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31/08/2016

Fétu

Je suis sans être rien… Qu’un fétu…

Je me cache sous le lit des amants
Je m’ouvre à leurs histoires sur l’oreiller
Et, décontenancé, leur renvoie en vers
Leurs espoirs et leurs larmes

Ils ignorent ces salutations éplorées
Et me saluent, sans un mot des évocations
La mondanité les empêche de penser
Plus longuement qu’une demi-minute

Tant pis ! Je poursuis mon rêve
D’un monde où le vent des amants
Devient un vent d’automne
Chargé de feuilles et de blondeur
Qui court sur la lande desséchée
Et tourbillonne dans le soleil déclinant

J’écris sans savoir pourquoi  
Laissant les mots libres de partir
Entre les corps qui se touchent
Et s’étreignent en vaines roucoulades

Alors apparaît la zone si sensible
Qui aspire à la solitude éperdue
Et s’envole enfin vers les espaces
Où l’air a le son et l’ampleur des notes

J’ai perdu toute humanité et retenue
Et me régale d’absence devenue présence

©  Loup Francart

30/08/2016

Maxime

 

L’homme sage tire parti des échecs

Ils apprennent plus que les succès

Recherche la difficulté

Recherche l’incompréhension d’une situation

Recherche la joie de la déroute

Puis trouve ta stratégie

Et fais face

 

©  Loup Francart

29/08/2016

La mue (20 et fin)

7 septembre. J’ai mué. Je suis un homme muni d’une paire d’ailes. Je n’ai pas la même tête qu’avant la première mue. Je ne me décrirai pas. J’ai trouvé une robe blanche au pied de l’arbre sur lequel je m’étais réfugié. Elle me va parfaitement. Si Joséphine me voyait ! Et en un instant, je me trouve aux côtés de Joséphine. Comment cela se fait-il ? Je n’ai fait que penser à elle et je suis auprès d’elle.

– Bonjour Joséphine. Alors, es-tu heureuse avec ton nouvel homme ?

Joséphine est étonnée. Elle se demande qui je suis. Je la regarde, resplendissante, mais elle est maintenant sans attrait pour moi. Elle n’est plus qu’un être humain avec ses instants de bonheur et de malheur, entraînée par les circonstances, tentant de comprendre ce qui lui arrive et dérivant entre ses interlocuteurs. Je repense à nos premiers jours et aussitôt je suis entraîné à cette même date et ce même lieu qu’il y a trois ans. Je lui caresse les mains et je vais l’embrasser. Il me semble que je suis pourvu d’une nouvelle faculté : je vis ce que je pense. Je peux me transporter dans l’espace et le temps instantanément selon ma pensée. Mieux même ! Dès que je cesse de penser, je suis transporté ailleurs. Où ? Je ne sais pas.

Ah ! Là, cela s’impose à moi : je suis entouré de sages, en robe blanche également, qui me regardent. Leurs yeux me sondent jusqu’à l’âme.

– Approche Imer. C’est le jour de ton initiation. Désormais, tu n’auras ni souvenirs ni projets. Il est temps que tu montes dans la hiérarchie. Tu ne vivras plus que d’amour spirituel. L’amour humain est une impulsion qui vient d’en bas, de la matière et indirectement de l’énergie divine contenue en toutes choses. Cette énergie s’adresse à l’homme matériel. Elle peut parfois l’amener à se surpasser lui-même, puisqu’elle retourne à Dieu par l’homme. Cet amour est une énergie incontrôlable qui transforme, mais nous n’en sommes pas maîtres. En revanche, l’amour spirituel n’exclut personne. Il s’adresse à tous sans distinction d’affinité. L’homme empli de l’Esprit dilate son cœur et y inclut le monde. Toute chose, toute personne, est en lui individuellement comme le plus bel objet, le plus bel être. Cet homme ne possède rien, et dispose de tout. Il déborde d’amour pour son ennemi et voudrait lui venir en aide, lui donner la joie débordante qui l’habite. Devenu transparent, n’ayant plus d’être propre, il est le monde et plus que le monde. Il apporte à chacun sa part de lumière.

Un ange s’avance, s’arrête, puis dit solennellement, prenant les autres à témoin tout en me regardant intensément :

– Tu es désormais un ange. Tu as fini ton cycle humain et tu as franchi la porte de la sagesse. Tu n’es plus, car tu es plus. Tu es maintenant le messager du divin. Porte la nouvelle aux hommes et toujours aide-les en toutes circonstances.

C’est ainsi que moi, anciennement Rémi, devenu Imer, ai quitté le monde des hommes pour rejoindre un autre monde que j’avais longtemps ignoré.

 

           

28/08/2016

Echec

Reviennent, lancinants, les souvenirs de tes échecs
Réveil transpirant, l’incertitude sur les lèvres
Un trou brutal à la place de l’entendement

Et je revis en boucle ces moments que je n’ai pas perçus
Car l’échec ne se vit que plus tard, lorsque tout est joué
Et que plus rien ne peux changer ce passé peu glorieux

Je carambole dans l’escalier, encombré d’objets
Ils ne veulent pas me quitter, ils sont bien
Dans ma conscience empaquetée de papier rose
Ils grattent un peu, pas trop, à la surface
Ne se manifestent que par à-coups, indolents
Et creusent le sable de l’ignominie avec persévérance

Il arrive qu’ils se pressent comme des rats
A la surface de ton rêve qui pourtant sonnait juste
Et débouche, tête nue, froidement, à la conscience

Je me trouve face à un puits sans fond qui remonte
Des entrailles de ma chair et déborde parfois
Pour m’assaillir des remords de mon inconséquence

Cette éruption soudaine me projette vertement
Dans des jurons proclamés à mon adresse
Un flot de bile et de cris sans foi ni raison
Résonnant dans le désert sans fin des jours
Qui commencent en conclusion dénuée de paroles
Et finissent dans le vide d’un avenir inconnu

Et comment profiter de ces leçons de vie gratuites
Lorsque seule la méditation te ramène à l’existence
Qui déroule son film dans le désordre, à la folie

Tu te réfugies dans ton ballet mental, repu
De vies échevelées, fragmentées, esseulées
Pour atteindre le nirvana de l’absence, sans succès…

 ©  Loup Francart

27/08/2016

Déséquilibre

 La ronde de l'inexistence m'enlace, je perds l'équilibre, la tête me tourne et m'embarque vers l'inconnu.

Seul l'incohérence lui permet de tenir un équilibre précaire !

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26/08/2016

La mue (19)

La colombe me caresse de son aile, me regarde une dernière fois et me dit :

– Je ne te verrai plus. Tu en sais suffisamment pour voler de tes propres ailes. Sois fort, ta prochaine mue est pour bientôt.

Sur ces paroles que je ne comprends pas réellement, elle s’envole, fait un rond au-dessus de ma tête et s’éloigne. Je suis seul, mais je suis habité d’une nouvelle force qui me guide et me donne détermination et certitude. Je prends mon envol et pars, loin de mon appartement et de Joséphine. Le cordon est tranché, en avant !

