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24/02/2017

Le désir

Le désir est un compagnon encombrant.
Lorsqu’il est là, il prend toute la place.
S’il vous arrive de constater son absence,
Il accourt aussitôt sans aucune gêne.
Il ne vous laisse aucun répit
Et vous taraude sans cesse, insatiable.
Insidieux et libertaire, il exerce sa férule
Sans avoir l’air de rien, en toute quiétude.
Il vous faut attention et tromperie
Pour le renvoyer loin de vous.
Vous le chassez par la porte,
Il revient par la fenêtre, même close.

Le désir est un compagnon encombrant,
Comme un vernis qui vous recouvre
Et qui attire toute poussière de l’esprit.
Vous basculez du septième ciel
Au fin fond de l’enfer sans le savoir.
Il est déjà trop tard… Vous êtes pris…
Englué dans ce rappel permanent
D’exigences actives et incontrôlées
Qui surgit à l’horizon des pensées
Et finit en actions à vos côtés,
Vous basculez sans y pouvoir
Et perdez votre savoir-être,
Car il court à fleur de peau
Et vous submerge à tel point
Que vous n’êtes plus vous-même,
Mais l’être inconnu qui se prétend moi
Et qui n’est qu’un sosie malodorant.

Le désir est un compagnon encombrant.
La fuite n’est qu’une mascarade
Qui conduit à l’abdication.
L’acceptation de sa présence
Fait de vous un fantôme vivant.

 ©  Loup Francart

19/02/2017

Abstraction

L’aurore est abstraction.
Tout d’abord, noir et blanc.
Un point tout court, faible,
Grandit dans l’espoir du jour,
Puis dessine une à une les formes
À grands traits d’obscurité,
Diffusant la lueur entre elles
Plutôt que sur elles, si frêles.
Enfin se distingue chaque ensemble,
L’arrondi des buis dans leur bac,
L’aplat de la pelouse qui s’échappe
Hors de la vue palpable,
Le miroir de l’eau qui s’étire
En fils d’argent revêches.
Plus loin encore, hors du tangible,
La goutte de conscience s’élargit,
Se manifeste avec une étonnante douceur
Pour s’emparer, avide, du paysage
Qui apparaît alors, nu et neuf,
En ce nouveau jour, comme un poussin
Qui casse sa coquille et découvre
La splendeur renouvelée de la création.

 ©  Loup Francart

12/02/2017

Fin

Je n’ai plus l’éternité devant moi
La fin approche à grands pas
Elle ouvre sa gueule béante
Et fait ses yeux enjôleurs

Je ne veux pas me laisser faire !
Mais comment lutter sérieusement
Contre le lot de tout un chacun

Certes, il me reste de nombreux jours
Et autant de nuits solitaires
Où je pourrai encore dire
Tout ce qui me vient à l’esprit

Mais je sens la mélasse venir
Ma course se ralentit
Elle tourne autour du pot
Et souvent ma pensée
S’ouvre à d’autres horizons
Là où il n’y a plus de différences
Entre le réel et l’imaginaire

Et ce vide immense, sans fin
Couvre de son ombre velue
Les désirs qui s’échappent

Partez au loin, je vous rattraperai
Mes petits moineaux chauds
Et nous irons nous perdre
Dans l’obscurité et la froideur
D’une nouvelle vie, inconnue
Dont on ne sait rien
Mais dont on espère tout

Oui, l’éternité est morte
Il faut se dépêcher de remplir
Ce pour quoi nous avons été créés
Différent pour chaque homme

Maintenant que j’ai découvert
L’absolue solitude, tranchante
Qu’entraîne cette exigence
Je couvre d’écritures et d’interjections
Les pages blanches et vierges
Qui sont devenues
Ma robe de marié
Pour l’éternité

 ©  Loup Francart

11/02/2017

Féminin

Toute femme est un mystère fragile
Qu’il convient de découvrir et choyer
Modeste, elle s’annonce faite d’argile
Mais pour la vie ne cesse de guerroyer

Serais-tu la beauté profonde et tendre
Ou l’innocence invaincue et pudique ?
Peux-tu te laisser couvrir de cendres
Ou te vêtir de pouvoirs encyclopédiques ?

