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22/01/2016

La fin de l'histoire (12)

Le lendemain matin, après son heure de méditation destinée à se blinder pour la journée, Nicéphore alla à la bibliothèque municipale. Sa carte était toujours valable, ce qui lui évita de trop se montrer auprès de la conciergerie. Il s’engouffra dans les couloirs de livres qui étaient rangés par thèmes, puis dans l’ordre alphabétique des auteurs. Dans le thème spiritualité, il chercha Krishnamurti et trouva deux ouvrages : "De la connaissance de soi" et "La révolution du silence". Il les feuilleta et tout en surveillant ceux qui passaient à côté de lui. De pauvres bougres, désorientés, en mal d’être ! Vingt minutes plus tard, passa un jeune homme, environ vingt-cinq ans, l’air avenant, qui s’excusa d’une voix grave et harmonieuse. Tiens ! Intéressant. Nicéphore le suivit des yeux. Le jeune homme se retourna, lui sourit, puis continua quelques mètres et s’arrêta en regardant la tranche des livres qu’il avait devant lui. Le sourire ne veut rien dire dans une société sociable. Tous sourient, mais d’une manière automatique, apprêtée. Son sourire à lui était discret, mais réel. Il le regarda à nouveau du coin de l’œil. Que faire ? Tant pis, j’y vais ! Il se rapprocha, passa à côté de lui et lui dit à voix basse :

– Vous cherchez quelque chose ? 

Le jeune homme rougit, bafouilla positivement, le regarda et lui dit : 

– Rendez-vous ce soir au Café Vert à sept heures.

Il partit précipitamment, laissant Nicéphore à ses interrogations. Et si c’était un piège ? Il traina quelques minutes encore faisant semblant de chercher des livres scientifiques concernant l’évolution de l’univers, puis sortit tranquillement en regardant s’il était suivi. Non, rien. Tant mieux, cela simplifie les choses.

A sept heures, il se présenta à la porte du Café Vert. C’était un petit café situé pas très loin de la bibliothèque, mais suffisamment éloigné pour ne pas être surveillé. Il était plein de jeunes gens et jeunes filles qui parlaient sans arrêt à voix haute de manière passionnée. Les conversations étaient multiples, les unes sur le temps qu’il avait fait l’été dernier, les autres sur le dernier livre à la mode, d’autres encore sur une histoire d’amour qui finit mal (la passion déréglait parfois le consensus social en vigueur). Une petite place derrière un pilier était inoccupée. Nicéphore s’y assit pour attendre l’étudiant (du moins supposait-il qu’il n’avait pas fini ses études). Au fond, oui, se dit-il, ce sont les jeunes qui sont plus susceptibles d’avoir une certaine dissidence. Ils nourrissent plus aisément un idéal que ceux qui sont entrés dans la vie active. Ah, le voilà. Le jeune homme s’arrêta sur le seuil, regarda derrière lui par la porte vitrée, puis avança tranquillement vers Nicéphore. Il était encore plus jeune que celui-ci ne l’avait pensé. Oui, vingt-cinq ans maximum, probablement moins. Mais peu importe. Dès les premières paroles, ils se sentirent à l’aise, tous les deux, malgré la différence d’âge (Nicéphore avait trente-six ans). Ils parlèrent de choses et d’autres, d’un air détaché, chacun surveillant l’autre jusqu’au moment où le plus jeune lui dit :

– Je fais peut-être une bêtise, mais il me semble que vous me cachez quelque chose comme je vous cache moi-même quelque chose. Alors, jouons franc jeu, cela simplifiera nos relations et nous permettra de mieux nous connaître sans perdre de temps.

Nicéphore lui raconta sa révulsion pour la pilule et son entrée en opposition avec le voyage à Tombouctou. L’étudiant (il était en réalité tout jeune professeur à l’université) le regardait avec admiration et lui avoua :

– J’ai bien tenté de me passer de la pilule, mais je suis tombé malade trois heures après : vertige, nausée et indicateur allumé. Un de mes amis me surprit ainsi chez lui. Je lui racontai que je m’étais évanoui et n’avais pu prendre la pilule. Je le suppliai de m’en donner une et de ne rien dire, ce qu’il accepta. Je m’étonnais d’ailleurs de pouvoir penser si librement malgré la pilule et mis cela sur mon caractère. J’avais cependant peur d’être surveillé et me forçais à me lier avec les autres professeurs et les étudiants de l’année où j’enseignais.

Nicéphore comprit alors ses airs parfois inquiets ou au moins absents.

– Vous seriez donc le premier éveillé, lui dit-il.

– Tiens, je ne connaissais pas cette expression. Que signifie-t-elle ? demanda Nicéphore.

– C’est une expression lue dans un livre ancien intitulé Gnosis. Son auteur est un certain Boris Mouravieff y livre la doctrine ésotérique de l’Orthodoxie orientale et décrit les rapports entre le monde et l’homme. J’ai amené le livre, car je pensais qu’il pourrait vous intéresser. J’y tiens et souhaite le récupérer dès que vous l’aurez lu. Je vous fais confiance. Rendez-vous dans trois jours au Café Jaune, cette fois à huit heures du soir. Je suis obligé de partir, car je ne tiens pas à vous compromettre.

Il se leva, sortit sans se retourner, me laissant seul, le livre à la main.

18/01/2016

La fin de l'histoire (11)

Le lendemain, il prit l’avion pour l’aéroport Charles de Gaulle. Au cours de son voyage, il réfléchit à ce qui l’attendait. Il pensa à cette fin de l’histoire qui avait été imposée par le gouvernement mondial. En un instant d’illumination, il comprit que sa vocation était de faire repartir l’histoire, non pas celle des idéologies et des luttes entre peuples, mais l’histoire personnelle de chaque être humain. « Nous avons perdu notre libre arbitre. Oui, j’existe en tant qu’être social, mais je n’avais plus jusqu’à peu de moi personnel. Je ne savais même pas qu’il est possible de penser par soi-même, de s’interroger sur ce que je veux réellement faire. Ne plus subir ce que la société veut que chacun d’entre nous fassions ! Mais comment ? »

Arrivé sur place après un vol sans histoire, il eut du mal à rester concentré. Les sollicitations étaient importantes et l’attention demandait des efforts surhumains. Plusieurs fois il ressentit des picotements à hauteur de son indicateur, signe certain qu’il n’allait pas tarder à s’allumer. Il se forçait alors à replonger en lui-même, à reprendre le contrôle de sa pensée et à faire le vide en soi. Il put arriver jusque chez lui sans que rien ne transparaisse.