Nous sommes le 3 septembre. Cela fait un peu plus d’un an que j’ai rencontré la colombe. Je n’ai pas de toit, je n’ai qu’un sac vide, je ne transporte pas de pierre pour reposer ma tête lorsque le soir tombe. Qu’ai-je fait ? Je ne peux vous le dire, c’est une affaire entre le ciel et moi. Je n’ai pas eu un instant de libre, mais je suis le plus libre des hommes. C’est un jour nouveau, mais particulier. Ce matin, j’ai reçu mon attestation. C’est la saison de la mue pour les oiseaux. Je ne suis pas inquiet. Je l’attends avec impatience, sans chercher à imaginer ce qu’elle sera. Ma vie continuera sous une autre forme et je serai toujours Imer.

5 septembre, je ressens les premières transformations. J’ai l’impression de retrouver mes jambes d’humain et je perds pas mal de plumes. C’est véritablement une mue. Qu’est-ce qui va les remplacer ? Mon bec devient mou, je ne peux plus casser une graine. Pourtant j’ai bien encore mes ailes et elles me soutiennent en l’air sans aucune difficulté. Elles semblent même plus agiles que d’habitude.

6 septembre. Je ne me sens pas bien. Reste sous ton arbre et attends, me disent mes compagnons. Je voudrai bien, mais je suis tiraillé sous ma peau. J’ai perdu presque toutes mes plumes, sauf sur les ailes, mais elles ont blanchi et deviennent plus lisses d’heure en heure. J’ai presque retrouvé mes jambes. Elles sont alertes, beaucoup plus qu’auparavant.

25/08/2016

Méditation

 

Un bruit seul suffit

Pour éveiller tes tourments

Laisse aller les battements de ton cœur

Qu’ils couvrent les plaintes de ce monde

Et ne résonnent que de ton absence

 

©  Loup Francart

24/08/2016

Inexistence

Le moteur ronronne, même la nuit…
Il tourne dans le vide et s’emballe
Sans produire paix et sérénité
Retirée, la conscience aiguisée l’entend

Les poils se hérissent sur les bras
La tête devient lourde et inerte
Seul pensent encore les pieds
Qui marchent sur un trottoir nu

Où va-t-il l’homme ainsi exposé
A la vindicte de ses pairs
Montré du doigt par la population
Repu de conseils et d’aveux

Il avance en souffrance, sans un mot
Arrive à l’eau infinie des mers
Et se jette de la jetée sans hésitation
Il ne fait pas un geste avant de couler

Il est mort en héros de la solitude
Rejeté par les autres et par lui-même
En inconnu, car ignoré ou exécré
Par les puissants de la société
Qui se regardent sans broncher

©  Loup Francart

23/08/2016

La mue (18)

Je perçois un éclair dans ma tête et le vide m’envahit. Rien ne me vient à l’esprit, je flotte dans un bain huilé qui me transforme. Mais s’il est facile de constater que l’on a découvert la vraie vie, il est impossible de dire ce qu’elle est. La vraie vie est indéfinissable. La seule chose qu’il soit possible de dire est que nous ne sommes plus le même. Nous connaissons un nouvel état d’être qui n’est pas notre état naturel. L’état lui-même ne peut être défini, car il est toujours différent. C’est cette nouveauté permanente, cette richesse infinie que l’on découvre en soi et dans le monde, qui font dire que l’on a trouvé la vraie vie et qui constituent la preuve de son existence. Ceci nécessite d’abandonner toute idée d’acquisition. On n’acquiert pas cet état, il nous est donné. Il faut le vivre dans l’abandon et ne pas chercher à le revivre. Cependant, si l’on ne peut définir rationnellement ce qu’est cet état, on peut décrire les nouvelles perceptions qui l’accompagnent.

La première perception est celle d’unité intérieure : la sensation habituelle du moi tiraillé en tous sens s’évanouit. La conscience s’élargit, ne se sent plus distincte du monde et, s’oubliant elle-même, se découvre. La seconde est l’absence de temps : C’est la sensation d’éternité. Le présent, intensément vécu sans rattachement aux structures mentales  élaborées par la combinaison du passé, du présent et de l’avenir, se transforme en éternité. La troisième est la lumière : cette lumière semble d’abord sans origine, comme une légère brume lumineuse. Puis on prend conscience de son rayonnement à partir du cœur. Elle n’éclaire pas matériellement ce que l’on voit. Elle éclaire notre compréhension  des choses et des êtres. Enfin, la dernière que j’ai perçue est la transparence : en acquérant la transparence, on perçoit que la lumière est en nous en permanence et que nous la voilons par le moi, c’est-à-dire notre propre idée de nous-mêmes et du monde. Par la transparence, l’homme devient frontière perméable entre le monde spirituel et le monde naturel.

22/08/2016

Pneuma

Un tableau en relief, plus vivant, plus présent, plus élégant, remplit l'espace, dilate les sensations et procure des impressions sans pareilles.

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Mais que c'est long à faire !

 

 

21/08/2016

Maxime

 

« Tout voir, mais ne rien entendre. »

 

 C’est la maxime du sage :

Observer le monde d’un œil impartial,

Sans écouter la parole de quiconque,

Surtout lorsqu’il parle à un autre.

 

20/08/2016

Réminiscences

Il est des impressions fugitives qui marquent profondément l’existence, tel un rappel d’une vie passée dont on ne peut saisir ni le lieu, ni le moment, ni non plus les personnages qui sont en jeu. Ces impressions marquent et restent, même si elles n’ont durée qu’un instant.

Un homme se trouve dans la foule au sein d’une fête. Il y assiste sans autre intérêt que de faire plaisir à ses amis et à ceux qui l’accompagnent. Il attend que la cérémonie commence et il regarde autour de lui : chuchotements, couleurs, mouvements, agitations, avant le calme et le recueillement. Ses yeux errent de place en place parce qu’il faut bien regarder quelque chose. Ils ne voient pas. Ce n’est qu’un flou visuel qui ne parvient pas au cerveau, un brouillard d’images qui défilent sans susciter l’attention. S’installe assez loin de lui une famille, de rouge et d’orange vêtue. Il voit la femme, sans appréciation particulière, l’homme, de même, une très jeune fille, vêtue d’une robe couleur corail, et remarque son port de tête et sa silhouette. Il ne sait pourquoi, son regard devient attentif, il ne voit plus qu’elle, radieuse, encore enfant, déjà jeune fille, modeste malgré tout, ne parlant pas, ne bougeant pas, mais possédant une présence irréelle, un feu qu’il est peut-être seul à voir. Il ne peut s’empêcher de l’examiner et lui trouve un air connu, sa silhouette peut-être, son visage aussi. Mais non, son attitude sans doute qui à la fois ne lui rappelle rien, mais qu’il semble connaître presqu’intimement. Elle sourit et ce sourire l’enjôle. Au cours de la cérémonie, il ne peut que la regarder. Elle ne l’a pas vu, pas observé une seule fois. A la sortie non plus. Elle repart avec sa famille, mais il voit son auréole lumineuse dans la foule des convives et son cœur cogne dans sa poitrine, il ne sait pourquoi. Pendant le repas, il l’aperçoit. Elle semble insignifiante, mais elle est revêtue d’une telle présence qu’elle éclaire les personnes qui l’environnent.

