25/12/2011
Vivre la nativité
Dans sa sagesse, chaque année, l’Eglise nous offre de vivre et de revivre l’expérience chrétienne. Car c’est bien à une expérience qu’elle nous invite au-delà de la vision théologique. Chaque année, l’Eglise m’invite à la conversion dans le temps de l’Avent; chaque année, l’Eglise m’invite à vivre la naissance du Christ en moi; chaque année, l’Eglise m’invite à mourir à moi-même comme le Christ le fit lors de sa passion; et chaque année, l’Eglise m’invite à participer à la gloire du Père dans la lumière de la Pâque. Chaque année de ma vie, je suis invité à approfondir ce cycle merveilleux de l’expérience chrétienne. Lié au cycle naturel des saisons, il se déroule en spirale, à l’égal de ma vie humaine, avec ses élans et ses chutes, avec sa puissance et ma pauvreté, avec la distance toujours vécue qu’il y a entre l’expérience de la vie divine en nous et l’expérience de notre pesanteur à la faire perdurer en nous.
La liturgie du temps de Noël nous convie à méditer les trois aspects du mystère de l’Incarnation. D’abord la naissance éternelle du Verbe qui reçoit éternellement la nature divine du Père. C’est à ce titre qu’est lu dans la messe du jour de Noël le prologue de l’évangile de Saint Jean : Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui, tout s’est fait... Ensuite, la naissance temporelle du Verbe dans l’histoire des hommes : et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous... Enfin, la naissance spirituelle du Verbe en chacun de nous pour donner vie à l’Eglise, corps mystique du Christ : tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
Saint Grégoire de Naziance, dans un sermon pour le jour de Noël, résume la fête de la nativité comme celle de la re-création :
“ Moi aussi, je proclamerai la grandeur de cette journée : l’immatériel s’incarne, le Verbe se fait chair, l’invisible se fait voir, l’impalpable peut être touché, l’intemporel commence, le Fils de Dieu devient le Fils de l’homme, c’est Jésus-Christ, toujours le même, hier, aujourd’hui et dans les siècles (...) Voilà la solennité que nous célébrons aujourd’hui : l’arrivée de Dieu parmi les hommes, pour que nous allions à Dieu ou plutôt revenions à lui; afin que, dépouillant le vieil homme, nous revêtions le nouveau et que, de même que nous sommes morts en Adam, ainsi nous vivions dans le Christ, nous naissions avec lui, nous ressuscitions avec lui (...)
Miracle non de la création, mais bien de la re-création (...) Car cette fête est mon achèvement, mon retour à l’état premier, à l’Adam originel.
Révère la nativité qui te délivre des liens du mal. Honore cette petite Bethléem qui te rend le paradis. Vénère cette crèche. Grâce à elle, toi, privé de sens (de logos), tu es nourri par le Sens divin, le logos divin lui-même. ”
C’est bien à une expérience vivante que nous convie la fête de la Nativité et cette expérience intérieure est à l’image et à la ressemblance du mystère de l’incarnation dans sa totalité dynamique : Dieu, en Christ, vient chercher l’humanité. Marie, dans son attente virginale, accueille et enfante Dieu. Par cette naissance, l’homme devient participant de la nature divine (2 Pierre 1,4).
Dieu en Christ vient chercher l’humanité :
Il ne nous appelle pas comme un grand personnage qui veut montrer sa magnificence. Il vient nous chercher en se faisant semblable à nous. Saint Paul explique qu’il s’est dépouillé, humilié, évidé, ékénosen (Phil 2,7). Il renonce à lui-même, par amour, pour trouver notre amour. Il vient réveiller ce bonheur qui sommeille en nous : la joie de l’amour. Il ne nous l’impose pas, il attend, il espère, vide de désirs, avide de nos regards.