La nuit suivante, il chercha comment éveiller la curiosité de ses contemporains. Il ne pouvait bien sûr leur parler ouvertement, ni même faire certaines allusions à la liberté individuelle. La personne en tant qu’être humain autonome et unique ne semblait plus exister. Elle peut continuer à être raisonnable, mais à condition qu’elle soit sociable et même sociale. La sociabilité commande à la raison et non l’inverse. Encore heureux que les livres ne soient pas interdits. Le gouvernement s’était interrogé sur le rapport entre la raison et la sociabilité et certains experts avaient prédit qu’une raison insuffisante conduirait à une révolte probable, l’idéal étant une égalité entre la raison et la sociabilité. La composition chimique des pilules à prendre chaque matin avait été un mélange savant de produits permettant d’atteindre cette égalité. Et cela marchait ! Il y avait bien sûr des cas où l’égalité n’était pas respectée. Cela dépendait principalement de la personnalité de l’enfant à sa naissance, car on pensait qu’ils avaient déjà une personnalité qui tenait aux gènes de leurs parents. Dans certains cas, on devait les tenir éloignés du réseau social, sans toutefois le dire ouvertement. On les appelait les déviants. Personne ne leur parlait ou même les regardait dans la rue. Ils étaient libres en apparence, mais la société les rejetait ouvertement. Ils étaient accusés de tous les maux qui pouvaient survenir malgré tout dans une société policée : un incident dû à un cataclysme naturel, un accident dans une usine suite à une rupture de pièces et même un coup de folie pour un individu suite à un défaut de dose injecté dans l’indicateur. Ils n’en étaient en fait nullement responsables, mais la vindicte populaire se reportait sur eux qui ne pouvaient s’exprimer faute de moyens de communication mis à leur disposition, ces derniers étant réservés au personnel politique qui en usaient sans partage. D’ailleurs la plupart des personnels qui avaient accès aux bibliothèques n’écoutaient plus les médias, lassés tant par le discours de fond que par la forme n’utilisant qu’un nombre restreint de mots répétés en boucle. Le réseau Internet était lui-même étroitement surveillé par la police politique, autrefois importante et de plus en plus réduite par la docilité de la population. Certes, les bibliothèques étaient sous surveillance. On obligeait les lecteurs à disposer d’une carte d’inscription et les livres prêtés étaient notés si bien que l’on savait précisément les sujets intéressants untel ou untel. Cela permettait de plus de répondre à leurs besoins en consommation grâce à l'addition des deux bases de données intérêts intellectuels et besoins matériels. Nicéphore avait souvent consulté des livres tout en prenant garde de ne marquer trop d’intérêt pour les sujets qui l’intéressaient.

Ah, mais voilà l’idée que je cherche ! Entrer en contact avec d’autres lecteurs. J’y trouverai peut-être quelqu’un qui s’intéressera à ce que j’ai découvert. Mais attention, il y a des membres de la police politique, la fameuse dP (dedicated police ou police dédiée), qui parfois se mêlent aux simples citoyens pour savoir ce qui se passe. Il est vrai que cela a lieu de moins en moins souvent en raison de l’efficacité de la pilule. Oui, c’est une bonne idée, car il n’y a que parmi ces gens-là que je pourrai trouver des gens dissimulés et sincères. Attention cependant. Chercher dans les livres ésotériques ou scientifiques, pour voir qui s’y trouve, mais ne jamais en emprunter !

14/01/2016

La fin de l'histoire (10)

Le lendemain, quatrième jour de méditation, il commença sa journée par un jogging, puis se rendit à la source dont lui avait parlé Mohammed. Ce n’était qu’un vulgaire trou dans lequel croupissait une eau presque saumâtre. Mais lorsqu’il la toucha, elle devint transparente après que les ondes émises par la pénétration de ses doigts se soient effacées. Une mince couche d’eau claire s’ouvrait devant lui. Il se pencha et but. Dieu, cela n’avait rien à voir avec l’eau chaude des gourdes en peau de chèvre, se dit-il. Dorénavant je viendrai tous les jours me rafraichir. Revenu dans la grotte, il s’assit et commença sa méditation. Silence… Vide… Respiration… Il s’enfonça vite en lui-même, creusant son être ou, peut-être, l’allégeant en lui donnant de la transparence. D’abord le noir absolu. Puis une vague lueur transparaît entre les deux yeux. Peu à peu ses paupières se soulèvent, dévoilant une brume blanchâtre et tremblante. Ne pas réagir, attendre, sans volonté. Progressivement, il médita les yeux ouverts, sans voir ce qui l’entourait, perdu dans ce moi qui n’existait plus. Plus une pensée, plus une sensation, plus une émotion. Le soleil vint frapper son visage. Il avait tourné et pénétrait maintenant à l’intérieur de la grotte. Il eut l’impression de se réveiller. Il n’ouvrit pas les yeux puisqu’ils étaient déjà ouverts, mais il reprit conscience. Nettoyé. Oui, il était nettoyé, léger, sans retour permanent à ce moi qui l’obsédait auparavant. Il sut que son indicateur n’était pas allumé et qu’il ne s’allumerait pas tant qu’il serait dans cet état. Attention ! Se rappeler à soi-même pour ne pas se confondre avec le monde ! Mais ne jamais s’imaginer détaché de ce monde et différent. Quel équilibre paradoxale mais combien enrichissant !

Il sut qu’il avait gagné, sans plus. Il ne s’en réjouit pas. Il en fit le constat et se dit qu’il était temps de retourner à la civilisation. Mohamed allait arriver, il rangea son campement, fit son sac et attendit. L’attente ne lui pesait plus. Il était libre, sans désir personnel, exsudant une lumière invisible qui transparaissait dans ses yeux. Enfin Mohamed arriva.

– Salam Aleikoum !

– Aleikoum Salam, lui répondit Nicéphore.

Ils reprirent la route de Tombouctou. Ils s’arrêtèrent à l’heure de la prière, Mohamed fit ablutions et prosternations, Nicéphore entretint sa clarté posément. Puis ils repartirent pour arriver en fin de soirée dans la ville. Sans cesse, Nicéphore contemplait à la fois l’extérieur et l’intérieur, le monde et son monde qui n’était rien, mais qui avait tant de ressources. Il prit une chambre dans un petit hôtel minable, commanda un repas frugal, puis s’endormit rapidement, sans pensée. Le vrai combat commençait.

07/01/2016

La fin de l'histoire (9)

Il s’endormit serein, détendu et se réveilla dans la nuit noire. Il s’installa à l’entrée de la grotte et contempla les étoiles et l’ensemble du cosmos.

Les jours précédents il avait contemplé l’infini en lui-même. Il ne contenait rien et ce rien était devenu le tout et ce tout était vide et plein d’une promesse d’éternité. Il lui fallait maintenant effectuer la même démarche pour le cosmos. Ainsi, il pourrait conjuguer ensemble le moi et le monde, le toi et l’environnement. C’était cela cet homme nouveau dont il avait évoqué la veille l’existence. Il lui fallait assimiler le cosmos ou plutôt se laisser assimiler par le cosmos. Il se souvint d’un voyage de nuit, en voiture, dans son adolescence. Il était alors sensibilisé aux émotions qu’il pouvait ressentir et les vivaient comme des expériences passionnantes. Apercevant un coin de ciel dans lequel il repéra un amoncellement d’étoiles, il se soumit à une attention extraordinaire, lui donnant une vision de l’univers, de l’avenir de l’homme et de la plénitude du divin. C’était tout le souvenir qui lui restait, mais il ressentit un sentiment de grandeur infinie qui dépassait largement l’impression de petitesse de l’homme. L’homme est grand par sa puissance à saisir l’infini, à imaginer Dieu. Y a-t-il une étape suivante ? Serait-elle l’entrée en communication avec cet infini ? En fait, cette prétention à cerner l’univers était vaine. Comment répondre aux questions telles que l’univers est-il fini ou infini, est-il seul ou y a-t-il un multivers composé de plusieurs univers ? Il se souvint de la réflexion de Giordano Bruno[1] dans De Immenso, écrit en 1591 : « L’univers est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Ce même Giordano Bruno qui croyait à la pluralité des mondes !

Il s’aperçut alors qu’il commençait à laisser son imagination prendre le dessus. Ce n’était plus une méditation sur le cosmos, mais l’affolement d’un cerveau qui ne saisissait pas cet infini qui nous entoure. Stop ! Il se leva, se remit dans son sac de couchage et se rendormit aussitôt. Il rêva et il ne pouvait contrôler son rêve. Face à cette immensité vide, il ne pouvait que se concentrer sur un point. Tout à coup celui-ci devint un immense tunnel qui l’attirait comme les grains matériels sont attirés par gravitation. Il se sentit prendre de la vitesse. Il était emmené non pas contre son gré, mais en toute conscience, jusqu’au moment où, prêt à entrer au-delà de la porte virtuelle, il se réveilla, transpirant, étouffant, au bord de l’asphyxie. Il reprit son souffle et s’étonna : comment trouver si je risque de mourir dès l’instant où j’approche de la vérité. L’univers restera-t-il toujours inconnu en raison de son infinitude ?

