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08/12/2011

Les têtes fleuries, un magasin des jardins du Palais royal

 

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Quel monde imaginé pour vendre de vulgaires sacs à main ou des vêtements ! Certes ces derniers ont du chic, quoique, encore, ils sacrifient à la mode du noir. Mais ici ce noir a quelque chose d’aérien, comme un dessin en noir et blanc qui laisse passer le souffle quotidien entre les interstices pour le conduire vers des sommets difficilement atteignables.

Pour mettre en évidence ce constat, cette évaporation du souffle vers le ciel, les décorateurs ont trouvé un artifice : la tête dans les nuages et, bien sûr, des nuages noirs et blancs. Ils forment une grosse boule de papier, comme un cumulus vu d’avion, et l’on devine, au dessous, mais l’on ne sait où, la tête hilare des mannequins qui respirent cet encens, les yeux clos, les lèvres entrouvertes, un sourire s’esquissant sur le coton gazeux. Alors ces femmes deviennent des déesses immatures, qui, par leur corps banal, posent dans la mode conventionnelle d’une publicité tapageuse, et qui prennent une autre dimension grâce à ce fumet vaporeux qui coiffe leurs prétentions relationnelles. Vous imaginez tout : hors du temps, elles flottent dans un ciel limpide et passent sur les consciences pour leur dire : « Evadez-vous, ne vous laissez pas engluer dans un quotidien grisâtre ! Vous valez mieux. Planez en toute liberté dans les coulisses des songes et laissez votre esprit se divertir comme ces papillons qui nous entourent et nous chantent des chants merveilleux ».

 

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Et, peu à peu, vous laissez vos pensées se rafraichir dans les nuées, se diluer dans un éther lumineux et monter, s’élever, se surélever jusqu’à ce jour, encore une fois, qui vous laisse un souvenir impérissable, comme une fuite de gaz s’échappant par une fenêtre ouverte dans un appartement vide. La vie devient transparente, à l’image du mannequin de droite dont l’ébauche d’une radiographie laisse discerner une demi-colonne vertébrale et deux seins frêles qui ressemblent aux phares sur une calandre de voiture.

Mais elle peut aussi évoquer un monde sous-marin illuminé par le projecteur que vous pouvez distinguer sur cette dernière photo : les mannequins deviennent objets inanimés flottant dans une eau trouble, sereins malgré tout.

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04/12/2011

La pipe africaine

 

Place du Jeu de Paume, à Bruxelles, il peut arriver des instants insolites qui font sortir du cadre habituel des matins bruxellois.

L’homme marche précautionneusement parmi la multitude d’objets hétéroclites11-11-15 Jeu de Balle red.jpg répandus à même le sol, parfois sur un tissu poussiéreux, regardant, à droite et à gauche, tissus fanés, bois démantelés, aciers tordus, porcelaine ébréchées. Surtout ne pas se décourager, c’est dans ces montagnes de crasse que se cachent les trésors qui empliront les murs et meubles de décors insolites que les envieux imaginent venus d’outre-mer ou de capitales lointaines. Il faudra certes les nettoyer, les astiquer, les cirer ou les poncer pour les aider à reprendre l’éclat de leur jeunesse, mais cela leur donnera, de plus, la distinction d’un passé endormi et lointain.

Passage devant un lot africain de masques aux yeux vides, de statues assorties de sexes démesurés ou de seins comme des clochers de cathédrale, de bijoux colorés plus que fantaisie, étalés sur les pavés, alignés comme à la parade, bravant les collectionneurs de caicaisses (expression bruxelloise, à l’orthographe fantaisiste !) folkloriques ou afro-culturelles. Impavide, un grand noir attend non loin, l’air de rien, parlant haut et fort avec les autres marchands, jetant par moments un œil aiguisé sur son étalage. Au 11-11-12 Pipe 3 red.jpgmilieu de ce bric à brac, l’homme (le promeneur, pas le vendeur!) voit un long tuyau de bois sculpté de dessins géométriques au bout duquel s’épanouit une fine tête d’africain aux oreilles perlées, surmontée d’un chapeau troué par le foyer d’un pipe. En fait, ce personnage sculpté n’a pas tellement l’air africain, on pense plutôt à un blanc ou encore un égyptien en raison de la forme de son chapeau qui évoque les collerettes dont était orné le buste des grands prêtres (mais il s’agit peut-être d’une réminiscence de bandes dessinées !). Et cette pipe au membre dressé interpelle l’acheteur curieux cherchant des bizarreries pétillantes. L’homme fait semblant de s’intéresser à d’autres étalages tout en regardant furtivement la pipe mystérieuse qui se tend vers lui, comme offerte et souriante. Il la contemple en coin, émerveillé de l’imagination du sculpteur de pipe, étonné de voir un tel objet parmi les habituelles fadaises africaines bon marché. Jamais il n’avait encore vu une pipe africaine qu’il imagina aux lèvres d’un vieux bonhomme assis devant sa case, regardant passer les jeunes filles portant sur leurs têtes toutes sortes de choses, même les plus insolites.

Alors, de plus en plus attiré par cette trouvaille, il fait un pas vers le marchand, qui l’avait bien sûr repéré, et lui montrant une statue habituelle de ce type de marché, lui demande combien. Continuant à tourner autour de sa cible, il demande les prix de plusieurs autres objets avant de demander l’air de rien le prix de l’objet convoité.

– Très belle pièce, lui dit l’autre sans répondre. Et très vieille. Elle a beaucoup servie, ajouta-t-il. Un silence. Elle est pas chère : 150 .

– Non, je ne peux pas mettre ce prix là, répond l'homme qui fait mine de s'éloigner.

– Combien tu peux mettre, demande le marchand qui se lance derrière lui.

– Non, non, je n’ai pas les moyens de payer une pièce comme celle-là à ce prix.

– Dis-moi combien tu peux mettre.

