2017

Echappée

Ce n’est pas moi, te dis-je, qui est maladroit,
C’est elle ; regarde-la, innocente, immobile,
Reposer chaque doigt sur la pointe d’une étoile
Et se mouvoir dans la souplesse de l’eau.
Attendrie et fidèle, parfois elle vient caresser
Un sourire ou une paupière inquiète,
A cet endroit où la peau est usée
Et se fait plus douce au bout des doigts.
Mais d’autres jours, fatiguée,
Elle échappe à la pesanteur
Avec la même conscience qu’une lune interdite.

©  Loup Francart

28/08/2017

L'homme sans ombre (15)

Noémie n’ose dire quelque chose. Elle sait par instinct que l’instant unique qu’elle vit peut s’arrêter en raison d’une réflexion malencontreuse de sa part. Elle se contente de mettre sa main sur le genou de Mathis et de poser sa tête dans le creux de son épaule. Pas un mot n’est échangé, mais ils se comprennent plus émotionnellement que s’ils s’étaient échangé leurs impressions.

– Quinze jours ou un mois plus tard, je refis le même rêve ou vécu la même réalité. Je devins plus conscient de ce que j’avais vécu la première fois. Je revoyais mes efforts pour tendre l’ensemble de mes muscles, établir une raideur générale qui me permettait de me tenir rigide et ainsi de m’élever au-dessus de mon lit sans difficulté. Je revivais dans le même temps la recherche de décontraction mentale et de laisser-aller nécessaire à ce genre d’exercice. Ne plus penser à rien, m’abstraire de toute réflexion sur quoi que ce soit, bref me laisser monter sans m’en émouvoir et le ressentir comme une chose naturelle. Je fatiguais vite et ne tenais probablement qu’une minute. Mais, quelle minute fascinante ! Je ne comprenais pour quelle raison cela m’arrivait, je ne cherchais même pas à comprendre. Cela était, c’était tout. Cela dura plus d’un an, avec une fréquence de deux semaines environ. Je n’en parlais à personne et ne savais finalement pas si je le vivais vraiment ou si c’était rêvé. En fait, lorsque cela venait d’arriver, j’étais sûr d’avoir véritablement volé, c’est-à-dire m’être élevé du sol. Mais progressivement, ne croyant pas que cela était possible, je me mettais à douter, jusqu’ à ce que je fusse persuadé que ce n’était qu’un rêve. Et puis, un jour, cela a pris fin sans même que je m’en rende compte. Quatre mois après, je me suis souvenu du phénomène, mais j’étais profondément convaincu que ce n’était que des rêves. Oui, j’étais entré dans l’âge de raison et de tels souvenirs n’y ont plus leur place. J’oubliais.

– Ce que je ne comprends pas, c’est en quoi cela est un secret ? demanda Noémie qui se disait que de nombreuses personnes ont connu ce genre d’impressions.

– C’est vrai, tu as raison, jusqu’ici cela n’avait rien de très anormal. Mais je n’ai pas fini mon histoire.

– Tu viens de me dire que cela ne s’était plus produit. Alors ?

– Sous cette forme, cela ne s’est effectivement plus produit. Tu sais que l’âge de raison met un terme aux réminiscences de toute vie antérieure. Entre sept ans et quinze ou seize ans, j’ai totalement oublié ce genre de manifestations. J’ai passé une enfance heureuse, nous en avons parlé. J’ai beaucoup lu, toutes sortes de livres. Un jour, fouillant en cachette dans la bibliothèque de mon père, j’ai trouvé un  livre qui parlait des pouvoirs extraordinaires des yogis hindous. L’un d’eux a particulièrement retenu mon attention. C’était le phénomène de lévitation. Certains yogis parviennent à échapper à la gravité et à se déplacer en s’affranchissant de la pesanteur. Cela réveilla en moi le souvenir de ce que je t’ai raconté précédemment. Je revivais à travers la lecture ce que j’avais expérimenté réellement lorsque je n’étais qu’un jeune garçon. J’ai ressenti à travers mes muscles ce que j’avais éprouvé douze ans auparavant. J’eus une sorte de révélation : ce que j’avais éprouvé était vrai, ce n’était pas un rêve, mais une réelle expérience qui m’avait été donnée de faire. Je me suis juré d’en faire un but de vie, de découvrir ce qui se cachait derrière ces sensations réellement ressenties. Alors, en même temps que je passais le bac, je lus de nombreux livres qui traitaient de ces phénomènes et de la préparation psychologique nécessaire.

27/08/2017

Insomnie

Ne plus voir dans l’œil que l’on croise
Ignorer les doigts fragiles qui se tendent
Ne plus même entendre les pas derrière soi
Ou la plainte silencieuse arrêtée sur les lèvres
Partir sur l’asphalte les yeux clos
L’oreille sourde, la main sur le bâton
Souvenirs encore de ce rêve ébauché
Un matin où le soleil rouge sur la ville
Ensanglantait les visages fermés et muets
Puis le vide silencieux du dernier sommeil
Jusqu’au réveil étonné, dans la froideur du lit

©  Loup Francart

24/08/2017

L'homme sans ombre (14)

Que fit Mathis jusqu’au lendemain ? Noémie ne le sait pas. Elle le retrouve vers midi, pour un nouveau déjeuner, dans le même restaurant. En entrant, elle le regarde et sent sa confiance renforcée envers lui. C’est bien lui que je veux, se dit-elle.

Après les bavardages habituels, les caresses et les baisers, Noémie n’en peut plus. Elle veut savoir, elle doit savoir.

– Alors mon chéri, revenons au sujet qui nous intéresse. J’ai tant attendu. Que peux-tu me dire ?

– Eh bien, avant de te dire quoi que ce soit, je vais te demander une promesse qui engage non seulement ce que je vais te dire, mais également notre avenir, c’est-à-dire notre mariage.

– C’est effectivement sérieux et cela demande réflexion. Néanmoins, je te fais cette promesse sans perte de temps, non par impatience, mais en confiance. Je sais que nous avons confiance l’un en l’autre. C’est d’ailleurs bien ce que signifie le mot : fiance avec, ensemble. Oui, nous sommes fiancés et rien ne peut nous séparer, même pas un serment que nous nous attacherons à garder intact. Mais de quel serment parles-tu ?

