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05/02/2018

Échafaud

Il est des jours où tout se brouille
Il ne reconnaît pas le chameau du dromadaire
Lequel passe par le chas d’une aiguille ?

Il est des jours où tout s’emmêle
Il laisse le chat jouer avec la pelote
Mais jamais il ne lui donne sa langue !

Il est des jours où tout s’enchevêtre
Il ignore la tromperie du politiquement correct
Mais prend-il des vessies pour des lanternes ?

Il est des jours où rien ne va plus
Il a tout perdu, sauf l’honneur
Alors il marche, rasséréné, vers l’échafaud

©  Loup Francart

 

01/02/2018

L'objectivité

L’objectivité n’est pas un gros mot.
Pourtant, à écouter les parleurs
Qui laissent filer leurs pensées
Aux vues et sus de tous,
Elle est dite dépourvue de partialité,
Contrairement à celui qui affirme
Et qui juge avec parti-pris.

Il est dit : "L’objectivité existe en soi,
Indépendamment du sujet pensant."
Ne pensez pas, vous serez objectif !
Pourtant qui ne sait la hauteur de vues
A encourager pour devenir objectif,
C’est-à-dire ne voir que l’objet
Sans tenir compte du sujet.

Einstein a cependant écrit :
"Désintégrer un atome est plus facile
Que détruire un préjugé."
C’est vrai ! Regarder un objet,
C’est lui accorder une part de soi.
Mais si vous ne le regardez pas,
Que pouvez-vous dire sur lui ?

L’objectivisme, nous dit-on,
N’utilise que les données
Contrôlables par les sens.
Mais qui contrôle les sens,
Si ce n’est un sujet pensant ?
Le sens serait-il la synthèse des sens ?

Oui, donner du sens à un objet,
C’est bien l’observer indépendamment,
Mais toujours du point de vue
De la finalité de l’observateur
Qui au fond de lui-même
Fait de l’objet un sujet indépendant
Qui rend objective sa subjectivité.

Être objectif, c’est finalement
Aller au bout de sa pensée.
Et pour revenir à ce que dit Einstein :
"Nous ignorons comment sont les choses
Et n’avons que la représentation
Que nous nous en faisons."
Ne la perdons pas, nous serions aveugles !

 ©  Loup Francart

25/01/2018

C'est ainsi

C’est ainsi
Il n’y a rien qui soit de trop
Ni l’étoile, ni le noir
Ni le soleil présomptueux

C’est ainsi
Il y a toujours des cris
Le jour où l’homme remue
Et sort, ivre de fureur

C’est ainsi
Il n’y a pas d’eau dans l’abreuvoir
Ni même d’avoine dans l’auge
Le cheval part, seul au monde

C’est ainsi
Il y a encore des abeilles
Qui bourdonnent au fond de l’air
Et prennent peur de fleurs vertes

C’est ainsi
Il n’y a plus de folles courses
Entre les filles de Waltaïra
Ni d’arrivée dans les bras dorés

C’est ainsi
Il y a des jeunes gens
Bouche ouverte et poils au nez
Qui courent sans vergogne

C’est ainsi
Il n’y aura bientôt plus
D’oiseaux dans l’azur
Ni de fourmis sur la terre

C’est ainsi
Viendra bien le jour
Où il fermera les yeux
Pour ouvrir ses sens épuisés

©  Loup Francart

20/01/2018

Plus rien

Plus rien ne sera comme hier
C’était le temps d’un sourire
Volé aux lèvres des jeunes filles
Et échangé dans l’impatience

Plus rien ne sera comme l’été
Où la chaleur embrase le corps
Et donne aux pensées l’image
D’élan de tendresse collante

Plus rien ne sera comme au commencement
Quand le monde s’ouvrait sous nos yeux
Et caressait une mémoire vierge
Pour y déposer le tremblement de la vie

Plus rien ne sera comme demain
Tiens… Pourquoi ? Que sais-tu de demain ?
Demain sera le temps quiétiste
La panne sèche en plein désert

Mais rien ne pourra être comme la fin
En une nuit lointaine et chaste
Où l’abandon et la tendresse se côtoieront
Pour revivre en un éclair l’existence

©  Loup Francart

18/01/2018

L'autre

Il était autre, un être inconnaissable
Qui saurait encore l’apercevoir
Lorsqu’il courrait entre les voitures
Évitant les roues et les bosses
Et qu’il levait parfois la tête
Humant l’odeur du vent d’automne

Il était autre, un être inconnaissable
Qui criait sa lourdeur d’homme de paille
Et pleurait la perte du contact brûlant
Avec cette peau pleinement douce
D’un bras de femme le soutenant
Et le hissant vers les hauteurs

Il était autre, un être inconnaissable
Qui s’enfermait volontairement à l’intérieur
D’un lui-même déchu et pantelant
Marchant sans but dans la ville
Couvrant d’un pas menu et étiré
Chaque rue connu ou inconnu

Il était autre, un être inconnaissable
Qui tentait de sortir de la pierre
Pour découvrir l’ouverture de l’horizon
Et courir à perdre haleine, hors du temps
La liberté retrouvée, jamais réellement perdue
Mais jamais accessible directement

Il était autre, un être inconnaissable
Qui finit enfin par se connaître
En franchissant la porte du désenvoûtement
Il se retourna, les cheveux dressés
Marchant sur la pointe des pieds
Fit un signe et s’envola, loin de tous

Il était autre, un être inconnaissable
Il devint un être inconsolable, autre
Double  de ce qu’il avait été
Errant dans les plis du temps
Sans pouvoir jamais se réunir
Et enfin dormir sans inquiétude

©  Loup Francart

11/01/2018

Chance

Il est là, seul regard lointain
La femme passe, sans le voir
Il ne bouge pas, l’a-t-il vu ?
Elle poursuit sa route, indifférente

Soudain, elle lève la main, fait signe
A qui ?
Il cherche l’autre
Fait le tour de l’horizon
Rien, personne, néant
Qu’a-t-elle ?

