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29/09/2014

L'huître

Ce n’est qu’une sorte de caillou
Très grossier et difficile à saisir
Transpirant des larmes vertes
Ouvrant parfois un sourire
Et riant béatement d’une bouche
Sans lèvres ni douceur

Il sent la marée des matins d’été
Quand vous partez à peine levé
Vers l’écailler du port fantôme
Et que vous entendez les cris
Des marins partant vers le large

Vous éprouvez l’irrésistible envie
De vous immerger dans l’iode
Rugueuse et foisonnante
Et d’éclater en les pressant
Les bourgeons des algues noires
Alors vous quittez vous aussi le port
Et voguez librement dans vos rêves
Secoué par les ondulations
D’un bateau qui vous emporte
Dans le monde inconnu et cruel
Des sirènes et des dauphins

Réveil !

Le couteau à la main, vous cherchez
Cette lèvre émincée qui suinte
Son odeur subtile et froide
Ne vous laissez pas charmer
Prenez l’air du tueur à gage
Fouillez dans ce corps dur
Pour d’une pression de la pointe
Enfoncer la lame aiguisée
Et d’un revers du poignet
Forcer l’animal à se dévoiler

Il résiste encore faiblement
Et du tranchant cette fois
Vous achevez votre sinistre besogne
Coupant le lien ténu, maintenant
Fermement le couvercle
Encore un effort pour désolidariser
Ce contenant aux reflets voilés
Du liquide clair et transparent
Qui sent le fond des mers
La folie des grouillements obscurs
La vie sans mouvement des pierres
Qui se révèlent fécondes

Baignant dans ce désir palpable
Elle est là, légèrement rosée
Et dévoilant son corps nu
Offerte au regard concupiscent
De l’amateur éclairé et enfiévré
Elle n’est parcourue que d’un frémissement
De ses membranes ondulées
Comme les amants avant l’amour

Avec douceur et respect
Vous approchez vos lèvres de sa froideur
Pour y trouver ce surplus de vie
Que vous guettiez dans l’inertie
D’un caillou fermé sur lui-même
Ce baiser glacé, au goût de mort
Envahi votre bouche et la réveille
Vous montez dans l’air du matin
Et vous êtes à la porte du paradis

Délicatement, avec soin, avec intérêt
Vous détachez cette chair offerte
De son point d’encrage
Pour la laisser une dernière fois
Baigner dans son élément fluide
Et s’épanouir avant de mourir

Vous portez cette coupe improvisée
 A vos lèvres avides et aspirantes
Et goûtez toute la subtilité
La fraicheur, l’innocence,
De cette chair qui s’offre
En toute impudicité et bravement
A vos dents qui la tranche
Pour en goûter intimement
Le suc ailé de l’éternité

Etes-vous au ciel ou sous les eaux ?
Vous ne le savez
Englobé de fraicheur acide
Vous n’êtes plus sur terre
Vous flottez à nouveau
Dans le liquide amniotique
Du commencement du monde
Lorsque vous n’étiez qu’en devenir
En espérance de volupté
Prêt à mourir ou à vivre
De cette expérience inqualifiable

© Loup Francart

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