– Tu dois me jurer de ne parler à personne de ce que je vais te révéler, quoi qu’il arrive. Ce serment ne peut être rompu sans dommages pour nous. Il m’amènerait à un choix trop difficile entre toi et le secret dont je vais te parler. Et je crois que je serai obligé de te quitter si cela arrivait, ne pouvant faire autrement que de choisir le secret.

– Mais de quel secret parles-tu ?

Mathis sourit gentiment, attendri par l’impatience de Noémie qui restait bien femme, droite, ouverte, mais curieuse.

– Auparavant, il est nécessaire que tu prêtes serment, lui rappela-t-il.

– je te jure de ne parler à personne de ce que tu vas me révéler maintenant. Je connais les dangers d’une telle révélation et je m’efforcerai de ne jamais faillir à cette promesse.

– Merci, Noémie. Je ne doutais pas un instant de ton engagement et il est nécessaire pour ce que je vais te dire. Je t’ai dit qu’en ce qui concerne mon intérêt pour le Tibet, cela remonte à cinq ou six ans, peut-être sept. En fait, cela dure depuis beaucoup plus longtemps, depuis mon enfance, vers l’âge de cinq ou quatre ans, peut-être même avant. Je me suis réveillé un jour en pleine nuit, tendu comme un arc et reposé comme jamais. J’étais conscience qu’il venait de se passer quelque chose d’insolite. Beaucoup plus qu’un souvenir, je sentais dans tout mon corps cette impression extraordinaire de légèreté et de tension. Je revoyais l’effort volontaire entrepris et l’aisance, dans le même temps, que j’avais eu pour m’élever au-dessus de mon lit de quelques dizaines de centimètres, naturellement, sans apprentissage. Cela s’est manifesté subitement, comme sous une impulsion irrésistible. J’étais maintenant épuisé et complètement relaxé, sentant le poids de la gravité qui m’avait quittée pendant quelques minutes avant de reprendre l’impérative exigence de tous les humains, c’est-à-dire être collé à la terre quoiqu’il arrive. Je n’étais qu’un enfant qui ne savait pas encore analyser ce qui lui arrivait. J’étais tellement surpris par cet événement que je n’en mesurai nullement à la fois l’importance et le fait exceptionnel qu’il constituait. Je n’osais en parler à personne, je sentais même que je ne devais en parler à personne et je finis par m’endormir. Le lendemain matin, quand maman vint me réveiller, je ne conservais qu’un rare souvenir d’élévation et de flottement que je ressentais dans le bas de la colonne vertébrale. Que m’était-il arrivé ? Je n’entretenais plus qu’une impression tenace, mais inqualifiable, comme un rêve dont les racines plongeaient dans la réalité, mais sans que je sache pourquoi.

21/08/2017

Entre en toi !
Entre en toi !
Ouvre ton esprit, ton cœur et ton corps
A ce qui est plus que toi-même
Cherche encore ce trésor
Que tu ne peux nommer
Ouvre tes mains à son évocation
Et crie au moment de le toucher
Bien souvent, cependant
Tu hésites, pantelant
Tu restes en périphérie de toi-même
Comme endormi, confit dans le sel
Tu te réfugies dans la zone
Là où rien ne s’harmonise
C’est dur, il faut l’avouer
Rien ne va plus, dis-tu
Tu enfiles ta veste à l’envers
Tu cours dehors, dans le froid
Tu rentres, tu reprends ta respiration
Tu calmes ton esprit, reprenant vie
Puis tu plonges en toi
Jusqu’au fond du gouffre
Où tu sens sa main qui te presse
Et son cœur qui bat la chamade
Un peu de chaleur humaine
Dans l’obscurité du monde
Une lueur que tu tiens
Un espoir devenu réalité
Ensemble, au fond de soi
Enlacés fiévreusement
Caressant son visage
Modelant son corps
Tu te rends à toi-même
Et contemple ce moi
Qui malgré tout
Vaut bien un détour...

©  Loup Francart

20/08/2017

L'homme sans ombre (13)

– Alors, as-tu réfléchi à la proposition de Patrick et Lauranne, c’est-à-dire notre séjour à Katmandou.

– Tu as tout de suite remarqué que je n’y étais pas opposé, au contraire. Oui, c’est une excellente idée qui nous délassera de cette année de travail.

– Effectivement tu avais l’air très intéressé, que dis-je, passionné. Mais pourquoi ?

– Je te l’ai déjà dit. C’était il y a quatre ans. J’ai assisté à une conférence par un lama tibétain, et j’ai ensuite suivi les causeries sur la spiritualité tibétaine pendant un an avant d’être trop pris par mon travail.

– Mais, dis-moi, qu’est-ce que cela t’a apporté ?

– Eh bien, d’abord une connaissance de ces pays, de leur mentalité, de leur culture, foncièrement différente de celle de l’Occident ; puis une certaine sérénité face aux aléas de la vie quels qu’ils soient, heureux ou malheureux.

– Je reconnais en effet que tu es assez calme et que tu te domines facilement. Tu as toujours la même voix posée, la même impassibilité du visage, la même patience vis-à-vis des autres. C’est d’ailleurs ce qui m’a tout de suite séduite. J’aime te voir inébranlable parmi les impatients et déchaînés. En disant ces mots, Noémie posa sa main sur celle de Mathis et la serra doucement, avec amour. Celui-ci ne disait rien et semblait penser à autre chose, plus profond, plus secret. Sous la force d’une impulsion, elle lui dit tout à coup :

– À quoi penses-tu, là, maintenant ?

Il a l’air gêné. Il lui sourit d’un air égaré, mais ne répond pas. Il se contente de lui caresser lui aussi la main.

– Mais réponds-moi !

Alors il semble sortir de son rêve.

– je ne peux te le dire, et c’est ce qui me gêne. Je t’aime et ne veux rien te cacher ; mais dans le même temps, j’ai un secret que je ne peux te dévoiler.

– Mais pourquoi ?

– tout simplement parce que si je te le dis, je le perds et le perdre revient à perdre la vie.

Noémie ne comprend rien aux explications de Mathis. Quel secret peut-il avoir qui possède une telle force qu’il pourrait entraîner la mort ? Elle le regarde dans les yeux et voit qu’il ne ment pas.

