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15/02/2015

Au-delà

Il a proféré la parole sacrée
Il s’est adonné au silence
Il a fermé les yeux
Il s’est retourné contre lui
Regardant son double
A la peau étrange
Transparente et grêle
Telle une pierre ponce
Et en une seconde plus rien
Il a rejoint un nouveau monde
Que personne ne connaît
Ni toi, ni moi, ni elle
Il ne sentait plus rien
Mais il était encore lui-même
Il était sûr de son esprit
Il n’a pas cessé un instant d’exister
Mais cette existence est autre
Privé de sens il flotte
Mais le sait-il ?
Peut-être est-il entre deux eaux
Sans doute est-il perdu dans le cosmos
Rien n’accroche son regard
S’il en a encore un
Mais son cœur déborde
Son esprit profère la parole
Son âme même sourit encore
Aux vagabonds qu’il croise
Sur la route inconnue
Des bienfaits de l’au-delà

© Loup Francart

14/02/2015

Une vie

Ce n’est pas une vie qu’il faudrait avoir, mais mille. Tant de choses à voir, à écouter, à toucher, à aimer. Tant de créations restant non exprimées. Tant de possibilités de faire toutes aussi passionnantes et enviables.

Comment se fait-il que la littérature ou la réalité nous content et nous montrent des vieillards qui n’ont plus d’envie, ni même de vie ? Quand bien même le corps ne suit plus, n’y a-t-il pas encore l’exploration de soi qui peut se poursuivre ? Le monde intérieur est plus grand que le monde extérieur. Parcourir les nombreuses pièces et paysages de cet autre univers qu’est le moi et même le dépasser pour atteindre le soi, quelle ambition à privilégier.

Il y a toujours à admirer, à réfléchir, à créer, à tout instant. Alors profitons-en au lieu de nous lamenter sur les incidents de nos courtes vies.

13/02/2015

Trouble 2

Oui, c’est l’inverse de trouble 1. Cependant, regardez de plus près. Ce n’est pas tout à fait vrai. Ici les lignes ont pris du volume. Elles ont pris du poids. Pourquoi ? C’est le mystère du noir et blanc. Un trait blanc sur fond noir tient plus de place qu’un trait noir sur fond blanc. Il s’étale dans l’œil et se donne en spectacle. Un trait noir sur fond blanc a du mal à s’imposer. Il est modeste et n’ose déranger personne. Alors il faut le gonfler, lui donner de l’épaisseur et il peut tenir son rôle dans toute sa superbe.

Mais… Disparu l’invisible de second plan, l’illusion d’optique. Plus rien que le fond blanc, vierge, serein, sans surprise.

Oui, le noir reste la couleur mystérieuse par excellence. Les fantômes en surgissent, sans autre envie que de se faire remarquer.

12/02/2015

Matinale 1

Jamais jusqu’à présent, Amélie n’avait songé à prendre son imperméable pour aller à la piscine. Pour quoi faire ? Se protéger de trois gouttes d’eau pour ensuite se tremper entièrement dans le bassin. Quelle bizarre idée.

Aujourd’hui, il pleuvait. Non pas une pluie forte et mouillante, mais un petit crachin d’ambiance qui donnait l’illusion d’un aérosol arrosant des bonsaïs. Certes, elle n’était pas mouillée, mais un froid vif la transperçait, entrant sous ses vêtements, collant à la peau jusque sous ses aisselles. Elle marchait pourtant à bonne allure malgré l’étroitesse de sa jupe qui gênait l’ampleur des mouvements de ses jambes. Tricotant plus vite, elle tenta de poursuivre en longeant les murs de façon à être protégée par les gouttières. Mais ce n’était pas ce qui tombait du ciel qui créait cette intense sensation de froid. Non. En réalité, depuis ce matin, la ville semblait figée. Peu de bruits. Peu de mouvements. Tout était noyé dans un brouillard épais se condensant sur le sol. Elle ne voyait pas à cinq mètres. Etait-elle sur la bonne route ? Elle s’arrêta, ne voyant que le blanc des particules d’eau qui s’enfonçaient en elle comme pour la dissoudre. Elle eut le sentiment d’être un morceau de sucre qui fond doucement dans l’humidité. Un léger bruit la rappela à elle-même. D’où venait-il ? Elle ne savait. Un pas, puis deux résonnèrent. Quelqu’un approchait. Elle eut peur tout à coup et se cacha derrière un pilier sous une maison ancienne comportant un auvent conséquent. Elle ne vit qu’une ombre blanche passer sur la voie et n’entendit qu’une toux sèche après son passage.