Elle sourit maintenant
Elle a du charme et de l’allure
Mais elle n’ose se dire
Alors elle minaude et  rit
De ses grands yeux bleus
Il comprend, mais il joue
Indifférence et lassitude

Alors elle s’échappe et court
Et lui, sans rien ni personne
Se retrouve seul, face au vide

Sa chance est passée
Qu’il faut saisir toujours
Quel que soit le sujet

©  Loup Francart

06/01/2018

Réveil

Ne plus voir dans l’œil que l’on croise
Ignorer les doigts fragiles qui se tendent
Ne plus même entendre les pas derrière soi
Ou la plainte silencieuse arrêtée sur les lèvres
Partir sur l’asphalte les yeux clos
L’oreille sourde, la main sur son bâton
Souvenirs encore de ce rêve ébauché
Un matin où le soleil rouge sur la ville
Ensanglantait les visages inexpressifs et muets
Puis le vide silencieux du dernier sommeil
Jusqu’au réveil inquiet, dans la froideur du lit

 

©  Loup Francart

31/12/2017

L'homme sans ombre (44)

L’amour spirituel n’exclut personne. Il s’adresse à tous sans distinction d’affinités. L’homme empli du divin dilate son cœur et y inclut le monde. Il ne possède rien et, par là, possède tout. Il déborde d’amour pour son ennemi et voudrait l’aider, lui donner la joie qui l’habite. Devenu transparent, n’ayant plus d’être propre, plus de volonté propre, il est le monde et plus que le monde. Il apporte à chacun sa part de lumière.

Ensemble, les quatre jeunes gens prirent le chemin de la colline, celle du premier jour, celle du constat de Noémie et de Lauranne. Rien n’a changé et tout a changé. Le monde extérieur est semblable à celui qu’ils ont toujours connu, mais un regard nouveau les enrobe et, au soleil couchant, pas une ombre ne se dessine sur l’ensemble de leur groupe devenu transparent.

Quelques jours plus tard, un nouvel article paraît dans le même quotidien : « Nous venons d’apprendre la dissolution de la secte bouddhiste Pingya qui n’a pu résister aux affrontements entre les deux conceptions de la réalisation de soi. Notre reporter s’est rendu sur les lieux du monastère. Ne restent que des bâtiments vides dans lesquels toute trace d’intense résurgence de l’esprit a disparu. Personne n’ose aborder le sujet du devenir des pratiquants de la secte. Où sont-ils partis ? Un homme de paille est tout à l’heure sorti et a cloué sur la porte-cochère une pancarte sur laquelle est inscrit A VENDRE. Depuis, rien ne bouge. »

 

FIN

27/12/2017

L'homme sans ombre (43)

Libéré de lui-même et de sa vision du monde, il réalise la présence de Dieu en toutes choses, ainsi que la beauté de la vie et son sens pour l’homme. Il participe lui-même, consciemment, à la création. Il se sauve en sauvant le monde. Il ressent une transformation de la volonté qui s’unifie et dissout l’idée du moi égoïste, de la pensée qui dépasse la raison et l’imagination, de l’affectivité qui, surmontant l’émotion, atteint, à travers le sentiment, l’amour pur. L’être unifié laisse le principe divin agir à travers lui. Et cette unification entraîne une dissolution de l’idée de lui-même. Il se comprend et comprend ainsi l’autre. Il peut ainsi entrer en communion avec lui. L’autre devient lui-même et les barrières créées par le moi tombent progressivement. L’appréhension globale de la vie et sa compréhension se fait au-delà de la pensée. Il comprend que c’est le voile du mental qui empêche la compréhension. La connaissance de l’amour est inconnaissance, parce qu’elle est toujours nouvelle. Le monde divin ne peut se découvrir par une méthode, car toute méthode est fondée sur des habitudes mémorisées. Chaque approche de l’invisible est nouvelle, indéfinissable et ne peut être revécue. Le problème est de se détacher du mental qui cherche à renouer avec l’expérience vécue.

L’accomplissement de l’homme, c’est l’amour. L’amour humain transforme l’être. Lorsqu’on aime un autre être, le monde est transfiguré. Le cœur brûle et change le regard. La pensée sans cesse revient à l’être aimé. Cet amour est joie et cette souffrance merveilleuse s’éprouve dans le cœur. Le cœur est le lieu de l’amour, comme la tête est le lieu de la connaissance. L’homme accompli vit le monde avec le cœur, connaît avec le cœur. La vision par le cœur purifie et fait cesser l’habitude de juger. Cependant l’amour tel que le vit l’homme psychique doit être dépassé pour qu’il s’accomplisse. En effet, cet amour est mêlé de désirs et d’émotions. Il est exclusif et orienté vers un seul être ou quelques-uns. Il peut pousser l’homme à se dépasser lui-même, mais il est incontrôlable. C’est une énergie qui nous transforme, mais nous n’en sommes pas maîtres.

23/12/2017

L'homme sans ombre (42)

Quatre jours plus tard, un autre article concernant la même secte paraît à nouveau dans la presse : « La secte bouddhiste Pingya continue à faire parler d’elle. Divisée sur les choix pris par son guide spirituel, elle s’entredéchire entre les partisans du tulkou et ceux qui s’opposent à ses innovations, dont en particulier l’annonce de son prochain mariage. En effet, un maître tibétain, qui appartient à tous, ne se marie pas. Des heurts se sont produits à l’intérieur du monastère, à tel point qu’une intervention de la police a été demandée par quelques fidèles. Le calme est revenu, mais rien ne va plus entre les deux parties. Il semble que le jeune Rimpoché qui déjà n’habitait pas dans le monastère, ait donné sa démission au profit d’un de ses partisans qui sera chargé de traiter avec le monastère de la secte resté en Inde de l’avenir de l’école parisienne. Mathis Letourneur, nous venons d’apprendre le nom occidental du Rimpoché, est depuis introuvable et semble avoir quitté définitivement le monastère parisien. »

Le lecteur retrouve Mathis, sa fiancée et le couple ami dans la petite maison, au pied de la colline où ils se rendaient tous les soirs et où les deux femmes avaient observé le comportement étrange de Mathis. Mathis est souriant, décontracté, mais concentré. La révélation de Bourges lui fait voir les choses de plus loin, avec moins de passion et même d’émotion. Chaque jour, il a longuement médité, poursuivi ses tâches personnelles pour atteindre la vacuité du soi. Dans le même temps, il a effectué avec Noémie de longs échanges au sujet de leurs désirs et de leur accomplissement à deux. Ils se savent prêts à tout et ils attendent. Ils attendent un signe qui leur indique leur devenir. Ils sont ouverts, calmes et aimant. C’est l’heure de sa troisième méditation, celle pendant laquelle il développe les bienfaits des deux premières et entre en lévitation. Mais aujourd’hui, il n’arrive à rien. Il a beau reconstruire en lui les conditions habituelles du corps, du cœur et de l’esprit, rien ne vient. Il sent même que rien ne viendra. Il est déconnecté. De quoi ? Il ne sait pas. Ce n’est pas une lourdeur inhabituelle, mais plutôt  une liberté nouvelle qui le ramène à la réalité, mais une réalité spirituelle inusitée, une délivrance du cœur qui retourne la vision. Il sourit et tout lui sourit. Il redevient comme tout un chacun, mais dans le même temps il voit le monde transformé, riant, aspirant au bonheur. Peu importe toute lévitation, peu importe tout signe d’une quelconque atteinte d’un niveau spirituel reconnu au Tibet. Seul compte le vide silencieux et furtif du vent céleste qui passe à travers son corps et nettoie son esprit. Il sent son être atteindre l’accomplissement, malgré ses ennuis, son découragement, ses adversaires. Tout cela a disparu.