– Je n’ai pas le droit de parler de ce secret. Tu m’as dit que ce qui t'a séduite c’est mon calme. Eh bien, ce secret est lié à cela. Je ne peux t’en dire plus. Je te demande de me laisser jusqu’à demain. Peut-être alors pourrai-je t’en dévoiler plus. Tu peux, je pense, attendre demain, n’est-ce pas ?

– Oui, je pourrai même attendre cent ans parce que je t’aime et ne veux pas te perdre. Mais j’attends demain avec impatience, car j’ai également l’impression de t’avoir perdu parce qu’une part de toi-même m’est inconnue. Sans doute ai-je été trop confiante.

– Oui, tu as été très confiante et c’est cette confiance que j’ai admirée en toi. Tu étais et tu es transparente et, pour moi, cela résume ta personne et dévoile ta vérité d’être unique. C’est pour cela que nous sommes fiancés et que, bientôt, nous serons mariés. Alors, continue à me faire confiance. Ne vois pas cacher en moi des secrets bizarres. C’est simple et droit, bien que je n’en aie pas encore fait le tour.

Noémie est réjouie et inquiète à la fois : réjouie de savoir qu’en effet Mathis n’est pas comme les autres, qu’il possède un secret, et inquiète parce qu’elle ne sait pas de quoi il s’agit. Alors elle décide de continuer à lui faire confiance, malgré tout.

Elle se tourne vers lui et pose sur sa bouche un baiser qu’il lui rend en la serrant contre lui. Elle se laisse faire et cela fait monter en elle des sensations qu’elle n’avait pas encore éprouvées.

17/08/2017

Soi

L’infini n’a pas de fin ;
Mais… A-t-il un commencement ?
Et s’il n’a ni début ni fin,
Existe-t-il réellement ?
S’il s’effiloche lui-même,
Comment se situer dans cette absence ?
L’infini n’est pas le vide,
Il est toujours appréhendable.
Mais un seul grain de fini
Suffit-il à faire de l’infini ?
L’homme, curieux par nature,
Cherche à atteindre la dernière page.
Mais si le livre est infini,
Il perd également la première page
Et lit le livre de la vie
Sans pouvoir en sortir.
Alors il erre entre les pages,
Dans cette épaisseur inexistante
Qui s’épanouit dans la finitude.
Perdu dans cette bibliothèque
Sans pouvoir se situer,
Il invente sa vie sans même exister.
Après tout, l’important est-il
De se connaître soi-même
Ou de connaître son environnement ?
Si l’espace et le temps sont infinis
Suis-je inclus dans ceux-ci ou les crée-je ?
Si je suis infini, alors seulement,
Je n’ai besoin ni de jour, ni de lieu
Pour être pleinement réalisé.
Je flotte entre les grains de matière
Et découvre mon ubiquité :
Je suis ici et maintenant,
Mais sans histoire ni personnalité.
Seul le soi demeure et est.

©  Loup Francart

16/08/2017

L 'homme sans ombre (12)

Elles allaient se quitter lorsque Noémie demande à Lauranne :

– Mais pourquoi pas d’ombre ? Cela signifie-t-il quelque chose ? Est-ce réellement possible ?

– En réfléchissant, pour moi, il n’y a qu’une solution : le corps se métamorphose et devient transparent sous une impulsion intérieure ou extérieure.

– C’est peut-être possible, mais les vêtements eux devraient rester opaques à la lumière !

– Oui, je n’avais pas pensé à cela. Il faudrait que cette transparence ait le pouvoir d’irradier son environnement immédiat et de le rendre également  limpide.

– Il y a une autre possibilité : la nitescence, c’est-à-dire l’émission d’une lueur qui contredit la lumière naturelle du soleil. Son éclat annulerait ainsi la production d’une ombre dès l’instant où le soleil est placé dans certaines conditions qui restent à déterminer.

– Tout cela me paraît bien farfelu. Mais sait-on jamais. Le seul moyen de le savoir, c’est de tenter l’expérience de nuit. Si le corps de Mathis produit une lueur, elle doit être visible de nuit, à condition bien sûr qu’il l’émette à ce moment-là.

– Mais, j’y pense, il y a l’autre possibilité, c’est que ceux qui regardent à ce moment Mathis soient ceux qui émettent la lumière et transforment ainsi l’image de Mathis. Cela peut paraître extraordinaire, mais pourquoi pas ?

– Ainsi Mathis n’y serait pour rien, ce serait nous qui subirions, sans nous en rendre compte, le phénomène. Mais pourquoi à tel moment et pas à d’autres, en tel lieu et pas en d’autres ?

– Je ne sais. Pourquoi pas, en effet !

Là-dessus, Noémie et Lauranne se sentent comme submergées par leurs propres pensées, abasourdies d’idées saugrenues qui les taraudent malgré elles. Elles se taisent, méditant sans paroles, comme cachées derrière une tente. Elles mettent cinq minutes à s’extraire de leurs pensées et reprendre contact avec la réalité. Sans rien dire, elles rassemblent leurs affaires, payent et sortent du restaurant encore interloquées de leur échange. Avant de se quitter, elles s’embrassent, les yeux embués, encore étonnées de l’intimité née entre elles. Jamais elles n’ont vécu un tel moment qui dépasse les échanges habituels entre amies.

C’est ainsi que Noémie est contrainte d’en parler directement à Mathis, ce qu’elle a évité de faire jusqu’à présent. Mais elle ne sait comment s’y prendre. L’important est de ne pas surprendre son fiancé et de faire qu’il s’exprime sans contrainte. Cependant, comment amener le sujet et lui poser les questions qui la tracassent ? Justement, Mathis a téléphoné et lui a donné rendez-vous pour déjeuner le lendemain.

Noémie se lève en se disant qu’elle va enfin savoir et qu’elle sera délivrée de ses interrogations. Elle se prépara longuement, choisit des vêtements séduisants, mit un fond de poudre rouge sur chaque joue, puis une mince pellicule de rouge à lèvres et se sentit prête, sans cependant encore savoir comment elle allait interroger son homme (elles avaient pris l’habitude d’appeler ainsi les deux garçons). En entrant dans le restaurant, elle prend garde d’avoir l’air sûre d’elle, épanouie, heureuse. Elle l’aperçoit dans un coin de la pièce, en un lieu où, elle s’en rend compte immédiatement, ils pourront parler dans être dérangé, ni même entendu. Elle s’avance en conquérante, mais humblement et tend ses lèvres. Il l’embrasse profondément, en prenant son temps et en lui caressant la joue avec douceur. « Non, rien n’a changé dans son comportement », se dit-elle. Ils échangent mille petites nouvelles pendant que le serveur leur amenait la carte, ils choisissent tous deux du poisson, sans entrée et disent qu’ils verront plus tard pour un éventuel désert. Noémie se dit qu’il est temps d’en venir au sujet qui la préoccupe.