Enfin, elle arriva à la piscine. Elle entra dans la chaleur qui vous prend à la gorge dans ce type d’établissement, une chaleur moite, lourde, à l’odeur de Javel qui bouche le nez et donne la sensation de s’enrhumer. Dans sa cabine, elle se changea, enfilant un maillot une pièce, étroit et bien taillé, qui lui permettait des mouvements aisés. Elle vérifia que celui-ci cachait bien sa toison, bien qu’elle ait pris l’habitude de raser le superflu. Elle prit sa serviette et se dirigea vers le bassin, grand, presque vide et silencieux. Elle passa la douche obligatoire avec une sensation mitigée de chaud-froid. Regardant l’eau, après avoir posé sa serviette sur une chaise, elle se laissa envahir par son immensité : « Jamais je n’arriverai à tout boire », pensa-t-elle bêtement. Elle resta quelques minutes ainsi, penchée sur le miroir reflétant les ampoules suspendues au plafond, craignant l’immersion dans ce volume qui semblait vouloir l’assimiler. Cela lui rappela la sensation du brouillard de la rue, mais en plus intense et plus intime.

Alors, elle plongea. Le choc de la différence de température la contraignit à nager vigoureusement. A peine émergée à la surface, elle fit quelques mouvements de crawl, légers, cadencés, coulant. Une goutte d’huile tombant dans un verre d’eau. Elle ouvrit les yeux. Les bandes blanches démarquant les couloirs du bassin apparurent indiquant la marche à suivre, imposant une rigueur militaire qui n’était pas pour déplaire à Amélie. Elle considérait cette préparation matinale à sa journée comme un entraînement moral autant que physique. La sensation de lourdeur et de quasi-sommeil fit place à un afflux de testostérone. Elle se sentit grandir, s’allonger, prendre la forme d’un couteau effilé. Elle travailla sa cadence, reprenant sa respiration tous les trois temps, une fois à droite, une fois à gauche, soignant le roulis de son corps sans chercher à tourner exagérément le cou. Elle aimait ce mouvement de balancier imperceptible qui imprimait à son corps une bienfaisante libération de l’immobilisme de la nuit. Se couler dans l’eau, passer entre les gouttes comme un courant d’air, sentir entre ses seins le filet mouvant du courant, lui procurait une sensation de bien-être qui chaque fois hérissait le duvet de ses avant-bras. Arrivé au bout du bassin, elle se sentit prête à aborder la vrille du virage. Elle commença la rotation avant même le mur, profilant son corps immergé, poussant sur ses jambes et se laissa glisser sous l’eau comme un poisson, anticipant en quelques ondulations la remontée à la surface. Elle aimait cet exercice simple qui doit être exécuté avec souplesse et force. Elle l’avait travaillé et se concentrait sur son centre de gravité. Elle ressentit le poids de ses pensées en désaccord avec son équilibre physique et se focalisa sur la respiration. C’est celle-ci qui lui permettait d’arriver au vide nécessaire à la décontraction.

Elle fit plusieurs longueurs avant de ressortir, échauffée, fière de son corps, de sa souplesse et de sa vitalité. En s’essuyant avec sa serviette, elle décontracta quelques nœuds invisibles, mais ressentis. Elle s’assit sur sa chaise, heureuse, prête à prendre sa journée en pleine conscience. L’extérieur et l’intérieur en harmonie, elle se rhabilla et sortit, un sourire aux lèvres, concentrée sur cet espace en arrière de la gorge qui laissait passer un air pur et vivifiant. Elle était nettoyée, vierge de toute impureté. Elle partit à la conquête de la vie.

11/02/2015

Le parc Monceau, un dimanche après-midi

Ils courent, hommes et femmes confondus
Ils tournent en ovale, faisant le tour
Du parc encombré d’enfants et de vieillards
Jamais ils ne s’arrêtent. Inatteignables
Ils entrent en eux-mêmes, courant sans pensée
Le regard fiévreux, la jambe tressautant
Bardé de fils pour écouter, pour s’écouter
Pour communiquer, pour ne pas mourir
Quelle est ma tension, où bat mon cœur
Comment je respire, et, si cela m’arrive
Quelles sont mes pensées dans la course ?
Et l’appareil magicien va leur livrer
Une succession de chiffres et commentaires
Qui vont les rassurer : je peux continuer…
Alors ils repartent, pour un dernier tour
Se donnant le courage du vainqueur :
J’ai vaincu ma terreur, je n’ai rien perdu
Ils se donnent quelques distractions
Les hommes regardent les filles transpirant
Les femmes font semblant de ne pas les voir
Les enfants passent sur leurs trottinettes
Les vieillards sont assis, somnolents
Le gardien siffle pour montrer son autorité
Le gamin s’enfuit en courant et riant…