Marie accueille et enfante Dieu :
Marie aussi est vierge, comme le Christ s’est fait vierge. Elle est vide d’elle-même, centrée sur son origine, sur celui par qui tout a été fait et qui est la vie. C’est cette virginité qui permet la naissance du Verbe et l’accomplissement du mystère des mystères : la créature enfante de son créateur. Marie nous guide ainsi sur le chemin de la vie : rejoindre au plus profond de nous-mêmes ce lieu vierge de notre personnage, au-delà de l’image que nous cherchons à donner, à la ressemblance de la lumière incréée.
L’homme devient participant de la nature divine :
“ Le but de l’incarnation, c’est d’établir une pleine communion entre Dieu et l’homme, pour que l’homme trouve en Christ l’adoption et l’immortalité, ce que les Pères nomment souvent la déification : non pas évacuation de l’humain, mais sa plénitude dans la vie divine, car l’homme n’est vraiment homme qu’en Dieu. ” (O. Clément, Sources, Stock, Paris, 1982, p.37). C’est en cela que Grégoire de Naziance parle de re-création ou de nouvelle naissance, et c’est bien un événement personnel comme il le montre en parlant à la première personne du singulier.
Au-delà de la fête extérieure, vivons, revivons à chaque instant ce mystère étonnant : le Verbe se fait chair en nous et nous rend participants à la nature divine. Cette nouvelle naissance nous fait enfant de Dieu et membre du Corps du Christ. Marie, nouvelle Eve, nous ouvre à la vie nouvelle, car toute l’humanité en la Vierge enfante Dieu. En Marie, par Marie, l’humanité est recréée. Le cosmos est recentré en Christ, son origine et son achèvement est en lui.
00:26 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noël, spiritualité, religion, christianisme | Imprimer
24/12/2011
Stalker, film d’Andrei Tarkovski (1979)
1ère partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk38ve_stalker-partie-1-...
2ème partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk3aj3_stalker-partie-2-...
3ème partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk3che_stalker-partie-3-...
Lente, très lente entrée dans une chambre où dorment une femme, un enfant et un homme. Passe un train. L’homme se lève. La chambre est grise, sale, la pièce d’à côté également. La femme, qui s’est levée peu après lui, lui fait une scène : Pourquoi repars-tu dans la zone ?
L’homme y part avec un professeur, chercheur scientifique, et un écrivain. La zone est un lieu où une météorite serait tombée. Elle est désormais interdite d’accès, gardée par des miliciens. Mais elle est devenue un lieu mythique, un lieu où tous les vœux se réalisent. Ce serait un cadeau ou un message au genre humain. Au cœur de la zone, la chambre. On ne l’atteint pas par la ligne droite, car elles n’ont pas cours. De même, on ne retourne jamais par le même chemin.
Les alentours de la zone, ce sont d’abord des ateliers, des trains qui passent, des policiers qui veillent. Tout est en ruine, sale, boueux, hors d’usage. Ils troquent leur jeep pour une draisine et poursuivent leur chemin sur une voie ferrée. Les bruits et les images sont quasiment les seuls éléments du film. De noir et blanc, celui-ci passe en couleur lorsqu’ils franchissent une première frontière, invisible. C’est le matin. Quel silence…
Puis commence une deuxième étape, à pied. Ils s’engagent dans une plaine où des combats eurent lieu, avec des carcasses de chars qui rouillent dans une herbe haute. Le stalker fait des détours, mais l’écrivain veut prendre au plus court. Alors le passeur explique : La zone est un savant système de pièges qui sont mortels. Les endroits que l’on croyait sûrs deviennent impraticables. Voilà ce qu’est la zone. Elle est ce que notre état psychique en fait. Elle ne laisse passer que ceux qui n’espèrent plus rien. Et la caméra montre un trou d’eau qui fait dire au stalker : Qu’ils se fient à ce qu’ils voient et qu’ils s’amusent à découvrir leurs passions. Elles n’ont rien à voir avec l’énergie de l’âme, ce n’est que le produit de son frottement contre le monde matériel. L’essentiel, c’est qu’ils en viennent enfin à croire en eux-mêmes et deviennent impuissants comme des enfants, car la faiblesse est grande et la force n’est rien…
Ils abordent un moulin dans lequel l’eau bruisse à pleine force, augmentant encore la tension. Il faut franchir un tunnel détrempé par les eaux. Mais le professeur se perd et ils ne vont le retrouver qu’à la sortie du tunnel. Au cours d’une longue pause, le professeur et l’écrivain discutent de la science, du désintéressement de l’art et du sens de la vie. Ces propos sont pessimistes, mais pour le stalker, tout a un sens, un sens et une cause.