L’homme, sans répondre fait semblant de partir, comme s’il ne pouvait donner un chiffre, sous-entendant ainsi que le prix demandé était beaucoup trop cher. Le vendeur le suit et lui redemande : « Combien tu peux mettre, dis-moi un prix ! ». Alors, excédé l’homme lui répond : « Je ne sais pas, 20  ! » Le vendeur fait alors une tête affolée comme si son interlocuteur avait perdu la raison.

– Allez, lui dit-il doucement, comme dans le creux de l’oreille, je vois que vous vous intéressez à l’art africain. Alors je vais vous faire un bon prix. C’est mon dernier prix : 60 , parce que c’est vous et que je vois que vous vous y connaissez !

– Non, non, je ne peux pas. C’est effectivement une belle pièce, mais je n’ai pas les moyens. Allez, je peux aller jusqu’à 25.

– Vous n’y pensez pas. Je ne rentre pas dans mes frais à ce prix. Je peux descendre jusqu’à 40.

– Tant pis, j’arrête là. Je m’en vais. Dommage, car je l’aime bien cette pipe. Elle donne envie de la fumer, le soir sur le pas de la porte. Tenez, je vais vous en offrir 30 , mais c’est mon dernier prix.

–Tu n’y pense pas, c’est le prix que je l’ai acheté. Ce n’est pas possible. Tiens viens voir. Et il l’entraîne un peu à l’écart, lui parlant bas et lui expliquant qu’il ne peut devant les autres marchands et passants lui laisser à ce prix. Donne-moi au moins trois euros de plus et je te la laisse : 33 . Mais ne dis surtout pas à tous combien tu l’as payé.

– D’accord, 33, pas un sou de plus.

– Eh oui, mon ami, je suis content de te faire plaisir. Tu l’as pas chère. Attends, je vais te l’emballer.

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Et le marchand sort d’une vieille sacoche un papier rouge et froissé avec lequel il enveloppe la pipe recherchée qu’il fourre ensuite dans un sac en plastique d’où ressort le tuyau massif et orné en bois raide et imposant. Alors, sortant deux billets de sa poche, l’acheteur lui tend, puis compte en retour les pièces. Ils se serrent la main, tous les deux très contents du marché, persuadés, chacun, d’avoir fait une affaire, sans qu’ils sachent exactement pourquoi.

Depuis, la pipe d’abord trôna sur la cheminée du salon, puis finit pendue à un clou dans la bibliothèque, rappelant à l’homme les années au cours desquelles il a fumé la pipe, adoucissant ainsi les instants d’une jeunesse mouvementée.

 

 

01/12/2011

Pêche d'étang

 

A l’heure où la nuit mêle encore à l’air plus libre le jeu d’ombres chinoises à la pâle renaissance d’un ciel bleuté, nous avions regardé, avec l’émerveillement des enfants qui s’essayent à démêler le nom des couleurs bien qu’ils en perçoivent chaque nuance, apparaître d’abord un léger embrasement entre les branches noires et frêles des arbres, comme une rougeur imperceptible la veille que l’on découvre au matin sur l’épiderme, puis de longues trainées de sang et d’or mêlés, formées par chacune des particules de lumière du soleil que nous devinions derrière l’horizon et réfléchies par la densité opaque des bourrelets nuageux du ciel. Chacun de nous sentait la frêle et délicate joie que donne l’air léger et pur, sonore de chaque évènement qu’on ne perçoit pas à la lumière du jour, et le réveil des formes du monde que nous retrouvons intactes, mais encore cristallisées dans notre perception du mystère de leur vie nocturne.

Dans la première clarté du jour, plus fidèle et plus véridique que celle des autres heures, l’étang, asséché de ses eaux lourdes et sombres, voilait avec pudeur sa nudité désolante dans un scintillement poudreux. Mais sa tache lumineuse et fade contrastait trop avec l’élégance ocréeécriture, écologie, pêche, des roseaux chevelus et la parure pacifique et verdoyante de la forêt qui, pour rehausser sa noblesse, s’était empreinte d’une ceinture chaude aux couleurs de sa vieillesse saisonnière. Les hommes, chaussés de longues colonnes sombres et mobiles, alourdis et empruntés par la boue dans laquelle ils imprimaient les traces de leur pas, avaient tiré le filet qui trainait derrière lui une onde pure et légère. Ils avaient enfermé la substance de l’étang, son véritable corps, dans ses mailles laissant échapper cette partie impalpable de chaque chose qui ne les intéressait pas. Une bataille furieuse, un déchaînement des forces inconnues de l’étang avaient suivi cette capture dans un bouillonnement de dos, d’écume et d’éclairs scintillants, et le filet s’était gonflé sur la pression de cette âme qui comprenait dans le resserrement de chacune de ses particules qu’on allait l’extraire de son univers.

Elle attendait maintenant, impassible et muette, agitée parfois de soubresauts involontaires dans cette petite enclave, dite la poêle, qu’on lui laissait encore avant de la disperser. Je retrouvais ensuite chacun de ses membres, convulsionnés, en différents baquets éparpillés au bord de l’étang. Les carpilles, comme alanguies d’une maternité précoce, se complaisaient dans écriture, écologie, pêche, la chaleur de leur ventre en une douce somnolence, mais certaines, comme un dormeur qui se retourne pour chercher une autre position, essayaient malhabilement de se mouvoir dans l’air comme elles le faisaient dans l’eau, en ondulant de plus en plus rageusement. L’une d’elle, coincée par les autres, se tenait la tête en l’air, le corps immergé dans le grouillement des autres, dans la position figée qu’elle avait quand, libre, elle sautait hors de l’eau, et philosophant sur sa triste aventure, elle disait boa, puis bao, comme les enfants qui répètent inlassablement le même mot de deux syllabes, s’émerveillant de la maîtrise de leurs muscles qui leur permettaient de prononcer deux sons à la fois. Nobles et hautains, les brochets attendaient avec mépris que leur sort fut décidé dans le même détachement qu’un prisonnier à l’âme haute vis-à-vis de ses bourreaux. Leurs corps portaient encore les traces de la lutte qu’ils avaient menée et des outrages subis, de longs filaments d’écume baveuse qui, quand le corps de l’un d’eux s’écartait d’un autre, créait une bulle irisée et aplatie qui les gardaient solidaires dans leur malheur. Mais le plus beau baquet était celui des tanchons qui, par la couleur jaune et rosée de leur ventre qui passait par mille nuances au bleu nuit, puis au noir de leur dos, me rappelaient l’émotion éprouvée au lever du soleil, comme si j’étais parvenu à enfermer vivante l’aurore dans ce baquet de zinc.