22/12/2017

La singularité

Définition singulière que celle de la singularité :
Caractère de ce qui est unique ou acte la révélant

Nous sommes tous singuliers, sans le savoir
Pourtant nous errons dans la reconnaissance
De nos ressemblances sans nous douter
De la présence de l’être singulier
Que chacun de nous est et se doit de découvrir

C’est un véritable déconditionnement à pratiquer
Se défaire de l’apprentissage de l’humain
Pour errer dans la singularité de mon être lui-même

C’est un au-delà du moi à découvrir
Un point concentrant le soi unique et singulier
Qui donne à l’être sa force et sa valeur
L’affirmation de de son accomplissement
La transparence totale de son existence

C’est lorsque je ne suis plus que je suis
Voilà la singularité de chaque être humain

Alors, franchis le pas et saute dans le trou noir
Tu ressortiras immaculé comme neige,
Dans un trou blanc, transfiguré

Mais, attention, n’oublie pas ta blancheur nouvelle
Garde ton regard ébloui et oublie ce que tu étais

 

 ©  Loup Francart

20/12/2017

La tendresse présente : location à Lisbonne

Que retenir ?
Le masque sur le poêle
Chinoise au sourire rougi
La course au mouton sauvage
De Muraki, écrivain étrange
Mais d’un réalisme absolu
La fenêtre de la salle de bain
Baignée de lumière au matin
L’autre fenêtre sous la table
Où l’on s’encastre pour réfléchir
Le grenier blanc soleil
Qui s’endort au déjeuner
Et la présence invisible
De l’hôtesse toujours là, dans ces objets
Doucement offerts au creux des mains
Lorsque, les locataires endormis
La maison reprend vie, la vraie
Celle du jeu de cache-cache
L’ignorance de cette danse dans la nuit
Comme le cosmologue face au mur quantique
Laisse percer des anomalies incompréhensibles
Derrière les certitudes du juste raisonnable
C’est un feu bouillonnant et indéfinissable
Qui engendre en l’être humain allégé
La conviction d’un infini invisible
Plus prégnant que le temps et l’espace

 ©  Loup Francart

19/12/2017

L'homme sans ombre (41)

Quelques jours plus tard, paraît dans la presse française un article intitulé « Étrange affaire de succession dans une secte bouddhiste » : Une étrange affaire s’est déroulée à Paris dans les milieux tibétains. La secte Pingya venait d’installer un monastère dans le quartier du 13ème arrondissement et commençait à s’étoffer sous la conduite d’un tulkou qui serait d’origine française. C’est cette origine qui a suscité des jalousies, puis des antagonismes au sein des lamas de la secte. Ils leurs semblent inconcevables qu’un grand maître puisse se réincarner dans un enfant étranger aux traditions tibétaines. De plus, pour se justifier, ces adversaires font état de comportement tout à fait contraire aux coutumes du Tibet. Les tulkous sont et doivent rester célibataires. Ils ont, comme nos prêtres catholiques, une obligation de renoncement à la chair pour se consacrer à l’amour divin qui se porte vers tous les hommes et les femmes. Or celui-ci (nous n’avons encore pas réussi à identifier son nom réel) prétend se marier avec une française qui n’est même pas bouddhiste. Un sacrilège que les contestataires mettent en avant pour refuser dorénavant l’exercice du pouvoir par le rimpoché [1]. Ce n’est cependant pas un fait nouveau. Plusieurs Rimpoché se sont mariés tout en demeurant à la tête de leur secte. Ainsi le Sakyong Mipham Rinpoché s’est marié récemment avec la fille d’un autre Rimpoché et est devenu un véritable occidental. On constate d’ailleurs que les problèmes sexuelles sont aussi nombreuses dans le bouddhisme que dans le catholicisme. Ainsi, en novembre 1994, en Californie, Sogyal Rimpoché  a fait l'objet d'une plainte pour « mauvais traitements physiques, psychiques et sexuels ». Après de nombreuses polémiques entre les deux parties, Sugyal Rimpoché démissionne de la direction spirituelle de Rigpa, laissant celle-ci à un groupe d'anciens étudiants et de lamas tibétains.

Que va-t-il se passer pour cette  nouvelle secte bouddhiste qui jusque-là n’avait pas fait parler d’elle ? Nous n’avons pu approcher le jeune Rimpoché. Celui-ci a bien, en effet, été désigné tulkou par une commission de recherche d’un successeur. Ces parents se trouvaient en Inde où le père, ingénieur, dirigeait la construction d’un pont. Cette désignation ne posa pas de problème auprès des populations locales et il fut pris en main par les lamas de la secte sans difficulté. Devenu jeune homme, il décida de se rendre en Occident et d’y créer un monastère comme d’autres sectes bouddhistes ont pris l’habitude de le faire depuis plusieurs décennies. C’est au cours de ce retour dans sa patrie d’origine que le tulkou a rencontré une jeune fille qui, semble-t-il, embrouilla ses relations avec sa secte. Rien ne va plus au sein des fidèles et la rupture semble proche entre le maître et ses fidèles. »

 

[1] Rimpoché est une épithète honorifique propre au bouddhisme tibétain. Employé comme adjectif, il signifie littéralement « précieux ». Le titre Rimpoché est le plus souvent réservé à un lama incarné.

17/12/2017

Il est encore temps

Oui, il est encore temps de commander "Un sourire et quelques mots" pour vos cadeaux de Noël ou de nouvel an.

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« C’est justement lorsque nous abandonnons notre histoire personnelle que nous découvrons la vraie vie. »

 

Sourire aux autres, au monde et à soi-même reste la meilleure thérapie contre la morosité et l’amertume. Dans de brefs textes, l’auteur s’interroge sur le mystère de la vie individuelle (notre histoire personnelle, le destin, le bonheur, l’au-delà du moi), l’avenir collectif (la politique, la culture, la communication, l’art), l’univers (le Big Bang, l’infini, la noosphère), ainsi que d’autres sujets plus terre à terre (la danse de la Parisienne, le bain de mer, courir la nuit).

