Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/02/2015

Acédie

L’homme n’en pouvait plus. Il avait marché toute la journée et le soir tombé. Il s’assit sur la pierre et prétendit n’en point bouger. Elle tenta vainement de l’entraîner à sa suite, sans succès.

Il lui confia son mal : le noir de la nuit correspondait en lui à un noir de l’entendement. Il ne savait ni où il était, ni quel jour il était. Plus rien ne lui permettait de se rattacher à l’espace et au temps. Il attendait la fin de cette acédie avec patience, pensant dans le vide de son encéphale jusqu'au lever du jour.

Errer sans fin dans les plis de son cerveau, parmi les vagues délirantes et blanchâtres, s’enrouler sans tomber entre les neurones, n’est pas une promenade de santé. Il poursuivait en rêve son voyage de la journée, mais sans ressentir la fatigue liée à la pesanteur. Il était dans un état de grâce dans lequel tout devient charme. Le sourire aux lèvres, la pipe à la bouche, il allait sans fatigue, sans prendre garde aux voleurs d’idées à un carrefour de rues. Plus rien dans la caboche et un corps frêle et harassé qui n’offre aucun refuge aux âmes qui errent sans savoir où elles vont. Il poursuivit longtemps ce double de la vie jusqu’au moment où il se sut évadé.

Flash ! Que fait-il dans cette galère ? Il se retourna, ne vit rien que le vide, fit à nouveau demi-tour et ne vit toujours que le vide. C’est sur cette tête d’épingle qu’il persista dans son existence, loin du monde et des hommes, enlacé des circonvolutions du temps et de l’espace.

Bienheureux cet homme qui sut ne pas se poser de question devant l’absurdité de la destinée.

07/02/2015

Peur

Il courût longuement, poursuivi par un chien
Il fut le soleil et la lune et les étoiles
Le vent qui souffle sur les plaines et les collines
L’être suprême et le chien rampant
Qui se poursuivent sans cesser de se haïr
Il plana sur les eaux sacrées du Gange
Il survola la poussière des déserts de Tasmanie
Il s’engouffra dans les grottes de la Cappadoce
Et toujours il sema comme venant de lui-même
L’encouragement et la gloire sur les hommes
Qui peinaient dans la brume ou la chaleur
Dans l’obscurité tenace ou la clarté acide
Dans la soif et la faim des corps fatigués

Oui, il fut le tout et le rien dans ce monde
Sans âme, ni galoches. Il courait toujours
Sans relâche ni découragement, ni même
Une ombre de rancœur envers celui
Qui fit de lui cet animal bizarre
Un sphinx atone et purulent
Rejeté par ceux qui l’exploitent
Pour semer la terreur dans les foules

Peur, tu nous tiens sous ta férule
Et  tes barreaux sont doux
A ceux qui t’observent et te haïssent

© Loup Francart

06/02/2015

Trouble 1

Au premier abord des points et lignes noires apparaissent entre les signes blancs. On visionne mal le véritable dessin. Il faut faire un effort pour y arriver. On finit par le distinguer, mais reviennent aussitôt les points et lignes noires en surimpression sur le noir. Ce sont les mystères des illusions d’optique. Elles forment une sorte de toile d'araignée derrière le dessin visible. Gardons-les. Elles sont aussi des signes de l’invisible derrière le visible.

Ce dessin est réalisé par un ensemble de droites de deux points séparées par un point et décalées à chaque rangée d’un point, dans le sens de l’horizontal comme dans le sens de la vertical.

05/02/2015

Palais et jardin des marquis de Fronteira

Le palacio de Fronteira a traversé trois siècles sans modification, une des rares propriétés restées dans la même famille. Il est là, magnifique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et sale du temps qui malgré tout passe. Bâti vers 1670 par le premier marquis, à proximité de Lisbonne, il se tapit dans son petit écrin de jardin aux essences diverses et d’azulejos à quatre ou deux couleurs.  