 

06/11/2011

Le lustre de verre

 

Il était là, dès l’entrée, brillant de mille feux et pourtant non écla11-11-06 Lustre Murano.jpgiré. Il suffisait de lever la tête pour voir ses torsions, ses palmes entourées de graines colorées, la construction si bizarre et pourtant si équilibrée, de son achèvement. Il fut livré en morceaux, petits paquets à défaire avec précaution, comme un trésor à sucer longuement avant de l’assimiler jusqu’à ce qu’il donne au corps une nouvelle forme, moins torturée que les apparences visuelles. Il se balance au dessus des têtes, portant ses ombres imprévisibles vers les visages tendus vers le haut, comme celui de Jeanne d’Arc vers le dauphin Charles. Et selon l’éclairage qui venait non du lustre, dont les ampoules n’existaient pas encore, mais de lampes posées sur les meubles, nos visages apparaissaient déformés, tantôt curieux, tantôt blasés, tantôt interrogés par cette distribution de verreries emmêlées.

Ce n’était qu’un lustre, certes de verre rare et venant d’un pays lointain, comme s’il avait voyagé pendant des mois sur un bateau affrontant les tempêtes, entouré de milles soins, de papier et de paille, puis déposé avec précaution au milieu de la pièce. Mais il fut le navigateur des conversations, tenant la barre d’une main ferme, conduisant les commentateurs vers des objectifs inconnus, empruntant des lignes brisées, enchevêtrées de fioritures de bons mots et d’anecdotes, entraînant des retours en arrière entre la porte de la pièce et celle de la suivante.

Plus qu’un lustre, c’était un soleil qui n’éclairait pas, mais qui réchauffait les souvenirs de chacun sur cette ville unique, majestueuse et trop visitée qu’est Venise et sur sa reproduction microcosmique, Murano. Et chacun de voir défiler dans sa tête ces images cartes postales, mais malgré tout très proches de la réalité, de palais, de passages, d’agitations silencieux des transports fluviaux et de piétinements de foules épuisées et indifférentes qui visitent et regardent ce qu’il convient de voir et de contempler.

Cette cathédrale de verre, cette pièce montée suspendue au dessus des convives, se taisait, bien que toujours brillante de scintillements magiques, soucieuses de maintenir son image enjolivée par les réminiscences de chacun. Etait-elle trop petite ou trop grande, résonnait-elle de ses cristaux imités, goûtait-elle la senteur des mets qui montait lentement en fumée tremblotante vers elle, entendait-elle les voix de chacun s’exprimant en ricochet ?

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Et si l’on veut aller plus loin dans sa description, on peut aussitôt comparer ce lustre de verre aux poulpes dont la chair translucide, éclairée par les projecteurs des plongeurs sous-marins, projette d’étranges reflets indéfinissables en laissant flotter dans une eau bleue et claire leurs bras de lianes arborescentes pour une fois au repos.

 

Assis dans le salon, loin du lustre de verre, mais les yeux encore brillants de ses reflets sans lumière, chacun pensait encore, sans le dire, à son premier voyage dans la cité des rêves.

(Les photos de lustres que vous voyez ici n’ont que peu à voir avec celui dont on parle, bien sûr !)

 

02/11/2011

Un cimetière pas comme les autres

 

Le cimetière de Bouère (Mayenne), petit village, n’est pas comme les autres. C’est un petit chef d’œuvre villageois qui mérite une ampleur nationale.11-10-29 Bouère 1 red.jpg

 

 

L’église en soi est déjà imposante et bizarre. Elle est romane à l’origine. Mais ses transformations successives en font un étonnant monument qui se rapproche par certains côtés de la cathédrale de Périgueux, en particulier en raison de ses clochetons.

 

 

La montée au cimetière est longue, noble, quasi solennelle, comme une montée vers le ciel, immense entre les deux murs, puis les deux haies. Il a été créé en 1778 et possède un décor dit « à la française ».

A l’entrée un panneau explique sa configuration : Depuis la grille d’entrée de fer forgé, une longue allée bordée de pelouses et de hauts buis, mène au cœur du site. Autour de la croix centrale, sont organisés quatre carrés, d’égale grandeur, délimités par des haies de buis et agrémentés d’ifs taillés en forme de cône. Tous les végétaux composant ce décor datent de sa création.

 

 

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Quel havre de paix, comme un paradis perdu ou ignoré, qui procure un sentiment d’immortalité alors qu’il s’agit d’y laisser reposer les restes mortels de la population. Et vous vous promenez dans cet ilot de verdure compassé en état d’apesanteur, entre ciel et terre, ciel que les dômes des ifs indiquent, terre que la pelouse fait douce aux pieds. Quelques villageois sont là, discutant entre eux, entretenant les tombes, les fleurissant de vraies bouquets colorées, comme des notes de musique sur une portée vide et sévère.

 

 

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Heureux sont les morts de ce pays, mieux honorés que les vivants, dans ce décor à la fois champêtre et géométrique où chaque citoyen décédé dispose d’une place au sein d’un des carrés, entre copains pourrait-on dire.

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09/07/2011

Merlin le Roi, visite chez l'enchanteur

 

A côté de Beaubourg pour les artistes,

Merlin le Roi et non l’Enchanteur

Et pourtant l’enchantement est là

Par la succession d’outils et d’objets

Qui tous servent à construire

Ou encore réparer ou enjoliver

Quand on n’est pas artiste,

On peut tenter de se faire artisan !