Toi, toujours présente et impitoyable
Dans mes rêves devenue impalpable
Nuage hypothétique poussé par les vents

Comment t’octroyer une réelle consistance
Alors que nos corps pleins d’inconstance
Ne rêvent que de solides adjuvants

  ©  Loup Francart

06/02/2017

Massacres

Dans la densité de l’herbe et des pierres
Ils marchaient sans un souffle
Silencieux, éperdus, mais tenaces
Tendus vers leur mission osée :
Où se cache l’adversaire inconnu ?

Tout à coup, au cœur de la nuit
Retentirent les coups de feu
L’agitation de batteries de cuisine
Dans l’arrière pièce sans fenêtres
Les lueurs secouaient l’horizon
Éclats de terreur fragilisée
Explosions éperdues et prolongées
Cris des blessés, femmes et enfants
Rage des hommes sur fond de haine
L’éclair des lames sorties du fourreau
Les émanations fumantes de la peur
Encombraient la vision d’un voile noir

Et tout ceci paraissait à mille lieux
Des pensées silencieuses de ces hommes
Derrière les jumelles fixant cette folie
Partis rechercher les démons odieux

Ils revinrent le visage gris
Sans un mot ni un soupir
Blêmes, l’horreur plein la bouche
L’œil hagard, les mains tremblantes
Ils vomirent plus qu’ils ne pouvaient
La tête résonnant de bestialité
Les pas scandant le rejet du vécu
Cherchant en vain la consolation
Et ne trouvant que la mémoire
Brute, sèche, rougie du sang
De victimes innocentes et inconnues
Qui moururent ce jour-là, seules
Face au déchaînement de l’exécration
Des hommes entre eux, contre eux
Pour eux, avec eux, ou même sans eux
Seules contre la marée humaine
D’une malédiction millénaire
Sans un regard pour l’être humain
Qu’ils assassinent sciemment

Et Dieu, pendant ce temps,
Se cache derrière le rideau du temps
Pour pleurer les innocents

Quand donc cesseront ces massacres ?

 ©  Loup Francart

01/02/2017

Espace

Les bords froissés de la fenêtre
Tracent leurs courbes dans l’espace

Ils réveillent en chacun le parfum
Des matins d’automne endoloris
Quand l’haleine glacée de l’océan
Se glisse sous votre dos et chante
La fin de l’extase dans la nuit

Dorénavant, l’ombre des caresses
Accompagne le héros qui sort
Vêtu de gris, sans entrain
Pour se laisser mourir gentiment
Dans l’air diaphane de l’aube
Quand apparaissent les premiers rayons

La nuit n’est pas le jour
Le matin n’est pas le soir
La lumière n’est pas l’obscurité
Il y a une ambiance délétère
Sans pouvoir sur l’artiste
Qui se noie dans la brume
Et s’estompe le jour

Mais pendant ce temps
Se déploie la rencontre
Sur le fil de la volonté
Entre l’existence et l’essence
Là où rien ne vient maquiller
La franchise de l’être

Nous ne sommes plus
Seul vit en moi et en toi
Ce gouffre inimaginable
Qui nous fait plonger
Dans l’inconnu chaleureux
D’absence d’être…    

 

 ©  Loup Francart

28/01/2017

Usine

 

Usine, le même geste,
la même cadence, répétée mille fois.


N’être plus qu’un bras de levier,
que le prolongement d’une machine.


Le temps est déchiqueté...

 

20/01/2017

Le bateau ivre, poème de Rimbaud, dit par Laurent Terzieff

https://www.youtube.com/watch?v=_TwHq8XCX2s&feature=share 


Laissons-nous bercer par ce poème magnifique et ses divers interprètes. La poésie déborde de l’espace de vie et fait monter en nous les odeurs de l’infini. Alors, l’homme devient plus humain et s’ouvre au vide qui nous apprend plus que tout ce que nous pourrons apprendre.

11/01/2017

Retrait

Il s’est retiré du monde en un instant
Une respiration, une plongée en soi
Et le voilà parti en d’autres cieux
Dans son ballon de lumière invisible
Qui claironne son absence à tous
La frontière est variable selon l’heure
La nuit est plus propice à cette évasion
Un trou dans la gorge et l’air revisité
Qui ouvre une brèche béante
Dans un moi qui ne s’avoue pas
C’est imperceptible et tendre
Comme une coulée de neige
Sans bruit, il se tourne au-dedans
Et s’ouvre à l’invisible palpable
Cela ne dure pas, mais quel bonheur
Comme un gant de velours
Enfilé sur une paume rugueuse
Il marche les mains en avant
Et glisse entre les objets et le passé
Sans rien faire tomber, en silence
Une glissade effrénée et contrôlée
Qui coule le long du dos
Et le remplit d’extase brûlant
Cela peut vite le ramener sur terre
Un instant d’inadvertance
Fait revenir les flots de la présence
Mais cela peut également se prolonger
Et le faire monter plus haut
Là où rien ne rappelle l’impact
De l’éveil et de la déception
Alors il flotte entre ces deux mondes
Ne sachant où se poser
En lévitation de l’esprit
Hors du temps et de l’espace
Là où rien n’existe que lui
Qui devient autre
Mais qui ?

