Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2015

Cherchez en vous-même

– Si vous ne vous comprenez pas vous-même, comment pouvez-vous espérer comprendre l’univers ?

– Mais où chercher, où aller ?

– Cherchez en vous-même, c’est en vous seul que vous trouverez la vérité.

– J’ai cherché en moi et n’ai trouvé qu’ignorance.

– L’ignorance n’est pas dans vos pensées.

– C’est que vous vous êtes pensé jusqu’ici dans votre propre état d’ignorance ; retournez au point de départ et pensez-vous dans la sagesse, qui n’est en réalité qu’auto-compréhension. Retournez en arrière et vous retrouverez la lumière.  Ce retournement de la pensée est tout le yoga.

(Paul Brunton, L’Inde secrète, Payot, 1983, p.114)

 

Cette Inde secrète est un continent, un autre monde où rien ne se passe comme dans le nôtre. On y rencontre des escrocs, on y rencontre des saints, des non croyants, des magiciens et de véritables sages qui ont dépassé la vie présente et ont trouvé la réalisation. Ce livre est le carnet du voyage de Paul Brunton dans la pensée humaine tournée vers le Soi. Il entre dans cette communion intime avec soi-même, jusqu’à s’oublier lui-même.

C’est un libre magnifique, enrichissant, parce qu’il n’expose pas une doctrine, il raconte la recherche, les déconvenues, les découvertes spirituelles, tout cela de manière simple, mais tellement mystérieuse pour un occidental. Et toujours la même réponse : « Cherchez en vous-même… C’est en vous qu’il faut trouver le maître, je veux dire dans votre moi spirituel. Considérez son corps à lui comme il le considère lui-même : son corps n’est pas son vrai moi. » A chaque fois il lui semble que ces hommes qui cherchent, et parfois trouvent, refusent le dialogue. Enfermés dans leur mutisme, ils délivrent des paroles difficiles à comprendre et encore plus à suivre. Et toujours la même réponse : cherchez en vous-même

Les derniers chapitres parlent de sa rencontre avec le Maharichi ou Ramana Maharshi. Et c’est toujours la même réponse.

Et n’est-ce pas non plus la même réponse que l’on trouve dans l’évangile : cherchez et vous trouverez (Mat 7.7 et Luc 11,9).

Mais combien est étroite la porte !

21/02/2015

L’âme, porte d’entrée dans le monde invisible

L’âme est à Dieu ce que l’œil est au soleil.

L’âme doit posséder en elle-même une faculté de relation avec Dieu, c’est-à-dire une correspondance à ou avec l’essence de Dieu, sans laquelle une relation ne pourrait jamais s’établir. En langage psychologique, une correspondance est l’archétype de l’image de Dieu.

C.G. Jung, Psychologie et alchimie, Buchet/Chastel, 1970

  

Jung aborde dès le début du livre le problème de l’extérieur et de l’intérieur de l’homme, c’est-à-dire du conscient et de l’inconscient. Il découvre qu’il existe, dans la psyché, un processus tendant vers un but final et indépendant des conditions extérieures. Il affirme même que l’analyse est dirigée vers cet homme total, caché et non encore manifesté, qui est pourtant tout à la fois, l’homme plus vaste et l’homme futur.

Deux points de vue très différents que sont l’athéisme et la religiosité, tournée vers la pratique cultuelle et formaliste, occultent l’âme dans sa compréhension du monde et lui dénie toute importance pour l’homme. Cette vision est d’autant plus vraie chez les occidentaux, emprisonnés dans le moi et dans les choses, inconscients de la racine profonde de tout être. Ceci est particulièrement vrai chez les protestants qui ont tendance à interpréter ce qui se rapporte au royaume de Dieu comme « parmi vous » au lieu de « en vous ». Intégrant le rationalisme dans la religion, la plupart se détache de tout ce que contiennent l’inconscient et l’intérieur de l’homme. Dieu étant parmi vous et non en vous, l’âme est vide, car la valeur suprême (le Christ) et la non-valeur suprême (le péché) est à l’extérieur. L’oriental considère, quant à lui, que tout ce qu’il y a de plus élevé et de plus bas fait partie intégrante de la personnalité humaine et, même, permet à chaque homme de se distinguer des autres.