Ces anecdotes et réflexions sont drôles, provocantes, parfois intimes, à méditer, au lit, sur la plage ou dans le métro.

 

 

Livre broché : 18,90 € TTC
E-book : 7.99 €
298 pages
ISBN 979-10-326-0249-2

 

A vous qui errez dans votre être sans le comprendre,
A vous qui cherchez la lumière au-delà du moi,
A vous qui entrevoyez derrière votre histoire personnelle
Ce vide qui possède avec sobriété l’attrait du plein,
Ouvrez ce livre et laissez-vous prendre
Par ses anecdotes, réflexions, interrogations
Qui vous ouvrent la voie et incitent au retournement.

 

https://www.youtube.com/watch?v=OodjVwXH1Co


  Les commandes peuvent être passées :
- Sur le site internet de l'éditeur : http://7ecrit.com/livre/sourire-quelques-mots 
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15/12/2017

L'homme sans ombre (40)

Mathis envisage de démissionner et de rompre définitivement avec ses fonctions religieuses. Il ne sera pas le premier. Très récemment, Jamgon Kongtrul Rinpoche s’est démis de ses activités après une cabale de plusieurs années. Il se souvient encore de ce que celui-ci a écrit lors de sa démission en 2016 : « Les choses paraissent si bien et correctes en façade mais par derrière c’est un chaos, et je ne puis vivre une vie telle que cela, montrant un visage radieux mais à l’intérieur je me sens incapable et indigne de ce nom. (…) Ceux qui pensent uniquement à leur image et solennité en public risquent d’être déçus et seront ceux qui vraiment sont centrés sur leur ego, et égoïstes. Plutôt que de m’accuser vous feriez mieux de regarder les problèmes et voir clairement quelles circonstances me poussent à partir. »[1]

Cependant, Mathis ne rejette pas le bouddhisme. Il continuera à progresser sur le chemin de l’éveil, mais ce sera en s’appuyant sur l’amour et non sur la connaissance. De plus, sa position de tulkou l’engage et il ne peut rompre sans résoudre le problème. Il se réfère  à sa Sainteté le Dalaï Lama pour qui la chose essentielle qu’un tulkou doit garder à l’esprit est de ne jamais abandonner les enseignements du Bouddha. Terminant son allocution lors du départ de Jamgon Kongtrul Rinpoche, le Dalaï Lama dit qu’un tulkou ne doit jamais cesser de travailler pour les êtres, quelle que soit sa situation : "C’est tout ce que j’ai à dire. J’ai fait tout ce que j’ai pu jusque-là. Je ne suis pas débarrassé de tous les défauts, je n’ai pas développé toutes les qualités. Mais quoi qu’il arrive, je continue de penser que je ne renoncerai pas à mon activité bénéfique envers le bouddhisme et les êtres. Gardez bien ceci à l’esprit."

Alors, il lui faut encore franchir quelques étapes envers la hiérarchie tibétaine, dans la rage des hommes à acquérir le pouvoir. Et celui-ci ne l’intéresse plus. Il n’aspire qu’à l’amour, un amour universel qui se porte vers tous.

 

[1] https://www.larbredesrefuges.com/t11165-jamgon-kongtrul-lodro-chokyi-nyima-quitte-ses-fonctions

13/12/2017

Femme

Toi, femme, origine et avenir de l’univers
Ignorée de la force destructrice de l’évolution
Assise dans l’éternel repos du cœur
En mouvement discret entre les êtres
Reliant les uns aux autres avec aménité
Emplissant l’âme d’absence rayonnante

Comment ne pas te dire, en toute fraîcheur :
« En toi, je suis ; par toi j’étais ; avec toi, je serai »

Coule-toi dans sa quiétude tranquille
Épouse ces courbes chaleureuses
Immerge-toi dans l’être chéri et revivifiant
Laisse parler en elle la vie et l’amour
Et considère-toi chanceux de côtoyer
L’origine de ton être dans sa pleine lumière

La femme n’est rien pour être tout
La femme est l’avenir du monde
Éveillant la vie entre les entités
Leur donnant élasticité et reliance
Mettant en convergence les sons
Pour devenir contrepoint et harmonie

Oui, tu es belle, femme parmi les femmes
Amour donnant ton amour à tous
Centre de l’être, infini par humilité
Tout en recherche de l’unité
Et pourtant rien aux yeux du cri sauvage
Sur le pouvoir et l’arrogance de la force

 ©  Loup Francart

12/12/2017

Bouteilles vertes échappées de l’oubli

 

Bouteilles vertes échappées de l’oubli
Qui dorent leurs liquides au soleil de l’oubli
Bienfaisantes, chaudes, dépouillées
Vous êtes ce que nous sommes au regard
La consistance et la racine de la gaité
Vides, ignorées, vous sombrez dans l’oubli
De nos corps gorgés et repus

 ©  Loup Francart 

08/12/2017

Souvenirs

Parfois reviennent des bribes de souvenirs
Elles sont ténues, orphelines et soumises au vent
Elles errent comme les atomes dans l’espace quantique
Apparaissent où on ne les attend pas, indiscrètes
Et mêlent leur irruption d’un parfum de déjà vu
Mais te souviens-tu de leur lieu et du moment
Où elles frappèrent de surprise ton attention
Jusqu’au bout de tes certitudes et désolations
L’effet produit, elles repartent aussi vite que possible
Et s’oublie cet instant, béni ou non, de l’apparition
Dans l’horizon des possibles et le ciel du probable
D’une certitude d’un fait sans rappel de sa naissance

Le jour où la larme rappela ta détresse sans motif
La nuit où ton corps fut mon dernier refuge
Le matin quand la fraîcheur des vies t’enivre
Le soir quand l’espoir endort tes défenses
Et tous ces entre-deux, de surprise en surprise
Qui frappent à ta porte et enfoncent leurs doigts
Dans le cerveau brûlant des jours d’antan

 ©  Loup Francart

05/12/2017

L'homme sans ombre (38)