Après le repas, une excursion est prévue dans la montagne pour se réveiller, parler, rire, s’épuiser sainement. Elle est là, au pied du massif, toujours vêtue de sa robe corail, grande et menue, pas de réels seins, des tétons pointus, les jambes fluettes et les pieds nus. Elle va marcher sur le chemin de pierres coupantes qui monte vers le sommet les pieds nus et cela ne la gêne pas. Quelle prouesse ! Oui, elle part ainsi, inconsciente, comme si elle était chaussée d’une paire de brodequins la protégeant  des cailloux. Il l’observe du coin de l’œil. Elle marche naturellement, sans parler à personne, ne semblant nullement souffrir de son absence de chaussures. Elle monte, inspirée par la fraîcheur de l’air après l’étouffement de la plaine. Elle respire, regardant la nature, souriante parfois, mais discrètement, et elle s’élève sans peine, semblant flotter sur le sol dont les pierres noires de la lave coupent les semelles des chaussures. Le groupe s’égrène le long du chemin, les premiers sont déjà au deux tiers du chemin, les derniers ne sont pas encore arrivés à la moitié et ils semblent vouloir s’arrêter, épuisés. Elle, superbe, monte sans effort, absente et pourtant d’une présence sans pareille, ne dit mot, ne court pas et flotte sur un tapis roulant. La dernière partie du trajet est difficile, la montée est rude. L’homme navigue entre les racines, montant haut les genoux, se tirant parfois avec une corde destinée à s’aider dans la montée et à se retenir dans la descente. Il est freiné par ceux qui ont du mal à se hisser. Elle est déjà en haut, contemplant le paysage comme si de rien n’était, même pas essoufflée, sereine, majestueuse. Elle avance vers l’autre face de la montagne, là où la pente devient impraticable, se penche, jette un œil sans sourciller, puis retourne auprès des autres. Elle daigne boire un peu d’eau et est déjà prête pour la descente.

Enfin, l’ensemble du groupe se prépare à redescendre. Ce sont les moins aguerris qui se lancent les premiers sachant qu’il leur faudra du temps pour franchir les premiers cent mètres, arrimés à la corde qui empêche de tomber. Derrière, l’homme piétine d’impatience. Quels maladroits, pense-t-il. Il arrive à la barrière de bois dans la clôture qui met fin à la descente vertigineuse. Cinq ou six personnes attendent de pouvoir franchir un échalier d’un mètre. Il décide de passer sous le barbelé, se roule dans l’herbe, se relève et part en courant dans la descente de plusieurs kilomètres. Il ne sait pourquoi il fait cela, une impulsion qu'il n'a pas contrôlée. Il se laisse griser par le vent, la fraîcheur de l’atmosphère, l’absence de bruit. Il prend garde à mettre ses pieds sur les touffes d’herbe et il court vite, se laissant descendre sans précaution, ne regardant que vers le bas, là où les personnes qui ne sont pas montés jusqu’en haut attendent. C’est loin, mais c’est si bon de courir sans but dans une montagne ouverte sur le monde. Il s’arrête à un moment donné pour chercher celle qui est restée en bas et qui l’attend. Est-elle là ou plus bas ? Il voit alors passer la petite jeune fille qui court comme il l’a fait, l’air de rien, sautant de cailloux en cailloux, les pieds nus, ne semblant nullement souffrir. Elle va presque aussi vite que lui, mais avec une légèreté sans pareille, sans bruit, sans un souffle, glissant sur le flanc de la montagne comme une plume au gré des vents. Il l’admire. C’est un elfe qui court près de lui. Il accélère, elle flanche un peu, garde sa vitesse sans s’émouvoir. Il repart et comme il court plus vite qu’elle, il l’a rattrape, la double, la regarde ; elle sourit, ne dit rien et poursuit sa course, sûre d’elle, dans un maintien impeccable, légère et vivace. Une fois en bas, là où se trouvent les voitures, il la voit arriver, rose, comme si elle sortait de son bain, sans une ombre de transpiration et commencer à parler avec un enfant qui attendait là. Rien ne laisse supposer qu’elle vient de descendre à un train d’enfer le flanc de la montagne qui s’étire devant elle.

Le soir, au repas, il se trouve derrière elle par hasard. Il ne peut s’empêcher de lui dire son admiration. Elle sourit sans rien dire, mais partage l’amour de la course, le regarde et ses yeux pétillent d’amusement au-delà de la fracture des générations. Une étincelle se produit, elle tremble, il sent en lui un souffle nouveau, il la connaît, elle l’a également reconnu, ils se sont rencontrés dans une autre vie, laquelle, il ne sait pas, mais ce regard de reconnaissance restera à jamais marqué en lui et probablement en elle. Ce n’est pas de l’amour, non, ce n’est pas même une admiration. C’est un souffle d’humanité qui les a pris et enrobés avant de les laisser repartir chacun de leur côté. Ils se connaissaient sans s’être jamais vus, se sont reconnus dans la course qui a ouvert une parenthèse dans le cours de leur existence, rompant avec l’habitude, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage.

19/08/2016

La mue (17)

– C’est quoi ce but ? dit un autre en équilibre sur un fil téléphonique.

– C’est le bonheur, quoi qu’il arrive dans notre vie. Cette compréhension demande du temps, certes, mais la transformation peut venir en un instant.

Je m’interroge. Comment cette colombe a-t-elle fait pour rallier tous ces oiseaux alors qu’hier j’étais pratiquement seul avec elle. Serait-ce tout simplement qu’elle possède la conviction et que celle-ci entraîne les autres, qu’elle possède la pureté et que celle-ci convainc les autres. Et moi, et moi, que deviens-je dans tout cela ? C’est alors qu’il m’apparaît clairement que je suis directement concerné par ce que proclame la colombe. Je me tiens immobile et médite cette nouvelle vie qui s’ouvre devant moi. Je me sens le cœur léger, l’esprit aventurier. Mes réflexes d’homme moderne ne m’ont pas sauvé du désastre ; inversement, je suis encouragé par cette colombe qui me dit de tout abandonner, ce que je vais faire à partir d’aujourd’hui. Voilà, c’est fait, j’ai oublié mon passé et me tourne vers le présent et l’avenir. Non, je me tourne vers le néant et celui-ci est aimable et grand. Quelle idée ! Et pourtant, c’est vrai, ce vide m’attire et me donne la chair de poule. Adieu ma vie, en route pour la vraie vie.