Et Jung conclut : aussi longtemps que la religion n’est que croyance et forme extérieure, et que la fonction religieuse n’est pas une expérience de l’âme de chacun, rien d’essentiel ne s’est produit. Il reste encore à comprendre que le mystérium magnum (grand mystère) n’est pas seulement une réalité en soi, mais qu’il est aussi et avant tout enraciné dans l’âme humaine. (…) La tâche principale de toute éducation de l’adulte est de faire passer l’archétype de l’image divine dans la conscience. (…) L’âme est naturellement religieuse, il faut apprendre à l’homme l’art de voir.

Et je rajouterai que ceci est question d’expérience et non de savoir ou de fidélité au culte et au formalisme.

20/02/2015

Matinale 3

Amélie passa sa première nuit sans dormir. Elle ne put fermer l’œil une seconde. Elle tremblait dans son lit, effrayée de sa découverte. Elle se contraignit à aller au travail le lendemain. La journée fut rude, car elle ne pouvait s’empêcher de penser sans cesse à cette eau grouillante de créatures. Elle décida d’y retourner le lendemain. Elle voulait en avoir le cœur net. Elle put dormir quelques heures la deuxième nuit et se présenta en forme à la porte de la piscine ce deuxième jour. Rien apparemment n’était changé : la porte embuée, les vestiaires sentant la javel, la douche qui semblait froide alors qu’elle était à 30 degrés, la surface lisse et transparente du bassin qu’aucun humain ne troublait. Il était trop tôt.

Elle contempla plus longuement les couloirs tracés sur le fond de la piscine,  se préparant mentalement à la rencontre avec l’impossible, retardant la confrontation. Lorsqu’elle se sentit prête, elle plongea. « Toujours aussi froid ! », pensa-t-elle. Elle garda les yeux fermés en se propulsant vers le fond. Lorsqu’elle toucha le carrelage, elle les ouvrit. Rien. Elle était seule dans l’eau. Elle eut beau chercher, pas une âme qui vive. « J’ai donc rêvée avant-hier ? », se dit-elle, à la fois soulagée et déçue. Elle remonta, déboussolée. Elle réfléchit et se dit qu’il fallait reprendre son programme habituel. Tout en nageant avec énergie, elle ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui s’était passé deux jours auparavant. Elle avait bien franchi le mur de l’existence. Ces deux mots lui étaient venus naturellement, mais que voulaient-ils dire ? Un mur est destiné à empêcher le passage. C’est une sorte de frontière infranchissable parce que non pénétrable. L’existence, elle la connaît. On n’en a qu’une. On y vit entre la naissance et la mort. On a conscience d’exister et, à moins d’être malade, cette conscience reste intégrale pendant tout ce temps. Elle ne se souvient pas de s’être sentie mal avant-hier. Certes, elle avait été bouleversée par cette expérience, mais il y avait bien de quoi. Qui d’autre ne l’aurait pas été ? Il s’agissait bien d’un autre monde. Elle avait reconnu son oncle et une camarade de classe. Elle ne s’était pas trompée. Ils ne devaient pas être là, étant morts. Mais ils y étaient. Qu’en est-il ? Elle nageait mécaniquement, avec l’énergie du désespoir, inconsciente de cette agitation, concentrée sur ses pensées. Elle arrivait au bout de la longueur. Le « T » lui indiquait que le mur est à 2 mètres. « Ne ralentit pas, respire et retient ta respiration. Voilà, la tête d’abord. Je ramène le menton contre mon buste, je regroupe le corps et replie mes jambes. La rotation se poursuit. Mes pieds passent au-dessus de la surface, je garde les bras tendus dans le prolongement du corps. Je pousse. Je poursuis ma vrille et je remets mon corps dans l’axe. Je donne deux ou trois ondulations à la manière des dauphins avant d’émerger pour respirer. Oui, je suis bien éveillée, vivante, consciente, responsable de moi-même. Alors, que s’est-il passé ? »