Il lui revient à la mémoire qu’au-delà de la compassion (karunâ) mise en avant par le bouddhisme, l’essentiel est bien l’amour (sanskrit maitrî), sentiment qui vise à procurer le bonheur à tous les êtres : « Que tous les êtres soient heureux ! Qu'ils soient en joie et en sûreté ! Toute chose qui est vivante, faible ou forte, longue, grande ou moyenne, courte ou petite, visible ou invisible, proche ou lointaine, née ou à naître, que tous ces êtres soient heureux ! Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être si peu que ce soit ; que nul, par colère ou par haine, ne souhaite de mal à un autre. Ainsi qu'une mère au péril de sa vie surveille et protège son unique enfant, ainsi avec un esprit sans limites doit-on chérir toute chose vivante, aimer le monde en son entier, au-dessus, au-dessous et tout autour, sans limitation, avec une bonté bienveillante infinie. Étant debout ou marchant, assis ou couché, tant que l'on est éveillé, on doit cultiver cette pensée. Ceci est appelé la suprême manière de vivre[1]. » Il se souvient que l’homme est sur terre pour être heureux et que le rôle d’un véritable tulkou est bien sûr de faire vivre une communauté ou une école de méditation, mais surtout d’incarner la compassion et l’amour. Il prend conscience de cet oubli et de son acharnement à ne se pencher que sur la renaissance de la secte. Il a perdu la joie (muditâ). S’il n’y a pas de joie dans l’amour, il ne s’agit pas d’amour véritable. De même, s’il n’y a pas de liberté (upékshâ), il n’y a pas d’amour véritable. Quand on aime, on offre la liberté à celui ou à celle qu’on aime, une liberté tant extérieure dans le monde matériel qu’intérieure dans son être le plus profond[2].

 

[1] Suttanipâta, I, 8. Cité in Rahula, p. 125.

[2] Thich Nhat Hanh, l’amour veritable, in http://www.buddhaline.net/L-amour-veritable  

04/12/2017

Comment ?

Comment s’épousent mes angles droits
Avec tes courbes et tes douceurs ?

Comment encore peux-tu dormir sans douleur
Auprès du paillard ronflement des organes outranciers ?

Comment tes exclamations rafraîchissantes
Rivalisent-elles avec la profondeur de nos vitalités ?

Comment ton rire et ta joie de vivre
Se concilient-ils avec l’éclat de nos moqueries ?

Comment la tendresse envoûtante de ta nudité
Accepte-t-elle la gaillarde prétention de nos manifestes dressés ?

C’est un miracle bien léger, mais si débordant
Que chaque jour l’homme et la femme se retrouvent
Serrent ensemble leurs peines et leurs espoirs
Dans une félicité conjointe et revivifiante
Qui chante joyeusement l’amour et la filiation
Et contemplent du haut de leur union le mystère humain
Deux en un, divergents et pourtant étroitement emboîtés

 ©  Loup Francart

01/12/2017

L'homme sans ombre (37)

Voilà pourquoi il s’est enflammé pour la jeune fille merveilleuse qu’est Noémie. Cette expérience nouvelle lui ouvrait des horizons inconnus. Il avait senti en lui naître des perceptions mystérieuses, des sensations ignorées, des impressions étranges, des sentiments cachés qu’il avait du mal à analyser. Une faille était apparue dans l’être auquel il était habitué, une dimension jusqu’ici non perçue s’était ouverte. Il avait découvert sa part de féminité, une vision adoucie de l’univers se surajoutant à sa propre vision. Il connaît maintenant non seulement la consistance et le poids des choses, mais également ce qui les relie entre elles, ces ondes colorées qui tissent l’harmonie et la sérénité, le mariage du plein dans le vide. C’est une libération. Il ne connaissait les choses qu’une à une, les analysait dans leur forme, leur couleur, leur senteur, leur toucher, et il en découvre l’envers, ce qui leur permet d’être pleinement ce qu’elles sont au milieu des autres, leur particularité, leur infinitude, leur extraordinaire plénitude. Le langage de l’amour est en toute chose, il suffit de se mettre en condition pour le recevoir, de s’abandonner à cette mélodie des frissons, caresses, baisers.

Pendant environ une année, ces deux appréhensions de la vie se sont côtoyées, tantôt orientées vers une plus grande connaissance,  tantôt vers un plus grand amour. La présence de Noémie l’emplissait de bonheur, mais il ne pouvait dans le même temps, s’empêcher de penser à son monastère et à son rôle. Un jour, il découvrit qu’un certain nombre de Rinpoché s’étaient mariés et que cela ne les avait pas empêchés d’exercer leur fonction. Cela le tranquillisa et lui donna la force de poser le problème au sein de la secte. Ce fut alors que commencèrent ses ennuis. Une importante minorité s’opposait à ce mariage, en particulier parce que la fiancée était européenne et non tibétaine. Il est maintenant au stade du choix. Il ne peut plus reculer : l’amour ou les pouvoirs spirituels ! Il a maintenant entrevu que la connaissance, même d’ordre supérieur, c’est-à-dire une connaissance mystique, mal comprise et mal dirigée, est une impasse dont il faut sortir. Mais il a également compris que l’amour humain entre un homme et une femme ne permet pas non plus la connaissance de l’amour mystique. Sa durabilité est trop souvent insuffisante. Seuls quelques êtres accomplissent pleinement une vie d’amour jusqu’au bout. D’ailleurs la littérature met en scène non pas des couples ayant accompli leur vie dans l’amour mutuel, mais ceux qui ont eu des difficultés et qui, le plus souvent, n’ont pas tenu jusqu’au bout ou encore sont morts avant d’avoir connu la félicité de cet amour.

 

28/11/2017

Haïku

 

Las et délaissé,

Il se terre, essoufflé.

N’a-t-il plus de foi ?

 

27/11/2017

L'homme sans ombre (36)

Plongé en lui-même, Mathis regarde son personnage. Il se perçoit tel qu’il est et non tel qu’il croit être. Il observe l’être impulsif et dissimulateur qu’il peut devenir à certains moments. Que veut-il ? Il ne sait plus. Faire grandir en lui le tulkou et faire briller l’école de méditation qu’il a créée ? Rassembler de nombreux disciples et recevoir leurs hommages ininterrompus ? Il comprend soudainement la vanité de ce destin : les cérémonies interminables où il doit s’imposer une dignité qui n’existe pas en lui, les heures passées en lotus pour paraître et être admiré, la pauvreté d’une vie réelle, bien à lui, qu’il ne peut développer par peur d’être démasqué.

Plus profondément, Mathis entrevoit les désordres de ses pratiques de méditation : la pratique du calme mental, appelé Chiné au Tibet, où l’on place l'esprit dans un état de vigilance, sans distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans tension. Il saisit ses erreurs conduisant à un état de frustration et de culpabilisation inutiles : sa « crainte des pensées, son irritation ou son inquiétude de leur apparition, sa croyance que l'absence de pensées est une bonne chose en soi. Lorsqu'il médite, le plus grand empêchement vient véritablement des productions mentales surajoutées, des commentaires sur soi-même et des préconceptions[1]. »  Alors il tente la pratique de « Lhaktong » qui conduit à la vision supérieure : exploration du corps comme support de méditation, examen de la nature qui parfois l’a conduit à un nihilisme exagéré, observation de l’esprit qui met en évidence que celui-ci n’est qu’une continuité d’instants.

