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01/02/2015

Lisbonne

En moins de deux heures vous changez de vie. Du stress de la vie parisienne à l’indolence des bords du Tage. C’est un changement d’ambiance imperceptible cependant. Ici, on a le temps, celui d’errer, de rêver, de créer. Aucune urgence ne viendra vous déranger. Alors vous vous laissez aller. Certes vous ne perdez pas vos habitudes. Se lever dans la nuit, regarder par fenêtre dans un silence de sourd. Jamais une voiture ne passera dans la rue encombrée. Vous laissez divaguer votre pensée au fil des pas d’une promenade sans but. Vous passez de palais sublimes et d’églises prolifiques aux refuges misérables.

Lisbonne reste à l’image du tremblement de terre de 1755 : une vallée profonde dans laquelle s’engouffra le tsunami, noyant sous ses flots furieux ceux qui avaient échappé à la destruction des immeubles, une ville où la richesse côtoie la maigre existence du petit peuple. Sa beauté tient à cette avancée sur le Tage, où la place du Commerce  s’élargie dans une contemplation des eaux sages où passent d’immenses navires qui dominent les immeubles.

Usons donc nos pas dans cette ville d’escaliers où on se tord les chevilles et on glisse sur les pavés blancs.

31/01/2015

Espérer

L’espoir  n’est pas un résultat de notre existence, mais notre existence même. Un désespoir absolu est non seulement incompatible avec notre être comme tel, mais il est inimaginable dans une forme de vie quelconque. Le diable lui-même espère : un peu plus de mal, un peu plus de lucidité. Car espérer négativement, c’est encore de l’espoir. (…) Ainsi la clef de notre destinée est cette propulsion indomptable qui nous incite à croire dans n’importe quelle circonstance, que tout est encore possible, en dépit des obstacles infranchissables et des évidences irréparables.

E.M. Cioran, Exercices négatifs, en marge du Précis de décomposition, Editions Gallimard, 2005

 

Mais d’où vient cette propulsion dont parle Cioran ?

Ne serait-ce qu’un instinct animal de défense de son corps, ce qui expliquerait la difficile démarche du suicide. Penser non pas l’acte, mais la manière de l’accomplir et pousser si loin qu’on en finit par y croire et devenir capable de le faire.

Au contraire, n’est-ce qu’une incapacité de l’entendement à penser son inexistence ? C’est en effet le temps et l’espace qui impriment en chacun de nous la preuve de notre présence au monde. Comment imaginer l’existence sans présence, le monde sans notre conscience ? Certes, l’on sait bien que la terre tournera quand nous ne serons plus là. Mais imagine-t-on qu’elle continuera à être parce que nous continuerons à la penser dans une autre vie ou parce que plus rien de nous ne subsistera ? Là aussi l’espoir nous pousse à croire.

Enfin cet espoir indestructible qu’imprime notre existence sur notre volonté et notre conception du monde n’est-il pas la marque même de l’âme, cette présence inconnue en nous qui nous conduit au-delà de nous-mêmes, dans ces régions où la pensée se dilue, mais la personne demeure.

L’espoir est notre existence même, nous dit Cioran. Beaucoup pensent l’inverse, même les prédicateurs parlent plutôt du désespoir que de l’espoir. Les philosophes s’impliqueront dans l’explication de ce rejet du monde qui est de toutes les époques, les anarchistes ou les fous de Dieu s’appliqueront toujours à détruire la vie sous le prétexte de la sauver. Mais celle-ci, malgré tout, continuera à être par l’espoir, à vivre par l’espérance, à produire du mieux malgré tous ces mirages d’une pensée qui n’est pas le reflet de la réalité. L’espoir, c’est la vie. 

30/01/2015

Destinée

Descendre les marches vers l’eau douce
Laisser tomber ses vêtements
Se présenter nu devant la reine
Celle qui choisit ton destin
En jaugeant les heureux bénéficiaires
Et courir se cacher parmi les joncs
Tout ceci en rêve indolore et sans saveur
Telle était la vie sur l’île de la Marquise
Morceau de terre acquis sur les flots
Inconnu des hommes du continent
Seules les femmes légères et sveltes
Se promenaient parmi les orangers
Respirant en petits halètements
L’odeur sacrée des fruits célestes
Et la reine tendant la main donnée
Vous indique celle qui sera vôtre  
Elle se présente charmante et vive
Souriant de ses dents blanches
Elle ne porte que sa liberté dévoilée
Quelques cheveux au bas du buste
Et ses pommes replètes entre les bras
Elle marche comme une princesse
Mais a déjà un sourire canaille
Et vous regarde comme une proie
Vous êtes celui qu’elle a choisi
D’un clin d’œil rapide et discret
Et votre nudité attire ses regards
Oui, c’est lui, le futur dévoilé
L’homme de mes rêves et envies
Sur qui je porte un œil prude
Il exprime ma vitalité et ma faiblesse
Il a le regard tendre et novice
Des hommes sortis de l’enfance
Un matin au soleil du printemps
Il luit de tous ses pores dilatés
Et enfonce sa présence
Au plus profond de ma passion
Ah, ma reine… Mariez-nous
Et partons pour ce voyage d’une vie
Tendus vers l’horizon
Haletant de baisers
Avant de nous mêler
A satiété