 

 ©  Loup Francart

07/01/2017

Labyrinthe, d’Henri Michaux

Les choses sont une façade, une croûte, Dieu seul est. Mais dans les livres il y a quelque chose de divin.

Henri Michaux, Lointain intérieur (1938)

 

« Labyrinthe, la vie, labyrinthe, la mort »
L’éclair zèbre la pensée qui dérive, altière
Dans la vague insatiable du souvenir
Labyrinthe sans fin, dit le maître de Ho

12-07-01 Fausse perspective2.jpg

Seul l’infini n’a pas de fin
Mais on ne peut le toucher
Ni même l’entrapercevoir
On l’éprouve dans l’obscurité du soi

Alors chaque jour fouiller au fond du moi
Pour retrouver sa fragrance
Et se retourner de bonheur
Car le divin est partout et nulle part

Mais il faut quitter ce moi
Pour adhérer à l’autre,
Ce soi qui déambule dans le puits
Et obscurcit la sortie du labyrinthe

Alors naît l’envol de la joie
Dans la chute du personnage
L’espace et le temps s’enrayent
Il débouche enfin à l’air libre

Et pourtant écrit Henri Michaux :
Rien ne débouche nulle part,
Les siècles aussi vivent sous terre
Dit le maître de Ho

Oui, dans les livres il y a quelque chose de divin…

 ©  Loup Francart

06/01/2017

Anesthésie

Parfois me prend une tentation folle
Un trou noir et l’évanouissement de l’être
Plus rien qu’un vide immense
Comme un ballon qui se crève
Mon corps et mes pensées se rétractent
Il n’y a pas d’oppression
Tout juste un pincement
L’avertissement d’un autre monde
Encore inaccessible, tentant
Comme un fil d’araignée
Suspendu à la branche de l’avenir
Concentration des cellules projetées
Et passage dans le trou de l’aiguille
Où cela mène-t-il ?
Cet instant dérisoire et doucereux
Est une cicatrice que l'on aime gratter
Une seconde de bonheur suspendue
A des minutes d’angoisse
Et la paix au bout du tunnel
Derrière je pressens la lumière
La respiration translucide
L’évasion attendue de la pesanteur
L’entrée dans le liquide amniotique
Qui anesthésie le toucher de la vie
Approche, approche, me dit-on
Mais ne franchis pas la ligne
Car tu ne reviendras plus !

 

©  Loup Francart

02/01/2017

Voyager, pour le poète

 

Voyager, c’est sortir de l’habitude :
Recherche du dépouillement par le déplacement.
Le poète sait voyager sans bouger.
Il est maître de l’espace.

 

©  Loup Francart

 

31/12/2016

Se voir

Écrire pour se voir et non pour se montrer,
c’est le début de mon crédo en poésie.
(Luc Bérimont, poète)

 

Jaillissant du cœur, la poésie tombe en pluie
Et lessive la mémoire de ses odeurs de suie
Elle envahie l’homme jusqu’à le faire femme
Et l’emmener au plus profond de l’âme
Alors, dressé sur la pointe des pieds
Il reconnaît sa déshérence et cherche un équipier  
Il trouve son regard dans le miroir
Et se dit qu’il est digne d’un tel homme
Il ouvre son cœur au plus offrant
Et rien ne l’empêche de devenir celui
Qui se presse et se hâte auprès de lui-même
Pour se contempler, hilare, en face à face
Et sourire dans l’adversité du destin

 

©  Loup Francart

 

30/12/2016

Situation poétique

Vivre avec un poète n’est pas une chose aisée,
Car on sait que toute situation est observée.
Qu’elle soit ordinaire, drôle ou insolite,
Elle est bonne à devenir objet de poésie.
Cela germe dans la tête du poète subitement
Et la litanie des vers sans fin se dévide.
D’où sortent-ils ? Nul ne le sait.
Ils montent dans la gorge en foule,
Se heurtent au portail de la parole,
Se transforment en écriture arrondie
Jusqu’à n’être plus qu’un peu d’encre sur le papier
Qui danse sous les yeux des non avertis.
Il s’isole donc pour écrire ses vers
Qui grouillent dans sa tête jusqu’à la sortie.
Il est délivré, heureux, et peut enfin se détendre.