13/08/2017

Transparence

Je n’ai ni regrets ni désirs
La béatitude m’a pris
Et élevé hors de tout
Je flotte dans le bonheur
Et aspire au silence
Il vient sans crier gare
En toute transparence
Il m’attire à lui
Mais n’est rien lui-même
Et moi-même qui suis-je
Sinon celui qui se regarde
Et ne voit que l’éclat
De ses propres yeux
Dans le miroir de l’âme ?

©  Loup Francart

 

12/08/2017

L 'homme sans ombre (11)

Le lendemain, Noémie et Lauranne, qui travaillaient dans le même quartier, se retrouvèrent pour déjeuner. Elles avaient pris cette habitude en s’installant toutes les semaines dans un même petit bistrot où les desserts étaient succulents.

– Nous avons tout de même avancé, dit d’emblée Lauranne. Nous savons d’où vient son intérêt pour les phénomènes que l’on a constatés. Est-ce l’entière vérité, probablement pas. Mais ce qui est sûr, c’est que cela à voir avec la méditation ou, au moins, une autre forme de pensée que la pensée ordinaire.

– Tu me fais peur en disant cela. On ne croirait pas que tu parles de mon fiancé. Je n’aurai jamais soupçonné cette attirance pour cette forme de culture tout à fait contraire à nos habitudes. Au fait, quand tu as fait tes recherches à Beaubourg, as-tu trouvé des récits qui parlaient de cela ?

– Je t’ai parlé d’Alexandra David Néel. Tu sais, cette franc-maçonne, chanteuse, exploratrice, bouddhiste et féministe ! Une sacrée bonne femme qui n’avait pas froid aux yeux. Elle a vu de ses yeux, prétendait-elle, un moine volant. Est-ce vrai ? Personne ne l’a confirmé, mais personne n’a, non plus, contredit cette affirmation.

– Et personne bien sûr n’est capable de l’expliquer ?

– Non plus.

– Alors, il ne me reste plus qu’à interroger Mathis lui-même, ce qui n’est évidemment pas facile. Mais peut-être, lui aura une explication à ce que nous avons vu. Au fait, nous avons bien vu le phénomène de lévitation. Mais nous avons également constaté que le corps de Mathis ne fabriquait pas d’ombre, ce qui est pour le moins un phénomène également étrange. À ma connaissance, il n’y a pas d’exemples de faits semblables.

– effectivement, tu as raison, dit Lauranne. C’est presque plus anormal encore. Je t’avoue que je me suis posé la question et que j’ai cherché sur Internet. Je n’ai rien trouvé, hormis un rapport dénommé L’homme et la folie qui parle de l’homme opaque et de l’homme transparent. Mais c’est avant tout un livre sur la psychiatrie, mais aussi sur la société, la politique, voire, parfois, de la psychologie. Bref, rien à voir avec l’absence d’ombre, même purement imaginaire.

– Cela ne nous avance pas, c’est certain. Quel mystère ! Depuis l’autre jour, je n’arrive plus à dormir. Je m’interroge sans cesse : est-ce une maladie, un don du ciel, un phénomène diabolique. Et aucune réponse, rien qui ne puisse me rassurer. Pourtant, Mathis reste le même, sans aucun changement. Ce qui pourrait prouver qu’il est habitué à ces phénomènes. Mais cela peut aussi signifier qu’il n’en a pas du tout conscience. Bref, je ne sais rien et cela est en train de me rendre folle !

– Ne t’en fait pas tant. Nous allons trouver. Il nous faut juste un peu de temps et je suis là pour t’aider, ma chère Noémie.

– Lauranne, je savais que je peux compter sur toi. Heureusement, sinon je serai déjà à enfermer !

– Bon, alors, il ne te reste plus qu’à interroger Mathis, car il va bien falloir en passer par là ! J’y pense, il est évident que cela reste entre nous. Nous ne devons en faire part à personne. Motus et bouche cousue.

– C’est promis. C’est d’ailleurs tellement incongru qu’on se moquerait de nous si nous en parlions.

 

08/08/2017

Une demeure

Au cœur de la nuit et au plus profond du cœur
S’élève l’espérance de renouer le passé
Avec un présent inconnu et sans rival
Un abri où l’ombre cède à la lumière

Fermez fenêtres et portes pleinement !
Au dehors règne l’étouffoir asthmatique
Détendez vos méninges et laissez le rêve
S’emparer de vous en vents qui dénudent

Alors tel un fantôme vous errez sans fin
Dans le vide de l’imagination cubique
Et le plein d’une beauté transfigurée
Quels secrets vous enseigne la tanière ?

Quel que soit le lieu où votre corps repose
Trouvez en vous l’étincelle délicate
Qui la fait vibrer au rythme des murs
Et réveille le son pur du violoncelle
Quand l’archet s’unit à la corde, vibrant
De ferveurs nouvelles et appréciées

Une demeure, c’est le lieu de rencontre
Du rêve et de la réalité, un apaisement
Des caprices humains toujours en quête
De nouveauté et de connu, emmêlés
D’exaltation de l’histoire du temps
Passé, présent et avenir confondus
Dans la danse de l’existence

©  Loup Francart

06/08/2017

L 'homme sans ombre (10)

Elles trouvent un tronc d’arbre couché par terre et s’assoient dessus pour attendre.

Le silence revient, elles entendent les cris d’un choucas assez proche, puis plus rien.

– Que penses-tu de ce qu’a raconté Mathis ? demanda Lauranne à son amie.

– J’avoue avoir été un peu surprise qu’il ne m’ait jamais dit un mot sur cette période de sa vie. Elle est brève et je veux bien croire qu’il ait oublié tout cela lorsque nous nous sommes connus.

–Oui, c’est fort possible. Néanmoins, j’ai été surprise par sa première réaction. Il nous a bien dit que c’était une vieille histoire qui remontait à sa tendre enfance avant de se rétracter. J’avoue que je ne comprends pas. Il n’a peut-être pas fait attention à ce qu’il disait, puis s’est rattrapé.