 La vie n’est ni dans le passé ni dans le futur. Est-elle dans le présent ? Je ne sais pas, car qu’est-ce que le présent ? Est-ce ce que je sens ? Est-ce ce que je ressens ? Est-ce ce que j’ai été : souvenirs, succès, défaites ? Est-ce ce que je veux être et ce que je ne suis pas ? Est-ce mon projet de changement, d’amélioration de ma façon de voir ma vie ? Oui, comment le savoir puisque je suis immergé dans cette salade d’événements et de réactions à ceux-ci ? Ainsi, même le présent m’échappe. Je ne suis ni le passé que j’ai vécu, ni le futur que j’envisage, ni même le présent que je tente de vivre. Ma seule certitude : j’existe puisque je suis ici et qu’il est tel jour et telle heure. Le reste n’est que fumée que l’on prend pour la réalité. La fumée se façonne, prend des formes qui changent sans cesse. Un coup de vent et il n’y a rien de ce que je croyais être. Mais je suis toujours là, vivant malgré moi.

La colombe prend son envol, tournoie autour de moi, plane et se pose à mes côtés. Elle me regarde avec tendresse et fermeté et me dit :

– Toi, Rémi, je connais les événements qui t’ont conduit ici. Je vois tes efforts et ton cheminement intérieur. Tu as, par expérience, compris ce qu’est la vie, la vraie, celle qui est au-delà de ce que nous percevons et ressentons. Dorénavant tu ne t’appelleras plus Rémi, mais Imer. Tu te consolideras toi-même, tu flotteras pour aider les autres et tu connaîtras une nouvelle vie, la vraie, bientôt.

18/08/2016

Destin

Le destin a ses limites.  Qu’est-il ?


L’inéluctable tombe en extase
Rien ne vient tout seul
Il est poussé par son destin
A commettre des crimes abominables
Et pourtant quel doux garçon
Lorsqu’il tenait la main de sa sœur
Et partait à la plage, souriant

Il connut la joie des baisers
La jouissance des unions
La solitude des reclus
La fidélité de certaines femmes

Mais rien de tout cela
Ne lui permit un jour
D’atteindre un réel nirvana

Il louchait vers autrui
Et contemplait leurs possessions
Sans pouvoir détacher son regard
De ce qu’il n’avait pas

Alors, un jour, il fut tenté
De prendre ce qui lui était interdit
Parce qu’appartenant à autrui

L’objet exerçait son envoûtement
Il s’en saisit d’un geste brusque
Fut rejeté par l’autre
Qui chercha à l’en empêcher
Il répondit de la voix, puis du poing

S’ensuivit le méli-mélo
Qui consacra sa victoire
Et la mort du possédant

Non, ce n’est pas de sa faute
Cette envie de possession
Qui le conduit au pire
Dans l’obscurité d’un cachot

©  Loup Francart

17/08/2016

Savoir être vieux

Peu de gens savent être vieux.

(La Rochefoucauld)

 

Oui, c’est vrai, et pourquoi ? Il n’y a pas une réponse, ni même deux, mais une multitude. Pourquoi ? Parce que chaque homme a son histoire secrète et que celle-ci est ce qui conduit à la vieillesse.

Tout d’abord, de nombreux hommes arrivent à un âge avancé sans se savoir vieux. Ils font des projets, poursuivent ce qu’ils ont commencé sans qu’il leur vienne une seconde l’idée d’arrêter. Ce sont des actifs qui poursuivent sur leur lancée leur rêve de vie et n’ont jamais eu l’idée de faire autre chose que ce qu’ils ont toujours fait. Ils le font bien, à leur manière ; mais ne savent faire que cela et s’enlisent dans ce rêve sans comprendre l’’importance d’en sortir. Savent-ils vieillir ? Non, ils ne savent pas ce que vieillir veut dire.

Pourquoi les hommes plus que les femmes ? Parce qu’une femme a la sagesse du corps. Elle a connu l’amour humain sous toutes ses formes : chaste (plus que les hommes en général), fou (éros, matrimonial ou autre), maternel (ce qu’aucun homme ne connaît), familial (storgê, la femme étant la préservatrice de la famille), sociétal (philia en tant que lien social) et souvent, par ce fait, l’amour inconditionnel (Agapè, proche de l’amour divin). Alors une femme sait vieillir, cela lui vient naturellement, au travers des enfants et petits-enfants qu’elle choie comme s’ils étaient ses propres enfants, même s'ils ne lui appartiennent pas.

Inversement un certain  nombre se sentent vieux avant même d’arriver à la vieillesse. Leur phrase favorite : « Comme les vieux… » Ils sont perclus de maux, ne vivent que dans leur passé qui est généralement pauvre et c’est pour cela qu’ils n’ont jamais rêvé le poursuivre à un âge avancé. Ils écoutent leur corps, à la recherche du moindre grincement des bielles et consultent le médecin avec une régularité d’obsédé.

Plus rares sont ceux qui, lorsque la vieillesse arrive, se disent qu’il est temps de changer de vie et de s’intéresser à ce dont leur jeunesse a rêvé ou ce qu’ils ont entrevu à ce moment sans avoir eu le temps de l’approfondir. Ils se découvrent un hobby qui les maintient en activité jusqu’à un âge avancé. Il peut être futile ou tout ce qu’il y a de plus sérieux. Il peut être exercé en amateur, mais aussi en professionnel et conduire à une nouvelle carrière. Mais si c’est le cas, ils se classent alors dans la catégorie des gens qui deviennent vieux sans le savoir.

On trouve aussi des gens, plus rares il est vrai, qui ont passé leur vie à s’exercer à de nouvelles approches de la vie, passant d’un métier gagne-pain à un métier hobby sans jamais se fixer, dévoreurs d’activités sans pouvoir choisir ou échouant à chaque nouvelle proposition apportée par le destin. Ce sont des indécis, des girouettes et ils aiment cette incertitude de l’avenir comme étant une ouverture permanente sur la vie et les autres. Ce peut être également de gens qui ne savent se fixer et qui en sont extrêmement malheureux, même s’ils ne le disent pas.

Enfin, il y a des personnes qui choisissent une activité (et pas forcément un métier), qui l’exercent à fond, puis choisissent de changer parce qu’ils en ont fait le tour et n’ont plus rien à apprendre. Ils exerceront ainsi trois ou quatre passions, voire plus, et sauront le moment venu en changer avant d’en être totalement lassés. Malheureusement, ceux-là ne savent pas non plus vieillir. Ils sont comme les premiers, dévorés par l’activisme.

Alors, effectivement, peu de gens savent vieillir, donc être vieux. Ils se retrouvent vieux, dans la peau d’un autre, mal à l’aise et amoindri par cette infirmité plus psychologique que physique, sans savoir se comporter comme leur âge le laisse supposer. Généralement, leurs défauts s’accentuent, leurs qualités s’amenuisent, mais aucun fait nouveau ne vient modifier leur façon d’être.

Mais au fond, qu’est-ce qu’être vieux ?