Enfin, ils arrivent à une longue conduite dans laquelle ils s’engagent, l’écrivain en tête. Longue, très lente marche vers la porte finale. Sont-ils ou non dans la chambre. On ne le sait. Ce sont de longs échanges : Le principal, y croire ! Alors, on y va. Qui commence ? Le professeur sort à ce moment de son sac un objet, l’appareil à sonder les âmes, l’animomètre. En réalité, une simple bombe, car ce lieu n’apportera jamais le bonheur à personne. Il vaut mieux le détruire. Et ils se battent, le passeur voulant à tout prix récupérer la bombe. Vous ne voyez pas qu’il veut tuer votre espérance ? Alors le stalker explique que par sa fonction il ne peut pénétrer dans la chambre. Il proclame qu’il n’a rien fait d’utile dans ce monde et est incapable de rien faire. Mais :
– Dans la zone est mon bonheur, ma liberté, ma dignité ! Laissez-moi ce qui m’appartient ! Je guide des malheureux qui souffrent, qui n’ont plus rien à espérer ! Moi, je peux les soulager.
– L’idiot du village, voilà ce que tu es ! Tu n’as pas la moindre idée de ce qui se passe ici en réalité. Ne s’accomplira ici que ce qui correspond à ta nature profonde. Un aspect de ton moi dont tu n’as aucune idée, mais qui est en toi et te gouverne toute ta vie durant.
Le professeur démonte alors sa bombe. Il refuse de comprendre. Et la paix s’installe dans cette pièce en ruine, envahie par une pluie d’orage. Quelle belle image que ces trois hommes assis dos à dos, dans cette ruine, en paix pour la première fois.
Retour au début du film. Cette fois sa femme entre dans le bistrot : de retour ? Le passeur est fatigué, tellement fatigué. Ceux qu’il passe ne croient à rien. Ils n’ont pas la foi. Et sa femme se met à parler aux spectateurs du film. – Vous avez déjà compris que c’est une âme innocente. Un passeur est un condamné. Et pourtant, j’étais sûr qu’avec lui je serais bien. Lui, il est venu me trouver et il m’a dit : « Viens avec moi ». J’y suis allé et ne l’ai jamais regretté.
Réalisé par Andreï Tarkovski, sorti en 1979, « Stalker », mot anglais désignant un chasseur à l’approche, un rodeur, est un film hors du commun, à l’image de ces vues glauques de bâtiments industriels en ruine, de pièces délabrées, de campagnes dégradées par l’homme moderne, de visages sales, presque morbides. Et malgré tout cela, malgré l’homme ignorant et provoquant, il en ressort une sorte d’optimisme, même de métaphysique heureuse qui tend vers une perfection spirituelle inatteignable. Si l’être humain est en rupture avec son environnement, le stalker, lui, s’efforce de réconcilier le monde et l’homme à travers ce voyage initiatique qu’il offre à ses clients. Au delà du rationalisme du professeur et du scepticisme de l’écrivain, le passeur devient un guide spirituel qui veut reconstruire un monde meilleur.
06:41 Publié dans 13. Cinéma et théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, société, communisme, spiritualité | Imprimer
23/12/2011
Corrida
La corrida : instant magique où l'homme et l'animal se retrouve face à face dans un combat à mort.
Les uns diront macho et crieront au scandale devant un tel spectacle.
Les autres s'exclameront : Quel art magnifique !