Il découvre brutalement que toute sa recherche mystique ne porte que sur la connaissance. Certes, une connaissance supérieure à la connaissance rationnelle des chercheurs en cosmologie, mathématiciens et physiciens, une connaissance du domaine du fonctionnement de l’esprit, mais dont l’objet a pour but la croissance du moi et non l’expérience de la vacuité du soi. La seule connaissance de l’amour qu’il ait est son attachement à Noémie. Il n’a expérimenté que l’amour humain et la connaissance mystique. Il ne sait rien de la connaissance savante des hommes et de l’amour mystique des chercheurs de Dieu.

Un intense découragement le saisit. Aurait-il raté sa vie, poursuivi une chimère, développé des pouvoirs plus ou moins occultes sans aucun bénéfice réel ? Il essaie de se souvenir comment s’est passé le choix des envoyés du monastère pour désigner le Toulkou. Oui, certes, il avait « reconnu » certains objets qui appartenaient à l’ancien rimpoché. Il les avait désignés sans peine, mais pourquoi ? Il ne savait pas. Pas d’hésitation, mais pas de certitudes non plus. Il avait fait plaisir à ces gens, mais sans comprendre les enjeux que cela représentait. Il était fier d’être la cible de tous les regards, des sous-entendus que cela impliquait, de l’attention de l’ensemble du monastère à ce qu’il faisait ou disait. Il tint son rôle sans peine, mais qu’était-il, lui, derrière son personnage ? Il a grandi en prenant garde à ce que pourraient penser les gens, ce qu’ils pourraient dire, ce qu’ils pourraient ressentir. Il s’est coulé dans le personnage d’un Toulkou et il l’a tellement bien joué qu’il ne voyait pas ce qu’il aurait pu être d’autre. Et pourtant, était-il satisfait ? Il est maintenant conscient de son manque de détachement intérieur, de son défaut d’intériorité réelle. Tout ce qu’il a fait s’effectuait dans le domaine de la connaissance et non de l’amour. Il était, il est encore le maître de pensée, mais il ne connait rien à l’amour, à ce qui lie les humains entre eux plus fort que l’intérêt quel qu’il soit.

 

[1] Bokar Rimpoché, La méditation, conseil aux débutants, Editions Claire lumière, 2007

 

23/11/2017

Affection

Trois jours de folie… Dans mon lit…
Étendu sur ma couche, sans volonté…
Un rat crevé, la bouche de fièvre embellie…
Rien ne pouvait m’en faire bouger…

Les vagues bruits de la circulation
Les cris d’une cour de récréation
L’automne sale qui coule aux murs
Et rend la traversée d’une rue si peu sûre

Et moi, engoncé dans mon cocon
L’oreille pâle et l’œil hagard
Clignotant à l’ombre du balcon
Ecrasé dans les draps du placard

Seul, perdu dans la chaste défaite
De l’être gaillard et sûr de lui
Je me laisse partir, nu, sans fête
Glissant jusqu’au bout des nuits

J’entends les voix des jeunes filles
Qui devisent et courent dans la rue
Esquivant à l’image des anguilles
Regards et gestes des malotrus

Pourtant que ferais-je sans relève
Sans ces rappels incessants
De la vie, des corps et de la sève
Qui gonfle un sommeil rayonnant

L’être encore maintient son rire
Et évacue sa torpeur envahissante
L’œil agite son iris pour s’enquérir
De toute originalité resplendissante

Les jours s’écoulent, sans répit
Pour celui qui git, sourit, pâlit
Se caresse les joues rêches
Et rêve d’un verre d’eau fraîche

 ©  Loup Francart

22/11/2017

L'homme sans ombre (35)

Plongé en lui-même, Mathis regarde son personnage. Il se perçoit tel qu’il est et non tel qu’il croit être. Il observe l’être impulsif et dissimulateur qu’il peut devenir à certains moments. Que veut-il ? Il ne sait plus. Faire grandir en lui le tulkou et faire briller l’école de méditation qu’il a créée ? Rassembler de nombreux disciples et recevoir leurs hommages ininterrompus ? Il comprend soudainement la vanité de ce destin : les cérémonies interminables où il doit s’imposer une dignité qui n’existe pas en lui, les heures passées en lotus pour paraître et être admiré, la pauvreté d’une vie réelle, bien à lui, qu’il ne peut développer par peur d’être démasqué.

Plus profondément, Mathis entrevoit les désordres de ses pratiques de méditation : la pratique du calme mental, appelé Chiné au Tibet, où l’on place l'esprit dans un état de vigilance, sans distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans tension. Il saisit ses erreurs conduisant à un état de frustration et de culpabilisation inutiles : sa « crainte des pensées, son irritation ou son inquiétude de leur apparition, sa croyance que l'absence de pensées est une bonne chose en soi. Lorsqu'il médite, le plus grand empêchement vient véritablement des productions mentales surajoutées, des commentaires sur soi-même et des préconceptions[1]. »  Alors il tente la pratique de « Lhaktong » qui conduit à la vision supérieure : exploration du corps comme support de méditation, examen de la nature qui parfois l’a conduit à un nihilisme exagéré, observation de l’esprit qui met en évidence que celui-ci n’est qu’une continuité d’instants.

Il découvre brutalement que toute sa recherche mystique ne porte que sur la connaissance. Certes, une connaissance supérieure à la connaissance rationnelle des chercheurs en cosmologie, mathématiciens et physiciens, une connaissance du domaine du fonctionnement de l’esprit, mais dont l’objet a pour but la croissance du moi et non l’expérience de la vacuité du soi. La seule connaissance de l’amour qu’il ait est son attachement à Noémie. Il n’a expérimenté que l’amour humain et la connaissance mystique. Il ne sait rien de la connaissance savante des hommes et de l’amour mystique des chercheurs de Dieu.

 

[1] Bokar Rimpoché, La méditation, conseil aux débutants, Editions Claire lumière, 2007

 

21/11/2017

Détruire, dit-elle, de Marguerite Duras (2)

Alissa n’est pas encore allée au-delà de la folie, de cette folie apparente engendrée par la destruction. Elle est la destruction (détruire, dit-elle) et en fait elle qui déclenche le drame, car rien ne serait arrivé ans elle. Alissa sait, dit Max Thor, mais que sait-elle, se demande-t-il. Sans doute, ne le sait-elle pas elle-même, n’est pas capable de le formuler. Seul Stein pourrait le faire, mais Stein ne répond pas. Alissa comprend Stein d’instinct, intuitivement. Elle le sent fémininement et Stein la comprend, c’est pourquoi l’amour naît aussitôt entre eux, ontologiquement pourrait-on dire.

