28/08/2017
L'homme sans ombre (15)
Noémie n’ose dire quelque chose. Elle sait par instinct que l’instant unique qu’elle vit peut s’arrêter en raison d’une réflexion malencontreuse de sa part. Elle se contente de mettre sa main sur le genou de Mathis et de poser sa tête dans le creux de son épaule. Pas un mot n’est échangé, mais ils se comprennent plus émotionnellement que s’ils s’étaient échangé leurs impressions.
– Quinze jours ou un mois plus tard, je refis le même rêve ou vécu la même réalité. Je devins plus conscient de ce que j’avais vécu la première fois. Je revoyais mes efforts pour tendre l’ensemble de mes muscles, établir une raideur générale qui me permettait de me tenir rigide et ainsi de m’élever au-dessus de mon lit sans difficulté. Je revivais dans le même temps la recherche de décontraction mentale et de laisser-aller nécessaire à ce genre d’exercice. Ne plus penser à rien, m’abstraire de toute réflexion sur quoi que ce soit, bref me laisser monter sans m’en émouvoir et le ressentir comme une chose naturelle. Je fatiguais vite et ne tenais probablement qu’une minute. Mais, quelle minute fascinante ! Je ne comprenais pour quelle raison cela m’arrivait, je ne cherchais même pas à comprendre. Cela était, c’était tout. Cela dura plus d’un an, avec une fréquence de deux semaines environ. Je n’en parlais à personne et ne savais finalement pas si je le vivais vraiment ou si c’était rêvé. En fait, lorsque cela venait d’arriver, j’étais sûr d’avoir véritablement volé, c’est-à-dire m’être élevé du sol. Mais progressivement, ne croyant pas que cela était possible, je me mettais à douter, jusqu’ à ce que je fusse persuadé que ce n’était qu’un rêve. Et puis, un jour, cela a pris fin sans même que je m’en rende compte. Quatre mois après, je me suis souvenu du phénomène, mais j’étais profondément convaincu que ce n’était que des rêves. Oui, j’étais entré dans l’âge de raison et de tels souvenirs n’y ont plus leur place. J’oubliais.
– Ce que je ne comprends pas, c’est en quoi cela est un secret ? demanda Noémie qui se disait que de nombreuses personnes ont connu ce genre d’impressions.
– C’est vrai, tu as raison, jusqu’ici cela n’avait rien de très anormal. Mais je n’ai pas fini mon histoire.
– Tu viens de me dire que cela ne s’était plus produit. Alors ?
– Sous cette forme, cela ne s’est effectivement plus produit. Tu sais que l’âge de raison met un terme aux réminiscences de toute vie antérieure. Entre sept ans et quinze ou seize ans, j’ai totalement oublié ce genre de manifestations. J’ai passé une enfance heureuse, nous en avons parlé. J’ai beaucoup lu, toutes sortes de livres. Un jour, fouillant en cachette dans la bibliothèque de mon père, j’ai trouvé un livre qui parlait des pouvoirs extraordinaires des yogis hindous. L’un d’eux a particulièrement retenu mon attention. C’était le phénomène de lévitation. Certains yogis parviennent à échapper à la gravité et à se déplacer en s’affranchissant de la pesanteur. Cela réveilla en moi le souvenir de ce que je t’ai raconté précédemment. Je revivais à travers la lecture ce que j’avais expérimenté réellement lorsque je n’étais qu’un jeune garçon. J’ai ressenti à travers mes muscles ce que j’avais éprouvé douze ans auparavant. J’eus une sorte de révélation : ce que j’avais éprouvé était vrai, ce n’était pas un rêve, mais une réelle expérience qui m’avait été donnée de faire. Je me suis juré d’en faire un but de vie, de découvrir ce qui se cachait derrière ces sensations réellement ressenties. Alors, en même temps que je passais le bac, je lus de nombreux livres qui traitaient de ces phénomènes et de la préparation psychologique nécessaire.
07:34 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
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