 

[1] Giordano Bruno (1548-1600) fut condamné par le tribunal de l’inquisition et mourut sur le bûcher à Rome.

03/01/2016

La fin de l'histoire (8)

Pourtant, il l’avait vue cette lumière qui semblait invisible. Il l’avait fait naître de lui-même sans savoir comment. Elle l’avait éclairé, puis s’en était allée. Il eut l’impression de se réveiller. Etait-ce un cauchemar ou une percée vers un autre univers ? Plus de temps ni d’espace. La lumière crue d’une vérité cachée qu’il ne pouvait saisir. Juste un sentiment. Et encore ! Une sensation, une sorte de hoquet pénétrant cette terre aride et dénuée de personnages. Est-ce cela la liberté ? Il n’était qu’une enveloppe transparente. Rien dedans, rien dehors. Le corps et l’esprit vierge, Il entendait le lourd silence de l’absence. Délivrance ou prison, va savoir ! Il s’étendit à terre, ferma les yeux. Et la lumière intérieure revint, assourdissante. Cette nuit, pour la première fois, il dormit les yeux ouverts.

Encore un jour, un jour de folie. Il tenta de revenir à la normale. Quelle apparence avait-il ? Il prit son miroir de fer blanc, incassable, et se rasa. Tout à coup, une évidence s’empara de lui. Il n’avait pas pris sa pilule et pourtant son indicateur ne rougissait pas. Aucune lueur le dénonçant. Il se sourit à lui-même dans le miroir, hurla et laissa résonner dans le défilé ce cri de délivrance. Il n’avait pas eu à choisir. Cela était venu tout seul, sans même qu’il y pense. La liberté bien en chair, palpable, visible. « Je suis l’homme nouveau », pensa-t-il. Et cette pensée ralluma son indicateur, le plongeant dans le plus profond désespoir. Dans l’heure qui suivit, il prit conscience de la nécessité de maîtriser en permanence ses pensées. C’est parce qu’il s’était rendu compte qu’il devenait différent des autres qu’il était redevenu normal, c’est-à-dire dépendant du système de pensée de la société. Ne pas porter de jugement, ni même d’impressions sur ce qui lui advient, se dit-il. Surtout ne pas se croire ou se dire différent ! Il comprit également que cette immersion dans son environnement était nuisible à son indépendance. Il devait prendre du recul, se rappeler à lui-même en permanence pour rester autonome. C’est d’ailleurs pour cela qu’il avait choisi de s’enfoncer dans le désert. Mais même au sein d’une nature brute, il devait se souvenir qu’il était, lui, indépendant, autonome, réellement homme. Se souvenir en permanence de cette boule de fraicheur qu’il avait découverte au fond de sa gorge et qui irradiait à la fois son cerveau et ses poumons, créant un espace d’absolu qu’il n’avait jamais soupçonné.

28/12/2015

La fin de l'histoire (7)

Ragaillardi par cette pensée, il se força à manger quelque chose, un petit rien pour subsister, et s’accorda une pause plus longue que prévue pendant laquelle il relut quelques pages du seul livre qu’il ait emporté : La révolution du silence.

Une heure plus tard, il reprit sa méditation. Il atteignit plus rapidement une certaine attention à ce qui se passait en lui. Il avait compris que l’essentiel était de ne pas se laisser envahir par n’importe quelle pensée. Pour cela il lui fallait un support de méditation, un sujet sur lequel il se ferait les dents et qui lui permettrait de ne pas dévier. Malgré de réelles tentatives, au bout de deux ou trois minutes, voire certaines fois plus de cinq minutes, il s’apercevait qu’il avait oublié pourquoi il était là et quel était son objectif. Alors il essaya ce qu’il avait lu dans le livre : se concentrer sur la respiration. C’était pratique et simple. Ralentir l’aspiration et l’expiration, sentir l’air passer dans le nez, le laisser nettoyer le cerveau avant qu’il ne descende dans la gorge, puis dans les poumons, s’arrêter enfin de respirer avant de chasser tout doucement l’air vicié en faisant le chemin en sens inverse. Et cela marchait. Il avait quelque chose à penser qui lui permettait de ne penser à rien. Quelle victoire ! Une demi-heure plus tard, il se sentit fatigué. Il avait besoin de respirer librement, à la va comme je te pousse. Il se leva, fit quelques pas, vit que le soleil descendait sur l’horizon. Il fera bientôt nuit, se dit-il. Allons courir ! Il enfila un short, mit ses chaussures de jogging et partit dans le défilé rocheux jusqu’à la plaine sablonneuse qui s’étalait devant lui. Il courrait sans penser à rien, n’écoutant que sa respiration bien rythmée, sentant ses jambes légères, regardant les étoiles qui s’allumaient progressivement. Il est temps que je songe à rentrer, se dit-il tout à coup. Il commence à faire froid. Aussitôt rentré, il se coucha et s’endormit rapidement, décontracté, sans souci, ayant oublié ce qui le tracassait.

Le lendemain, il reprit sa position de méditation et se posa la question de la vraie liberté en cherchant à résoudre le problème du paradoxe qui s’était imposé à lui la veille. Mais d’abord commencer par l’échauffement : s’attacher à une respiration non forcée, calme, réduite. Aujourd’hui cela allait mieux, l’air glissait en lui sans s’accrocher. Il se concentrait dans la gorge et la rafraichissait. Oui, il avait une sensation de fraicheur qui partait du conduit nasal jusqu’à la gorge, comme un fluide non liquide qui l’imprégnait de sa pureté, évacuant les obstacles et le rechargeait d’énergie. La respiration l’aidait à descendre en lui comme en un trou sans fin. Il participait à une sorte de ramonage qui partait du haut de la tête et atteignait enfin le plexus solaire. Ce ne lui fut pas perceptible au début, mais il se sentait bien, plus sûr de lui, délivré de ses préoccupations. Une idée s’imposa progressivement. Et si être libre, c’était ne plus avoir à choisir ? La survenue de choix dépend de l’environnement. Perdre son environnement, ses habitudes, ses pensées, ses émotions, c’est finalement perdre la multitude de choix que l’on s’impose en permanence. Si je n’ai plus rien, si je ne suis plus rien, je n’ai plus de choix à faire, je suis réellement libre, conclut-il. Il eut l’impression d’avoir franchi un grand pas et s’en réjouit. Mais peu à peu d’autres question se dressèrent, dont une qui le tarauda sérieusement. Si je n’ai plus tout ce qui constituait ma personnalité, je n’existe plus. Certes je vis, je respire, je mange et je défèque, mais qui suis-je ? Le grand vide de l’univers se dressait devant lui, redoutable. Mais dans le même temps, le rouge feu qu’il voyait devant ses yeux fermés s’éclaircit. Il vira au rose, puis à l’orange abricot, mandarine, aurore, puis au jaune et enfin devint blanc. Ce n’était pas une couleur, c’était la lumière pure que sa seule attention retenait en lui. Trop tard, elle était déjà partie ! Il la voyait, éclatante, puis plus rien, le noir ! Tout était à refaire.

22/12/2015

La fin de l'histoire (6)

Ah, ça y est ! Il commence à divaguer et a perdu le fil de ses idées. Il ne pense plus à ce qu’il cherche, mais à son environnement. Peut-être doit-il se poser la question non pas de ce qu’il ne veut pas, mais de qu’il chercher. Par quoi remplacer ses pensées, qui se résument à ce qu’il ne veut pas penser ? Et puis, faut-il réellement remplacer une pensée par une autre, même personnelle ? Il n’en était pas sûr et il lui fallait approfondir. Au cours de cette soirée, il soupesa l’ensemble des questions contenant la première question. Pas de réponse. Rien que des questions et d’autres questions, puis encore d’autres. Dieu que c’est difficile ! Tiens, que vient faire Dieu dans tout cela ? Non pas le Dieu qui vous permet de vous intégrer sagement à la société, mais un dieu qui devrait aider à répondre à ces questions. Progressivement une confusion s’installa dans son esprit. Il n’arrivait plus à maîtriser les interrogations qui l’assaillaient, venant de toutes les directions et dans tous les domaines. Stop !

