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02/03/2014

Le retournement des idées

La République se proclame égalitaire. A chacun sa chance ! Jules Ferry, en matière d’éducation, en fit son cheval de bataille. Tous peuvent accéder aux grands postes par la réussite aux concours et examens.

Depuis quelques années, et cela s’accentue sans cesse, l’égalité ne consiste plus à permettre à tous de travailler pour que tous puissent réussir. Elle implique un quota d’accès aux grandes écoles et universités sans concours ni examens. Il n’est plus question de sélectionner, car sélectionner c’est exclure. L’égalité est un postulat et non un résultat. Elle doit être imposée. Pourquoi ?

Les défenseurs de cette thèse proclament que l’inégalité ne tient pas à l’aptitude de chacun devant les tâches. Elle tient aux conditions sociétales et culturelles dans lesquelles celui-ci se trouve. Le bourgeois passe des diplômes. Le fils d’ouvrier, l’immigré n’y a pas accès en raison de son rang social. Alors l’égalité consiste à lui ouvrir les portes sans démonstration de son savoir-faire. Pas d’examen, pas de concours. L’égalité commande son intégration. C’est ainsi que Sciences Po, et d'autres écoles dites grandes, accueille des élèves de lycées défavorisés. Pourquoi certains sont sélectionnés, pourquoi certains lycées sont élus et pas d’autres ? Peu importe. Cette inégalité est retournée par l’objectif final : tant de pourcentage pour telle banlieue, telle appartenance, telle communauté, telle minorité, etc. L’égalité se retrouve derrière les statistiques et non derrière la valeur intrinsèque d’hommes et de femmes sélectionnés pour leurs aptitudes.

Désormais l’égalité consiste à donner à tel ou tel catégorie l’accès à ce qu’il ne peut par lui-même acquérir. La démocratie n’est plus affaire de partage des chances, elle consiste à donner à des catégories sociologiques déterminées ce que d’autres doivent acquérir par le travail.

01/03/2014

Le miroir dans un miroir (Spiegel im Spiegel), d’Arvo Pärt

http://www.youtube.com/watch?v=iVa8zbqvLUM


Arvo Pärt une fois de plus nous surprend. Quelques notes égrainées accompagnées par un chant très léger… Quelle atmosphère ! S’agit-il d’une musique d’enterrement, d’une nuit sans sommeil, du repos après les feux de l’amour ou encore de la méditation d’un adepte du zen.

Rien de tout cela. Vous êtes seul face à vous-même, vous est renvoyée votre propre image, à l’infini. Rien que moi et ce moi n’est rien. Ce n'est qu’une enveloppe sans fond qui échappe à votre vue. Vous vous trouvez bien dans cette vision incongrue d’une forme invisible. Plus un souvenir, plus de volonté, plus d’avenir et même pas une présence dans l’instant. Et vous vous élevez dans les airs comme la fumée d’une cigarette dans un cendrier abandonné sur une plage. 

Aux frontières de l’absurde ou une entrée dans la non douleur ? Le temps n’existe plus. Il tourne en boucle, avançant gauchement sur le chemin de la sérénité. Parfois une note aiguë résonne dans la tête comme une goutte d’eau qui tombe sur le crâne. Mais rien n’éclate, rien ne vient troubler l’inertie du corps qui n’est plus. Ce n’est plus une attente, ni même une absence. 

Et pourtant le temps s’égrène avec ses trois notes et parfois quatre.

28/02/2014

L'eau dans tous ses états

L’eau, dans tous ces états
Remonte à la source
En vertu d’une équation :
Plus de cent pour cent
De hauteur de barrages
Par rapport à la dénivelée

L’eau n’est plus ce qu’elle était…
Qu’a-t-elle de moins ?
Non c’est en plus, invisible
Dilué dans la masse d’eau…
Cela donne des boutons,
Et fait des buveurs d’eau
Des rats courant en tous sens

Mais on trouve aussi dans cette eau
Des bouchons monstrueux
Qui nivellent à des hauteurs de noyade…
Il faut les faire sauter
Pas question de les manœuvrer !

Adieu long fleuve tranquille
Désormais cours jusqu’à la mer…
Personne ne peut t’attraper
Ni tremper ses doigts de pied
Dans cette eau désormais sacrée

© Loup Francart

27/02/2014

L'enfant

L’enfant est un adulte déjanté. Avec une désarmante candeur, il vous sort quelques  vérités incongrues telles que la présence d’un grain de beauté sur la joue ou le léger rebond de votre estomac. On ne peut s’empêcher d’en rire sur le moment, puis de pleurer sur le délabrement progressif du corps qui s’épuise à se renouveler et sur la personnalité élaborée avec tant de peines.

