La fin de l'histoire (7) (28/12/2015)

Ragaillardi par cette pensée, il se força à manger quelque chose, un petit rien pour subsister, et s’accorda une pause plus longue que prévue pendant laquelle il relut quelques pages du seul livre qu’il ait emporté : La révolution du silence.

Une heure plus tard, il reprit sa méditation. Il atteignit plus rapidement une certaine attention à ce qui se passait en lui. Il avait compris que l’essentiel était de ne pas se laisser envahir par n’importe quelle pensée. Pour cela il lui fallait un support de méditation, un sujet sur lequel il se ferait les dents et qui lui permettrait de ne pas dévier. Malgré de réelles tentatives, au bout de deux ou trois minutes, voire certaines fois plus de cinq minutes, il s’apercevait qu’il avait oublié pourquoi il était là et quel était son objectif. Alors il essaya ce qu’il avait lu dans le livre : se concentrer sur la respiration. C’était pratique et simple. Ralentir l’aspiration et l’expiration, sentir l’air passer dans le nez, le laisser nettoyer le cerveau avant qu’il ne descende dans la gorge, puis dans les poumons, s’arrêter enfin de respirer avant de chasser tout doucement l’air vicié en faisant le chemin en sens inverse. Et cela marchait. Il avait quelque chose à penser qui lui permettait de ne penser à rien. Quelle victoire ! Une demi-heure plus tard, il se sentit fatigué. Il avait besoin de respirer librement, à la va comme je te pousse. Il se leva, fit quelques pas, vit que le soleil descendait sur l’horizon. Il fera bientôt nuit, se dit-il. Allons courir ! Il enfila un short, mit ses chaussures de jogging et partit dans le défilé rocheux jusqu’à la plaine sablonneuse qui s’étalait devant lui. Il courrait sans penser à rien, n’écoutant que sa respiration bien rythmée, sentant ses jambes légères, regardant les étoiles qui s’allumaient progressivement. Il est temps que je songe à rentrer, se dit-il tout à coup. Il commence à faire froid. Aussitôt rentré, il se coucha et s’endormit rapidement, décontracté, sans souci, ayant oublié ce qui le tracassait.

Le lendemain, il reprit sa position de méditation et se posa la question de la vraie liberté en cherchant à résoudre le problème du paradoxe qui s’était imposé à lui la veille. Mais d’abord commencer par l’échauffement : s’attacher à une respiration non forcée, calme, réduite. Aujourd’hui cela allait mieux, l’air glissait en lui sans s’accrocher. Il se concentrait dans la gorge et la rafraichissait. Oui, il avait une sensation de fraicheur qui partait du conduit nasal jusqu’à la gorge, comme un fluide non liquide qui l’imprégnait de sa pureté, évacuant les obstacles et le rechargeait d’énergie. La respiration l’aidait à descendre en lui comme en un trou sans fin. Il participait à une sorte de ramonage qui partait du haut de la tête et atteignait enfin le plexus solaire. Ce ne lui fut pas perceptible au début, mais il se sentait bien, plus sûr de lui, délivré de ses préoccupations. Une idée s’imposa progressivement. Et si être libre, c’était ne plus avoir à choisir ? La survenue de choix dépend de l’environnement. Perdre son environnement, ses habitudes, ses pensées, ses émotions, c’est finalement perdre la multitude de choix que l’on s’impose en permanence. Si je n’ai plus rien, si je ne suis plus rien, je n’ai plus de choix à faire, je suis réellement libre, conclut-il. Il eut l’impression d’avoir franchi un grand pas et s’en réjouit. Mais peu à peu d’autres question se dressèrent, dont une qui le tarauda sérieusement. Si je n’ai plus tout ce qui constituait ma personnalité, je n’existe plus. Certes je vis, je respire, je mange et je défèque, mais qui suis-je ? Le grand vide de l’univers se dressait devant lui, redoutable. Mais dans le même temps, le rouge feu qu’il voyait devant ses yeux fermés s’éclaircit. Il vira au rose, puis à l’orange abricot, mandarine, aurore, puis au jaune et enfin devint blanc. Ce n’était pas une couleur, c’était la lumière pure que sa seule attention retenait en lui. Trop tard, elle était déjà partie ! Il la voyait, éclatante, puis plus rien, le noir ! Tout était à refaire.

07:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, société, individu, liberté |  Imprimer