Il se leva, se dégourdit les jambes et sortit. Ouf ! Quelle chaleur ! Il eut l’impression d’être un morceau de viande fraiche que l’on met dans une poêle. Il rentra très vite, se coucha et s’endormit aussitôt, fatigué d’avoir trop pensé. Pourtant la méditation ne devrait pas fatiguer, se dit-il en se réveillant. Quel mystère et quelle idée de vouloir méditer ! Au fait, je n’ai pas encore répondu à la question « Pourquoi vouloir être libre et qu’est-ce que la liberté ? » Moi et le monde, pensa-t-il tout à coup. Oui, c’est bien le monde qui m’empêche d’être libre. Pas seulement les autres, mes condisciples, mais également mon environnement naturel et social. Cependant, sans le monde, sans son soutien indispensable, je ne serai pas. Alors si ce n’est le monde, c’est donc moi ! »

Ainsi, être libre, c’est être délivré de ses émotions, ses sentiments, ses pensées, ses attitudes, ses comportements qui emprisonnent. Oui, mais la liberté, c’est pouvoir choisir et si je n’ai plus tout cela pour choisir, comment vais-je faire ? Il y a là un véritable paradoxe : se délivrer de soi-même pour être libre, mais ne plus pouvoir choisir parce que l’on n’est plus rien. Impossible. Et pourtant c’est vrai, se dit-il. Tiens, mais au fond, je poursuis ma méditation sans m’en rendre compte. C’est peut-être la meilleure façon de méditer, le faire sans le savoir.

17/12/2015

La fin de l'histoire (5)

Il se leva à quatre heures du matin et se fit chauffer de l’eau. Il prit un café soluble, se lava le visage et les dents et s’installa en posture de méditation. Il était pleinement réveillé et prêt à l’action. Oui, seulement le problème était que la méditation n’est pas l’action. C’est quasiment le contraire. Comment calmer ce grand corps qui ne demande qu’à bouger et s’exprimer ? Il fut très vite distrait par une araignée qui courrait sur ses vêtements, un moustique qui venait lui pomper un peu de sang, la chaleur qui commençait à poindre. Que faire ? Il s’interrogea. Il lui apparut que sa fuite était un peu inorganisée. Il aurait dû préparer ces journées en pensant à un emploi du temps très strict : réveil quatre heures (c’est pourtant bien ce qu’il avait fait aujourd’hui !), toilette et petit déjeuner (c’est également ce qu’il avait fait), méditation (oui, là aussi. Mais cela ne marchait pas). Donc, remplacer la méditation immédiate par un peu de sport pour apaiser son corps. Alors l’esprit pourra se mettre en route. Et puis, de toute façon, il vaut mieux faire du sport avant que le soleil ne commence à taper. Ensuite méditation jusqu’à midi. Manger et une petite sieste, puis reprise de la méditation jusqu’au soir. Une récréation : partir à la découverte de son environnement. Mais pas trop. Il ne faudrait pas faire de mauvaises rencontres et dévoiler son refuge. Ensuite, diner, coucher. Beau programme. Sans doute un peu ambitieux. Mais on va essayer de s’y tenir.

 Le premier jour fut difficile. En fait, il n’avait que quelques connaissances livresques de la méditation. Il avait en effet amené avec lui La révolution du silence, de Krisnamurti, un vieux livre datant de 1970, qui décrivait comment méditer. Il n’avait jamais pratiqué ce genre d’exercice. Il comprit vite que chercher de prime abord à ne plus penser est vain et futile, voire impossible. Rien que le fait de se dire « Je ne veux pas penser », c’est déjà penser. Il lui vint l’idée que la première méditation devrait consister à chercher pourquoi il voulait méditer. Une réponse claire pourrait lui permettre d’aborder une deuxième étape : comment ? Sa journée fut un vrai champ de bataille. Ce n’est qu’en fin de ce premier jour qu’il sut pourquoi il voulait méditer. C’était sans doute dû au fait qu’il n’avait pas pris sa pilule le matin. Il voulait reprendre son autonomie, devenir libre, mieux même : penser en acteur indépendant sans être contraint de penser comme les autres. Mais pourquoi ? A quoi sert la liberté si l’on ne sait pas s’en servir ! Et puis, de quelle liberté s’agit-il ? Il est déjà libre puisqu’il est là, en plein désert sans personne pour l’empêcher de faire ce qu’il veut. Il avait un jour consulté Wikipédia, devenu le grand dictionnaire animé par l’ensemble de la population mondiale. L’ennui était que cette consultation n’avait pas répondu à son attente. La page ne parlait que de liberté dans la société liée aux droits fondamentaux de l’homme et à ses droits sociétaux. Elle évoquait également sur de nombreuses pages les libertés collectives (liberté d’association, d’information, de réunion, etc.). Elle n’évoquait jamais la notion de liberté personnelle. Sujet tabou sous peine de non-conformité. Circulez, y a rien à voir ! Il s’aperçut vite que la liberté n’est pas un bien que l’on acquiert comme on achète une maison ou une voiture. La liberté dépend de soi et de la manière personnelle d’aborder sa notion de liberté. Il n’y a pas une liberté, mais des êtres plus ou moins libres. Cette nuance dans la liberté est liée directement à la capacité d’autonomie de chacun non seulement vis-à-vis de la société, mais surtout vis-à-vis de lui-même. Donc, premier point : se débarrasser l’esprit de tout ce qui l’encombre et ne garder que ce qui lui semble fiable, venant de lui-même et non d’un apprentissage scolaire et sociétal.

14/12/2015

La fin de l'histoire (4)

Le lendemain matin, ils partirent avec deux dromadaires, des dattes, de la viande séchée et quelques gourdes en peau, en plus du sac à dos de Nicéphore. Celui-ci n’avait bien sûr rien dit à Mohamed de la réalité de sa quête. Ce dernier ne parlait que quelques mots de français, mais Nicéphore disposait de sa machine à traduire instantanément. L’adolescent était bavard, drôle parfois, jamais à court d’idées. A certains moments il devenait soulant. Nicéphore, lorsqu’il était las de l’entendre, éteignait sa machine, ce qui faisait instantanément cesser le flot de paroles. Il sortait un livre et faisait semblant de travailler.

Les dromadaires marchèrent ainsi pendant une bonne partie du jour dans un paysage plat parsemé d’arbustes. Une chaleur étouffante, pas un souffle de vent, l’eau quasiment chaude à boire avec parcimonie. Nicéphore somnolait secoué par la lente cadence des pas de sa monture. En fin d’après-midi, Mohamed arrêta les bêtes, fit baraquer son dromadaire, se tourna vers la Macque et fit sa prière. Nicéphore en fut heureusement surpris. Ainsi donc, il y avait encore des contrées où il était possible de prier devant les autres sans que l’on vous emprisonne. Quel bon augure, pensa-t-il. Ils repartirent, marchèrent encore une heure et arrivèrent près d’un rebord granitiques ou s’entassaient d’énormes rochers, créant entre eux de petites grottes plus ou moins habitables.

– Nous y sommes, me dit Mohammed. Vous avez l’embarras du choix. Dites-moi seulement où vous installez et je repars aussitôt.

Fouillant un peu dans cet imbroglio minéral, Nicéphore finit par trouver une grotte suffisamment spacieuse et fraîche. Ils débarquèrent les vivres, l’eau et les autres objets qu’il avait apportés. Mohammed ajouta :

– il y a une source qui coule de la montagne. A cette époque de l’année, elle a encore de l’eau. Elle se trouve à cent mètres, dans la petite vallée que vous voyez d’ici. Je reviens dans quatre jours. Salam Aleikoum !