Tout à coup, elle entendit des coups de sifflet rageurs. Elle vit le maître-nageur qui lui faisait signe de sortir immédiatement de l’eau, l’air affolé. Elle s’arrêta, le regarda. Il lui cria : « Sortez vite, tout de suite ! »Elle nagea jusqu’à l’échelle, sortit rapidement de l’eau, et marcha vers lui d’un air interrogateur. Il était livide, semblait bouleversé, incapable pour l’instant de dire un mot. Elle le laissa reprendre ses esprits. Enfin, il put parler. « Pendant que vous nagiez, j’ai vu un grand bouillonnement derrière vous. Il vous suivait à deux ou trois mètres, laissant une myriade de bulles à la surface. Je n’ai rien vu d’autre, mais cela m’a fait tellement peur ! Je ne sais ce que c’était, mais il y avait quelque chose. Quoi ? Je n’en sais rien. » Elle ne réagit pas. Elle le regardait calmement, comme si cette histoire ne la concernait pas. Elle tentait de faire le rapprochement entre les deux expériences, celle d’avant-hier et celle d’aujourd’hui. Elles semblaient n’avoir aucun rapport. La surface de l’eau était calme, lisse comme la peau d’un bébé, transparente comme un verre d’eau. Rien n’indiquait un désordre quelconque, une anomalie dans l’équilibre du monde. Elle se déplaça pour chercher sa serviette de bain, se sécha, s’installa à côté de la bouche du chauffage et tournant le dos au maître-nageur elle défit les bretelles de son maillot pour s’essuyer énergiquement les seins. Elle reprit vie, se sentit mieux, sourit comme s’il s’agissait une bonne plaisanterie, remit ses bretelles en place, les mamelons dressés. C’était décidé, elle affronterait cette énigme, dut-elle y laisser des plumes. Elle sortit, laissant le maître-nageur. Elle s’habilla et se replongea dans la vie parisienne avec inconscience.

19/02/2015

Buzzy

Etre seul, ne voir personne et… créer
Le comble du bonheur et pour d’autres de l’horreur
Se lever à trois heures, se coucher à minuit
Laisser tourner les rêves dans sa tête
Ne rien entendre, que soi, en recherche
Cela bourdonne, c’est le buzzy
Les mouches tournent et tombent
Les morts s’entassent, à mon grand regret
Çà continue, çà chauffe, çà siffle
La pression monte et s’échappe
En volutes d’or, pointes de diamant
Dans le ciel bleu de l’imaginaire
La main tremble, l’esprit fourgonne
La peinture envahit l’espace
La musique le temps
La poésie la vie
L’écriture l’absence
Qui devient présence
Et l’existence se déroule respectueusement
Parce qu’il a dans sa tête
La calotte de l’irrespect
S’il se couche, il se relève
Pour noter les flots de paroles
Qui lui sorte de la boite
S’il est assis, il va peindre
S’il peint il va s’assoir
Et écrit son poème
Quelle folie, cela arrive
A tous ceux qui se regardent
S’expatrient dans la noosphère
Et y creusent leur nid
Avec l’aisance de l’éléphant
Et la souplesse du lynx
Quel cloaque…
Oui, sans doute l’expansion
A partir du point zéro
Vers un infini charmeur
Qui attire les hommes et les femmes
Vers l’inconnu jamais fini
Allez, finis ton verre,
Plonge dans ton lit et ferme la radio
Tu as entendu assez de délires
Qui te conduisent vers la frontière
Entre le visible et l’invisible

© Loup Francart

18/02/2015

La bande dessinée

Une bande dessinée, c’est un morceau de rêve dans un monde à part. Ses héros sont de pacotille, mais quel bonheur de pouvoir un moment s’évader de la vie quotidienne. Vous partez en images à la rencontre de l’imagination débordante de l’auteur. Vous la connaissez par cœur et c’est justement pour cette raison que vous aimez vous y plonger. C’est un retour à l’enfance, le plaisir de se retrouver en culotte courte, vautré sur le lit, la bande dessinée enfouie entre les cuisses, les genoux dressés. Vous ne sucez plus votre pouce, mais c’est tout juste.

Aujourd’hui vous partez en Syldavie, ce pays charmant, d’une Europe révolue aux traditions slaves. C’est le Moyen-Age, le siècle de Louis XIV, le romantisme du XIXème siècle et l’ère communiste tout à la fois. Vous vous rêvez en prince, avec un uniforme étincelant, jouant les espions, transgressant les frontières, entouré de belles femmes. Vous vivez une autre vie, enfoui dans votre lit, au chaud, en rupture avec la société et les mondanités. C’est une cure de jouvence, un clin d’œil à votre jeunesse, un retour à la famille oubliée dans les péripéties de l’existence. Vous vous revoyez dans la chambre de votre enfance, rêvant à un avenir dont vous ne voyez pas l’issue, de même qu’aujourd’hui vous ne savez pas non plus ce que vous réserve le lendemain.