15-02-03 Fronteira (89).JPG 

D’une architecture italienne, il reste malgré tout portugais par la disposition des jardins et les azulejos qui revêtent presque tous les murs, à l’intérieur et à l’extérieur. Ceux-ci sont exceptionnels par leur nombre et ce qu’ils content. Après une entrée impressionnante composée d’un double escalier, la vision du salon de réception est grandiose. Cette salle des batailles évoque la guerre de Restauration :

PRT000009F_1.jpg

 La salle à manger est revêtue de carreaux de Delft du XVIIème siècle :

PRT000009F_3.jpg

Mais les pièces les plus originales se trouvent à l’extérieur, soit sur la terrasse attenante à la salle à manger,

15-02-03 Fronteira (39).JPG

soit dans les jardins qui s’appuient sur un décor fabuleux où les rois du Portugal sont représentés et reflétés dans une pièce d’eau :

15-02-03 Fronteira (11bis).JPG

Cela appartient à un passé glorieux, mais nostalgique. A l’image de beaucoup de maisons portugaises, les propriétaires n’arrivent pas à l’entretenir. Quel courage de poursuivre ce rêve et de rester dressé, fier sur les étriers de la renommée, comme cet arbre magnifique du parc :

1-15-02-03 Fronteira (86bis).JPG

04/02/2015

Soumission, roman de Michel Houellebecq

Autant que la littérature, la musique peut déterminer un bouleversement, un renversement émotif, une tristesse ou une extase absolues ; autant que la littérature, ma peinture peut générer un émerveillement, un regard neuf posé sur le monde. Mais seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances, avec tout ce qui l’émeut, l’intéresse, l’excite ou lui répugne. Seule la littérature peut vous permettre d’entrer en contact avec n’esprit d’un mort, de manière plus directe, plus complète et plus profonde qui ne le ferait même la conversation avec un ami – aussi profonde, aussi durable que soit une amitié, jamais on ne se livre, dans une conversation, aussi complètement qu’on ne le fait devant une feuille vide, s’adressant à un destinataire inconnu. Alors bien entendu, lorsqu’il est question de littérature, la beauté du style, la musicalité des phrases ont leur importance ; la profondeur de la réflexion de l’auteur, l’originalité de ses pensées ne sont pas à dédaigner ; mais un auteur c’est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu’il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu, l’essentiel et qu’il écrive et qu’il soit, effectivement, présent dans ses livres. (p. 10 et 11)

Ce roman de Michel Houellebecq est à l’image de son auteur ce que Huysmans est à l’image de François, le héros du livre. Un étrange parallèle, mais qui est bien présent tout au long du livre sans que jamais il n’apparaisse clairement. Par exemple, le naturalisme prôné par Huysmans consiste à donner de la réalité une image précise, même si celle-ci est vulgaire ou immorale. C’est une méthode littéraire proche des méthodes des sciences naturelles puisque, d’après Auguste Comte, l’art obéit aux mêmes lois que la science. Ainsi, Taine s’efforce de découvrir les lois qui régissent la littérature. Il soutient que le contexte de l’œuvre littéraire, c’est-à-dire la race, le milieu naturel, social et politique et même sa date de création en font sa caractéristique et ses traits spécifiques. C’est également la pratique de Houellebecq dans ce roman où le héros, qui n’a rien d’un héros, disons l’habitant du livre, passe, comme dans un rêve, d’une société française supposée décadente à une société réglée et relancée par les lois de l’Islam. L’auteur se pose la question de la foi, bien petitement il faut le dire, sans grande conviction, mais avec sincérité, du moins dans les faits. Il fait preuve du même cynisme que Huysmans. Il soulève les questions et les laisse sans réponse. Ainsi François va dans la vie sans jamais provoquer son destin, le laissant aller où bon lui semble, en spectateur plutôt qu’en acteur. Il en vient à se convertir à l’Islam à l’image de la conversion facile qui consiste à ne dire que les mots suivants : « Je témoigne qu’il n’y a d’autre divinité que Dieu et que Mahomet est l’envoyé de Dieu ».