 

J’ai parcouru les couloirs souterrains

De cette caverne d’Ali Baba

Entouré de personnages extasiés

Portant de lourds paniers

Emplis de creux, de bosses

Débordant d’ustensiles très utiles

Pour apaiser la plainte

Et redonner espoir

Au nid si douillet qu’ils chérissent

 

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Des caisses d’ampoules dites bio

Qui n’éclairent que leur ombre

Des boîtes de vis, clous, chevilles

De toutes couleurs et de toutes tailles

Qui piquent la main égarée

Et même, des outils, marteaux et scies

Electriques pour la douceur féminine

 

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Des appareils à poncer, à amincir

A donner un air aimant

A l’objet le plus anguleux

Des colles, pour réunir deux

Et ne plus faire qu’un,

Des joints pour boucher

Les écoulements nuisibles

Et non prévus fonctionnellement

 

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Stand de peinture déluré

Où la couleur se conjugue

En changement subtil

Du blanc crème au vert pastel

En passant par le rouge coquelicot

Les yeux exorbités je contemple

Les étagères enduites de pots

Emplis de signes illisibles

Et de dessins qui les remplacent

Jusqu’à quel point les mélanger ?

 

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Des vasques blanches ou noires

Arrondies ou anguleuses

Au dessus desquelles coule l’eau

Transparente, d’un robinet

Sans poignée ni poussoir

Qui laisse la soif s’emparer

Du compulsif égaré

Et pourtant, ceux-ci ne manquent pas

De toutes formes, brillants

Et majestueux en col de cygne

 

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Et parmi tout ceci l’homme

Ou la femme, affairé(e) et stoïque

S’interrogeant sur l’achat

Se pliant au paiement

Encombré(e) et alourdi(e)

Mais combien illuminé(e)

A l’idée d’avoir à

Scier, gratter, poncer, peindre,

Pour faire de la matière

Un objet bien vivant

 

 

 

26/06/2011

Matériels de cuisine, maison Dehillerin

 

Près des Halles (enfin, les anciennes !), se trouve un magasin, que dis-je, une grotte, où sont enfermés une multitude d’ustensiles de cuisine. Quelle collection ! On s’y perd.

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Ils sont en fer blanc, en cuivre, en fonte, en acier, en porcelaine, en osier. Ils sont ronds, carrés, en hauteur, en largeur, en profondeur, de toutes tailles, de toutes sortes, de toutes engeances, pourrait-on dire.

 

 

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Tout cela sent le vieux, l’hétéroclite, le mauvais mariage, la cuisine de lycée, mais en même temps s’échappe du magasin un fumet de bonheur parce que la cuisine c’est la magie des pupilles, la flamme du regard et le grésillement des oreilles au dessus du fourneau. Relent de poussière aussi, mais derrière cette apparence on devine l’odeur des civets, les effluves de légumes, l’exhalaison des rôtis, l’arôme des desserts.

 

 

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Vous partez vers le monde des sens. A travers celui de la vue, qui seul est réel dans le cas présent, vous devinez ceux du toucher, de l’odorat, du goût, un monde à fleur de peau, sans chair de poule.

Vous vous rêvez assaisonnant délicatement tel ou tel gibier, ajoutant par ci par là quelques feuilles de simples, quelques poudres odorantes, pour, au dessus des casseroles, mourir à petits feux avec grande délectation.

Mais malheureusement vous n’êtes que devant quelques plats enrobés de papier huilé, quelques faitouts enveloppés de sacs de plastique, attendant tristement un client hypothétique qui le sortira de cette prison pour le faire vivre sur un feu chaud et rond.

 

 

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Seuls les objets bourgeois ont droit à une meilleure présentation, rangés dans des présentoirs de manière ordonnée ou encore suspendus de manière décorative, voire artistique, comme des biens de collection au mur. Ils sont là pour impressionner le client, l’allécher des yeux et lui faire miroiter mille possibilités d'utilisation.

 

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Que la cuisine est difficile lorsqu’elle n’a rien à se mettre sous la dent. On peut toujours rêver, mais le rêve ne remplace pas un estomac qui se remplit !

 

 

 

 

 

23/06/2011

Premier jour de soldes

 

Cette année, je change mes habitudes, j’attaque le premier jour.

Les soldes, quel drôle de nom qui signifie à la fois une somme restant à payer, la différence entre le débit et le crédit d’un compte, la rémunération de certains fonctionnaires et, enfin, des marchandises vendues au rabais (dans des conditions précisées par de nombreux arrêtés et circulaires). Va-t-on me rendre de l’argent lors de mes achats en solde ?

Premier jour : l’affairement. Ce l’était déjà hier, et même avant-hier, pour les vendeurs qui s’activaient à coller étiquettes de prix et affiches en devanture promettant des merveilles que l’on ne trouve nulle part dans le magasin. Certains en ont rêvé toute la nuit, les patrons en termes de billets, les employés en termes de cartons à transvaser, délester, vider pour les entasser, aplatis, entiers, ouverts ou fermés, en des lieux insolites faute de place.

Les clients et surtout les clientes en ont également rêvé : de chaussures qui vous font des pieds d’empereur, de chemises, chemisiers, chemisettes, de couleurs gaies ou encore noires, de robes, de jupes, de cravates, de tout ce qu’un homme ou une femme revendique au nom de sa personnalité qui se devine dans les vêtements qu’il ou elle porte.

En ce premier jour, toujours, l’affairement des deux, les vendeurs et les clients, et leur rencontre :

_ Cela vous serre un peu, c’est normal. Cela s’élargira à l’usage. Pourtant depuis deux ans il a mal aux pieds avec une paire de chaussures achetée dans ces conditions.

_ Elles sont trop grandes, je vais vous chercher une demi-pointure au dessous. Puis de fil en aiguille, on baisse de deux pointures pour ensuite remonter et finalement ressortir du magasin sans rien.