Ainsi va le monde, un dimanche comme les autres
Depuis que ce jardin existe, avec plus d’ombres
Mais toujours autant d’êtres sombres…
Paris éternel les regarde passer
Et rit sous cape d’un sourire chaud
Grâce à l’astre lumineux qui fait vibrer
Le cœur et trembler les sentiments

© Loup Francart

10/02/2015

L'océan et Jean-Jacques Gendron, peintre

La vision de Jean-Jacques Gendron est réaliste. Et pourtant ces quasi-photographies vous procurent une détente poétique extraordinaire. Ne serait-ce pas en raison du mouvement, un mouvement suggéré qui vous lie à la vague et vous fait immédiatement imaginer la suite du mouvement, l’écrasement de la vague sur le sol, l’éparpillement des gouttelettes, la fusion entre l’écume et le ciel tapi derrière la bascule de l’océan. Et vous entendez dans votre conscience sur-aiguisée le bruit de l’effondrement de la vague sur la côte.

Ainsi meurt les grands : ils tombent droits sur leurs pieds avec un bruit d’enfer avant de vous caresser la pointe de l’âme. Ce laisser-aller vous fait chavirer dans le rêve. Vous vous voyez admirant l’étendue des eaux, écoutant le doux ronronnement de l’écrasement des vagues, avec la petite pointe de vinaigre qui vous fait tendre l’oreille et passer votre langue sur vos lèvres.

Et lorsque la nuit tombe, mais que la lumière du soir irise la blancheur de l’écume, vous vous réjouissez de ce spectacle impressionnant : la pluie se déverse sur les eaux et les eaux renvoient leurs larmes vers le ciel. Le grondement de la houle se fait plus discret, vous n’entendez plus qu’un doux murmure rythmé et ne voyez plus que les derniers étirements du ressac sur le sable.

Ci-dessous, le rouleau manque de force, épuisé par cette longue traversée. Il va mourir gentiment, ayant auparavant remué le sable, soulevé les grains durs pour en faire une soupe grattant les aisselles. L’immensité se calme jusqu’à l’horizon, parfaitement plat, sans mouvement, sans une pensée pour vous.

L’eau vous envahit, vous submerge, entre dans vos oreilles, vous fait fermer les yeux, vous empêche presque de respirer. Dans cet état de demi-conscience, vous vous rêvez poisson, spectre, homme-lune, et vous filez à travers les vagues, aplati, étiré, tel un serpent luttant contre plus fort que lui. Pas un abri, les rochers balayés par la force de l’écrasement, vous ne pouvez que vous diriger vers le large, jusqu’à vous noyer dans la masse tranquille des profondeurs.

Merci à ce peintre qui, par un simple tableau, vous fait entrer dans l’immensité froide du ressac un jour d’automne.

Jean-Jacques Gendron expose à la galerie Neel, 2 place des Vosges 76004. Allez-y, vous serez transportés par ces toiles munies des ailes du rêve.

09/02/2015

Armagueddon, de Vincent Peirani et François Salque

http://www.youtube.com/watch?v=PY_ESt7C0Rg


Un très bon duo de deux instruments qui, de prime abord, fonctionnent difficilement ensemble. Et là, c’est l’harmonie pure, un fluide sensoriel qui vous courre sur les nerfs et crée un arc électrique entre les deux musiciens ; la blanche rondeur des sons du violoncelle et la lente plainte de l’accordéon.

Car cela commence par une plainte, longue, sensuelle, envoûtante, qui est reprise par les cordes, plus nette, jusqu’à vibrer en sanglots étouffés avant que naisse la danse endiablée, furtive, lancée cette fois-ci par le violoncelle, puis reprise par l’accordéon. 

Puis, ensemble, ils mènent leur sarabande, à tour de rôle soliste ou en chœur. Elle est rythmée et s’élance comme une danseuse qui gigote les jambes sans jamais s’emmêler, levant les bras et sautant toujours plus haut sans jamais perdre son harmonie avec les sons.

L’apaisement vient ensuite, méditatif, comme un souvenir perdu qui remonte à la surface, lentement, avec insistance jusqu’à envahir tous les pores de la peau et mourir sobrement, sans bruit, en solitaire.