– Aleikoum Salam, lui répondit Nicéphore.

Il se retrouva seul dans ce désert de pierres, entouré de rares être vivants tels que des lézards, serpents, scorpions. Un silence impressionnant, presque surhumain. La grotte était fraîche. Il y ferait sans doute froid dans la nuit. Il avait emporté de quoi se vêtir et un sac de couchage renforcé. Il ne craignait rien. Il s’était promis de ne plus prendre la pilule. Jamais plus. C’était sa première résolution. La seconde était encore plus extraordinaire. Il méditera chaque jour pour trouver un but à sa vie, la sienne, pas celle de tous. Alors, pour bien marquer la seconde résolution, il s’installa face au paysage de pierres et s’immobilisa, assis en tailleur.

10/12/2015

La fin de l'histoire (3)

Il y avait bien de temps à autre des manifestations de conscience individuelle qui différaient de la conscience collective. Mais les personnes qui tentaient de penser autrement étaient aussitôt prises de fièvres ou de nausées et ne pouvaient plus se nourrir correctement. C’était aujourd’hui le cas de Nicéphore et il n’arrivait pas à lutter contre ces symptômes révélateurs. Pour éviter une hospitalisation, il décida de partir loin de la civilisation. Il prit un billet d’avion pour Tombouctou où il espérait trouver une grotte lui permettant de vivre isolé de façon à éviter toute dénonciation. Certes, il n’était pas le premier à essayer cette stratégie de l’isolement. Mais il ne savait pas ce qu’étaient devenus les gens qui l’avaient tentée. Aujourd’hui, il risquerait lui-même cette manœuvre pour voir ce qui allait subvenir. C’était l’inconnu. Il voulait savoir de que signifie penser par soi-même d’une manière différente. Il n’avait pas conscience de se rebeller. Simplement, il voulait tenter l’expérience et avait préparé avec soin son sac à dos. Un duvet, un savon, deux gourdes en plastique, un rasoir et un tube de mousse à raser, une chemise et un pantalon de rechange, quelques sous-vêtements et une paire de chaussures qui compléterait celle qu’il avait aux pieds. Ah oui, également un traducteur automatique assez perfectionné qui traduisait instantanément d’une langue dans une autre avec une voix mécanique qui certes manquait d’élégance, mais permettait de converser facilement avec tout un chacun. Il avait pris soin de ne rien prendre qui puisse donner l’éveil aux policiers chargés de fouiller les voyageurs pour découvrir des objets compromettants.

– Monsieur, montrez-nous votre sac, s’il vous plaît.

– Voilà, dit-il.

– Qu’allez-vous faire à Tombouctou ? lui demanda un des policiers plus curieux.

– Je vais faire des recherches géologiques, c’est mon métier, répondit-il. Nicéphore avait en effet passé brillamment un doctorat de géologie et avait travaillé pour l’industrie pétrolière à la recherche de présence d’indices.

– Bien, passez Monsieur.

Nicéphore ne cherchait pas à tromper les policiers. Il disait la vérité et agissait de façon normale sans être véritablement conscient de ce qu’il faisait.

Atterrissant à Tombouctou, il chercha aussitôt un guide capable de l’emmener dans le désert et de l’aider à trouver une grotte pouvant l’abriter de la chaleur. Il rencontra Mohamed, un petit touareg au visage rieur, avec qui il conclut le marché. Il prit un peu de temps pour voir la grande mosquée, le plus grand monument en terre du monde, paraît-il, dans une ville également de terre et de ciment. Plus d’affrontements… La fin de l’histoire est également passée par là. Les religions existent encore, mais le prosélytisme est banni. Elles ont une fonction sociale et culturelle, voire, dans certains cas, psychologique, assez proche de la spiritualité. Celle-ci n’est pas interdite, mais elle n’est qu’individuelle, plus à des fins sanitaires que pour annoncer l’existence de Dieu et changer les êtres. Si chaque homme est libre d’une aventure religieuse, celle-ci ne peut être que dans un consensus social que tous agréent.

03/12/2015

La fin de l'histoire (2)

Lorsque la loi avait paru, de nombreuses personnes avaient ouvertement contesté, manifestant devant le parlement mondial de manière pacifique tout d’abord, puis avec l’énergie du désespoir devant la force brutale des policiers. Tous avaient été arrêtés. On n’avait plus entendu parler d’eux et leur sort n’intéressa personne puisque tous prenaient la pilule. Lorsque Nicéphore était né, le système était en place depuis déjà dix ans. Les quelques soubresauts auxquels cette mise en place avait donné lieu étaient éteints. Tous prenaient la pilule et ceux qui ne pouvait la prendre parce qu’ils étaient malades étaient aussitôt hospitalisés. Comme il fallait une autorisation spéciale signée par un praticien pour mettre un masque cachant l’indicateur, il était quasiment impossible d’échapper au système. C’est ainsi que s’était instaurée « la fin de l’histoire ».

Celle-ci n’avait rien à voir avec l’article de Francis Fukuyama intitulé La fin de l’histoire, paru en 1989. Dans l’esprit de l’auteur, il ne s’agissait pas de la fin de l’histoire de l’humanité, mais simplement la fin des affrontements entre nations. La planète était conviée à « tendre vers un modèle unique, celui des démocraties libérales et de l’économie de marché ». L’article fut aussitôt remis en cause par Samuel Huntington, l’effondrement du système communiste n’impliquant pas la fin de l’idéologie comme force motrice de l’histoire. Ce fut d’ailleurs vérifié lors de la tentative des islamistes d’instaurer un califat au Moyen Orient.

Cette nouvelle « fin de l’histoire » était beaucoup plus subtile. Les historiens, ou plutôt les théoriciens des évolutions historiques, aidés par de psychologues et des médecins avaient mis au point une pilule ingérable supprimant la volonté individuelle. Ce n’était pas la suppression de toute volonté. Simplement le fait qu’individuellement on ne pouvait penser autrement que les autres. La volonté collective avait remplacé les volontés individuelles, mettant ainsi fin aux affrontements entre deux personnes, puis plusieurs personnes, puis deux nations, puis plusieurs nations, jusqu’à l’instauration d’une volonté collective universelle. Celle-ci avait alors grandement facilité la mise en place d'une gouvernance mondiale. Plus d’affrontement, plus d’histoire. La paix. Une paix durable, totale. Qui oserait aller contre. Impensable !

29/11/2015

La fin de l'histoire (1)

Comme tous les jours, Nicéphore Pratoux prit sa pilule au moment de son petit déjeuner. C’était une obligation. Personne ne pouvait s’en passer. Depuis « la fin de l’histoire », le gouvernement mondial avait instauré cette nouvelle loi et mis en place un système de contrôle qui la rendait obligatoire. Nul ne pouvait transiger. Malgré de nombreuses recherches subventionnées par l’Etat, les chercheurs n’avaient pas réussi à trouver un moyen permettant de remplacer la pilule quotidienne. Par contre on identifiait immédiatement si la personne avait ou non pris sa pilule. Depuis la découverte d’André Bonnet, l’injection du signal lumineux sous la peau était obligatoire à l’âge d’un an. Celui-ci s’allumait si la dose contenue dans la pilule n’était pas ingérée. Comme l’ « indicateur », c’était ainsi que les gens l’appelait, se trouvait à hauteur du front, à l’endroit de la petite bosse artificielle créée par l’appareil miniaturisé, située un centimètre au-dessus des deux yeux, il était simple de voir si oui ou non la pilule avait été prise.