C’est avoir découvert ce qu'on a toujours pressenti au fond de soi-même, cette essence de l’homme derrière l’existence, l’invisible derrière le visible et le donner aux autres à travers ce qu’on fait, crée, produit, engendre, pense. Et c’est un secret différent pour chacun de nous qu’il nous faut découvrir et cultiver pour le partager.

16/08/2016

La mue (16)

Que répondre à cette déclaration ? L’ai-je d’ailleurs bien comprise ? Cette colombe est assurément plus qu’un simple pigeon ou une vulgaire tourterelle. Alors je m’efforce de la voir sous un autre jour. Mes yeux s’ouvrent, mon cœur éclate, ma rationalité cède et je découvre l’amour. Cette simple créature devient un être à part entière, plus qu’un humain, au-delà de son apparence physique au demeurant charmante.

– Va mon frère. Tu en as assez appris aujourd’hui. Médite ces paroles et revient demain.

J’obéis et plonge dans le vide céleste apparu devant moi et qui me porte d’espérance. Je suis léger, détendu et plein d’énergie. La vie s’ouvre et devient nouvelle. Je la découvre et le monde devient autre.

Je me dirige vers mon appartement. Où irai-je autrement ? Elle est là, je vois son ombre dans la cuisine. Je m’approche de la fenêtre. Ah, elle n’est pas seule. Ça y est, il est adopté. Ça n’a pas duré longtemps. Mais, ayant maintenant un peu de recul, je constate que j’ai fait de même plusieurs mois auparavant. Alors, pourquoi reprocher à cet homme ce que j’ai fait moi-même ? Sur le rebord de la fenêtre, je médite : j’ai reçu Joséphine en cadeau du ciel, il l’a reçoit en cadeau, quoi de plus normal. Joséphine est-elle coupable. Non, ce sont les circonstances qui l’ont conduite à cette attitude. Ma disparition de sa vie est logique et correspond à ce que recherchent les autorités. Alors, laissons-les, éloignons-nous et parcourons le monde pour y trouver la paix. Hum, plus facile à dire qu’à faire. Je m’installe non loin de là. Je ne suis pas encore suffisamment libre pour m’éloigner sans un regard.

Ce matin, je m’installe tôt sur le toit de l’église. Je ne veux pas rater la venue de la colombe. Elle n’est pas encore là. Mais je remarque plusieurs races d’oiseaux qui sont là. D’ordinaire, ils ne se côtoient pas. Aujourd’hui cela ne les gêne pas, chacun pépie dans son propre langage, le front haut, la plume légère. Tous semblent attendre. Attendraient-ils la colombe ?

Celle-ci apparaît, un brin d’olivier dans le bec, semblable à son image. Elle la dépose à ses pieds, regarde les oiseaux présents, les salue de la tête et leur parle dans leur cœur :

– Chers amis, je suis heureuse de vous retrouver. Cela prouve que vous avez médité mes paroles et que vous avez commencé à vous transformer. Je ne vous demande pas une métamorphose. Non, une simple mue. Restez ce que le créateur a fait de vous, chacun unique et possédant sa vocation propre. Mais transformez votre cœur, réveillez votre intelligence, ouvrez votre âme à la vie et celle-ci deviendra enrichissante et multiple. Ne vous souciez pas de ce que vous allez devenir, vivez que diable, sans aucune arrière-pensée. Soyez dans l’instant, là où vous êtes, sans penser à un autre temps ou un autre lieu. Faites le vide en vous et l’univers vous pénètrera. Vous vous unirez à lui ; vous ne serez plus, vous vivrez.

– Mais il faut du temps pour arriver à une telle chose, objecta quelqu’un.

– Non, il faut que vous soyez possédés par le sentiment de l’urgence : urgence à vivre la vraie vie, urgence à aider les autres à découvrir ce que j’avais découvert, urgence à transformer le monde par l’amour qui peut tout. Savoir qu’au bout du chemin existe la mort et ne rien faire jusque-là, c’est gâcher sa vie et celle des autres par absence d’attention. Néanmoins, je concède que le temps est indispensable pour parvenir au but.

15/08/2016

15 août

En cette fête du 15 août, chantons Marie sur le 1er ton grégorien :

Réjouis-toi Marie 1.jpg

14/08/2016

Tableau

Préparer un tableau en relief n'est une mince affaire. Il convient de s'y prendre en avance sur la livraison, car long est le chemin à parcourir avant de le voir s'épanouir.

Le projet est le plus simple : quelques carrés ou rectangles sur une feuille blanche ou moirée, disposés artistiquement dans un ordre-désordre indescriptible, mais convenu.

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 Puis, le dessin et la découpe dans une planche en conservant la ligne droite malgré les dérapages de la scie.

Peindre chaque morceau de cette couleur indéfinie, à la fois dure et tendre, qui rappelle les vins capiteux de Bourgogne.

Enfin, les coller avec adresse sur le fond après avoir reporté l'emplacement avec l'exactitude de l'horloge-parlante.

Je vous ferai signe lorsqu'il sera fini...

13/08/2016

La mue (15)

Je suis présentement perché sur le toit de l’église, au soleil. Le clocher est haut ; il domine la ville et cela m’enchante. Je me sens élevé, plus spirituel, moins préoccupé de mes problèmes quotidiens. Je m’interroge sur ma vie. Qu’a-t-elle été jusqu’à maintenant ? Une succession d’événements, des joies et des peines, des gens à côtoyer ou à rejeter. Rien qui ne m’incline à réfléchir sur ce que j’ai fait ou même ce que je vais faire. Je ressens un grand vide lorsque je me penche sur tout cela, un vide un peu écœurant, très différent de ce que j’imaginais à vingt ans. J’avais alors la flamme de la jeunesse, le rêve des entrepreneurs, la richesse du début de l’existence, la tendresse envers ceux qui partageaient avec moi ces moments privilégiés d’un avenir non encore décidé. Je dévorais la vie à pleines dents et n’avais pas besoin de dentiste. Cela a changé depuis. Les émotions se sont tassées, les sensations se sont amoindries, les sentiments ont évolué, mon approche rationnelle des événements s’est même modifiée. L’infini n’est plus ouvert, il se referme peu à peu, surtout ces derniers temps. Il est même tellement fermé que je me demande ce que je fais sur terre. Prisonnier d’une cage ou libre de mourir seul, quel choix ridicule et malsain.

– Mon ami, pourquoi te rends-tu malade comme cela ? me dit tout à coup une voix dans ma tête.

Je sais bien que je ne me parle pas à moi-même. Alors, qui est-ce ? Je regarde autour de moi. A côté, sur le même toit, je vois une colombe qui me regarde. Elle est arrivée sans bruit et s’est posée là, comme pour converser avec moi. Elle parle comme vous et moi alors que je ne comprends rien aux pépiements des autres oiseaux. Mieux même, elle me parle directement dans ma tête sans avoir besoin de la voix, organe naturel de la parole.

– Croyez-vous ma situation enviable ?

– Ce ne sont pas les situations qui comptent, mais la façon dont on les vit.