– Je me suis fait la même réflexion. Mais je pense qu’il ne s’est pas trompé et qu’il s’est rattrapé pour ne pas en dire plus.

– Tu crois cela ?

– Oui. D’habitude Mathis est direct, franc et il sait ce qu’il raconte. Là, cela ne semblait pas véridique.

– Mais pourquoi ?

– As-tu vu ses mains quand il disait cela ?

– C’est vrai que tu as fait de la psychologie. Qu’avaient-elles ?

– Eh bien, il ne cessait de se les frotter parce qu’il n’osait pas appuyer ses paroles avec des gestes. Cela ne lui était pas possible parce que non naturel. Alors il préférait se triturer les doigts, cela lui semblait plus réaliste.

– Ah, voici la voiture de Patrick. Pas un mot de tout cela. Il faudra en reparler demain.

04/08/2017

Attente

Au crépuscule de la vie
Qu’ai-je encore à attendre ?
Ni la célébrité, ni l’opprobre
Un peu d’amour, certes
Mais aussi un peu de plaisir
Ceux-ci deviennent autres
Contempler le vol des chauves-souris
Le soir quand l’ombre s’en prend à la lumière
Relire un livre déjà lu
Et ne s’en apercevoir qu’à la fin
Courir sans fin le matin
Pendant que les autres dorment sereinement
Se raréfient les attachements aux objets
L’envie de partir loin de ce qui est connu
L‘attrait d’un dîner entre amis
S’estompe la frontière entre le monde et mon être propre
La ligne de démarcation n’est plus nette
Je ressens l’impatience des jeunes
L’émerveillement des enfants
La sensualité des jeunes mariés
L’épuisement des travailleurs
La panique du jeune retraité
L’indifférence du vieillard
Mais je les ressens sans passion ni identification
Je survole ces vies engagées
Et contemple sans attachement
Ces désordres et erreurs
Mais j’aime changer mon regard en un clin d’œil
Caresser le monde d’une lumière intérieure
Ne plus prendre parti
Mais errer amoureusement au long des vies
Pour y reconnaître la couleur de l’éternité
Et sentir monter en moi cette chaleur particulière
Celle de l’amour pour le monde et les êtres
Qui s’empare du cœur et le rend transparent
Mon ombre s’amenuise, élargissant l’horizon
Je flotte en béatitude
Je ne suis plus : Il Est

©  Loup Francart

03/08/2017

Les allées du Luxembourg, de Maurice Bellet

Monsieur Périer sort de chez lui. Il n’est ni long ni court, ni gras ni maigre, ni beau ni laid : il est moyen. C’est un être anonyme qui traverse le Luxembourg, son Luxembourg qu’il connaît par cœur. Et voici que ce jour-là, il le découvre tout autre. Il voit le Luxembourg et le ciel ouvert. Il ressent seulement une sensation étonnante de chaleur, de douceur, de bienveillance universelle ; la lumière paraît plus douve et plus forte, les visages plus dignes d’amour, l’ânelivre, littérature, surnaturel, envers plus fraternel. Tout a basculé, invisiblement et sans secousse, dans l’absolu inentamable : une splendeur de l’être, une douceur de la création, une saveur de la vie, une générosité du temps qui ne passe plus – soudain , Monsieur Périer est dans l’éternité, l’éternité ici et maintenant, le suspens bienheureux de toute chose dans l’instant pur de l’origine.

Et cet instant bouleverse sa vie et lui donne un inattendu de tous les instants. Il songe à la vie qu’il a menée, aux gens qu’il a côtoyés, à sa femme, à celle qui l’a compris, à sa famille, à un ami. Dans l’autobus, il regarde une femme qui lui demande pourquoi il la contemple ainsi. C’est que vous êtes très belle. Elle le prend mal. Et pourtant, tout à l’heure, quand elle s’était assise devant lui, elle avait souri à une pensée  qu’elle avait eue et qu’il ignorait. Et ce sourire était une transfiguration ; le pauvre visage ingrat rayonnait du dedans, il lui venait cette beauté quasi surnaturelle, qui ne peut se fixer, qui passe lorsque passe en l’être humain quelque peu de la lumière divine.

A la fin du livre, il a une nouvelle vision au Luxembourg. La chose  sans nom saisit Jean Périer, le traverse, le transperce de part en part. Le voilà immobile, noué au milieu de l’espace vide, cloué vif, dans le halètement et le hurlement muet, coulé sur le poteau d’angoisse. Le Luxembourg est un désert qui s’étend jusqu’aux limites de l’univers. Et le vide qui encercle Monsieur Périer  et qui le fouaille jusqu’au-dedans des os est bien plus dur, d’une absence bien plus atroce que l’intersidéral pour le cosmonaute. Car ce que Monsieur Périer connaît, en cet instant, c’est la vacuité du monde, c’est la grande vidange de tout. (…) Monsieur Périer ne pense pas. Il ne pense plus. Il est tout entier cette vague énorme, cette vague de vide, qui déferle à grands coups, imprévisible, immaîtrisable.

Il se passa quelque temps. Monsieur Périer constatait, étonné, le changement qui se faisait de plus en plus autour de lui : c’était une espèce d’aura d’amitié, de bienveillance, de simplicité aimable. On lui parlait beaucoup. Il entendait autrement. Il sait maintenant écouter, vraiment écouter et non, simplement, entendre le brouhaha du monde et des gens. Il voit ce qu’il a toujours vu : le Luxembourg. Et pourtant ce qu’il voit, c’est l’envers lumineux du monde. À moins que ne soit l’endroit, et que notre regard ordinaire ne voie que l’envers de la tapisserie, confus et laid. De l’autre côté, de l’autre côté est la merveille.

Un livre tout en douceur, en mots couverts, qui ne dit pas l’expérience, car il est impossible de la décrire, mais qui tente d’en donner les sensations, les impressions, voire les réflexions qu’elle crée. C’est à la fois banal et exaltant, une histoire où ne se passe pas grand-chose, mais où se qui se passe renouvelle complètement la vision du monde, élève l’âme et la conduit à l’admiration pour le créateur.