Cette encre de Chine à la manière de Picasso, dessinée il y a déjà un certain temps, témoigne de ces après-midi au cours desquelles la brutalité, le courage, la force, la puissance côtoient la noblesse, l'esthétisme, la grâce féminine, le tout couronné par la mort, de l'un ou de l'autre, mas plus souvent de l'autre, c'est-à-dire du taureau.
06:45 Publié dans 24. Créations dessins | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, art, culture | Imprimer
22/12/2011
Le concert vu par un choriste qui n’a rien compris à la musique
Ce ne sont que des impressions, sans plus, qui ne rendent nullement compte de l'atmosphère réelle du véritable concert. La musique vue par un non initié qui s’intéresse aux réactions plutôt qu’à l’effet musical.
Instants précédents, dans l’église
Lorsque les spectateurs toussotent benoîtement
Lorsque les choristes deviennent ordonnés
Lorsque le chef de chœur sent un nœud
Au plus profond de son ventre
Avant de dire : A Dieu va !
Entrée, à pas menus, celui des femmes
Montée sur l’estrade, face au public
Regard des choristes sur celui-ci, curieux
Puis report de l’attention sur l’initiatrice
Qui dresse ses mains comme une déesse
Un battement et l’orchestre commence à jouer
Ensemble, les violons chatoyants,
La clarinette sourde, la flute aigrelette
D’où sort un air réglé, sonore et vaillant
Rythmé par les battements du chef
Amoureusement, avec souplesse
Elle imprime sa volonté aux instrumentistes
Réservant sa verve gestuelle
Aux choristes qui pour l’instant écoutent
Enfin, voilà leur tour, ils s’agitent, pas trop
Placent leur partition en face de leur regard
Respirent en mesure, grandement
Et entrouvrent leur bouche, rondement
Pour sortir un accord devenu parfait
A force de répétitions et d’encouragements
Dans le sens voulu par le compositeur
Peu à peu, le chant s’harmonise et se fond
Module avec une précision mathématique
Les notes entremêlées, individuelles
Jusqu’à former une conjonction de mélodies
Que l’oreille avertie peut distinguer
Et qu’entendent ceux d’en face
Assis sur leurs chaises branlantes
Bougeant en périodes indéterminées
Pris d’une soudaine envie de tousser
Mettant discrètement la main
Devant une bouche ouverte et silencieuse
Quel spectacle ! Les spectateurs observés
Par les chanteurs qui s’attendent
A une manifestation chantée de leur part
Mais rien ne vient, rien qu’un discret grondement
De celui qui ne peut se retenir
Mais qui cherche à le camoufler
Par un mouvement de sa chaise
Et pendant ce temps la pièce musicale
Egraine sa mélodie, avec toutes ses embûches
La voix collée au palais, ils chantent
Encouragés par l’attention soignée
Du maître de musique tout en rondeur
Et sourire affectueux et prudent
Reprise des instruments, au fil du temps
Organisant l’espace musical
Découpant la musique en pièces
Piécettes et comptes d’apothicaire
Silence, soupirs, reprise
Rien n’est épargné à l’auditeur
Qui se délecte sur sa chaise
Se gratte l’oreille, croise ses jambes
Fait mille bruits incongrus, en murmure
Inaudible à l’inhabitué des concerts
Et voilà, déjà les dernières mesures
Un geste apaisant, menu
Avant celui définitif d’une fin annoncée
Fermées les bouches des choristes
Sans souffle ni toucher pour les instruments
Un instant de suspension
Un air plus léger, résonnant encore
Des derniers accords jusqu’au fond
De l’église avant de revenir atténués
Vers les exécutants. Encore un instant
De silence encouragé par le chef
Qui lentement abaisse ses bras,
Relâche ses épaules, incline la tête
Avant que les applaudissements
Ne lui laissent un sourire au coin des lèvres
L’esprit tranquille, elle respire
L’air des fleurs du travail bien fait
Quel beau concert, merci à tous
Semble-t-elle dire en regardant
Sa petite ménagerie chantante
Mais où est donc passé le compositeur
D’une aussi divine musique
Et le chant a-t-il élevé les sopranes
Enrobé les alti, approfondi les basses
Ennuagé les ténors ?