– …

– D’ici tu vois toute la ville, tu devines les peines et les joies selon les circonstances, mais tu sais intimement que ce n’est pas ça l’important. Ce qui compte, c’est ce que l’on fait de ce qui nous arrive. Fabrique-t-on du miel ou du fiel ? Et tu sais qu’il n’appartient qu’à toi de choisir, même si tu ne penses qu’à toi pour l’instant.

– Mais qui êtes-vous, vous qui me parlez ?

– Je ne suis qu’un simple pigeon. Ma seule liberté tient à l’amour. Celui-ci est tout puissant et universel. Je vole sur le monde sans m’attacher à ce qui se passe, mais à ce qui est vécu. Je ne connais que l’intérieur de l’homme et le laisse se saisir des situations. Il apprend dans l’expérience, il saisit dans la science, il comprendre dans la conscience et enseigne l’obédience aux intuitions de l’âme.

12/08/2016

Profil

Encore un jour, toujours je te regarde
Et te contemple, frêle et magnifique
Un profil si visible en ma mémoire
Dont au fil des années je déroule l’espace.

Je possède un coin de souvenirs réservés,
Un château dans la lande et des rires envolés
Dont j’ouvre les fenêtres pour une veillée
Devant ce profil qui fit longtemps rêver.

Je te revois ce premier jour, enluminée,
Tête haute et seins fermes, apprivoisée,
Ne sachant que tu allais devenir mienne.

Devant ce même profil les années ont passé
Et ce dessin chéri est un rêve comblé,
Un paradis dont tu es la gardienne.

©  Loup Francart

11/08/2016

photos

Quelques photos originales qui envoient une pincée de sourires au monde :

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Oui, ce sont des photos de vacances...

10/08/2016

La mue (14)

Je me réveille. Je n’entends rien, ils doivent dormir. Ah, voici Joséphine. J’entends ses pieds nus sur le plancher. Elle va se faire un café à la cuisine. Elle passe devant ma cage. Je suis toujours sous le voile. Je pépie. Mais rien n’y fait. Elle fait semblant de ne pas entendre. Elle vit sa vie sans s’occuper de mon sort. Que vais-je devenir ? Je ressens l’angoisse des relégués, de l’employé que son patron cherche à virer, du sportif moins performant qui ne convient plus à son entraîneur, de l’amant évincé, de l’enfant sans parents. C’est dur cette vie inutile qui n’intéresse personne. Je pleure doucement derrière mon voile, hoquetant de petits gazouillis. J’entends l’homme se préparer à partir. Pourvu qu’elle ne parte pas avec lui. Non, la porte claque et je l’entends marcher. Elle vient vers moi, retire le voile, me regarde sans animosité, mais sans amour. Je suis devenu un meuble de plus dans l’appartement qu’elle a adopté alors qu’il m’appartient. C’est sans doute pour cela qu’elle ne me met pas à la porte. Elle n’ose pas. Je vois son œil noir. J’ai bien envie de me jeter dessus avec le bec et de le crever. Mais je ne bouge pas. Que se passerait-il si elle me mettait à la porte ?

Nous sommes mardi. La femme de ménage arrive après le départ de Joséphine. Elle aussi a pris l’habitude de recouvrir la cage du voile opaque. Elle peut fouiller dans nos affaires sans vergogne, personne ne la verra. Je l’entends farfouiller dans le secrétaire, là où je mets mes papiers. Que peut-elle bien faire ? Je l’entends ouvrir grand les fenêtres. Tout à coup, j’ai envie de promenades. J’ouvre la cage sans qu’elle me voie, je me glisse sous le voile, jette un œil et comme elle se trouve dans une autre pièce, je m’envole par la fenêtre. Enfin, de l’air frais et un peu de liberté ! C’est agréable de virevolter dans le soleil du matin, d’aller dans toutes les directions, de se poser sur une branche ou un toit et de rêver devant l’étendue de la ville et le nombre de buildings.

09/08/2016

Fidélité

Un cœur a sauté dans l’arène

Le sang est d’or

Et le sable d’argent

Le sang tache le sable

Et le sable boit le sang

C’est la fidélité

Mais le vermeil du sang s’est craquelé

Le soleil luit si bas sur nos têtes

Et le vent a emporté le sang

Qui s’accroche aux derniers grains de sable

La nuit, le silence et la lune

Hante cette marée noire

Le lendemain

D’une corrida

Sans mort

©  Loup Francart

08/08/2016

Maxime

 

Avant de voir de l’insolence dans la conduite d’autrui,

Vérifie donc s’il ne s’agit pas de timidité.

 

07/08/2016

La mue (13)

Aujourd’hui, il est huit heures du soir. Je perçois la clé dans la serrure. La porte se referme. J’entends parler Joséphine. Je ne sais ce qu’elle dit, mais une voix d’homme lui répond, assez grave et douce. Puis j’entends « Chut ! » Elle vient vers moi, seule et l’air de rien. Elle prend le voile opaque et le met sur la cage. Je ne vois plus et entends très mal, d’autant plus qu’elle met une symphonie de Beethoven assez fort, la 3e dite héroïque, si vivante qu’elle me fit dresser les plumes sur le corps et plus particulièrement mon aigrette qui se tient raide comme un balai. J’ai beau tendre l’oreille, je ne comprends pas ce qu’ils se disent. J’ai beau faire du bruit, agiter mes ailes, cogner mon bec sur les barreaux, rien n’y fait. Je ne suis plus là pour elle et elle m’ignore totalement.

Après leur diner, il semble s’incruster. La musique devient douce et moderne. Un chanteur noir remplace le classique. Oui, ce n’est pas mal, mais que font-ils ? Je n’entends plus rien, sauf quelques soupirs de temps à autre. Je comprends que j’ai définitivement perdu l’amour de Joséphine ou, au moins, que je suis remplacé comme prétendant. Cela me fit une drôle d’impression. C’était une deuxième rupture, presque plus pénible que celle de la mue. Joséphine, que fais-tu ? Je me souvins des nuits passées à nous raconter nos vies respectives, à nous caresser doucement, à échanger nos salives dans des baisers de feu, à explorer nos corps et à les rapprocher. Elle avait un grain de peau très doux, elle savait m’embrasser avec fougue, passer ses doigts sur mon dos pour le faire frémir. Je lui prenais la tête et baisais son cou qui sentait le caramel. Je lui imprimais mes mains sur ses seins et parfois m’aventurais plus bas. Et tout cela n’est plus. Je suis remplacé par un inconnu qui peut faire la même chose, sans vergogne. Non, je ne chanterai pas pour protester, je resterai silencieux. Je finis par m’endormir, blotti sur mon nid douillet.