©  Loup Francart

25/12/2016

Noël

L’enfance, ce privilège ignoré
Donné à tous sans qu’ils le sachent
Et vécu différemment selon le cas

Vite oubliée par les soucis de la vie
Elle resurgit plus tard, vivace
Dans un souvenir pur de désir
D’un retour au monde perdu

Il faut s’en extraire, résolument
Pour ne pas tomber immanquablement
Et continuer à voir l’avenir
Pour vivre encore et toujours

Aujourd’hui, Noël nous rappelle
Ces jours heureux que l’on ignore
Lorsqu’on les vit et que l’on revit
Sans vouloir vraiment croire
Qu’ils furent et nous ont formés
Pour que l’on devienne
Ce que nous ne savions pas être

©  Loup Francart

24/12/2016

La barque

Faire un tour en barque, quelle aventure !
Quand on a une dizaine d’années derrière soi
Ce moyen de transport devient un mythe
Et elle est là, attachée par une chaîne au mur
Derrière la porte en fer forgé, flottant
Au gré des vents sous son auvent de pierre
Ah, monter dedans et s’en aller pour oublier
Le poids des ans et l’incertitude de l’avenir
Se laisser glisser sous le vieux pont grisâtre
Et partir au loin, quelques dizaines de mètres
Des mesures de géant pour de si petites jambes
L’envie les démange, leur corps est déjà assis
Sur le petit banc, tendu vers l’exaltation
D’un voyage merveilleux sur l’étendue liquide
Et se contempler dans ce miroir mobile
Sans pouvoir respirer pour ne pas le voiler
D’un souffle d’apaisement et de bonheur
Seules les rames ont ce pouvoir de l’onde
De marquer leur avancée sur la surface
Ils rament sans cadence tout au plaisir
D’agiter leurs bras et de pousser, en extase
Pour sentir sous leur être l’avancée du rêve
Mais la barque a sa volonté, elle va ou vient
Dans un sens, puis dans l’autre, en crabe
Ou comme une grenouille asymétrique
Ils sont passés sous une arche du pont
Criant leur joie qui résonne sur la voûte
Emmenée par le courant, la barque tressaille
S’agite, se rétracte, s’amuse de tant de naïveté
Elle sourit de cette turbulence sereine
Et se laisse porter, indifférente et polie
Sous l’injonction de petites mains sur les rames
Que d’émotion, de cris, d’effroi et de bonheur
Ont été ressenti cette après-midi-là
Dans ce petit bateau vert flottant sur l’eau
Pour exprimer ce qui deviendra un souvenir
Dont ils se rappelleront quelques années plus tard
En regardant le pont du haut de la terre ferme :
« Tu te souviens, la barque… C’est loin… »

©  Loup Francart

18/12/2016

L'infini

Contrairement à ce que beaucoup pensent
L’infini peut être moins grand qu’on l’imagine
Il n’est pas ce Tout nébuleux contenant tout
Il n’est pas ce qui ne contient rien d’extérieur
Il est l’inverse de ce que l’on imagine, dit Aristote
Car ce qui n’a rien d’extérieur est un tout
Et un tout complet parce que fini
Non, à l’infini il manque quelque chose
L’infini est incomplet et imparfait
On peut toujours le diviser ou le multiplier
En cela il n’est pas le contraire du zéro
Il procède du Un qui n’a pas de limite
Tout chiffre est divisible infiniment
Ou multipliable par un autre chiffre
Y compris par un Un qui, lui, ne multiplie pas
Et qui ne divise, hélas, pas non plus
N’est infini que ce à quoi il manque quelque chose
Et à qui il manquera toujours quelque chose
L’infini est donc un intérieur remplissable
Et non un plein parfait sans extérieur
Il ne sera jamais rempli, jamais complet
Il n’englobe pas tout, car il peut encore plus
Ou encore moins, si l’on part à reculons
Mais en chacun de nous se développe
Cette infinité qui ne peut compter jusqu’au bout
Mais qui peut tout concevoir au-delà
Dans le brouillard d’un tout devenu Un
L’infini est en toi, contemple-le
Mais ne te laisse pas prendre dans ses filets
Tu ne reviendras pas et ne sera pas délivré
La délivrance vient de l’ignorance
Qui t’envahit et te glace d’effroi
Ce n’est pas non plus le rien
Peut-être le Un, plein et entier
Mais innommable parce qu’inconcevable
Ce chiffre est le contraire du zéro
Il n’est pas infini, il est le plein
Et le plein est plus que l’infini
Il n’est pas mathématique
Il n’est ni divisible, ni multipliable
Il est lui et lui seul, plein et entier
Couvrant l’univers de son voile
Créant la transparence pure
Que sont la transcendance et l’immanence