© Loup Francart

29/01/2015

Sonia Delaunay, exposition musée d’art moderne de la ville de Paris

Rien ne m’a plus intéressé que la première salle, celle où se trouvent les portraits des finlandaises. De purs chefs d’œuvre que ces visages colorés, grossiers, d’une rondeur inhabituelle, qui laissent une impression de paix intime, une atmosphère d’enfance innocente. Et pourtant, les nez sont gros, manquant d’élégance telle qu’on la conçoit actuellement, les yeux sont cerclés et épais, les mains ne pourraient tenir un objet. Mais tous regardent l’invisible derrière le visible, tous possèdent cette pointe d’humanité qui fait d’un peintre un visionnaire.

Elle emploie les couleurs avec bonheur. Des couleurs aux tons purs, le rouge et le bleu en particulier. Et chaque visage renferme une qualité unique de lumière, comme s’il était illuminé de l’intérieur et semblait nous dire quelque chose.

Celle-ci paraît triste, mais simultanément, elle donne toute sa beauté au spectateur, rayonnante et contemplant l'invisible.

Ces deux finlandaises, la mère et la fille probablement, semblent figées dans une intimité secrète. La vie s’écoule derrière, hors de portée, indifférente. Seule compte cet instant d’éternité que l’on saisit par intuition, en un instant de grâce.

Enfin cette belle endormie qui ne porte que des bas et dont les reflets bleuâtres en  font un être magique, anguleux et mystérieux. Beaucoup penseront plus à sa finitude malhabile qu’à une icône féminine. Mais elle donne sa personnalité à contempler, froide et chaude selon les couleurs et les lignes de son corps.

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Oui, Sonia Delaunay sut voir l’absence et la présence, l’idéalisme derrière le réalisme, l’invisible derrière le visible. Elle laissait transparaître l’âme derrière le corps.

28/01/2015

Souvenir d'enfance

Il se souvient des soirs où les perdreaux étaient présentés sur la table. Déjà, avant même qu’ils n’y arrivent, montaient de la cuisine à travers le petit escalier, des fumets de viande rôtie, au goût faisandé, préparée par sa grand-mère dans le four en permanence chauffé par les bûches courtes qu’elle glissait par une porte au cœur même de la chaleur. Malheureusement, les perdreaux étaient réservés aux grandes personnes qui se pourléchaient les doigts, rongeant les os des pattes, puis des ailes, puis le blanc velouté, parce que légèrement faisandé, du poitrail. Mais le meilleur était sans doute les morceaux de pain grillé, cuits dans la sauce dorée, qui portaient le dernier repos des cadavres. Ils étaient onctueux à souhait, fondaient dans la bouche, exhalaient les prés tendres, les haies épineuses,  les grains de blé tombés de l’épi, le creux de terre dans lequel ils s’abritaient, serrés les uns contre les autres. Alors, les enfants quémandaient une patte, rien qu’une, pour partager ce délice auquel ils avaient bien droits puisqu’ils les avaient portés dans le carnier bien lourd pendant toute une après-midi. L’eau leur montait à la bouche rien que d’y songer !

Délice que cette patte dorée, fumante encore, partagée en quatre. Chaque parcelle de sa chair exhalait le retour de la chasse lorsque, fatigués, chacun d'eux se laissaient aller dans un fauteuil et fermait les yeux sur la marche dans les grands prés, sur le bruissement de l'envol d'une compagnie, sur le départ d'un coup de fusil. Non, ne pas bouger : attendre que l'on arrive à sa hauteur. Le perdreau était là, encore chaud, parfois encore vivant. Alors prenant le cou, il imprimait une torsion qui laissait l'animal sans un mouvement. Mort, ne pas le faire souffrir inutilement. Et maintenant chacun contemple son assiette et le petit morceau de chair clair à l'odeur rougeoyante et ferme. Vous pouvez y aller ! ils ne se le faisaient pas dire deux fois. Quel goût. Les enfants étaient les princes de la soirée. Ils montaient se coucher pour rêver d'herbes, d'odeur de poudre, de chaleur des après-midis d'automne et de picotement de la chair du perdreau sur le bout de la langue.