30/07/2017

Le vide

Un vide si attirant
Et si plein de tendresse

Un vide que rien n’habite
Et si plein d’éternité

Un vide qui te gaze tendrement
Et te dénude avec bonheur

Un vide qui emplit tout
Et que rien ne peut combler

Un vide qui serre le cœur
Et l’oblige à s’ouvrir

Un vide qui fait du plein
Un désert d’intelligence

Un vide qui te secoue les tripes
Et t’engage au-delà du réel

Un vide que seul un plongeon
De ton personnage peut abreuver

Un vide qui envahit ton être
Et te promène dans l’univers

Un vide qui devient toi
Et un autre toi-même

Un vide que je bénis
Parce qu’il m’oublie

Un vide entrevu un jour
Et jamais oublié

Aurais-je trouvé, au-delà de l’espace et du temps
Le mystère des origines et, peut-être, de la fin ?

©  Loup Francart

25/07/2017

Voyage imaginaire

Revenu de rêves inconsidérés, j’erre
Dans les champs étoilés d’un univers moqueur
Où donc trouverai-je une telle terre
Qui va tracer ma vie comme une planète sœur ?

Certes, l’ombre lunaire te sied à point
Y a-t-il plus belle tromperie que ceci
Le cri de la chouette me laisse sans soin
Je suis et ne suis pas, seul sans forfanterie

Quand suis-je revenu de ces palais glacés :
Ni hier, ni demain, peut-être aujourd’hui ?
Et je n’erre plus, je suis, dans l’obscurité

Tapis au fond de mon découragement
Je m’efforce d’imaginer que je suis
Alors que la chair se détache de mes flancs

©  Loup Francart

24/07/2017

"Un sourire et quelques mots", essai de Loup Francart

A vous qui errez dans votre être sans le comprendre,
A vous qui cherchez la lumière au-delà du moi,
A vous qui entrevoyez derrière votre histoire personnelle
Ce vide qui possède avec sobriété l’attrait du plein,
Ouvrez ce livre et laissez-vous prendre
Par ses anecdotes, réflexions, interrogations
Qui vous ouvrent la voie et incitent au retournement.

 

https://www.youtube.com/watch?v=OodjVwXH1Co


 

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21/07/2017

Symphonie

Une branche frisonne. La nuit
Trois pieds m’observent fixement
Pendant que j’écoute le fruit
Des silences du firmament

La lune rouge s’évade vers le bleu
Un homme assis me fixe des deux yeux
Derrière une canne nouée

La terre respire mes pas
Trois maigres cheveux se balancent
Sur une main riant lentement
L’éclat pervers des étoiles
Pique ma joue enflammée

Une grande symphonie
M’entoure de rouge et de bleu

Trois gouttes de brume sur les cils
Trois larmes dans ma main

©  Loup Francart

17/07/2017

Vent

Le vent se lève. Il va où il veut
Il entre par la fenêtre et caresse la joue
Il vagabonde sur ton nombril
Et repart solitaire, sans souvenir
C’est le vent folâtre des jours d’été
Entre deux orages qui louchent
Et font perdre le fil de la raison

La branche est secouée à l’envie
Rien n’est trop beau pour celui
Qui coure dans les champs, vierge
De toute envie ou même de volonté

Souffle, souffle, l’aigre turpitude
Des nuits sans fond ni même forme
Tes rêves ne sont plus de mise
Ils exaltent trop ton personnage
Oublie cet être malfaisant et belliqueux
Rien n’est plus beau que l’absence

Fouille, fouille dans ta mémoire
Et extrait des jours heureux et maigres
L’essentiel d’une vision bienfaisante
La pointe magique de l’espérance
La foi qui tourne à la folie
La folie qui devient la norme
La norme devenue réalité
Est-ce ainsi que tu envisages l’avenir ?

Je ne sais, mon ami… Repose…
Range-toi dans ta boîte de verre
Et contemple sans état d’âme
La comédie humaine dérouler
 La sagesse du pervers ou du fou

Oui, c’est vrai, c’est froid
Comme la main de la mort
D’une mort glaciale et colorée
Qui s’envole avec le souffle de l’air
Et te secoue  jusqu’à ne plus pouvoir
Humer les charmes parfumés
De la vie trépidante et fugace

Il s’endormit dans le souffle du vent
Balaya devant son antre asséché
Et monta tout droit dans le bleu
Celui des mers profondes
Ou des cieux transparents

©  Loup Francart

13/07/2017

Encore

C’est la parole de chaque enfant
Devant les satisfactions de la vie
Et tout ce qui agit sur les sens

Encore le fruit qui pétille dans la bouche
Encore l’eau qui coule entre les pieds
Encore la course folle dans les herbes coupantes
Encore la main tendue d’un adulte
Qui partage le secret de polichinelle
Encore le baiser tendre sur la joue
Encore le lit douillet encombré de sommeil

Mais viendra le jour où l’exaltation
N’aura plus le dernier mot
Il faudra la trouver en soi
Dans les plis de la connaissance intime
Ou dans celle de livres obscures
Il faudra faire tourner la machine
Et déclamer à l’envie le jus
D’une mémoire grelottante

Quelles étaient belles ces quelques années
Où rien ne venait freiner la liberté
Des jeunes enfants du monde
Sans l’ombre d’un adulte
Pour engager la danse communautaire
Et céder devant la déesse raison

La liberté est bien cet étendard vertueux
D’une petite enfance, quand encore
Signifie toujours, sans horizon…

©  Loup Francart

04/07/2017

Rien

Chaque jour te chercher sans jamais te trouver...

Le monde consistant en dessine les bords...
Franchir cette frontière n’est pas si simple
C’est plonger en un saut dans le vide éternel
Et faire humblement de l’intérieur l’extérieur
Cela peut arriver à quiconque le veut
Mais seuls le fou ou le mystique le cherchent
Le fou par construction, le mystique par amour
Aucun ne connaît l’heure du franchissement
Passer de la chose à l’infini des choses
Ou partir du néant pour l’infini de rien
Qui contient l’infini de l’inexistence

Imagine ce monde, un rien plus un rien
Ne donne-t-il qu’un plein de rien ou un néant ?
L’infini de rien contient-il tous les riens ?
Là, le brouillard envahit l’imagination :
Se compte-t-elle dans cet infini ou non ?
Cet infini n’est-il que l’envers du rien
Ou possède-t-il, par naissance, un peu plus ?
Sorti du chapeau, il construit les bords du rien
L’enferme et l’isole dans l’inexistence
Le monde de la pensée est-il différent
De celui des atomes que je peux saisir ?
Franchir la ligne du réel vers l’irréel
Ne veut pas dire folie, mais humilité

Laisse-toi gagner par ce vide devenu plein
Pour faire en sorte que toujours et encore
Chaque grain de sable subsiste dans le tout
Des plages mêlées aux gouttes des océans
Et s’enivre au passage du rien vers le tout...