©  Loup Francart

14/12/2016

Dés

A nouveau l’être maléfique et blanchi
Qui courre sans vergogne dans la montagne
A-t-il toute sa tête ce spectre jauni ?
Mérite-t-il vraiment ce retour du bagne ?

Sait-on ce qui vient ensuite, derrière l’ombre
De ce grand chacal enfiévré de douceur ?
Aurais-tu perdu au jeu des dés sans nombre
Ou donc serais-tu passé sans ta demi-sœur ?

Et cet autre monde sans corne ni fureur
Se prête aisément à l’échange d’imposteurs
Dieu soit loué, il se refuse à l’entrée

Quel rêve étincelant et maléfique
Tourne dans la tête du pasteur séraphique
Et l’entraîne vers une innocence feutrée ?

©  Loup Francart

12/12/2016

Malade

Entrer dans la chambre d’un malade
C’est déjà être malade soi-même
L’un l’est véritablement, le pauvre
L’autre, le visiteur, se rend malade lui-même
Dès l’entrée, il se sait vulnérable
Il jette un dernier coup d’œil dehors
Avant de poser son regard sur le sujet
Ses traits sont-ils altérés ?
Sa main tremble-t-elle dans l’adversité ?
Rien ne transparaît apparemment
Pas la moindre faute de comportement
Mais toujours il guette le défaut
Ne pouvant s’empêcher de l’attendre
Alors il joue la comédie de l’espérance
Tout sourire, voir tout rire
Une décontraction désopilante
Avec un rien de compassion
Le geste large, la mèche en bataille
Il s’invente des propos hors de saison
Étire ses jambes en les croisant
S’essuie les yeux avec son mouchoir
Et dit sentencieusement : quelle chaleur !
Le malade n’ose dire qu’il est bien
Au chaud dans ce lit de douleur
Ne pouvant bouger, ni même respirer
Alors il sourit aimablement
À l’être qui lui fait face et le regarde
Avec, lui aussi, un rien de compassion
Le visiteur est surpris et lève le sourcil
Que diantre, se dit-il, est-ce lui
Ou moi qui se trouve si mal
Il ne sait plus et se contemple
Dans ce miroir du jeu mondain
L’œil embué, il desserre sa cravate
Il se sent réellement mal, sinon malade
Mais un mal étrange, qui colle à la peau
Comme un mauvais rêve, un soir de bringue
Ou encore un réveil d’une nuit sans sommeil
Il refait enfin surface et devient aimable
C’est-à-dire aimant, sourires et en verve  
Il enclenche la première, avec douceur
Comment vas-tu ? As-tu mal ? Es-tu bien mis ?
De petites phrases qui ne coûtent rien
Qui permettent de se mettre dans le bain
En immersion dans le brouillard de la maladie
Il cherche le mot juste et ne le trouve pas
Il rit lui-même de son manque d’aisance
Bredouille une phrase incompréhensible
La rend sensible par une caresse dans l’air
Se reprend et finit par entrer dans le bleu
D’échanges intimes et de souvenirs communs
Une sorte de lévitation qui prend la gorge
Qui l’élève gentiment sous les aisselles
Et le transporte sur le nuage de l’entente
Enfin, il redevient lui-même, dans ce moi
Qui court à la surface de la peau
Et rayonne à l’extérieur sans rien dévoiler
De ce qu’il cache en lui, derrière la frontière
De la bien-portance et du bien-être
Il ne peut s’empêcher de se comparer
À un infortuné malade imaginaire
Qui n’en peut plus de traîner sa carcasse
Devant d’autres plus miséreux que lui
Que fait-il ici, lui l’indolent d’un jour
Malade de voir un vrai malade
Jouant la comédie de l’osmose
Jusqu’au moment où n’en pouvant plus
Il annonce doucement qu’il se fait tard
Qu’il a encore beaucoup de chemin à parcourir
Qu’il doit acheter telle chose, avant de rentrer
Que sa voisine l’attend, que son chien doit sortir
Qu’il doit porter son linge à la laverie
Bref, mille prétextes et excuses imaginaires
Qui lui sortent de la bouche en flots continus
Il lui dit presque à Dieu, se rattrape
Il le revoit bientôt, dans une nouvelle visite
Tout aussi malencontreuse et feinte
Laissant une lueur d’espoir au malade
Qui n’en dit mot et sourit d’un air las
Oui, tu dois te reposer ! Mais qui parle à qui ?