Les clients s’expriment plus dans leur comportement que dans leurs paroles. Il y en a qui regardent dédaigneusement les bacs dans lesquels ont été déversées toutes sortes d’étoffes qui ressemblent vaguement à des chemises, foulards, jupes ou autres ustensiles enserrant la taille mannequin que possède Madame. Il y en a qui gardent les cabines d’essayage parce qu’elles sont venues avec des copines qui arrivent les bras chargés de pantalons à essayer. « Mais Monsieur, vous n’avez qu’à essayer dans les rayons, derrière une rangée de vestons ! » On en voit d’ailleurs qui le font, sans vergogne, en soutien-gorge ou petite culotte et qui rient à gorge déployée en entrant bras et jambes dans toutes sortes d’ouvertures pratiquées plus ou moins artistiquement. Il y en a qui ne peuvent acheter sans demander à quelqu’un de les conseiller : « Le vert va bien à mon teint ; non, le rouge me donne des couleurs ; le bleu est un peu triste, j’ai l’air d’un canari. » Il y a les clients acariâtres qui ne sont jamais contents et qui le font savoir aux vendeuses. Il y a les clients qui ne disent pas que cela ne leur va pas et qui achètent pour faire plaisir ou parce qu’ils n’osent pas dire non. Il y a ceux qui achètent « parce que c’est moins cher, alors çà peut bien avoir un défaut ! ».

Les caisses enfin, lieu final de tout acheteur, lieu vers lequel vous entraînent inexorablement les vendeurs tenant ce que vous avez essayé dans l’espoir de vous faire céder. Dès que vous êtes dans la file, ils filent, appelés par d’autres clients impatients de pouvoir bientôt se joindre à vous. Alors commence l’attente. Certaines parlent entre elles de ce qu’elles ont vu, mais qui n’était pas à leur taille ; d’autres sortent des emballages un vêtement, se le posent sur eux et se regardent dans la glace qui est très utile près des caisses pour faire patienter. Un sourire béat se dessine sur leur visage, dissimulé légèrement, car il ne faut pas avoir l’air avide. L’inquiète se regarde en balançant encore entre la jupe rose sépia qui fait tellement jeune et la robe jaune d’or qui fait tellement chic. On arrive enfin près des caissières, matrones tronc, aux bras multiples qui se saisissent immédiatement de vos vêtements et les débarrassent de ces pastilles de métal magique qui font sonner les portes et font rougir ceux à qui cela arrive. Un grand paquet, dont les poignées sont un peu longues et qui traine presque par terre lorsqu’on le porte normalement, est vite rempli des multiples tenues, petites, de gala ou encore trop chou. Alors vous sortez de votre portefeuille le petit morceau de plastique qui vous permet de tout acheter sans rien dépenser. Heureusement vous vous rappelez de tous les numéros qui s’ajoutent à la suite les uns des autres jusqu’à la formule magique qui déclenche un grognement de la machine avant de faire sortir de sa bouche un morceau de papier, petit, dont vous avez déjà plein d’exemplaires dans les poches.

Le client suivant, impatient, vous pousse imperceptiblement vers la sortie où un homme, vêtu d’habits insolites, mais très classe, vous tient la porte et vous souhaitent une bonne après-midi. Mais ceci est rare et réservé aux grandes maisons dans lesquelles se pressent les japonais, les femmes d’émirs et les sud-américaines trop fardées. Vous, qui n’avez revêtu qu’un pantalon des soldes de l’an dernier, vous vous contentez de magasins aux portes qui se rabattent sur votre nez parce que vous regardez encore à l’intérieur, le regard attiré par une couleur, une forme, un mouvement, qui apporte à votre rêve une douceur supplémentaire, comme un bonbon de guimauve dont vous vous remémorez le goût sucré.

Et vous plongez dans la foule qui s’écrase les pieds de manière organisée, sans pardon, avec un regard qui ne voit rien que le vêtement désiré, fantasmé, admiré, deux semaines avant, dans la devanture d’une boutique, mais trop cher pour leurs moyens qui sont toujours insuffisants au regard de leurs désirs. Retour à la vie, la vraie, celle qui n’est pas soumise aux caprices de la mode et des soldes, celle de l’enfant qui traîne son jouet qui caquète sur le trottoir bosselé, celle de la femme qui se déhanche joyeusement devant vous, celle du bureaucrate serrant son attaché case des deux mains de peur que l’on ne s’en empare, celle des voyous qui sifflent la jeune beauté qui traverse la rue. Une vie ordinaire, mais combien vivante à côté de ces magasins où tout est fait pour vous faire perdre une tête pourtant, vous en êtes sûr, pas si mal faite.

Et vous repartez, avec votre petit ou grand paquet, heureux tout de même d’avoir vous aussi trouvé ce qui vous accompagnera toute l’année dans vos sorties, vos voyages, vos nuits pour donner l’illusion d’une vie bien équilibrée, intéressante, unique. Et en plus elle l’est, n’est-ce pas merveilleux ?

 

 

18/06/2011

La boutique du bijoutier Georges Fouquet, au musée Carnavalet

 

Le musée Carnavalet fut construit à partir de 1548 : un corps de logis principal et deux ailes encadrant la cour dans laquelle on entrait par un porche à bossages typique de la Renaissance italienne. Son nom est assez drôle, il appartint, peu de temps après sa construction, à la veuve d’un gentilhomme breton qui s’appelait Kernevenoc’h, nom difficile à prononcer et qui devint dans la bouche des parisiens Carnavalet. L’hôtel fut remanié au XVIème siècle (surélévation des ailes). Il fut habité par la marquise de Sévigné. Puis acheté par la ville de Paris en 1866, il fut agrandi de deux cours. Enfin, lui fut adjoint l’hôtel Le Peletier de Saint Fargeau qui le jouxtait, agrandissant ainsi le musée qui était très à l’étroit.