 

©  Loup Francart

30/06/2017

L'allégement

Le poète n’en a pas plein la tête…
Au contraire, il est voué à l’allégement…
Faire le vide, c’est s’enrichir
Se dépouiller de ses artifices
C’est revêtir la toge du sage…
Alors, il partit le nez au vent
Rien ne pouvait le retenir
Ni l’or des balcons fermés
Ni le vernis des joutes de salon
Nu même la tiédeur des amours…
Il partit et s’en fut
Vert de peur et rouge de fureur
Jaune des échecs successifs
Bleu des oppressions d’antan…
Peu à peu il perdit toute couleur
Et acquit la transparence du pauvre
Le soleil le traversait sans peine
Aucune ombre ne s’attachait à lui
Il n’était plus miroir, non !
Il devenait vitre sans tache
Eau translucide roulant
Sur la roche des souvenirs
Poussant parfois un caillou
Jusqu’à ce qu’il résonne
Dans la clairière dénudée
De l’absence d’amour propre…
Chaque jour il marchait son soul
Usant ses chaussures sur l’asphalte
Avançant toujours plus loin
Jusqu’à cet abîme révolté
Qui s’ouvre dans la faille du temps…
Là, au bord de l’absence
Le souffle coupé par l’inspiration
Il hurlait à l’absolu son rejet
Jusqu’à ce que, sans voix
Il se mette à genoux
Et pleure l’assèchement aigre
De son personnage inexistant…
Il pouvait alors repartir
Secouant sa crinière rousse
Et heurtant les arbres effeuillés
Il avait vomi l’emprise du monde
Sur son être affaibli et douteux…
Plus rien ne lui dira sans cesse
"Edifie ton destin de roi
Et tourne ton regard vers l’avenir…"
Non, il privilégie le présent
L’herbe bleue des mers sans fin
Le chant des matins acidulés
Le goût chocolaté des soirs d’été
La rondeur des amours d’un jour
La splendeur de la fidélité
Le caprice ailé de la déraison
La baignade des commémorations
Et le plein éblouissement
De la révélation…
Puissions-nous, nous aussi
Conquérir cette étrange foi
Envers l’imaginaire débridé
En courant vers l’abîme
Qui engloutit le personnage
Et donne naissance à l’être
Celui qui est, qui était et qui vient
Dans toute la brillance
De sa chair nacré d’ignorance…

©  Loup Francart

24/06/2017

Réjouis-toi !

Réjouis-toi, être unique
Et contemple le monde
Avec les lunettes du bonheur !

Réjouis-toi, être revivifié
Et tourne ta face
Vers l’autre toi si vivant !

Réjouis-toi, être singulier
Et trouve en toi
Le trésor de ton intimité !

Réjouis-toi, être humain
Et ne cherche plus
Tu as réalisé l’unité !

©  Loup Francart

20/06/2017

L’espérance

L’espoir est un coup de poing dans le ventre
L’espérance est un débordement de confiture

L’espoir est rude et incertain
Il est terre à terre et provisoire
L’espérance est ronde
Féminine, miel pour l’humanité
C’est un trou dans la poitrine
Qui vous habite à tout instant
Et qui protège des coups de la vie

Certains pensent qu’elle est opium
Et que le peuple doit s’en libérer
Est-ce si sûr ?
Faut-il errer sans but ni intention ?
Faut-il ne voir que l’immédiat ?
Doit-on ne se fier qu’à la société
Et ne plus chercher en soi-même ?

Pour d’autres, c’est une vertu
Elle donne force d’âme
Et faire tendre l’homme vers le bien
Par le seul fait d’un idéal
Mais bien souvent la vertu
Reste un attribut difficile à acquérir
On la prêche, mais la pratique-t-on ?

Pourtant, peut-on vivre sans espérance ?
Son absence est cause de dépression
Voire de mise à mort volontaire
Son absence est un poids sur les épaules
Poids du néant, poids de l’inexistence
Ecrasé d’utilité, enfermé dans les organisations
L’homme a-t-il encore une liberté ?


L’espérance est-elle mystification ?
On la sort du chapeau en un clin d’œil
Et on la fait briller bien visible
Mais ce n’est qu’un morceau de verre
Dont l’éclat n’est qu’un reflet
Des incertitudes du destin
Et de l’ignorance inhérente à l’humanité

Et pourtant, envers et contre tout et tous
L’espérance vous porte, vous allège
Vous délivre, vous enchante
Elle vous accompagne à chaque instant
Elle est compagne de route
Et tient compagnie au fou
Qui n’a rien pour se protéger
Elle tire la pensée vers le haut
Et empêche la noyade dans le quotidien
Elle est le propergol de l’existence

Et jusqu’au dernier souffle
Elle vous conduit à l’amour
Pour soi-même et les autres
Pour le rêve et la réalité
Pour le matériel et le spirituel
Pour ce qui nous enfièvre
Elle fait de nous un chant
Qui clame la lumière
Que tout être porte en lui
Même s’il a du mal
A lui donner sa transparence

 ©  Loup Francart

16/06/2017

Fin

C’est la fin…
Qu’a-t-il ?
Rien, plus d’envie, plus de désir
Il est atone
Et son regard est vide
Il a bien tenté quelques jours
De faire semblant
En marquant un intérêt sordide
Aux vendeurs de mirage
Dans les rues de la casbah
Mais submergé de bagouts
Il s’est laissé aller
A la magie des mots
Et, soulé de paroles
Les a vomis sur le palier
Avant de se coucher
Environné de poètes
Pourtant la poésie n’est pas son fait
Il n’a jamais pu résister
A la pesanteur du silence
Et à la douceur négligée
Des draps de la volupté
Il enchaîne son vocabulaire stérile
L’enroule autour du cou
Et chauffe ainsi ses cordes
Pour proclamer sa vertu
Hélas bien petite
Depuis il se vautre dans la solitude
Et chante seul sa haine des autres
Et son espoir d’en finir au plus tôt

Mais de qui parlez-vous donc ?
Ne serait-ce pas de celui
Qui vous colle à la peau
Et qui vous ressemble
Comme deux gouttes d’eau ?
Oui, c’est bien mon double
Celui qui a pris ma place
Dans une vie fade et nauséeuse
Je l’ai longtemps regardé
Comme un compagnon intime
Aimable et guignolesque
Qui déchirait le commun des jours
Et l’ignorance des nuits
Mais il a pris trop de place
Et je le vois maintenant
Avide d’être et d’avoir
Plongeant en l’autre
Pour le déposséder
Et jouir de ses biens
Sans souci, avec condescendance

Que faire, l’assassiner ?
Le laisser s’épanouir en soi ?
Faire comme s’il n’était pas ?