©  Loup Francart

08/12/2016

Palimpseste

Un nom barbare, comme une robe moulante
A coller sur la peau d’un cadavre bien mûr
Ou encore un animal inconnu et pervers
Qui fouille dans les corps et s’y installe
Le palimpseste n’est ni un sentiment
Ni un animal, ni même un outil
Ce n’est qu’un bout de papier
Flétri, gommé et réutilisé
Une commodité jetable
Un vrai brouillon
Un mot en trop
Ne disant
Rien
Ah !
Dire pal
Un supplice
Si douloureux
Vécu par el-Halabi
Assassin du général Kleber
Limp, tel une boiterie anglaise
Qui produit une dissymétrie funeste
Quant au zeste, péricarpe des agrumes
Que devient-il une fois dans la transparence
Du liquide agréable qui enivre le palais et l’esprit ?

    C’est vrai ce n’est qu’un palimpseste
    Un manuscrit qui toujours fut modeste
    Parce qu’utilisé et devenu indigeste
    Puis jeté, sans être devenu manifeste

©  Loup Francart

03/12/2016

Bleu

Bleue la lame du couteau dans le froid
Juste un bout de ciel et d’horizon voilé
Où courre le train noir et peureux
Dans la plaine réchauffée de lumière

Les notes cristallines des éclats de glace
Résonnent aux oreilles du voyageur averti
L’intensité tranchée des rayons réfléchis
Crée un voile subtilement bleuté

La pointe d’un glaçon brisé par les pieds
Rouvre la plaie de l’absolue transparence
Le monde s’éloigne à grandes enjambées
La lumineuse beauté bleuit le paysage

Bercé par le ronronnement des rails
Je me replie dans la chaleur du fauteuil
Envahi par cette froideur étincelante…
La vitesse façonne le vent de la solitude…

©  Loup Francart

28/11/2016

Fantomatique

Au creux des arbres, dans le feuillage
Apparaît la lune verte, rapiécée
Elle crie au monde sa folie
Elle se précipite sur les passants
Qu’a-t-elle fait, se dit-elle
Pour mériter pareille opprobre
Rien ne va plus dans ce monde altéré
De railleries où chacun conserve
Son quant-à-soi et son désir altier
Pourtant elle avait rêvé sans répit
Dans le mystère de son autre face
Dans les champs écarlates et sans fin
Elle avait ouvert son sourire
A d’autres qu’à elle-même
Elle s’était baignée dans le froid
Et la transparence de la nuit
Regardant sans se lasser son âme
Enfouie dans l’eau glacée
Miroitant de possibles ombres
Sur sa clarté limpide et cruelle
Et lui, l’homme éveillé et perdu
S’était mépris sur ses intentions
Rien ne bouge, rien n’existe
Qu’elle, perchée au sommet
Des cieux et des étoiles
Double intense de votre âme
Courant dans les bois, esseulée
A la recherche de son moi
Et ne trouvant que le vide
Fumeux et sans consistance
Un fantôme sans papier
Qui court après son ombre
Et ne trouve lui-même
Qu’une lueur d’espoir
Sans commune mesure
Avec la solitude
Adieu, toi qui fut moi
Adieu, moi qui fut toi
Le voile est levé
Je suis là et ne suis rien
Qu’un peu d’humanité
Sans nom, ni visage

 ©  Loup Francart

25/11/2016

Pictoème

 