 

06/08/2016

Nuit, toujours

La nuit te prend parfois, au creux de ton sommeil, et te renvoie à ton image dans le brouillard des jours lorsque l’éveil succède au rêve sans transition, comme le passage d’un métro qui ne t’est pas destiné. Alors tu descends sans bruit vers la cuisine, ce refuge de tes nuits discrètes où ton cœur chavire de bonheur d’être seul éveillé dans un village où tous dorment d’un sommeil lourd et chargé d’ignorance. Et cette descente vers le paradis, marche après marche, t’encourage dans ta décision de t’éveiller et de laisser aller ton inconscient à de longues phrases sans fin qui, comme une robe de mariée, déroule sa traîne de quart d’heure en quart d’heure, jusqu’à ne plus distinguer le moment où tu es descendu et celui où tu remontes, déjà rassasié de ce temps qui s’écoule sans raison, par inadvertance, telle une bouteille à la cave qui a perdu inopinément son bouchon, va-t’en savoir pourquoi.

Tu t’installes dans cette attitude particulière aux nuits où tu te sais seul point de réflexion, petite marmite où bouillonnent les idées alors que tous ont mis au frigidaire leurs soucis, leurs joies, leurs espérances et que tous encore ont capitulé devant l’inanité de la vie et fermé leurs cœur et leur intelligence ou même leur âme à l’attrait d’un désert où l’on erre sans relâche jusqu’à ne plus savoir si l’on va s’en sortir. Tu bois ton café qui a filtré pendant tes réflexions entrecoupées de regards vers la machine dans l’attente d’un réchauffement du corps en parallèle à la tiédeur de l’esprit qui s’installe en toi. Le breuvage aussitôt filtré, tu as empli ton bol, jeté un nuage de lait dans le liquide noir pour qu’il prenne l’expression d’une métisse rondouillarde qui enchante le palais et tu t’es lancé dans cette divine inconnaissance qui guette tout homme à trois heures du matin, éveillé mais plein de songes qui, pour autant qu’ils te semblent, feront ton délice d’une nuit. L’œil vague, la main reposant sur la table, l’autre tenant ton bol à hauteur de ton visage, tu laisses errer ta conscience sans savoir où elle s’échappe, comme ces souris que tu vois apparaître parfois entre la cuisinière et tes pieds, ombres vivaces qui te font prendre conscience de ta vanité d’humain. Alors un sourire discret se dessine sur ton visage, car tu te vois enfant réveillé à la même heure et perdu dans une cuisine autre, terrifié mais fier d’être debout pendant que tous dorment encore.

Puis, tu montes enfouir ta personne dans un bureau devenu ton refuge, loin des cris et des pleurs d’enfants que tes propres enfants ont eux-mêmes engendrés, et tu entres dans ce monde imaginaire auquel tu te livres entièrement, dans lequel tu te baignes et t’immerges avec une délectation que tu ne soupçonnais quelques minutes auparavant. Là, devant ton ordinateur et tes méninges, tu laisses filer les mots qui sortent en chapelet et les rattrapes dans un filet à papillons qui laisse parfois filtrer des paroles doucereuses ou malveillantes mais toujours apaisées par l’ouate de l’obscurité.

Enfin, viens le moment où, ayant déversé une littérature sauvage sur l’écran sans savoir ce que tu veux en faire, tu es las et à nouveau le corps cède au sommeil qui te gagne, tu sens la pesanteur des petits matins, avant l’aurore, et te laisse gagner par un engourdissement dans lequel tu te sens bien. Il est temps de fermer ta machine, d’arrêter de mouliner ces flots de paroles vaines, même si par acquit de conscience, tu relis une nouvelle fois ce que ton jus à produit, sans toutefois avoir la lucidité pour corriger quelques fautes d’orthographe ou de style qui resteront jusqu’à la prochaine lecture, demain ou un autre jour, ou même jamais comme cela t’arrive bien souvent.

Tu éteins la lumière, te glisses en catimini dans la chambre conjugale, entres sans bruit entre les draps maintenus frais par une fenêtre ouverte été comme hiver pour laisser entrer les secrets du monde invisible qui enchanteront tes rêves lorsque le soleil se sera montré. Et chaque jour, la journée commencera en pensant à une nuit de bonheur où tu sentis en toi l’infini travailler et te tendre la main.

05/08/2016

La mue (12)

Je sors avant qu’elle n’ait le temps de refermer. Oui, je la connais Joséphine, elle est juste un peu lente. Non, cela ne se voit pas, mais c’est suffisant pour me permettre, moi qui la connais, de me glisser dehors. Elle est furieuse, mais n’ose encore pas le montrer. Elle m’appelle :

– Rémi, comment vas-tu ? Comme tu le vois, je t’ai préparé ton diner. Tu ne veux pas le prendre ?

Je fais non de la tête et lui pépie mes conditions. Je dois pouvoir ouvrir la cage quand je le veux. Elle doit me montrer comment je peux ouvrir. Elle fait semblant de ne pas comprendre. Mais devant mon insistance, elle finit par céder. Elle me montre comment je peux ouvrir. C’est simple. Mais a-t-elle le pouvoir de bloquer le système. Oui, je le vois bien. Alors, je me jette sur sa tête et lui cogne deux fois celle-ci avec mon bec. Elle comprend et supprime sa possibilité. Je suis maintenant libre comme je le veux, tout en étant protégé par Joséphine. Que demander de mieux ?

Nous avons chacun pris notre indépendance tout en nous respectant mutuellement. Je prends garde de ne pas faire trop de bruit le matin alors que je suis réveillé tôt. Elle m’apporte chaque jour mes repas avec assiduité. Elle écoute parfois de la musique. Heureusement, elle a de l’oreille et du goût et ne consomme que de la musique classique. J’aime, particulièrement depuis que j’ai mué, la musique de Janequin (Le Chant des Oiseaux) ou Joseph Haydn avec La Poule. Elle me fait plaisir à petits prix et je peux m’exercer à triller tant et plus. Pendant la journée, j’ouvre la cage et je me promène dans l’appartement. Je dois faire attention de ne pas me laisser aller. Il y a deux jours, j’ai lâché une crotte au cours de mes vols et Joséphine était furieuse. Elle m’a recouvert d’un voile opaque pendant la journée et je n’ai rien pu faire. En rentrant le soir, elle m’a dit :

 – J’espère que tu as compris. Sinon je serai obligé de t’enfermer définitivement.

Je me suis mis en posture de soumission sur le nid et elle a paru rassurée.

04/08/2016

La chambre verte

Dans ce jardin immense où piaillent les enfants,
On trouve une petite chambre dissimulée
Sous des arbres menteurs et bien vêtus
Qui cachent un paradis de douceur ignoré.

Il faut s’enfoncer sans peur
Dans cette noire épaisseur
Que borde le soleil
Sans jamais la pénétrer.

S’ouvre alors devant vous,
Après un instant prolongé
D’obscure ambiance moite,
L’écoulement des eaux.

Elle franchit ses bassins
En roucoulant de joie,
Glougloutant sauvagement
Et pressée d’en finir.

L’architecte des liquides
Sournoisement a conçu
Un cheminement tortueux
Bordé d’arrêts obligés.

Et là vous méditez
Dans ce concert ailé
Sur le temps qui passe
Et l’espace qui s’enroule.