Dans ce musée, qui possède nombreux coins et recoins, j’ai découvert un magasin transplanté là par la ville de Paris. C’est un magasin « art nouveau », dans son plus pur style : emploi de formes épurées, appel à l’artisanat dont le vitrail, lignes sensuelles, courbes toujours, sans angle, et une inspiration empruntée à la nature et plus particulièrement aux plantes.

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Il s’agit de la boutique d’un joaillier, Georges Fouquet, située 6 rue Royale, construite vers 1900 et démolie avant la seconde guerre mondiale. La conception de la boutique est d’Alphonse Mucha, d’origine tchèque, décorateur, dessinateur de bijoux, architecte d’intérieur si l’on veut. La boutique est féminine puisque consacrée aux bijoux portés par les femmes.

Avant même d’y entrer, entre les deux portes de la devanture, se trouve un bas-relief mettant La Femme et Les Bijoux en valeur, réalisé par l'orfèvre Christofle. Ce n’est probablement pas du meilleur goût, mais cette devanture est malgré tout inédite, faite de bois, de fonte et de vitraux représentant des portraits de femme.

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L’intérieur est original et dépouillé, huit meubles au total, trois de part et d’autre de la profondeur, deux plus conséquents, en face de l’entrée et entre les deux portes. Mais quels meubles ! En face, vraisemblablement le comptoir où devaient se faire transaction, paiement et emballage des bijoux. Lieu où trône le patron (ou la patronne), remplaçant, pour le temps de la vente, le paon dans l’axe du regard des entrants au paradis du bijou. Un véritable trône avec un arrière fond digne des plus grandes monarchies empruntes de romantisme et d’indolence.

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Note d’humour ou d’amoureux de la nature : un second paon, moins ordonné, se promène entre paroi et plafond, comme pour faire un pied de nez au propriétaire.

 

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Face à la femme tronc du comptoir, entre les deux portes, un présentoir surmonté d’une statue sortant d’une glace reflétant l’ensemble du magasin.

 

 

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A gauche, une cheminée « bouche de requin » surmontée de son plateau (mais non, on parle de requin marteau !). J’avoue ne pas voir où l’on posait les bijoux. Cela devait vraiment servir à chauffer la boutique.

 

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 A droite, une fontaine, semble-t-il, également surmontée d’une femme, perchée comme un styliste sur sa colonne que les dragons cherchent à atteindre.

 

 

 

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Encadrant ces deux monuments, la cheminée et la fontaine, des présentoirs très style nouille, avec un air guerrier néanmoins. Les nouilles se rejoignent par le bas et le haut des cloisons, s’entortillant autour des pieds des meubles.

 

 

Admirons enfin le carrelage, magnifique mosaïque aux motifs géométriques, mais représentatifs.

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 Quelle belle réalisation. Il est dommage que de nombreux magasins au décor très particulier soient démolis sans précaution, ce qui ne fut heureusement pas le cas pour celui-ci puisque tout a été préservé.

  

Complément sur l’art nouveau d’Alfons Mucha à

 http://lartnouveau.com/flash/diapo/grands/mucha.html

 

 

 

15/06/2011

Vide-grenier

 

Hétéroclite, quel drôle d’adjectif.

 

On nous dit : Qui s’écarte des règles habituelles,

Encore faut-il connaître ces règles !

Il semble plutôt que l’on peut en parler

Lorsqu’il n’y a pas de règles.

 

D’autres vous diront : De bric et de broc.

Avez-vous déjà été à un vide-grenier ?

On pourrait plutôt parler de bric à brac.

 

 

 

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Parcourant les rues au fil des objets,

Vous découvrez l’envers des apparences.

Sont étalés ce qui alluma un jour,

Dans le cœur ou l’esprit ou l’émotion

D’anonymes, l’étincelle nécessaire à l’achat.

 

Bien vite rejetés, ces articles nous parviennent,

Parfois dans leur emballage cartonné,

Comme un trésor enfoui et ignoré

Pour tenter de séduire un autre anonyme.

 

Ils arrivent également empoussiérés,

Comme un vieux chewing gum

Que certains jettent sur la chaussée

Et qui se collent sous la chaussure

Pour vous dire ne m’oublie pas.

Pourtant ils ne paient pas de mine.

 

Au-delà des objets, les gens :

Ceux qui vendent distraits, un demi-euro,

Ceux qui marchandent de trente à quinze,

Ceux qui n’ont qu’un prix et n’en démordent pas,

Ceux qui acceptent de donner ce qu’ils ont rejeté.

Voilà pour les vendeurs affichés.

 

Mais les acheteurs ont aussi leurs caractéristiques :

Ceux qui passent sans parler et sans voir,

Tournant en rond dans les allées d’objets,

Qui ne veulent rien sauf un moment de distraction,

Ceux qui parlent beaucoup et n’achètent rien,

Ceux qui ne parlent que pour donner un chiffre,

Ceux qui ont besoin de l’histoire de l’objet

Pour raconter pourquoi ils l’ont acheté,

Ceux qui vérifient, éprouvent la solidité,

Testent longuement tout ce qui peut casser,

Avant de laisser l’objet, exsangue et épuisé.

 

Il y a aussi d’autres gens, distraits,

Qui passent parce qu’ils habitent là,

Ou encore vont chez le dentiste ou l’orthopédiste.

On rencontre parfois celui qui sort sa voiture

Parce qu’il a oublié ce jour de festivité,

Contraignant le vendeur malheureux

A déménager son bric à brac

Qu’il ne considère pas comme hétéroclite

Parce qu’il pense être seul sur le marché

Des objets esseulés et inattendus.

 

Il y a ceux qui profitent de la fête

Pour vendre toutes sortes de biens,

A manger, à boire, ou même à fumer,

Pas celle des saucisses qui grillent

Stoïques sur une plaque de tôle,

Pour la magie des enfants du quartier

Et le plaisir des affamés prudents.

 

Pêle-mêle sont les articles disparates :

Pelles sans manche, manche sans bras,

Bras de fer, fer de lance, balance.