Au-delà de ce lien personnel entre l’auteur et le narrateur du roman, on peut aussi considérer les aspects sociologiques de cette fable qui se déroule dans les années 2020 : l’image d’une France aux hommes politiques décadents et sans consistance, l'image de l'acceptation d'une réalité qui n’est en rien française, l'image d’une Education nationale sans volonté, oublieuse de la civilisation occidentale qui la fit. Au travers des réflexions de François, on perçoit la déliquescence d’une nation par manque d’affirmation de soi. Un endormissement face au volontarisme machiavélique du nouveau pouvoir. Les changements culturels se déroulent sans objection de la part des élites intellectuelles et politiques : à Dieu va, semble dire la nation, sans s’en émouvoir.

Le titre « Soumission » du roman est bien vu. C’est bien de cela qu’il s’agit : la modération devenue le maître mot des politiques se retourne contre leurs promoteurs. L’Islam engloutit le peu de considération que le pays a encore sur lui-même. Cette politique fiction, très personnelle, et romancée à la manière Houellebecq, pleine de réflexions, de morgue, de sexe et dans le même temps d’innocence et de regard neuf, laisse un goût amer, celui d’une société à la fois peu imaginable, mais réaliste, dont l’aveuglement est compensé par la poursuite d’une vie qui semble normale aux élites qui s’adaptent et maintiennent leurs pouvoirs au prix de multiples contorsions. Et les Français dans tout cela, que deviennent-ils ?

03/02/2015

En parcourant les dunes

Quand nous partions libres et nus
Vers les lointains pays d’Orient
Et que nous rêvions de ces danses endiablées
Au pied des chameaux bleus
Nous parcourions les dunes
Et chantions inexorablement enlacés
Notre bonheur au ciel jaunissant

Tu me tenais par la main
Et je ne pouvais que te suivre
Prisonnier de ces battements
Que j’entendais dans la résonnance du moi
Nous parcourions les dunes
Assis sur la selle de l’évasion
Sous la nuit chaleureuse

L’ombre de la pure volupté
Nous enlaçait, peau frissonnante
Bouillonnement des enlacements
Le désert avait fait place à la luxure
D’un vert tendant vers le violet
Et de bruns tendres et chauds
Nous parcourions les dunes
Et nous rêvions d’eau en cascade
Et de fraicheur toujours honorée

Nous marchions dans la fange
Des vallées encombrées d’arbres
Aux feuilles persistantes et maigres
Et nous parcourions les dunes
Nous avançâmes plus loin encore
Jusqu’au repos dans les limbes
Après la mort des corps tendus
L’un vers l’autre, inexorablement
Dans la solitude de l’ardeur

Nous atteignîmes le non-retour
En parcourant les dunes  
Environnés du blanc brouillard
De nos joies nouvelles
Là nous fermâmes les yeux
Et virent défiler notre avenir

Nous agréâmes cette vision
Et nous nous laissâmes endosser
La responsabilité de cette vie
Que nous menons depuis
Entre la vie et la mort
Etroite, mais combien douce
De frôlements imperceptibles
De nos corps ensorcelés

Main dans la main, nous naviguons
Dans l’air pur de nos aspirations

© Loup Francart

02/02/2015

Le palais de Pena à Sintra (Portugal)

Sintra est une petite ville pleine des mystères du passé. D’une géographie compliquée, elle nous permet d’entrer dans l’atmosphère du romantisme du XIXème siècle. Les princes, et ceux qui avaient fait fortune, bâtissaient de merveilleux jardins et des palais des mille et une nuits. C’est le cas de Pena, château royal qui domine Sintra de sa mousseline colorée, caverne d’Ali Baba à l’intérieur bourgeois.

Cette étonnante construction fut achevée en 1885 par la volonté de Ferdinand de Saxe Cobourg-Gotha, régent du royaume et se caractérise par un mélange de style assez détonnant (gothique, baroque, Renaissance mauresque, manuelin) qui en fait un bâtiment exubérant, conservant également quelques parties de l’ancien monastère.

Une entrée extraordinaire, un arc de Triton orné de féroces monstres marins,

puis le cloître qui appartenait au monastère d’origine

ou encore la chapelle

Des salons extravagants

Gardés par des personnages rocambolesques

Malgré tout, une intimité bourgeoise sympathique

Et un parc de 200 ha dans lequel on voudrait passer la nuit pour errer devant chaque trouvaille décorative et en particulier le chalet de la comtesse Edla.