Je ne suis plus ce que je croyais être. Si je monte encore les escaliers quatre à quatre, je ne les descends plus que deux à deux. Si je lève toujours le coude, mon verre commence à trembler. Certes, j’ai toujours vingt ans, mais ces vingt ans sont devenus virtuels. De la réalité à la fiction et non l’inverse.

L’enfant voit les gens comme il les observe, sans l’ajout de l’habitude et du conformisme. Il se promène chaque jour dans des rues inconnues et considère leur nouveauté. Il s’émerveille à sa manière, par simple constat d’une réalité qu’il ne connaît pas suffisamment pour ne plus la voir. Cet émerveillement n’est pas l’extase de ce qui sort de l’ordinaire. Il est dû au contact de l’ordinaire qui est encore pour lui extraordinaire, ce qui n’est pas le cas de l’adulte. Seul le poète le rejoint dans cette extase. Chaussant ses lunettes de découvreur de la réalité, il fait lui aussi des focus sur une réalité devenue autre. Comme l’enfant, il tente de l’expliquer avec ses mots. Ceux-ci ne sont pas toujours compris parce qu’ils traduisent des images que le lecteur ou l’auditeur ne connaît plus ou ne connaît pas.

L’enfant apprend la réalité. Le poète redécouvre la réalité. Entre les deux, le monde nu, frêle et réel. Quelle plongée refroidissante avant de remonter revêtu de la couronne de laurier !

26/02/2014

Sauf les fleurs, de Nicolas Clément (Buchet-Chastel, Paris, 2013)

Dans nos besaces, il y a avait toujours une tartine en plus. (…) Nous ouvrions nos besaces, les chevaux se régalaient dans nos mains gantées de souffles chauds. Aujourd’hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J’écris notre histoire pour oublier que nous n’existons plus.

Ainsi commence le récit de Marthe, une petite fille, puis jeune fille, étonnante d’innocence et de maturité. Elle raconte le calvaire de sa famille : un père quilittérature,roman,récit,poésie boit et qui bat sa femme et ses enfants. Une mère qui supporte tout pour les protéger, des enfants conscients, mais qui restent des enfants.

Le récit est frais, anodin, empli du présent plein de terreur et d’un avenir imaginaire et consolateur : Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens. Chaque chapitre égraine les ans. Ils se terminent par J’ai douze ans. J’ai seize ans… Elle découvre l’amour : Dans la chambre apprivoisée, ses mains me trouvent après m’avoir cherché caresses. J’oublie le filet percé qui me juge. Des paroles me poussent dans la bouche, que ne trompe plus mon vœu de silence. La douceur de ses hanches me suspend à la barre de ses yeux, puis je retombe ses jambes plus légères que le vide. A l’odeur de ses mots fous dans mes cheveux, je sais que Florent a souci du puzzle que je suis, tandis que s’estompe l’image clouée à l’envers de ma boite. Né d’un fil entre deux paysages, nous vivons d’une bouchée d’équilibre, notre envol, notre saut rattaché.

J’ai dix-huit ans… Le grec ancien lui tient lieu de refuge comme l’amour de Florent. J’ai hâte de ses yeux, je l’écoute respirer. Avant d’aller jouer, Florent m’appelle, nous nous fouillons, j’ai juste assez de place pour jouir. Sur le piano, il y a "Les plus belles chansons du temps passé", ouvert à la page huit. Il joue ma partition toute blanche et n’est lui chaque fois que j’écris, trois soupirs par seconde.

J’ai dix-neuf ans… L’année terrible où elle tue son père qui a tué sa mère. Tout ceci est conté d’une voix tranquille, comme détachée des évènements. Elle flotte dans un monde où rien ne marche et ne semble pas troublée. Papa visse le journal dans la bouche du mannequin. Le juge ordonne "Recommencez, plus lentement". Je recule. Je les vois attroupés, affairés à comprendre. Je m’approche du buffet. J’arme et je tire. Papa s’écroule. J’essuie mes jambes plaquées au sol. Un gendarme me ceinture. Nous n’avons plus rien à craindre. Je suis étrangement calme.

Une histoire terrible, contée du bout des lèvres par un mélange de franchise et de naïveté : Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m’interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j’étais. Je voulais un professeur pour me surprendre…. Je n’ai pas eu tout ce que je voulais, mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d’avant. Je tombe rond ; mon compte est bon.