Oui, sans doute, mais seuls
Les auditeurs peuvent le dire
Il leur reste au creux de l’oreille
Des souvenirs et des caresses
Et l’âme encore endolorie
D’une nostalgie incontestable
Troublante et difficilement exprimable
04:22 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, musique, concert | Imprimer
21/12/2011
Acide sulfurique, roman d’Amélie Nothomb
Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle.
Ainsi commence ce roman extraordinaire ! Il conte une émission de téléréalité, dénommée « Concentration », reproduisant les camps exécrables du nazisme, offerts aux spectateurs de tous les jours. Singulière omelette psychologique qui conduit à la mort. Est-elle réelle, on ne le sait et on ne le saura pas.
Il y a les acteurs du jeu terrible : les kapos, bourreaux impitoyables qui chaque jour décident qui doit mourir ; les détenus, pris parmi la population, au hasard des rafles ; les organisateurs, inconnus, souterrains et vils par leur inaction face aux souffrances des détenus, pour eux seule compte l’audience ; enfin, les spectateurs qui se repaissent des malheurs des détenus et s’insurgent contre les organisateurs, mais qui ne cessent de regarder à travers la caméra voyeuse.
Plus particulièrement, on suivra la kapo Zdena, brutale, défavorisée par la nature tant physiquement que psychologiquement. Elle est intriguée par la divine Pannonique, jeune fille de vingt ans, au visage angélique, ramassée un jour au jardin des Plantes. CKZ 114, ainsi s’appelait Pannonique, était désormais l’égérie des spectateurs. Les journaux consacraient des articles à cette jeune fille admirable de beauté et de classe, dont personne ne connaissait la voix. On vantait la noble intelligence de son expression. Sa photo s’étalait en couverture de nombre de revues…Peu à peu, CKZ devient l’obsession de Zdena. Elle brûle de connaître son prénom. Devant ce refus, elle use d’abord de la schlague. Puis, elle tente la douceur. Elle remplace sa schlague par une imitation inoffensive. Alors elle repose sa question et Pannonique répond : « Je m’appelle CKZ 114. » Le lendemain, nombre de chroniqueurs titraient : Elle a parlé ! Ce qu’il y a de plus singulier dans cet énoncé, c’est le JE. Ainsi, cette jeune fille qui, sous nos yeux consternés, subit la pire infamie qui soit, la déshumanisation, l’humiliation, la violence absolue, cette jeune fille que nous verrons mourir et qui est déjà morte, peut encore fièrement commencer une phrase par un je triomphant, une affirmation de soi. Quelle leçon de courage ! »
La kapo Zdena cherche alors à la corrompre avec du chocolat, car les détenus meurent de faim. Pannonique ne cède pas. Elle distribue le chocolat à sa chambrée. Mais lorsque la kapo envoie la protégée de la jeune fille à la mort, CKZ 114 se poste face à elle, plante ses yeux dans les siens et clame haut et fort : Je m’appelle Pannonique !
Désormais, c’est la lutte entre le bien et le mal qui domine. Pannonique a un besoin de Dieu atroce. Elle a faim de l’insulter jusqu’à plus soif… C’était le principe fondateur qu’elle avait besoin de haïr… Alors, elle serait Dieu pour tout. Elle s’essaye à aimer ZHF 911, une vieille, épargnée en raison des atrocités qu’elle profère et qui font monter l’audience. Il était terrible de se rendre compte que l’être le plus mauvais du paysage appartenait au camp des détenus et non au camp du mal. Pannonique aime réellement une petite fille, malmenée par un homme appartenant vraisemblablement aux organisateurs. Or un jour, à la sélection des condamnés du jour, la vieille et la fillette sont nommées. Les extrêmes s’attirent, on dirait.