Max thor n’est pas encore du même camp. Il cherche. Il s’interroge, il regarde de la même manière dont regarde Elisabeth Alione. « Quelque chose le fascine et le bouleverse dont il n’arrive pas à connaître la nature », aussi bien chez Elisabeth que chez Alissa. Il ne connaît pas Alissa, sa femme. Il la cherche, car il sait que c’est en elle que doit être la réponse ; et ce problème, le seul qui le touche vraiment, s’effacera de lui-même, sans qu’il ait besoin d’en avoir la réponse, au cours du troisième temps du livre, au cours de l’affrontement. Alors il saura ce qu’est Alissa et Stein. Elisabeth Alione le fascine également. Il l’aime d’un amour différent de celui qu’il éprouve pour Alissa (amour inquiet et interrogateur, tourné vers l’avenir), d’un amour tourné vers le passé qu’il ne peut encore quitter tout à fait, ne connaissant pas l’avenir.

Enfin, il y a Elisabeth Alione, qui, en fait, n’existe pas en elle-même, c’est-à-dire en tant qu’être propre, individuel et personnel. Elle croît à ce que les autres disent d’elle. « Elle est à celui qui la veut, elle éprouve ce que l’autre éprouve. Elisabeth Alione, c’est le passé. Tout n’existe pour elle que par le passé et l’avenir lui fait peur car aucun passé ne s’y rattache. Aussi a-t-elle peur des trois autres et surtout d’Alissa, peur d’eux qu’elle ne comprend pas parce qu’elle ne sait rien d’eux alors qu’eux savent tout d’elle. Une fois dans sa vie, Elisabeth aurait pu être en tant qu’être véritable, mais elle a eu peur de cette lettre du médecin qu’elle a montré à son mari parce que, là encore, elle avait peur d’un avenir différent du passé, inconnu. Puis elle a regretté son geste parce que quelque chose en elle disait oui à la lettre. Sa maladie véritable venait en fait de cette contradiction entre ce qu’elle croyait être et ce qu’elle était réellement, intérieurement. La destruction de l’ancienne Elisabeth commence le jour où elle rencontre Alissa, puis Stein. Elle découvre par l’intermédiaire d’Alissa la véritable cause de sa maladie. Elle ne peut plus redevenir ce qu’elle était auparavant, bien qu’elle ne s’en rende pas compte, et au-delà de la peur qu’elle a éprouvée, elle découvre le dégoût (ces nausées… Ce n’est qu’un début, dit Mas Thor. Bien… Bien… dit Stein).

« Il y a eu un commencement de… comme un frisson… non... un craquement de… du corps », dit Stein.

« Ce sera terrible, ce sera épouvantable, et déjà, elle le sait un peu ».

La destruction a fonctionné comme cette musique, cette fugue de Bach qui s’arrête, reprend, s’arrête à nouveau, repart jusqu’à ce qu’elle passe la forêt, fracasse les arbres, foudroie les murs.

20/11/2017

Détruire, dit-elle, de Marguerite Duras (1)

Le décor : un périmètre dans la forêt où les gens viennent s’isoler, s’apprendre à vivre eux-mêmes dans le repos. Ici les livres, qu’ils soient à lui, Max Thor, ou à elle, Elisabeth Alione, ne servent à rien. Ils font partis du décor. Rien ne se passe dans cet hôtel, tout commence et rien ne s’achève, car aujourd’hui n’a plus de rapport avec hier. Le temps ne soule plus, ou coule sans souvenirs, sans souvenirs d’impressions durables, sauf, peut-être, le souvenir de ce qui est et non pas de ce qui arrive.

C’est dans ce monde où rien ne compte qu’être, que fonctionne la destruction comme cette musique des dernières pages, cette fugue de Bach, qui s’arrête, reprend, s’arrête à nouveau, repart, jusqu’à ce qu’elle fracasse les arbres, foudroie les murs. Elle arrive en trois temps, trois actes du livre. Sans un premier temps, il n’y a rien, rien ne se passe, on regarde, Marguerite Duras pose le décor et ses personnages, puis arrive Alissa qui est la destruction à l’œuvre et cette destruction plante ses racines et les enfonce dans le décor, imperceptiblement. Enfin, dans un troisième temps, les deux forces opposées, l’avenir avec le groupe d’Alissa de Stein et Max Thor et le passé avec Bernard et Elisabeth Alione, s’affrontent et se déchirent, enracinant la destruction chez Elisabeth Alione sans même qu’elle s’en soit rendu compte, sans toutefois aller jusqu’au bout de l’acte, jusqu’à ce qu’il y a au bout de la destruction, c’est-à-dire la folie. La folie, c’est Alissa, l’inacceptation de tout état de fait, la destruction de tout le passé, c’est-à-dire de toutes les habitudes.

Les personnages maintenant : qui sont-ils ? Il y a en fait deux forces en action, deux clans qui s’opposent, ceux qui sont tournés vers l’avenir, qui savent ce que les autres ne savent pas, qui ne savent même pas qu’il y a à savoir, qui sont leurs habitudes.

Stein sait. Il sait au-delà de la folie, vers ce vide qui est au-delà. C’est un sage, une sorte de moine, pourrait-on dire. Il se refuse à tout, à tout ce qui semble constituer la vie de chacun, le mariage, un métier, des projets. Il peut se permettre de faire des choses que les autres ne feraient pas, qu’ils appelleraient indiscrètes. Les autres ne l’intéressent pas vraiment. Il les regarde comme on regarde un troupeau. Lui-même ne l’intéresse pas, il se regarde comme il regarde les autres, sans retenue aucune (quelques fois j’entends ma voix, dit-il).

17/11/2017

L'homme sans ombre (34)

Ne pouvant plus méditer, il décide d’aller faire une promenade. Il met de bonnes chaussures de marche, un K-wai et sort pour marcher dans la campagne. Il s’efforce de ne plus penser à ses problèmes. Pour cela il regarde autour de lui, fait attention aux plantes, regarde au loin ou essaye de repérer les anomalies du paysage. Mais il revient vite à la crise qu’il subit. Rien à faire, il ne peut s’en abstraire. Il marche prisonnier de ses pensées. Il ne voit pas, il ne sent pas, il ne fait que ronger ce qui le tracasse sans même arriver à le définir. Il divague sans éclaircir ses pensées. Alors, il rentre au monastère. Le soir venu, il dîne de bonne heure avec les moines, retourne dans sa cellule et reprend sa posture. Il s’efforce de suivre strictement les conseils de son ancien maître lors de leurs échanges. Il se souvient d’une phrase : « Un bol plein d'une substance ne peut plus contenir autre chose. Un bol vide est disponible. » Mais ce qui encombre son esprit résiste. Rien ne vient, mais tout est là, tellement présent qu’il ne peut y échapper. Heureusement, il est sauvé par la fatigue de la marche et s’endort assez facilement.