25/02/2014

Le mystère du bonheur

Les hommes courent après le bonheur sans jamais le rattraper. Parfois ils sont si proches de lui que son parfum les envahit, les amollissant et les privant ainsi de ses bienfaits. Plus rarement encore, électrisés, ils le touchent du doigt et en restent sans réaction. Qu’est-ce que le bonheur ?

La première approche que l’on peut faire est comparative. Le bonheur se mesure et s’apprécie par rapport au malheur. Mieux même, le bonheur est l’absence de malheur. Est-ce si vrai ? Peut-on comparer l’intention d’éprouver du bonheur qui est encrée en chaque homme avec l’arrivée d’un malheur qui n’est, a priori, nullement recherchée ? Le premier serait le saint Graal, le second la tuile qui tombe sur la tête dans la rue. Pour le premier une recherche de toute une vie, pour le second une angoisse toujours présente. Cette approche a le mérite de mettre en évidence l’absence d’échelle de perception entre les deux concepts. Le malheur peut se mesurer comme on fait mesurer la douleur de 1 à 10. Mais le zéro n’est pas le bonheur. Il ne signifie que l’absence de malheur.

La deuxième approche permet sans doute d’aller plus loin. Elle est également comparative. Le bonheur serait un état d’être qui se situe sur une même échelle que la satisfaction du désir ou l’extase de la joie. Très vite cependant, l’on perçoit que ces deux dernières notions se situent dans l’instant, alors que le bonheur implique une certaine durée. Elles ne sont que des vagues nées du vent de la vie, alors que le bonheur se trouve dans les eaux profondes et sans mouvement, qui ne sont pas touchées par les aléas extérieurs. La satisfaction du désir, c’est-à-dire le plaisir, n’entraîne qu’un simili bonheur d’un instant. L’extase de la joie est une explosion brutale qui  s’éteint progressivement de la même manière que l’eau qui bout se refroidit obligatoirement. Le bonheur est une sérénité durable que les riens de la vie ne peuvent atteindre.

Qu’est-ce qui fait cette différence entre le bonheur durable et la jouissance instantanée du plaisir  ou la jubilation fervente de la joie ? Ne serait-ce pas leur cause ? Je recherche les seconds dans les événements de ma vie. Je découvre le premier en moi, grâce à la contemplation du mystère du monde, mais hors de tout impact momentané du monde sur moi. Oui, le bonheur est un retournement des perspectives. Il n’y a plus de ligne de fuite, mais perception d’un mystère qui s’agrandit en harmonie et de manière permanente. Le bonheur est une ouverture. Le plaisir et la joie ne sont que des explosions provisoires qui cessent lorsque les derniers débris sont retombés sur le sol.

Alors, que signifient ces mots : le mystère du bonheur ? Le mystère est inaccessible à la raison ou plutôt l’étude rationnelle ne permet pas d’en faire le tour. C’est par exemple ce qu’il y a au-delà du big-bang. La science approchera cet instant premier de la naissance de l’univers, mais elle ne saura jamais, sauf à changer de perspective, qui est à l’origine. A travers le comment, elle permet de répondre au quoi, mais pas au pourquoi. Pourtant, nous sentons bien, dans le même temps, que le bonheur dépend de nous. Ce ne sont pas les évènements qui en sont la cause, mais notre façon d’être et de vivre qui détermine la part de bonheur dont nous disposons.

Peut-on conclure, provisoirement, que le bonheur est une notion générale, mais qui se vit individuellement ? Je fais mon bonheur par ma façon de d’être et de vivre, mais ce bonheur m’est personnel dans sa réalisation. Oui, chaque homme est un mystère unique et c’est ce qui en fait sa grandeur.

24/02/2014

Le consternant silence de la nuit

Le consternant silence de la nuit
Quand l’œil ouvert promène sa caméra
Sur la chambre agrandie d’obscurité...
Un reflet dans la glace… Froid dans le dos
Un grincement de meuble… Mal aux dents
Le vol d’un moustique… Attente sans fin

La nuit n’est plus ce qu’elle était...
Elle court sans savoir où elle va
A l’aveugle, en femme échevelée
Elle me tient de sa main gantée
Et m’entraîne dans les précipices
En farandoles inlassables et vertueuses
Jusqu’au réveil hurlant

Premières lueurs de l’aube...
Les cheveux se dressent sur la tête
Rien d’autres ne te retient
Love-toi sur toi-même
Et sois comme le juste…
Endormi...

© Loup Francart