Comment êtes-vous si sûr
Que cet être malveillant
N’a rien à voir avec vous ?
Il vous ressemble pourtant
En plus solide et avenant !

Qu’a-t-il de plus que moi-même ?

Il parle pour ne rien dire
Il dit sans rien penser
Il pense mais n’est rien
Qu’un oiseau chantant
Ses vers de mirliton
Qui font frémir le peuple
C’est la fin, la fin d’une vie
Qui ne pèse pas plus qu’une plume au vent
Et qui s’envole dans l’univers

Adieu, cher camarade
N’oublie pas ton double
Lui ne te laissera pas !

©  Loup Francart

11/06/2017

Deux vies

Nous avons vécu tant de jours brûlants
Tant d’heures intrépides et de secondes essoufflées
Que nous ne savons plus vivre simplement
 Main dans la main sur les couronnes de laurier

J’aimais courir dans les herbes hautes et mêlées
Te cueillir dans les bras de la victoire méritée
Surmonter dans tes yeux les défaites amères
Et toujours me recueillir dans la tiédeur de ton corps

Nous vivions en esprit, le cœur haletant
Légers comme l’air à l’automne de la vie
Sans attache à la pratique quotidienne de l’inquiétude
Nous laissions voler nos âmes et s’évanouir nos certitudes

Sur le dos de l’histoire, nous cavalcadions activement
Sans prévision ni soucis, sûrs de l’indulgence des nôtres
L’amour simple et nu nous tenait lieu de mémoire
Et courrait devant nous dans cette fuite hors du présent

Maintenant vient le temps des regards croisés
Tu me rêves toujours, enfant de tes désirs
Je te contemple, jeune fille sincère et enivrante
Nous partirons mêlés comme au moment du premier baiser

©  Loup Francart

10/06/2017

Pause

Prenez une pause insolite
Gardez-la au-delà du naturel

Surtout ne vous laissez pas submerger
Par la tension de l’attitude

Au contraire, laissez-vous étirer
Disjoignez vos extrémités
Explosez ce corps ramassé sur lui-même

Que vos mains s'échappent vers l’autre
Et que vos pieds s’éloignent l’un de l’autre
Que votre regard fixe le point unique
Où l’œil devient main et la main caresse

Déployez vos membranes ailées
Et, écartelé, devenez le vagabond
A minuit, de l’immense clair de lune
Qui berce vos souvenirs d’enfant
Et éparpille les trésors d’une nuit
Dans laquelle chaque nuage va vers l’inconnu

Alors, et seulement à ce moment
Rassemblez vos membres éparpillés
Regroupez vos pensées dans le cœur
Enfermez vos émotions au creux du ventre

Et, lentement, pleurez sur vous-même
Sur votre innocence perdue
Et votre transparence compromise

Le souffle de l’esprit vous prendra en douceur
Et vous conduira aux portes de l’infini
Là où le rien est plus que tout
Et le tout rien d’autre que l’abîme

Miel que cette tension rompue
Et ce lent passage sur l’ineffable

©  Loup Francart

06/06/2017

Echec

L’échec n’est le plus souvent qu’un mal passager…
Il arrive, repart sans qu’on y prenne garde
Mais il peut sans relâche vous accompagner
Et vouloir assurer votre arrière-garde...

Méfiez-vous ! Il vous envahit en copain…
Bientôt vous rend démembré à la pesanteur…
Plus de lumière intérieure, comme pour Aladin…
Rasé de près, vous sombrez en incubateur…

Plus rien en vous ne s’intéresse et n’est charmé
La morne plaine de vos passions démontées
Un désert barbare parce que nu et sans espoir…

Alors vous vous laissez aller et préférez
Vous tourner en vous-même et le vide contempler…
Ressaisissez-vous, ne vous laissez pas échoir !

©  Loup Francart

 

05/06/2017

Te souviens-tu

Te souviens-tu du clocher où fleurissaient les mousses de l’été ? Tu y allais souvent pour entendre les bourdons chanter.

Te souviens-tu encore du grincement des roues de bois sur le chemin du hameau ? Nous y allions ensemble voir passer les chevaux.

Je me souviens aussi de la rivière aux eaux rares qui se coulait entre les peupliers. Tu aimais le rire frais de ses rives embourbées.

Je me souviens de plus du bois vers qui sifflait dans la grande cheminée aux dalles odorantes. Nous y pressions nos dos courbées vers la chaleur des flammes dévorantes.

Les feuilles d’or des peupliers nous ont oubliés le jour où elles tombèrent. L4hiver et le temps ont enfouis leur mémoire au creux des terres amères.

Seul peut-être, le hibou aux grands yeux ronds se souvient des rires dans la nuit qui nous jetions au long des feuillées enneigées.

31/05/2017

Je veux vivre

Je veux vivre, disaient-ils
Ils se gorgeaient de mots
Ils s’emparaient de choses
 Et ces choses, ces mots
Ils en faisaient la vie

C’était des appareils de fer et de plastique moulé
Des moteurs tournant bien carrés dans leur caisse
Des chaises et des fauteuils pour ne pas s’assoir
Des tables à musée dans les salles à manger
Un musée limité à leur surface et paré de bibelots
Bibelots étranges et quotidiens possédés par caprice
C’étaient des mots savants, bien formés
Achevés par un isme et vêtus d’une majuscule
Les mots étaient tristes et leurs paraissaient faux
Ces mots sortis de la bouche des enfants
Qui ignorent encore l’ivresse des belles phrases


Ils vivaient, disaient-ils
Ils croyaient tout avoir
Ils avaient le savoir
Ils connaissaient la possession

Un jour, ils moururent
Et ils perdirent tout
Y compris leur âme…

©  Loup Francart