1-15-02-27 Au-delà.jpg

23/11/2016

Perte sèche

Je perds la tête…
Mais en avais-je réellement une ?
C’est bien une grosseur que je porte
Depuis longtemps au bout du cou
Mais il suffit d’un vent aigre
Pour que j’en perde la notion
Passent alors en moi des bruits
Des couleurs, des odeurs
Qui n’ont rien à voir avec moi
J’erre dans le paysage moite
De mon insuffisance trompeuse
Un balai en haut du corps
Où coule l’air frais des tempêtes

Il m’arrive aussi de perdre la main…
Elle part de son plein-gré, entière
Et contre ma volonté batifole toute seule
L’autre main peut chercher à la rattraper
Mais elle n’arrive pas à la repérer
Alors cette seconde erre sans fin
En recherche d’un moindre mal
Et ne trouve que le vide appauvri
Des jours nostalgiques et pluvieux

Attention ! Je n’ai jamais perdu mon âme…
Elle m’est solidement ancrée
Au plus profond de moi-même
C’est probablement parce que je ne sais pas
Où elle se loge dans cette carcasse
Que jamais elle ne m’a fait défaut
Elle me rend transparent
Me donne sa vertu simpliste
Et m’enrobe de miel sauvage


Oui, cela je ne le perdrai jamais
Elle m’appartient plus que moi-même
Je la contemple et ris
D’y retrouver un peu de celui
Que je continue de chercher tous les jours
Et que je ne trouve nulle part

 ©  Loup Francart

20/11/2016

Bouillonnement

Quel est ce bouillonnement
Qui sourd de tes entrailles
Tel le trop-plein d’un volcan
Déversé en pluie de mitraille

A peine sorti de la nuit sans fond
Il t’emporte dans sa danse
T’étourdir, te promène sur le pont
T’étreint et sans cesse la relance

C’est l’aspiration du large
Sans lieu ni durée qui t’entraîne
Jusqu’à l’horizon et ses marges

Le cœur soulevé d’absence
Tu pars en goguette hors de l’arène
Comme aux jours de ton adolescence

 

©  Loup Francart

 

17/11/2016

L’écriture des dieux devient une tâche technique

Pour donner suite à mes velléités d’écriture musicale et poursuivre les réflexions abordées le 5 novembre, j’ai décidé d’écrire la musique avec un logiciel permettant une lecture franche et directe de la mélodie et de son accompagnement plutôt qu’un tas informe de crayonnage qui fait confondre la hauteur des notes, les bécarres avec les dièses et les queues des blanches avec la séparation de mesures. C’est vrai quoi, il est plus simple de lire ce qui est bien écrit plutôt que de tenter de savoir, en pleine interprétation, s’il s’agit d’un do ou d’un ré, surtout s’il est affublé d’un bémol.

J’ai alors effectué des recherches sur Internet, le réseau qui sait tout. Il y en avait beaucoup plus que ce que j’imaginais. Comme j’avais tapé « logiciels d’écriture musicale gratuits », j’ai eu droit à tous les logiciels tels que Sibélius et quelques autres, qui se sont avérés payants. J’en ai néanmoins trouvé quelques-uns que l’on peut télécharger gratuitement, dont MuseScore 2 qui est, nous dit le site, « le point culminant de plus de 4 ans de développement, incluant les contributions techniques de plus de 400 personnes et les retours de milliers d'utilisateurs pour créer ensemble le meilleur logiciel libre et gratuit d'édition de partitions de musique ».

Une fois téléchargé, le désir immédiat fut d’inscrire sur la portée vierge le fruit de mes travaux de composition. Aïe ! Ce ne fut pas une mince affaire. Je cliquais sur une noire pour ensuite l’inscrire  entre deux lignes de la portée, mais il ne se passa rien. Pourquoi ? Allez savoir ! Je dus alors me plonger dans un didacticiel, bien sûr en langue anglaise, pour comprendre qu’il fallait auparavant cliquer sur un bouton qui permet l’inscription d’une note. Je poursuivis sur la portée entre deux barres de mesure et tentais d’y importer la mélodie. Bon, pour la portée supérieure, pas trop de problème, j’y suis arrivé facilement après quelques tâtonnements qui m’ont cependant pris plus de deux heures. Mais ce fut une autre paire de manches lorsqu’il fallut remplir la portée du bas qui comportait des triolets, vous savez, ces notes  que l’on joue en trois temps dans l’espace de deux (oui, la musique a parfois des mathématiques compliquées). Comme le logiciel calcule automatiquement les notes restantes à inscrire dans une mesure, vous ne pouvez entrer ce qui vous chante entre les deux barres. Tantôt la dernière note d’un des triolets s’installe à cheval sur la barre de séparation, tantôt un de ceux-ci devient des doubles croches et produit de magnifiques arpèges injouables, mais si beaux à regarder, tantôt une succession de silence, demi-silence, quart de silence, s’inscrit entre les quelques rares notes que je parviens à insérer et qui n’ont plus rien à voir avec ce que je joue. Dépité, j’abandonnais, allais me préparer un sandwich pour revenir malgré moi à l’appareil et chercher comment faire. C’est un travail de patience que d’apprendre l’utilisation d’un logiciel, et je n’en ai pas beaucoup malheureusement. Après quelques aller et retour entre la cuisine et le bureau, j’ai décidé de fouiller les didacticiels et j’ai fini par en trouver un en français. Disons en franglais : 150 pages de prescriptions techniques difficilement compréhensibles telles que :