On trouve de tout dans le bric à brac

De personnes et d’objets hétéroclites

Qui vont de bric et de broc jusqu’à la fin du jour.

 

 

03/06/2011

Les puces de Saint Ouen (suite et fin)

 

Interrogeant la gardienne de ces trésors d’antan, j’appris qu’il existait deux autres magasins à proximité qui vendaient le même type d’objets insolites. L’un des deux n’avait que peu d’intérêt, mais, dans le second, on retrouvait la même veine délirante de décors désuets et charmants.

Ce n’était plus une boutique, mais un atelier secret, qui redonnait aux souvenirs vieillis le chatoiement de la nouveauté, une sortie d’hôpital vers la lumière franche d’une nouvelle vérité. On y trouvait de tout, et rien de véritablement utile. C’était un palais, mais celui d’un obscur génie qui entasse pêle-mêle mille parures qui ensemble constituent, en raison de leur agencement, un décor agréable à l’œil et doux à l’imagination, comme une sorte de baume sur la mémoire des choses.

 

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Au centre trône l’outil inutile, sorte de pont qui ne mène à rien, d’échelle conduisant au néant, comme si tous ces objets étaient la seule valeur universelle que l’on ne peut transcender sans sortir de la vie. L’échelle conduit à la mort parce que seuls les objets subsistent et se recyclent.

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Derrière l’échelle, les sables et cailloux du désert : des milliers de pierres, billes, éléments de bijoux qui s’entassent dans des boites, triés ou non. Ils se vendent au poids, semble-t-il, et on imagine celui qui repart avec un sac plein de ces éternelles fanfreluches pour construire des colliers fantasmatiques et importables.

 

 

 

De part et d’autre de l’allée que constitue l’échoppe, les deux murs qui se font face à face reflètent la même réalité imaginative et délirante de bacs et de présentoirs où règne un ordre quasi militaire à l'instar des revues du 14 juillet.

11-05-21 Puces 18.jpgComme le président de la république, vous défilez devant les troupes dans leurs plus beaux uniformes, devant les engins de guerre alignées plus qu’à la bataille, et vous rêver en plongeant vos mains parmi ces caisses pour exorciser cette impression étouffante d’un monde qui jaillit du présent en faisant renaître le passé.

On y voit de tout : cadavres de poupée, bouteilles de couleurs11-05-21 Puces 24.JPG variées, publicités désuètes ventant des alcools périmés ou des savons qui ne sentent pas la fleur d’oranger, alignement de bobines de fils, en arc en ciel, dans l’espace supérieur où flottent des panneaux décorés de trucs en plastique, en papier, en bois, en fer, qui donnent le tournis au regard comblé de tant de délicieux mirages.

 

 

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Dans un bac, des nains barbus attendent que Blanche-neige viennent les délivrer de tels voisinages intempestifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

02/06/2011

Les puces de Saint Ouen

 

Plus qu’insolite, étrange et poétique, ce magasin situé dans le dédale des puces de Saint Ouen ! Ils sont en fait trois, assez proches les uns des autres, du même marchand, décorés avec la même veine folle d’imagination symétrique et colorée.

 

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Pour le premier, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un de ces stands de tir à la carabine qui s’exhibent dans toutes les foires du monde et qui donnent à chaque bon tireur l’objet dont il a détruit la pipe de porcelaine. Pour un euro, on se prend pour Buffalo Bill. Alignant l’œil, l’œilleton et le guidon, on cesse de respirer, on appuie doucement sur une gâchette molle et on laisse partir le coup, ébahi de voir que celui-ci n’atteint que rarement sa cible, les instruments de visée étant dans de nombreux cas faussés.

 

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En fait, il s’agissait d’une boutique vendant les surplus de fleurs artificielles, en tissu ou en papier, récupérés auprès d’entreprises mourantes ou presque, qui vident leurs stocks en échange de liquidités financières. Ces alignements de fleurs de toutes sortes et de toutes couleurs sont le fait d’un revendeur génial qui utilise le décor pour susciter l’envie d’acheter des bricoles qui ne se vendraient pas autrement. Ce sont des alignements de bouteilles en fond de décor, des tampons, des carafes, entremêlés de fleurs assemblées avec art ou déposées dans des paniers d’ostréiculteurs.

 

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Pour éclairer l’ensemble, des lampes 1950, en métal blanc, qui illuminent d’une lueur jaune, feuillage, tiges et fleurs, leur donnant une irréalité au pouvoir suggestif :

 

 

 

 

 

 

 

certaines, romantiques dans leur consistance et un rose passé,

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 d’autres écologiques, feuilles vertes et fausses gousses de graines,

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  d’autres encore se donnent des allures d’habitantes de cimetière, un peu fanées, mais pas suffisamment pour être jetées,

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 enfin quelques unes n’ont l’air de rien dans leur panier, comme délaissées parce qu’elles ressemblent plus à un tableau impressionniste qu’à de véritables fleurs.

 

Nous admirerons les autres magasins demain.

 

 

18/05/2011

Au fil des boutiques : La Maison Fabre

 

Les jardins du Palais Royal sont entourés de boutiques diverses, certaines vieillottes, d’autres trop modernes pour le décor, d’autres encore en perpétuel changement de propriétaires, enfin quelques unes insolites, comme la Maison Fabre, au 128, boutique de gants, extraordinaires de profusion et d’ingéniosité dans la présentation de leurs appareils à cinq doigts que l’on enfile gracieusement pour être élégant lors d’une occasion chic, pour avoir chaud dans ses extrémités, pour pratiquer des travaux réputés sales (mais ce n’est pas le genre de la boutique !), enfin pour se faire plaisir en toute occasion un soir de déprime quand l’alcool ne suffit pas.