Cela faisait deux jours qu’il ne sentait pas bien. Il avait des sueurs glacées qui lui parcouraient le dos, des nausées à certains moments de la journée. Mais il ne voulait pas se déclarer malade. Cela l’aurait contraint à se faire soigner à l’hôpital et la cure pouvait durer plusieurs années. Il avait connu, lorsqu’il allait au lycée, une fille qui s’était déclarée malade au moment de sa puberté. Embarquée en ambulance, elle avait passé trois ans à l’hôpital. Lorsqu’elle était revenue, ses camarades ne l’avaient pas reconnue. Elle avait maigri, ses mains tremblaient et son élocution était ralentie à tel point qu’on n’avait pas envie de l’écouter. Ses parents avaient certes essayé de la récupérer plus tôt. Mais les médecins s’y étaient opposés. Elle était susceptible de faire une crise mettant en jeu l’ordre public et l’on serait alors obligé de l’euthanasier. Ils n’avaient pas insisté, sachant qu’ils risquaient eux aussi un séjour à l’hôpital. Ainsi, il n’y avait plus de malade au vrai sens du terme. Certes, il fallait toujours remplacer des organes chez ceux qui avaient des accidents internes ou externes, mais cela ne prenait que peu de temps et les patients ressortaient sains de corps et d’esprit le lendemain de l’opération.

17/01/2015

Proposer et être libre

L'ultime liberté est de rester inconnu. Alors plus rien ne nous rattache à ce monde. On est libre d'aller où l'on veut, quand l'on veut. Le monde s'ouvre devant nous et nous l'explorons sans idées préconçues. 

Cela suppose que nous ne cherchions pas à influencer les autres et que nous refusions de nous laisser influencer. Refuser la tyrannie du bavardage, de l'expression des sentiments. Refuser de nous laisser envahir par les encombrantes pensées des autres et de nous-même. Refuser même de vouloir pour l'autre et se donner pour maxime le respect de la liberté de l'autre. Mais inversement toujours tenter de lui montrer où se trouve la véritable liberté.

Ne jamais imposer, toujours proposer.

Le reste, son adhésion, appartient à sa liberté.

14/08/2014

Le destin

Plutôt que de se poser la question d’une manière anonyme, demandons-nous concrètement si nous avons un destin. La réponse n’est pas facile et chacun répondra selon la vie qu’il a eue ou qu’il s’est fait. Car le destin concerne la vie de tout un chacun. Mais demandons-nous également ce qu’on appelle vie. Parlons-nous de ce qui traverse des événements et est interféré par eux ou exprimons-nous ce que nous ressentons au plus profond de nous-même, ce lieu en nous plus nous-même que nous-même. Au-delà de ce moi sujet et prisonnier des battements d’aile des papillons que sont les événements qui influent sur notre devenir, y a-t-il un Soi plus stable, ai-je une âme qui recherche quelque chose et que recherche-t-elle ?

La question commence à devenir plus ardue. Il ne s’agit plus de savoir si je suis libre de mener ma vie comme je l’entends ou si ce qui m’arrive est un destin qui m’est imposé ou m’a été confié. Il est question de m’interroger au plus profond de moi-même non pas sur la vie en général, mais sur comment je conçois ma vie.

Vaste débat, me direz-vous. Trop vaste débat pour trouver une réponse qui n’a jamais été trouvée réellement. Mais dans le même temps, il existe énormément de réponses toutes faites, très différentes les unes des autres auxquelles on peut croire ou ne pas croire. Mais que signifie ce terme de croire ? S’agit-il d’adhérer à une opinion, un concept, une croyance, c’est-à-dire se rattacher à quelque chose sur laquelle d’autres ont réfléchi, ou la question est-elle, non plus de croire, mais de pénétrer dans le brouillard pour tenter d’y trouver quelques points de repère afin de savoir et non seulement de croire. Faites votre quête vous-même et ne vous laissez pas imposer votre propre vision de vous-même par les autres. Mais, me direz-vous, nous passerons alors notre vie à réfléchir. Sûrement pas ! Nous irons bien au-delà et c’est notre propre vie qui nous guidera. Nous prendrons de la distance par rapport à ce qui nous arrive. Nous regarderons de loin les événements qui ont fait notre vie et surtout nous chercherons comment nous avons réagi face à ces événements. Nous finirons par comprendre qu’il y a certaines constantes dans ces réactions. C’est normal. C’est le fruit de notre héritage génétique, puis de notre éducation, enfin de notre environnement. Mais ceci ne concerne que notre vie extérieure.

Alors cherchons à distinguer comment réagit notre vie intérieure à ces événements. Comme cela nous mène loin ! La question du destin est devenue notre interrogation finale : qui suis-je et où vais-je ? Oui, la question a évolué, mais l’interrogation reste la même. Cette vie m’est-elle imposée en grande partie ou suis-je capable d’en faire ce que je veux ? Retour à la case départ. Mais nous avons cependant progressé. Nous avons élargi considérablement le cercle de notre réflexion et de nos expériences et maintenant nous nous posons la question différemment : y a-t-il, au-delà de ce moi qui tente de réagir ou même d’imposer sa volonté face aux événements qu’il subit, un espace de liberté réelle dont je suis maître ?

Fouillons dans nos souvenirs : ai-je déjà expérimenté l’existence de cet espace de liberté ? Ai-je déjà ressenti à un moment quelconque de ma vie cette aspiration qui m’a conduit à m’envoler vers la liberté. Oui, cela je le crois : tous nous expérimentons à un moment ou à un autre ce grand vide qui nous fait dire : il y a autre chose derrière ma vie quotidienne. Qu’est-ce ? Je ne sais. Mais maintenant je vais chercher, cela va devenir un des buts de ma vie. Et nous savons que nous avons trouvé notre vrai destin. Nous cherchons tous la même chose, mais la réponse à ce que nous cherchons est différente pour chacun parce que chacun est différent.

C’est cela notre destin : réaliser notre liberté malgré les événements quotidiens qui obscurcissent notre vision. Et cette liberté est la mienne, différente de celle des autres, qui doit être vécue dans la liberté des autres qui eux-mêmes doivent vivre leur propre destin. N’est-ce pas merveilleux ? Chacun d’entre nous est unique et se doit de découvrir son propre destin, c’est-à-dire exercer sa liberté personnelle en harmonie avec la liberté des autres.

15/06/2014

Maître-mot

Il y a trente ans, je visitais le gouffre de Padirac. Le nautonier paysan qui nous emmenait sur l’eau obscure eut ce mot merveilleux : « Cette rivière, elle est tellement inconnue qu’on ne sait même pas son nom… » Il exprimait par là, avec naïveté, deux certitudes profondes qui hantent nos âmes : à savoir que les choses n’existent pour nous réellement qu’une fois nommées, et qu’il y a un nom, de toute éternité, qui correspond à chaque chose, la contient et l’exprime entièrement.

Louis Pauwels et Jacques Bergier, L’homme éternel, Gallimard, 1970, p.136.

  

N’avez-vous pas, un jour, été grisé par un nom que vous avez répété sans cesse d’abord dans votre tête, puis à mi-voix, puis à voix haute. Et ce mot vous a obsédé pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’une autre préoccupation l’ensevelisse dans les profondeurs de votre mémoire. De même, vous avez dans votre jeunesse très probablement parlé une langue inconnue de vous-même, dans laquelle vous pouviez exprimer ce que votre langue maternelle ne pouvait faire. L’inexprimable parlait alors dans ces mots inconnus que formulait votre bouche. Et là aussi, vous vous êtes grisé de ce que vous permettait de révéler cette langue qui vous ouvrait les portes d’un monde inconnu dans lequel vous vous sentiez bien.

Le mot possèderait-il un pouvoir s’il est le nom éternel que Dieu lui a donné ? Pour les juifs, Dieu possède quatre-vingt-dix-neuf noms qu’ils peuvent utiliser pour le nommer. Mais le centième est réservé aux initiés. Il est la porte qui ouvre sur l’éternité et la compréhension de l’univers. L’apprendre élève celui qui le prononce au-dessus de la condition humaine. Il devient le maître du nom.

