Les allées du Luxembourg, de Maurice Bellet (03/08/2017)

Monsieur Périer sort de chez lui. Il n’est ni long ni court, ni gras ni maigre, ni beau ni laid : il est moyen. C’est un être anonyme qui traverse le Luxembourg, son Luxembourg qu’il connaît par cœur. Et voici que ce jour-là, il le découvre tout autre. Il voit le Luxembourg et le ciel ouvert. Il ressent seulement une sensation étonnante de chaleur, de douceur, de bienveillance universelle ; la lumière paraît plus douve et plus forte, les visages plus dignes d’amour, l’ânelivre, littérature, surnaturel, envers plus fraternel. Tout a basculé, invisiblement et sans secousse, dans l’absolu inentamable : une splendeur de l’être, une douceur de la création, une saveur de la vie, une générosité du temps qui ne passe plus – soudain , Monsieur Périer est dans l’éternité, l’éternité ici et maintenant, le suspens bienheureux de toute chose dans l’instant pur de l’origine.

Et cet instant bouleverse sa vie et lui donne un inattendu de tous les instants. Il songe à la vie qu’il a menée, aux gens qu’il a côtoyés, à sa femme, à celle qui l’a compris, à sa famille, à un ami. Dans l’autobus, il regarde une femme qui lui demande pourquoi il la contemple ainsi. C’est que vous êtes très belle. Elle le prend mal. Et pourtant, tout à l’heure, quand elle s’était assise devant lui, elle avait souri à une pensée  qu’elle avait eue et qu’il ignorait. Et ce sourire était une transfiguration ; le pauvre visage ingrat rayonnait du dedans, il lui venait cette beauté quasi surnaturelle, qui ne peut se fixer, qui passe lorsque passe en l’être humain quelque peu de la lumière divine.

A la fin du livre, il a une nouvelle vision au Luxembourg. La chose  sans nom saisit Jean Périer, le traverse, le transperce de part en part. Le voilà immobile, noué au milieu de l’espace vide, cloué vif, dans le halètement et le hurlement muet, coulé sur le poteau d’angoisse. Le Luxembourg est un désert qui s’étend jusqu’aux limites de l’univers. Et le vide qui encercle Monsieur Périer  et qui le fouaille jusqu’au-dedans des os est bien plus dur, d’une absence bien plus atroce que l’intersidéral pour le cosmonaute. Car ce que Monsieur Périer connaît, en cet instant, c’est la vacuité du monde, c’est la grande vidange de tout. (…) Monsieur Périer ne pense pas. Il ne pense plus. Il est tout entier cette vague énorme, cette vague de vide, qui déferle à grands coups, imprévisible, immaîtrisable.

Il se passa quelque temps. Monsieur Périer constatait, étonné, le changement qui se faisait de plus en plus autour de lui : c’était une espèce d’aura d’amitié, de bienveillance, de simplicité aimable. On lui parlait beaucoup. Il entendait autrement. Il sait maintenant écouter, vraiment écouter et non, simplement, entendre le brouhaha du monde et des gens. Il voit ce qu’il a toujours vu : le Luxembourg. Et pourtant ce qu’il voit, c’est l’envers lumineux du monde. À moins que ne soit l’endroit, et que notre regard ordinaire ne voie que l’envers de la tapisserie, confus et laid. De l’autre côté, de l’autre côté est la merveille.

Un livre tout en douceur, en mots couverts, qui ne dit pas l’expérience, car il est impossible de la décrire, mais qui tente d’en donner les sensations, les impressions, voire les réflexions qu’elle crée. C’est à la fois banal et exaltant, une histoire où ne se passe pas grand-chose, mais où se qui se passe renouvelle complètement la vision du monde, élève l’âme et la conduit à l’admiration pour le créateur.

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