Cette chambre en plein air
Est le refuge des bien-portants
Qui y viennent ruminer
Leurs erreurs pardonnées
Et leurs espoirs d’un devenir meilleur.

©  Loup Francart

03/08/2016

Jean-Emile Charon

Un homme qui a été à l’encontre de tous les préjugés dans le monde des physiciens en parlant de conscience ou d’esprit logé au cœur même de la matière. Il explora la frontière entre le vivant et le non-vivant et conclut qu’elle n’existait pas. L’esprit et la matière représentent les deux faces d’une même réalité, laquelle commence au Big Bang et naît dans les plus petites particules, les électrons. L’électron, partie matérielle de la particule, serait donc pensant et sa partie pensante, il l’appelle éon.

"On ne peut plus être aujourd'hui un "physiciste" (mot dérivé du mot américain "physicist" : physicien) pur, qui ne s'intéresse qu'aux propriétés de la matière, qui renonce à parler de la conscience, de l'esprit, en espérant, contre tout espoir, qu'un jour l'esprit sera réduit aux seules lois physiques", explique Raymond Ruyer dans la revue Question de janvier-février 1978.

Pour Jean Charon, l’électron est un univers en soi. Comme l’univers qui lui-même comme l’homme pense, l’électron possède une capacité de penser son environnement, il reçoit des informations du monde observable (la connaissance), il échange ces informations avec les autres électrons (l’amour, c’est le terme choisi par Jean Charon), il interprète des informations (réflexion) et enfin il agit (acte). Cet ensemble d’activités n’est possible que grâce à la lumière contenue enroulée dans l’électron qui inverse le mouvement naturel du monde matériel à l’entropie et crée la néguentropie (accroissement permanent du niveau de psychisme). Les éons conservent la totalité des informations qu’ils emmagasinent et créent sans cesse des configurations plus ordonnées. C’est donc la combinaison, chez l’homme, des éons intemporels et de nos neurones temporaires qui permettent la conscience.

Jean-E. Charon part d’une analyse des « trous noirs », sujet n° 1 de l’astrophysique actuelle :

« Le trou noir est ce qui va rester d’une étoile qui vieillit, qui a brûlé son oxygène, puis son hélium, qui commence par éclater, puis qui se contracte de plus en plus sous l’effet des forces gravitationnelles au point que la densité de sa matière devient de l’ordre de la matière dans un neutron.

Brusquement la contraction devient si forte, qu’il se produit un phénomène curieux: l’étoile courbe l’espace de l’univers.

En quelque sorte l’étoile « crève » l’espace-temps de la Matière pour « naître » dans un nouvel espace-temps qui lui est propre, et dont les caractéristiques très différentes de celles de notre espace-temps permettent d’être appelées les caractéristiques d’un espace-temps de l’Esprit ».

Pour une meilleure compréhension de l’auditoire, Jean Charon compare l’univers à un ballon rouge. La peau du ballon se courbe et forme une petite protubérance.

« Un nouvel espace a été formé. La protubérance a un seul point de contact avec la peau du ballon. C’est un espace séparé du reste et pourtant encore relié au ballon. »

… « Le trou noir est comme extirpé de notre univers.

Il forme un espace à lui dans lequel le temps est retourné. Au lieu en effet qu’il s’écoule comme dans notre univers, ce qui a pour conséquence l’entropie croissante, il est inverse, et il y a néguentropie.

1) Les choses vont aller toujours en se mémorisant davantage et à jamais.

2) Parvenue au trou noir, l’information ne se fera pas n’importe comment mais en se structurant dans l’espace, s’ordonnant et devenant de plus en plus consciente ».

Pour l’auteur, l’électron serait un micro-trou noir, emmagasinant les informations et les pensant pour agir depuis que le Big-bang a eu lieu.

Mais pour la plupart des physiciens, jean Charon est un vieux fou dont les idées sont à hurler de rire.

Ne peut-on laisser errer son imagination aux frontières de l’inconnu ?

02/08/2016

La mue (11)

Je lui explique par un vol imagé ma promenade dans la ville. Évidemment, je ne lui dis pas que je l’ai suivi ce matin. Elle fait semblant de comprendre, sourit et me prends dans ses mains. Comme c’est bon, presque autant que l’amour. Elle me fait entrer dans l’appartement, m’ouvre la cage qu’elle a achetée en prévision de ce qui s’est passé. Elle y a installé un petit nid douillet, un réservoir plein d’eau et un bac à graines qui est déjà rempli. Quel luxe. Lorsque j’ai fini, je mets mon bec au creux de la commissure de ses lèvres. Elle me prend, me dépose dans la cage et… elle referme. Je suis prisonnier. Je proteste doucement, puis un peu plus énergiquement en tapant du bec sur les barreaux. Mais rien n’y fait. Elle m’a déjà tourné le dos et se prépare son diner, un délicieux plat de pâte avec une sauce tomate italienne que je connais bien. Il ne me reste à moi que les graines et quelques gouttes d’eau. Je pépie, je pousse de petits cris, je piaille. Rien n’y fait. Je reste seul. Oublié Rémi. Il ne compte plus. Ce n’est qu’un oiseau de compagnie à qui l’on donne quelques graines pour qu’il vous enchante les oreilles.

Je rumine, je rumine. Il faut que j’apprenne à ouvrir cette cage, sinon je vais devenir fou. Je dois faire attention quand elle viendra remettre de l’eau ou des graines. Quand je pense qu’auparavant c’est moi qui allais faire les courses ! Joséphine, que se passe-t-il ? Tu as toujours été tendre avec moi. Tu m’attendais le soir dans le lit et tu l’ouvrais à mon arrivée. Je me jetais dans tes bras et nous partions ensemble au septième ciel. Quelle froideur tout d’un coup. Je ne comprends pas. Que s’est-il passé ? Oui, c’est vrai, j’ai un peu changé, mais je suis toujours Rémi, ton amant, ton petit ami, ton compagnon, ton presque mari. Alors ?

Rien. Elle m’ignore. Je n’existe plus, ma parole. Vite, mangeons toutes les graines, qu’elle soit obligée de les remplacer. De même pour l’eau. Un quart d’heure après, je m’installe dans mon nid, le ventre lourd, la démarche peu assurée. Oui, j’ai trop mangé. Mais c’est pour la bonne cause. J’attends. Le soir est tombé. Elle a allumé la lampe au plafond. Elle est trop puissante et m’aveugle quelque peu. Peu importe. J’attends. Je l’entends entrer dans la salle de bain. Elle ne ferme plus la porte. Elle chantonne, revient dans la chambre, retourne se regarder dans la glace et, tout d’un coup, réapparaît nue, tranquille, comme si elle était seule. Elle passe sa main sous les bras : non cela peut attendre, je me raserai dans deux ou trois jours, semble-t-elle se dire. Enfin, elle vient vers la cage, constate le  manque de nourriture et d’eau, va à la cuisine et ouvre la cage pour y glisser les deux contenus.