L’évangile de Jean commence sur une étrange assertion : au commencement était le Verbe et (…) le Verbe était Dieu. (…) Tout par lui a été fait (…) Et la lumière luit dans les ténèbres… Le Verbe serait avant même la lumière. C’est le Verbe qui crée la lumière et l’univers par la seule puissance de son souffle. La Genèse explique le même procédé de création : Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.

La logique de la connaissance réside dans l’enchaînement Pensée – Parole – Action. La lumière est apparue par le fait du Verbe. La parole est l’acte d’autorité qui permet le passage de la pensée à l’action. C’est pourquoi certains mots sont interdits, ils peuvent déclencher  des événements.

Dans cette logique nous sommes loin de la communication dont on nous rabâche les oreilles : la parole est action quoique que l’on pense, lit-on dans les médias, elle produit l'action par la seule force du verbe. L'homme moderne a inversé la proposition. La pensée s’est évanouie au profit de l’action qui a perdu son sens. L’homme se veut libre, mais cette liberté est-elle la bonne ?

21/02/2014

La politesse

La politesse a deux fonctions.

Elle régule les rapports entre les êtres humains et permet d’éviter les heurts d’humeur, voir la manifestation ouverte d’animosité. Elle facilite ainsi la bonne marche de la société.

Mais elle peut également, et ses avantages se transforment alors en inconvénients, devenir langue de bois lorsque les parties ne veulent pas se parler. Sous prétexte d’éviter tout heurt, il devient impossible de s’exprimer et de faire part de son point de vue. L’échange n’existe pas sur le sujet de discorde qui est évacué sous prétexte de risque de confrontation.

Cela s’accompagne d’une discrimination à la parole. Les autorités seules y ont droit, en usent et en abusent. Les autres doivent écouter sous le prétexte d’éviter le démêlé verbale. Lorsqu’on veut faire part de son point de vue, il est trop tard, ce n’est pas le moment, ce n’est pas le sujet de la réunion. Bref, toutes sortes de faux arguments pour vous empêcher de vous exprimer. C’est ainsi que gouvernent nos politiques et notre administration. Cela évite d’avoir de véritables échanges participatifs.

Mais bien sûr, il y a eu concertation ! Celle-ci signifie que les deux parties ont été conviées à une réunion au cours de laquelle seules les autorités ont la parole, sans aucune réponse aux quelques questions qu’elles permettent de poser à l'autre partie.

18/02/2014

L'envie

L’envie, un besoin, un impératif très enfantin qui glisse vers l’adolescence et l’âge mûr jusqu’à encore émettre son clignotant dans les dernières années. « Oh, Maman, j’en ai tant envie ! » Et vous attendez ce jour de Noël avec une impatience extrême jusqu’au moment où vous l’avez. Je me souviens, adolescent, d’un cyclomoteur qui fut l’objet d’une folle expectative, avec ses rebondissements, ses pleurs et la joie de la possession.

Il y a trois types d’envie.

Le plus simple, et qui n’est nullement répréhensible, est le désir d’avoir ou de faire quelque chose, que quelque chose arrive. C’est une convoitise qui vous prend à la gorge, qui obsède vos pensées, qui vous rend malade jusqu’à sa satisfaction. Ainsi en est-il de l’homme qui achète une voiture hors de prix et qui invite sa femme à faire un tour pour lui dévoiler sa merveille. Il en est de même de la femme qui a acheté une robe également hors de prix et qui invite son mari à l’admirer, un soir, après un bon diner bien arrosé. Seule la banque ne s’en remet pas.

Un deuxième type d’envie, plus ennuyeux à gérer, est le désir de ce qu’un autre possède. On entre alors dans la démesure. On est prêt à dépenser beaucoup plus que ce que nous mettrions normalement. Prêt à se quasiment ruiner pour montrer que l’on peut posséder la même chose, que l’on est aussi riche, aussi pourvu, bref mettre en avant l’orgueil, la vantardise et le satisfecit. Ce genre d’envie, une fois satisfait, supprime cette tension raisonnée du corps et de l’esprit pour l’objet convoité. Vous l’avez, votre envie est passée, vaincue… La vie continue…

Le troisième type d’envie est un sentiment de frustration face au bonheur d'autrui ou à ses avantages. C’est un désir qui ne peut être satisfait. Il vous fait mourir à petit feu. Vous tendez la main au travers des grilles d’une prison imaginaire, la paume vers le ciel sans attendre qu’il y tombe quelque chose. Vous le savez, mais ne pouvez vous en empêcher. Votre esprit se rapetisse, vous vivez dans une boite de sardine à rêver d’une vie hors de proportions par rapport à vos compétences et à vos aspirations. Désir fréquent que celui de l’envieux de la vie de l’autre. C’est un moteur tyrannique qui ne possède que des mauvais côtés. Mieux vaut l’abandonner en chemin et partir à l’aventure sans savoir où l’on va.

Peut-on perdre toute envie ? Peut-on vivre sans désir ? C’est ce passage de l’envie à la liberté qui marque le tournant d’une vie. Celle-ci est au-delà de l'envie. Elle illumine le parcours sans jamais le contraindre. Elle éclaire la pensée et l’action sans jamais y mêler le désir. C’est un état d'esprit qui conduit à la réalisation de soi que l’on n’atteint bien évidemment jamais totalement. Mais ces plumes caressantes du bonheur suffisent à combler une vie agitée. Libre parce que sans envie, quelle sérénité !

14/02/2014

L’influence ou la liberté

M.Oppenheimer et son équipe ont donnés des textes à lire à des étudiants en variant la taille et le style de la police de caractère "12-point Comic Sans MS 75% gris" et "12-point Bodoni MT 75% gris" pour les uns, "16-point Arial Black" pour les autres. C’est-à-dire :

  • 12-point Comic Sans MS 75% gris : Est-ce lisible et pratique pour apprendre la physique?
  • 16-point Arial Black : Est-ce lisible et pratique pour apprendre la physique ?

Puis, ils ont questionné les lecteurs sur le contenu des textes. 86,5% de ceux qui avaient la version point Comic Sans MS 75% gris répondent correctement, c’est-à-dire se rappellent des détails, contre 72,8% pour ceux qui avaient la version la plus lisible. Presque 15% de différence. Pourquoi ?

Eh oui, à vouloir trop mâcher, on désintéresse ceux qui ont l’esprit éveillé et qui sont prêts à chercher des heures plutôt que d’être enseignés pas à pas et cajolés benoîtement. C’est dans la difficulté que l’homme se découvre homme et non dans l’apathie. Inversement, l’enseignant ne souhaite souvent qu’une chose, la soumission à ce qu’il enseigne, sans dérogation. Car derrière tout cela, il y a la sacrosainte idéologie de l’influence. Vladimir Volkoff, le spécialiste de la désinformation, un jour où nous allions en train à Lille pour une conférence sur le renseignement, me dit : « Il n’y a pas de dialogue sans recherche d’influence. Tout homme cherche à influencer l’autre, quel qu’il soit. Ce peut être en forçant la main, ce peut être en douceur. Mais dans tous les cas, ce que j’expose à l’autre, dès l’instant où la conversation est sérieuse, cherche à le convaincre ».

En ces jours où la communication prime sur l’information, c’est d’autant plus manifeste. Et si l’on vous demande de dire si vous aimez ou non (like), c’est bien pour mesurer le degré d’influence qu’a pu avoir votre message, même s’il est pauvret par nature.

Mais dans la réalité profonde de l’homme se cache un désir de connaître qui n’a rien à voir avec l’influence. La liberté est le moteur de la discipline des grands hommes, qu’ils soient artistes, explorateurs, inventeurs ou tout autre métier dans lesquels la décision est le fruit d’un long cheminement. Peu importe les difficultés, peu importe les échecs, l’homme sait trouver en lui la volonté de poursuivre envers et contre tous. Cette tension intérieure est sa récompense et même si parfois elle ne mène nulle part elle a contribué à façonner sa personnalité et conduit à la réalisation de soi.