Pannonique se tourne alors vers EPJ 327, un homme qui cherche toujours sa présence, car celle-ci est devenue sa raison de vivre. Zdena en conçoit de la jalousie. Elle prend conscience qu’il lui manque la parole : parler pour dire quelque chose. Je suis vide, pense-t-elle. Le lendemain, Pannonique déclare devant les caméras : Spectateurs, éteignez vos télévisions ! Les pires coupables, c’est vous ! (…) Quand vous nous regardez mourir, les meurtriers, ce sont vos yeux. Vous êtes notre prison, vous êtes notre supplice ! Et Zdena lui dit : Bravo. Je pense comme toi.
Désormais la conversation s’engage entre la kapo et CKZ 114, ou plutôt entre Zdena et Pannonique, deux êtres humains. Mais Zdena éprouve du désir pour la jeune fille qui se refuse. Or un jour, l’audience cesse de monter. Les organisateurs inventent donc une nouvelle règle : les spectateurs désigneront chaque jour ceux qui doivent mourir. L’audience repart en flèche. Zdena toujours éprise, accepte de préparer l’évasion de la chambrée.
Mais le lendemain, MDA 802, l’amie de Pannonique est désignée par les spectateurs. La surprise passée, Pannonique s’avança d’un pas et déclara : « Spectateurs, vous êtes des porcs ! Vous faites le mal en toute impunité ! Et même le mal, vous le faites mal ! » Alors la kapo Zdena intervient de façon extraordinaire. Elle exige que l’on relâche les prisonniers sinon elle fait exploser les cocktails Molotov qu’elle tient dans ses deux mains. Elle joue le rôle de sa vie, elle jubile. Elle contraint les organisateurs à faire appel à l’armée qui encercle le camp et laisse sortir les détenus sous l’œil des caméras. Pannonique comprend le revirement de Zdena et lui dit :
– Il faut que je vous dise l’admiration et la gratitude que j’ai pour vous. C’est un besoin, Zdena. J’ai besoin de vous dire que vous êtes la rencontre la plus importante de toute mon existence.
– Attends. Comment as-tu dit ?
– La rencontre la plus importante…
– Non. Tu m’as appelée par mon prénom.
Et, inversement, Zdena appelle pour la première fois CKZ 114 par son prénom : Pannonique.
Lorsqu’on lit les critiques littéraires, on reste ahuri d’une telle unanimité. Terne et gris : voilà ce qu'est le livre d'Amélie, en dit Mélanie Carpentier. Le menu nothombien de cet automne s'avère bien avarié. La voracité a fait place à la gloutonnerie, la finesse à la grossièreté, l'excentricité à la trivialité, écrit l’Express. Tant de bêtise, alliée à une telle absence de talent, décourage presque la protestation, proclame Le Nouvel Observateur. Enfin , Le Monde : "Eteignez vos postes !" Un cri aussi pathétique que ce roman, boursouflé de clichés, de lieux communs, de démonstrations pesantes et de dialogues insipides (...) la romancière montre ses limites et sombre rapidement dans le grotesque et le vain. On peut zapper.
Oserait-on penser que le monde médiatique, attaqué subtilement par ce roman, s’insurge contre une critique de son jeu ? Eh bien oui. Les organisateurs se font connaître par leur dédain, voire leur haine, de tout de ce qui attaque leur pouvoir. Ils n’acceptent l’imagination que si elle les caresse dans le sens du poil. Car finalement, les plus horribles dans ce roman, ce sont bien eux et leur espérance, leur désir, leur amour de l’audience, l’audience, l’audience…
07:43 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, société, médias | Imprimer
20/12/2011
Oublivione, avec Richard Galliano à l’accordéon
http://www.youtube.com/watch?v=yAsmVnwiKu4&feature=related
Quai des brumes, le troisième homme, une musique venant des ports lointains d’un autre continent, une nostalgie amplifiée par l’accordéon accompagné par les cordes. Quelle belle entrée en matière pour pénétrer dans une rêverie profonde.
Certes, tout ceci fait un peu vieille garde 1930 ou 1950. Cela rappelle les femmes accordéonistes aux cheveux bouclés, portant sur le ventre leur instrument comme un bébé, le dorlotant dans leurs bras, le brassant comme on masse un malade, lui tirant des miaulements qui font monter les larmes aux yeux.