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Il y a des gants dont la raideur du support fait penser aux épouvantails que l’on croise parfois, de moins en moins, dans les champs pour éloigner les oiseaux. Mais là, il s’agit d’attirer le client en faisant contraster le support rigide et neutre de son gris uniforme avec le velouté, la brillance d’un cuir de première qualité. Vous remarquez bien sûr qu’il manque le pouce dont la dissymétrie par rapport aux autres doigts choquerait ici le regard, c’est pourquoi ces gants semblent si élégants dans leur amputation discrète, mais réelle. Mains rouges pour les mariages, assorties avec un chapeau que l’on tient du bout des doigts ne serait ce que pour faire remarquer l’harmonie qu’il possède avec ces gants magnifiques,  mains jaunes pour le sport (carton jaune, évidemment), mains bleus pour les conversations affables en ville entre dames ou avec des messieurs, dans un lieu appelé bistrot qui fait plutôt penser aux salons de ces hôtels du style de « L’année dernière à Marienbad », enfin mains brunes des promenades dans les bois un après-midi de campagne lorsque le chien tire la laisse et vous oblige à marcher-courir sans relâche.

 

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D’autres gants sont alignés comme à la parade, formant des compagnies entières, massives, en arrière-fond des présentations plus originales mises en valeur par la sobriété de la quantité comme de la qualité. Ils sont couchés tels des alignements de dominos que l’on fait s’écrouler d’une pichenette pour les voir tomber les uns sur les autres avec la régularité d’un stand de tir. Mais ils sont plus divertissants que ces pièces de bois uniformes, surmontées d’ivoire maintenant faux et marquées de points de un à six, et ils donnent une impression de profusion colorée dans laquelle on a envie de mettre le nez pour sentir l’odeur subtile d’un cuir parfaitement tanné. Après un tel rite, il est évident que la deuxième envie est de les enfiler tous. Dommage que nous ne soyons pas Vishnou, incarnation de la création, car il est certain que le plaisir ne manquerait pas de créer des harmonies de couleurs au bout des bras qui, dansant discrètement, donneraient un spectacle enchanteur, comme des feux de Bengale tourbillonnant dans l’espace.

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Mais l’on trouve également des sortes de petits manchons destinés à recouvrir la main en laissant les doigts libres de jouer avec les plis d’une robe solennelle, blanche ou noire naturellement. Ornées de petits boutons sur les côtés, ils pourraient aussi servir d’ornements des chevilles, utilisés par les sportives qui s’adonnent à la gymnastique en salle, pour empêcher vraisemblablement la transpiration de pénétrer dans les chaussures unicolores qu’il ne faut pas abîmer en raison de leur prix.

 

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Certains sont réservés à des instants spécifiques où le rôle tenu doit être en accord avec l’importance de l’apparence, tels, par exemple, le mariage de William and Kate auquel vous auriez été invitée, empanachée et gantée de gris foncé, orné de fleurs aux pistils blancs, pour vous glisser subrepticement, dans la cathédrale et mettre en évidence cette parure des mains avec ostentation. La peau de serpent ne serait sans doute pas très bien vue dans une telle assemblée dans laquelle l’écologie est un art de vivre avec cependant quelques sélections des objets sur lesquels porte le graal de cette nouvelle religion.

 

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Ballets de « gantitude » ou ronde élégante de mains autonomes comme des prêtresses caressant leur dieu avec légèreté et admiration dans un silence respectueux et les sourires convenus de telles cérémonies. La déesse s’abandonne avec humilité à cette adoration, acceptant du bout des doigts de se laisser caresser tout en protégeant une main fine de dentelles tricotées pour lui assurer la sécurité contre toute violation de son intimité.

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Enfin la suprême élégance, plutôt masculine, mais que l’on verrait bien sur les mains de femme, ce gant simple, en veau d’un blond semblable aux cheveux d’une Ophélie nordique, au mi-doigts coupés à angle droit que compense la rondeur de l’arrière main faite pour montrer la peau tendre d’un poignet de femme ou la vigueur d’une poigne d’homme. Abandonné, comme flottant dans l’espace, les doigts élastiques, le poignet détendu, cette main attend une autre main, tout aussi délicate, peut-être une de celles du « ballet de gantitude », pour s’unir avec lenteur et respect pour la vie.

 

 

 

 

27/04/2024

L'enterrement de l'oiseau

Ils étaient trois, trois enfants devant la tombe de l’oiseau, tout à leur chagrin.

Quel jeu ! Enterrer un pivert trouvé mort dans l’herbe tendre un matin d’été.

Ils l’installèrent dans une boite à chaussures, entouré de coton hydrophile, les plumes soigneusement lissées. La goutte de sang du bec fut essuyée avant sa mise en bière. Le long du mur du jardin, un trou fut creusé dans la terre sèche. Ce ne fut pas sans mal. Pic et pioche furent employés. Ils travaillèrent avec ardeur sous le soleil du matin, protégés par les frondaisons.

Quand tout fut prêt pour l’instant solennel, ils se figèrent au garde-à-vous, l’œil embué et entonnèrent la Marseillaise. Puis, se regardant, ils entreprirent de chanter « Ce n’est qu’un au revoir, mes frères… ». Le carton enfouit dans son trou, ils le recouvrirent de la terre poussiéreuse qui, longtemps encore, laissa voir le bleu du couvercle, comme un avant-goût du ciel. 

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Alors le plus jeune accrocha à la croix fabriquée par les deux autres l’épitaphe longuement réfléchie et retranscrite telle quelle :

 

Cher Général Jean-Claude Pivert

Merci de votre loyal service tout au long de ces 50 ans. Merci de nous avoir fait en partie gagner les 2 guerres. Merci de ces trois médailles d’or, ces 4 médailles d’argent et ces 6 de bronze en parachutisme. Au nom de la France : MERCI.

Biographie :

Jean-Claude Pivert, né le 8 octobre 1910, mort le 21 août 2013, à l’âge de 103 ans. Marié avec Marie-Dominique, il eut trois enfant ; Pierre : Paul ; Jack, qui ont 50, 20 et 10 ans. Mort Fauché par une voiture numéroté ZZ 345 SR département 01 : Ain.