22/01/2014

La liberté de l’eau (suite de La planche et le canoë)

Depuis ce temps des batailles d’eau (ainsi appelaient-ils parfois ces joutes singulières au fil des flots), Jérôme ne peut s’asseoir au bord d’une rivière ou d’un étang sans sentir dans sa mémoire interne non pas le souvenir de guerres mouillées, mais un pincement au cœur, une amplitude soudaine de l’esprit, comme un gaz hilarant envahissant son cerveau et donnant aux images aperçues une divine odeur de liberté. L’eau s’en va, coule, défile en toute indépendance.

Chaque goutte de ce liquide a le pouvoir de s’infiltrer où bon lui semble, entre deux planches, dans un trou de taupe, dans le terrier des rats d’eau, dans l’étendue des champs, sous les genoux des veaux, sous l’œil du héron qui en profite. Vous n’en êtes pas propriétaires, ni même l’Etat contrairement à ce que l’administration affiche. Elle passe et fout le camp vers la mer, arrêtée parfois par un étang aux eaux mortes. Mais très vite, elle reprend le dessus, déborde le passage ou se laisse couler dans un trou prévu à cet effet. Et l’ensemble de ces gouttes coulantes que l’on appelle ondes repart vers la mère des eaux ou paradis des courants pour former des vagues rondes, féminines et câlines, bruyantes de douceur, dans lesquelles on se laisse bercer un soir d’été lorsque le soleil atteint l’horizon.

29/04/2013

La contrainte de la liberté

L’artiste moderne est un solitaire qui écrit pour lui-même ou pour un public dont il n’a aucune idée précise. Lié à une époque, il s’efforce d’en exprimer les traits ; mais cette époque est sans visage. Il ignore à qui il s’adresse, il ne se représente pas son lecteur. (…)La terreur du goût a cessé, et, avec elle, la superstition du style. S’en plaindre serait aussi ridicule qu’inefficace. (…) Ecrire pour tout le monde ou pour personne, à chacun d’en décider, selon sa nature. Quel que soit le parti que nous prenions, nous sommes sûrs de ne plus rencontrer sur notre chemin cet épouvantail qu’était autrefois la faute de goût.

(E.M. Cioran, La tentation d’exister, Gallimard, 1956, Le style comme aventure, p.131)

 

La liberté enfin, mais quelle contrainte introduit-elle ! Ce n’est plus l’autre qui constitue l’approbation ou le rejet, mais soi-même. Et comme il est difficile de se juger soi-même. On a toujours tendance à au moins chosifier ses créations, sinon à les choyer. Ce recul d’un pas est celui des grandes âmes. Peu sont capables de le faire.

15/04/2013

Création et liberté

« J’ai quitté la société il y a trente ans pour être libre et le seul territoire où la liberté ait encore un sens est celui de la création. » (Jean-Pierre Raynaud, artiste assembleur)

Oui, sans doute, beaucoup s’étonnent de la profusion de créateurs artistes en cette transition de début du siècle. Les plus grandes manifestations françaises d’art contemporain, dont la FIAC et Art Paris, montrent une quantité de créateurs en tout genre. Il faut du temps pour y trouver de véritables œuvres artistiques. Nombreuses sont celles dont le seul intérêt est la provocation ou même la laideur. Mais au détour d’un stand, vous vous trouvez devant une création pleine de vie et de beauté.  Ne dissertons pas sur la beauté. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la création et la liberté de créer.

J’aime assez la définition, concernant la liberté, du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : État d'une personne ou d'une chose dont l'action ou la manifestation ne rencontre pas d'obstacle. Cette vision de la liberté se rapproche par l’esprit de la création. L’artiste est celui qui ose et qui échoue ou qui triomphe. Et il remet en cause sa liberté de créer à chaque nouvelle œuvre. Ce n’est que lorsqu’il se copie lui-même qu’il cesse d’être un artiste pour devenir un fantoche médiatique. Certains le recherchent dès le départ. Ils ont trouvé une idée, l’exploitent à fond, font des pieds et des mains pour se faire connaître, faire parler, écrire sur eux.

Le vrai artiste est un homme libre dont la seule liberté est le pouvoir de créer.

23/10/2012

Cité des Fleurs, à Paris

Quelle idée d’aller se promener dans la cité des fleurs au moment où justement il n’y a plus de fleurs. Mais il était trop tentant, en ce jour quasi d’été, d’aller baguenauder en chemise dans ce chemin insolite en plein Paris.

12-10-23 Entrée.JPGOn croit entrer au paradis, et cela commence par une prison. Grille de part et d’autre, fermement gardée. Mais une fois passée, elle ouvre sur la petite ville de province, avec son charme discret, bien caché, et pourtant ouvert à tous. Impression de voyage dans le passé : une rue pavée, silencieuse, chaude d’un soleil d’automne ; des jardins fermées, bien cachées ; des12-10-23 Rue1.JPG fenêtres ouvertes comme si chaque maison avait besoin de respirer. On a du mal à comprendre où l’on se trouve. C’est tellement insolite cette rue d’un autre siècle. Il faut se promener plusieurs fois sur ces pavés disjoints pour se laisser imprégner par l’ambiance insaisissable au premier abord. Il n’y a pas une fleur à cette époque, il y a ces grilles qui cachent les jardins, et pourtant, on est à la campagne.

 

12-10-23 Rue 2.JPGAllons-y, errons et laissons-nous charmer le long de cette voie royale. Dommage qu’il y ait ce bruit de machines grattant ou ponçant derrière une façade ouverte, dommage aussi ces voitures garées là on ne sait pourquoi. Les passants, rares, se promènent silencieusement, comme dans une église. Deux jeunes filles se photographient un bouquet à la main. Et l’on contemple ces façades respectables, blondies par l’éclat doré des rayons du soleil qui pénètrent au travers des arbres et feuillages.

 

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12-10-23 Maison 3.JPG

Je ne vous raconterai pas l’histoire de cette cité, vous la trouverez sur Internet à l’adresse suivante :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cit%C3%A9_des_Fleurs

 

Vous repartez en plein Paris, vous franchissez la porte et vous comprenez alors que cette fois-ci vous entrez en prison, immense, bruyante, polluée, violente. Bref, la privation de cette liberté vécue pendant un instant et qui vous enchante pour le reste de la journée.

 

30/03/2011

Un jour nous irons nus et libres

 

Un jour nous irons nus et libres

Contempler les fils d’araignée

Et leur danse au soleil de midi

 

L’air oubliera le poids des jours

À l’odeur des feuilles mortes

 Et ton visage purifié s’ouvrira

À la caresse de l’herbe tendre

 

Nous irons dans les chemins de pierre

Reconstruire l’amour fragile

Et lui donner les forces vives

De l’arbre parmi les arbres

 

Le soir, couché sur la terre fumante

Je trouverai dans tes cheveux d’automne

L’odeur de nos joies du jour

 

 

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16/03/2011

L'engrenage

 

Réminiscence du "troisième homme", film de Carol Reed, dont la musique géniale et entêtante, ainsi qu'un décor extraordinaire d'égouts et de ruines dans la capitale autrichienne lui donnent une atmosphère unique. Réminiscence aussi du roman de Franz Kafka, "Le procès" (The trial), mis en scène par Orson Welles en 1962, avec Anthony Perkins. 

Linogravure réalisée entre le décor du film, au premier plan, et un fond de paysage marin ouvrant sur l'infini pour montrer qu'au delà de la condamnation et de l'enfermement, chaque homme reste libre en lui-même.

 

11-03-16 Grav L'engrenage VD.jpg