Le lendemain, il veille à ne pas renouer avec l’expérience de la veille, à ne pas penser à ses échecs répétés. Il prend garde à sa respiration, à l’air qui passe dans sa gorge pour qu’il emplisse correctement ses poumons. Puis, il évacue son être de tout de ce qui s’y trouve. Mais un bruit infime le ramena à la perception de l’extérieur et le flot de pensées se remet en route. Rien à faire. Cela reprend, comme hier, comme avant-hier. Alors, il se lève, prend quelques effets, va voir le père abbé et lui dit qu’il s’en va pour quelques jours, il ne sait où, pour oublier. L’Abbé ne dit rien, le laisse partir, espérant qu’il revienne rasséréné.

Comme il faut se donner un but, il suit le chemin des pèlerins de Compostelle. Il ne s’est pas préparé à un pareil périple. Il se sent vite fatigué d’arpenter d’abord l’île de France, puis le Berry. Il arrive à Bourges et là, rencontre un compagnon marcheur. C’est un homme intéressant et qui s’intéresse à lui. Celui-ci le voit tellement en peine qu’il lui propose de passer deux jours près de la cathédrale, sans marcher. Mathis s’installe dans les jardins derrière l’édifice et se plonge en méditation. Il ne sait plus où il en est. Les images s’embrouillent en lui. Il se voit errant sur les routes, il se voit dans le monastère, il se voit en lama, puis, auparavant, en tulkou. Il ne sait qui il est ni ce qu’il veut devenir. Il se pose et ne pense plus à rien. Sa volonté est vaincue, il se remet à son destin, sans intervention de sa part. Enfin !

13/11/2017

L'homme sans ombre (33)

S’il n’y eut pas de bruits ni de vagues extérieurement, l’être intime de chacun en fut profondément bouleversé. Patrick ne s’attend pas à un voyage vers un Orient inconnu. Lauranne sent combien son rôle est trouble : attaquer le fiancé de sa meilleure amie dans ses convictions les plus vives. Noémie se perçoit au centre d’un tourbillon qu’elle n’avait jamais soupçonné. Mathis enfin, est pris entre deux passions et visions du monde si différentes qu’elles le conduisent à un grand écart quasi impossible.

Il avait choisi de faire retraite dans une abbaye chrétienne proche de Paris. Si l’on avait besoin de lui, il lui était facile de se rendre disponible. Il avait averti le Père Abbé qui n’avait pas vu d’inconvénient à cette retraite malgré le fait qu’il n’était pas catholique. Dès 10 heures 30 du matin, il prend la position du lotus et commence sa méditation. Comme la veille, il a beaucoup de mal à faire le vide en lui. Quand enfin, au bout d’une heure, il y parvient, il ressent une telle fatigue qu’il doit arrêter et faire un somme d’une demi-heure avant le repas de midi. Celui-ci est pris avec les moines, en silence, puis retour dans sa cellule. Reprise de concentration, mais sans succès. Sans cesse reviennent les images de ce qui s’est passé ces derniers jours sans possibilité d’arrêter ce défilement en permanence renouvelé.

– Que m’arrive-t-il ? se demande-t-il sérieusement. Suis-je tellement perturbé ?

Assis sur son coussin, reprenant la position du lotus, il reprend le processus au commencement : une position ferme, le dos droit, la tête dans le prolongement du buste, le menton rentré, le regard intérieur entre les deux yeux. Son objectif : sentir l’air glisser entre les narines, monter dans la tête, être filtré dans la gorge et remplir de vacuité l’être en chassant dans tous les recoins ce moi qui ferme la porte. Il se force à l’attention d’une respiration posée, il perçoit l’air entrer et sortir, mais la pleine conscience ne vient pas. Les images des récents jours réapparaissent sans fin, elles l’environnent sans vouloir s’éloigner et submergent sa volonté de vacuité. Il est prisonnier de ce fil qui le ramène toujours devant lui, dans sa faiblesse et son incapacité à franchir la frontière. Il revient toujours au même constat : il ne peut s’affranchir de cette blessure, car c’est bien une blessure et ses pensées tournent autour sans pouvoir s’en éloigner.

Soudain, il voit. Il voit son inconstance, ses désirs de puissance, son intensité à vouloir montrer le meilleur de lui-même, son combat contre les autres moines pour s’imposer. Jamais il n’avait connu cette élévation qui le guide hors de lui, face à lui-même. Il balance sur cette frontière tenace et n’ose sauter le pas. Qu’y a-t-il derrière ? Il le savait, mais maintenant il ne sait plus. Il est prisonnier de ses pensées et cela l’empêche de franchir la ligne. Qu’il est loin de ce qu’il pensait être et de ce qu’il est. Il lui faut se détacher de ce qui en lui dit : « Je suis un tulkou, le chef spirituel d’une lignée de lama. Mais je suis corrompu. Pourtant, depuis que je connais Noémie, j’ai trouvé la paix. Je ne me regarde plus, je la vois et je ne suis plus parce qu’elle m’illumine. Je ne peux être la lumière, mais je peux transmettre la lumière reçue. Cela ne se fait qu’à une condition : devenir transparent. J’ai perdu ma transparence. » Là, ses pensées s’arrêtent. Le silence se fait en lui. Il voit les grains d’ego qui obscurcissent son esprit et il accepte ces ténèbres. Il ne les chasse pas. Cela est ainsi. Cela vient et cela part. Ne rien retenir, ne rien convoiter. Laisser faire et contempler ce qui agit en soi.

12/11/2017

Transcendance

Au sein du bouillon habituel de l’être
Se lève parfois une bulle différente
Elle explose avec vigueur sans réémettre
La langueur d’une habitude accaparante

C’est un éclair dans ce paysage désolant
Qui illumine la vie et la rend enviable
Une chevauchée mortelle du cerf-volant
Reliant l’immonde et l’inconnaissable

Une montée asphyxiante vers le bonheur
Une apnée subite dans un hoquet convoyeur
Un réveil éclairant dans un monde sans pensées

Elle plane la victime de cet évènement
Elle déploie ses ailes avec raffinement
Et s’envole réjouie avant même de s’élancer

 ©  Loup Francart