Mais cela vous fait partir dans les plaines du rêve, au bord d’une eau qui laisse trainer quelques filaments de brume, sur un chemin de pierre qui semble sans fin, jusqu’au tournant dans le noir de la nuit qui, en un instant, découvre un autre monde, le creux des pavés d’une ville où résonnent les pas d’un promeneur nocturne qui marche sans but, sans ligne de pensée. Il marche et se voit, jeune, attendrissant d’innocence, observant les femmes danser entre elles, des femmes alanguies, esseulées, ne se regardant pas, l’œil triste, mais vif, perdues dans leur nostalgie, mais laquelle ? L’une d’elle le dévisage, lui sourit, le regard éclairé, son corps devenu plus souple, plus félin, malgré les bras de sa compagne qui reste raide et froid. Elle le suit des yeux, lentement au fur et à mesure de sa marche lente, elle compte ses pas et se dit : « je vais le perdre. Comment attirer son attention ? »
Alors, d’un mouvement improvisé, elle lance son bras en l’air, la main recourbée, élastique, aux doigts enchanteurs qui dessinent des volutes que l’on suit des yeux grâce aux traces de fumée qu’ils laissent dans l’air froid, le coude plié, légèrement. Et l’on voit le creux de l’avant-bras, juste après le coude, dont la chair est fascinante de douceur, refléter son désir de vivre, malgré cette danse dans les bras d’une autre femme, moins favorisée par la nature. Et elles tournent, tournent, avec lenteur comme des poupées, le regard fixe, perdues dans leurs pensées ou plutôt leurs souvenirs d’une vie rêvée.
Et vous avez déjà dépassée ce souvenir, comme une image de télévision, éphémère, accompagnée d’une musique d’accordéon, aux notes pâles, aux sons cependant fermes, à la mélodie rengaine d’années passées, aux couleurs de fraises enrobées de noisettes. Vous continuez votre route de la vie, ragaillardi malgré tout, le cœur embaumé de guimauve, salivant quelques morceaux de chocolat au lait jusqu’à ne plus rien avoir dans la bouche. La musique s’est tue, vous poursuivez et entrez dans votre nouvelle vie, le cœur ouvert, prêt aux aventures à venir.
07:12 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, mélodie populaire, nostalgie | Imprimer
19/12/2011
La ménagerie du jardin des Plantes
Cinq hectares et demi de dépaysement en plein Paris. L’équivalent de Deyrolle (voir le jeudi 15 décembre 2011), mais là les animaux sont réels, vivants, bien nourris, peut-être pas cependant heureux d’être là.
C’est un retour à nos premières amours, lorsque, fiancés, nous promenions nos espérances en contemplant la somnolence des pensionnaires à l’heure d’une sieste méritée. Même heure, même saison, même temps frileux. Rien n’a changé, sauf, probablement, les animaux. Mais est-ce vrai ? Le temps s’est arrêté sur une portion de Paris, sur ces presque 2000 animaux, à l’air, dans des abris, dans des cages ou des bâtiments.
Vous me direz : un vrai camp de concentration quoi ? Non, finalement, bon nombre d’entre eux a été sauvé par le fait même de la ménagerie, c’est du moins ce que prétend le dépliant remis à l’entrée où l’on nous dit que la mission du zoo est la conservation des espèces animales, la recherche et la sensibilisation du public à la préservation et de la biodiversité. Que de mots savants pour nous dire qu’ils tentent de les choyer malgré leur condition. Et ce désir de bien faire ne se limite pas aux 5,5 hectares de la ménagerie, il s’étend à l’ensemble de la ville grâce au parcours biodiversité en ville : 1500 espèces animales et autant d’espèces végétales qui rendent d’importants servies aux citadins, nous dit-on. Et de conclure : il est donc important de faire connaître cette nature afin de mieux l’aimer et d’agir pour la préserver.