Vous pouvez désinstaller sur Windows 32-bit avec la commande suivante :

Cd D : Program files/MuseScore

Uninstall.exe /S

Heureusement, je n’avais aucune intention de désinstaller un logiciel que je venais d’introduire dans ma machine. Je finis par trouver quelques pages compréhensibles pour arriver à comprendre comment inscrire un triolet à la place d’un silence ou d’une noire. Mais ce fut de haute lutte et après bien des essais malheureux. Et ce n’est pas parce que vous y êtes arrivé une fois que la partie est gagnée. Vous voulez reproduire l’expérience ? Impossible ! Vous ne savez plus comment vous avez fait. A nouveau : tâtonnement, tentative, essai, déraillement, découragement, abandon et retour à la tâche.

L’écriture des Dieux est devenue l’écriture du besogneux moitié fou qui se casse la tête et tamponne son mulot. La poésie a fui cet espace. La froideur d’une logique technique a remplacé le tracé malhabile du crayon. In fine, c’est lisible et compréhensible, mais que de gouttes de transpiration pour y arriver !

15/11/2016

Boucle

Il est venu, vert de lui-même
Il prit son courage à deux mains
Et sauta le ruisseau des eaux folles
Rien ne va plus, entendit-il
Dans un lointain vécu sans faille
Alors il repartit penaud, mais détendu
Vers d’autres cieux plus verts
Au ciel chargé de plomb et d’airain
Il naviguait dans les espaces sidéraux
Chantant sa complainte sauvage
En solitaire habitué à l’absence
 De cohérence et d’embonpoint
On l’appelait le fil volant
Mais ce n’était qu’un point
Sans même un abri où dormir
Qui parcourait le monde virtuel
Et s’attardait sur les litotes
Parfois il tombait dans le vide
Interminablement, solidaire
De l’ivresse des trous sans fin
Il franchissait la porte du trou noir
Et se retrouvait, exclu
Dans un monde moins consistant
Engagé dans une boucle infernale
Qui se terminait par une impasse
Demi-tour, criait-il aux vents
Qui le poussaient vers sa fin
Et le point repartait vers les pleins
D’une cervelle aiguisée et proliférante
Toujours plus au fond de l’imagination
Dans ce plein où rien n’existe
Hors du soi qui n’est pas le moi
Mais un autre fou, ivre de puissance

 

©  Loup Francart

 

10/11/2016

Présent

Le cœur soulevé
La pensée envolée
Le vide sans espace
Au fond de l’impasse
La main cherchant
L’ombre du contrechant
Le noir dans le trou
Imposant son verrou
Et par-dessus tout
Le meilleur des atouts
L’aspiration de l’être
Vécu sans altimètre
Tornade qui pressure
Ouvrant la blessure
De ce moi sans partage
Tapis dans l’ermitage
Jeté dans le désordre
Veut-il en démordre ?
Non, sans doute
Car de la céleste voûte
Tombe l’avertissement
A l’usage des amants
Rien ne sera fait
Au plus-que-parfait
Seul compte le présent
Du vide jaillissant
Ne pense plus
Ne reste pas exclu
Tu es sans être
Pars sans maître !

 

 ©  Loup Francart

08/11/2016

Femme

Les femmes sont doubles
Vase et amphore
Et ne se dévoilent
Qu'aux poètes
Qui voient à travers

Amphore 2 28-10-2016 04-56-31.jpg

07/11/2016

Haïku

 

Silence mêlé

De rires intermittents

Retour en métro

 

 ©  Loup Francart