27/01/2015

Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus, d’Eric-Emmanuel Schmitt

La Chine, c’est un secret plus qu’un pays. Madame Ming, l’œil pointu, le chignon moiré, le dos raidi sur son tabouret, me lança un jour, à moi, l’Européen de passage : nous naissons tous frères par la nature et devenons distincts par l’éducation. Elle avait raison… Même si je la parcourais, la Chine m’échappait. (…) 

La tête ronde 15-01-26 Les 10 enfants de Mme Ming.jpgd’une couleur éclatante, des plis nets sur la peau, des dents, aussi fines que des pépins, madame Ming évoquait une pomme mûre, sinon blette, un brave fruit, sain, savoureux, pas encore desséché. Mince, son corps semblait une branche souple. Sitôt qu’elle s’exprimait, elle s’avérait plus acidulée que sucrée car elle distillait à ses interlocuteurs des phrases aigrelettes qui piquaient l’esprit. En cette province de Guangdong, madame Ming trônait sur son trépied, au sous-sol du Grand Hôtel, entre les carreaux de céramique blanche et les néons éblouissants, dans ces toilettes à l’odeur de jasmin où elle exerçait la charge de dame pipi.

C’est à la suite d’un mensonge qu’il fit véritablement connaissance de madame Ming. Il avait laissé tomber une photo et elle lui demanda : Ce sont vos enfants, monsieur ? Par vanité, fierté ou pour rire, il répondit oui. Et vous ? J’en ai dix. Connaissant les conditions imposées par le gouvernement sur les naissances (un par famille), il n’en croyait pas ses yeux. Et au long de ces 44 pages, elle va raconter l’histoire de ses dix enfants : la sixième Li Mei, un peu voyante ; les jumeaux, Kun et Kong, acrobates au cirque national ; la petite Da-Xia, qui rêve d’assassiner madame Mao ; Ho, le joueur ; Ru, un monstre de mémoire, et Zhou, un monstre d’intelligence ; Wang qui fabrique des jardins chimériques, jardins de mots ; Shuang, le dixième, qui ne peut s’ »empêcher de claironner la vérité. Mais madame Ming se fait renverser par une voiture et c’est à l’hôpital qu’il fait la connaissance de Ting Ting, sa fille ainée. Celle-ci lui dévoile qu’elle n’a ni frère, ni sœur. Pour entretenir son rêve, sa fille met ses proches à contribution. Ils écrivent à madame Ming. Aussi celle-ci, croyant à ces derniers jours, lui demande de réunir ses frères et sœurs. Et sa fille y arrive : ils sont tous venus.

C’est un conte magnifique, écrit remarquablement, par petites touches, entrecoupé de séjours dans les toilettes et interrompu par les clients pressés. Chaque enfant y est dépeint en quelques mots bien placés, comme un tableau mobile où sa vie apparait en arrière-fond. Madame Ming reste la même, semblable à son pays, énigmatique. Et peu à peu, il se construit une personnalité chinoise qui devient réalité lorsque sa maîtresse parisienne lui annonce la naissance d’un fils. Elle avoue qu’elle ne sait de qui réellement. Mais sa réponse la surprend : la vérité m’a toujours fait regretter l’incertitude.

26/01/2015

Errance

Vous arrive-t-il d’être en mal d’être ?
Vous  êtes réveillé par une absurdité
Un rêve mal placé sous le crâne
Qui vous harcelle et vous étouffe
Vous suffoquez sans pouvoir respirer
Les bulles du souvenir de la nuit
Remontent en vous inexorablement
Vous revivez les moments pénibles
Où votre amour propre fut en jeu
Et vous palpez les pierres noires
Qui hantent vos profondeurs
Et vous entraînent au désespoir
Vous rampez avec courage et ténacité
Pour respirer parfois ce ravissement
De l’air ténu du chant des anges
Qui vous permet de tenir malgré tout
Malgré les coupures ininterrompues
Des mots, des sentiments et du désir
Fragile, vous êtes, comme l’araignée
Qui se rattache viscéralement à son fil
Vous ouvrez les bras, en chute libre
Tentant de planer dans la fange
De votre inhibition et affolement
Où donc avez-vous la tête et le cœur ?
Plus rien ne vous soutient
Ni le passé, encore moins le présent
Seul l’avenir peut vous faire signe
Et vous entraîner vers une amélioration
De vos relations avec vous-même

Enfin !

La crise s’en est allée
Oublié cet orage en vous
Parti ce furoncle maudit
Qui entraîne votre moi
Vers l’enfer de l’existence

Une étreinte, une caresse
Un signe de l’invisible
A dénoué votre être
Et vous baignez
Dans ce réel
Où rien
N’est
moi

Est-ce Toi. Qui ?

© Loup Francart