Mais nous avons mieux à faire : se laisser aller dans ce jardin secret où la faune nous fait des clins d’œil, malgré sa lassitude. On entre par les vieux bâtiments dont l’un a été refait récemment et l’autre pense ses plaies sous la couche de crasse accumulée, sous les yeux d’un porc-épic plus grand que deux hommes (monument artistique à la manière moderne qui n’a, bien sûr, rien à voir avec la véritable création artistique). Au bout d’une allée, une petite maison de nains : la porte de la fée qui ouvre son royaume au peuple parisien. Achetez un billet et entrez, vous ne le regretterez pas !
Si vous prenez à gauche, vous ne tarderez pas à tomber sur des pois roses s’épanchant dans un jardin russe (selon la vision de la photo, en raison du bâtiment du fond) ou encore, en changeant l’angle de vue, dans un parc africain verdoyant dans lequel ces flamands (oui, roses)
s’essayent à des équilibres reposants sans avoir l’air d’en souffrir. Ballet de grâce de ces pierres précieuses venant de contrées qui ne sont pas si lointaines que çà puisque nous en avons, en France, oui !
Le contraste est ensuite assez saisissant avec le bâtiment en face de cet espace privilégié. Ici les dimensions de la nature sont rétrécies. On concentre dans quelques centimètres des milliers de mètres cubes d’atmosphère africaine ou américaine. Et, parfois, on arrive à y voir une faune bizarre faite de carapaces somnolentes qui se confondent avec une flore fabriquée de toute pièce : arbre en ciment,
paille artificielle, eau verte comme il se doit, le tout gardé à l’entrée par l’Homme qui mate sous son pied l’alligator déchaîné. Les petites filles n’en reviennent pas : des tortues petites nageant avec souplesse ou des monstres ne pouvant pratiquement plus bouger ! On y croise également quelques promeneurs cherchant des yeux sous les feuilles des objets insolites qui s’appellent espèces animales.
Ressortis, vous vous laissez guider par votre nonchalance, presque somnolence, à l’image des espèces qui vous entourent. Vous passez devant une immense cloche de fer (non pas des cloches à fromage qui sont en verre) dans laquelle vous surprenez un jaguar en chasse. Lui ne dort pas. Il se détend à une allure si vive que vous n’arrivez pas en saisir le mouvement.
Finalement, vous vous laissez aller à votre rêverie, en plein air, parmi les arbres, les allées, environné d’animaux indifférents à votre spleen. Vous passez devant les autruches, ballon de rugby sur échasses,
devant les lamas dorés comme un soleil montagnard, devant des zébus ou autre espèce ruminante qui calment leur ennui en mâchant un peu de foin qui sent la liberté. Ces allées vous enivrent par
leur vide majestueux, par l’espace qu’elles prennent par rapport aux clôtures dans lesquelles chaque espèce tente de trouver un motif de vivre. Progressivement, vous vous sentez vous-même environné de ces barrières et enviez ces carrés d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique où l’air est différent, moins anonyme.
Et vous vous dites : qu’il serait bon un jour de pouvoir se coucher dans cette petite maisonnette et ne plus penser, simplement vivre sans avoir à toujours, toujours faire et refaire cette gymnastique intérieure brassant des souvenirs désuets d’événements passés. Vous seriez là à contempler les humains qui passent sans réellement vous voir. Ils arriveraient par l’allée, petitement, en mangeant des marrons chauds, riant de certains congénères qui cachent leur honte derrière leurs pattes. Ils grandiraient jusqu’à avoir une réelle expression individuelle, comme une âme qui se dessine. Ils vous regarderaient selon leur humeur, indifférents, compatissants, dédaigneux, émerveillés. Puis ils continueraient leur promenade et vous les laisseriez partir, vous-même lassé par ces passages permanents, comme si le temps revenait sans cesse au point de départ : un être humain qui grandit pour ensuite se perdre dans les méandres des allées, jusqu’à une mort annoncée et inéluctable.
08:36 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, paris, nature | Imprimer