Vous ne parlez pas de destin. Celui-ci est trop figé. Il vous met dans une boite qui vous conduit inéluctablement au néant. Vous ne savez vers quoi vous allez, mais l’Autre à déjà tout décidé. Mieux même, les voyantes (elles sont bien sûr féminines), qui font preuve de beaucoup de perspicacité, vous diront cet avenir implacable dont vous ne pourrez plus vous débarrasser. Votre route est-elle tracée d’avance ? Non, surement pas. Vous croyez à la liberté personnelle. Vous croyez à un avenir inconnu, même maintenant, alors que vous atteignez un âge qui ne laisse que peu d’espoir de changement de destinée. Certes, vous pourriez encore la modifier, mais cette destinée que vous avez construite et que les autres ont également façonnée, vous appartient. Elle a laissé ses racines dans votre vie présente. Votre liberté n’est pas totale, elle doit respecter la liberté des autres et surtout leur affection. Car vous avez planté votre tente dans un paysage de bonheur et d’amour que vous portez en vous grâce à eux, ceux qui vous ont construit parce que vous les avez reconnus, fait naître ou adopter par amitié. Et votre destin n’est pas ce que la société retient de vous, mais ces instants de vérité où vous choisissez votre véritable liberté : la construction d’une vie personnelle qui se mêle à celle de vos proches et fait de vous un être à part.

Retour à la bande dessinée. Vous repartez en voyage, dans ces pays imaginaires si proches de la réalité, où les bons sont les bons et les méchants les méchants. Ah, là aussi l’existence s’est figée en un imaginaire de rêve, si peu proche de la réalité. Rien d’inconnu malgré tout. C’est le contexte bon enfant d’Hergé qui déteint sur vous. Vous ne savez plus où vous êtes. C’est votre plus grande liberté, une évasion sans fin que vous offrent gratuitement les plis voluptueux de votre encéphale.

Dieu, où donc vous a conduit cette bande dessinée. Vous endossez mille destins en rêve et vous n’en vivez qu’un. Mais combien est précieuse cette vie déroulée pas après pas dans l’ignorance totale d’un avenir inconnu. Celui-ci devient vôtre progressivement, il vous colle à la peau et vous ne pouvez vous en débarrasser. Alors adoptez-le !

17/02/2015

Le ministère de l’écologie en plein délire verbal

Ouvrez le rapport de la Cour des comptes, tome 1 / volume 1 / 2ème partie Les politiques publiques / chapitre 1 eau et énergie / Les agences de l’eau et la politique de l’eau : une cohérence à retrouver (Ouf, on y arrive !).

On y trouve la réponse de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie au constat que font les magistrats de la Cour des comptes concernant la politique de l’eau sous le titre très conciliant d’une « cohérence à retrouver » :

1- Améliorer la gouvernance
A. Améliorer la gouvernance : gagner en représentativité et en transparence ;
B. Gagner en lisibilité et en cohérence
2- Appliquer plus strictement le principe pollueur-payeur
A. Des redevances essentiellement acquittés par les usagers domestiques
B. Des pollueurs insuffisamment taxés
C. Une gestion favorable aux redevables
3- Etc. Etc. Etc.

Que lit-on dans cette réponse de la ministre de l’écologie ? Tout d'abord, j’ose croire qu’elle n’a pas véritablement lu ce qu’on lui a fait signer et que les technocrates ayant écrit cela n’ont même pas conscience du ridicule de certaines parties de cette réponse. Mais c’est bien là le malheur. L’administration a tous les droits, en particulier de non-réponse aux questions légitimes que se posent les usagers ou de réponses langue de bois comme celle-ci :

Le rapport (de la Cour des comptes) affirme que «la forte contribution des usagers domestiques devrait désormais diminuer et celles des agriculteurs et des industriels augmenter, conformément au principe pollueur-payeur ». Sans remettre en question cette analyse, on peut observer que le principe pollueur-payeur, en lui-même, ne présuppose pas une forme d'équilibre arithmétique des contributions (mais l'internalisation des externalités négatives, l'incitativité de la fiscalité ...). (p.128 du rapport tome 1 / vol 1 / part 2 / chap 1). Ce nouveau mot « incitativité » est tout à fait dans la novlangue administrative. Il fait bien et est sans appel dans l’esprit des rédacteurs. En cherchant si ce terme était prévu dans les dictionnaires, je ne l’ai trouvé que dans les documents des Agences de l’eau qui s’en repaissent. Oui, l’incitatif se donne pour mission d’inciter par la persuasion jusqu’à créer de nouveaux mots « incitativant ».

Quant au verbiage de l'internalisation des externalités négatives, on n'a pas trouvé mieux en terme de communication !

Et l’administration ne se lasse pas de ce qu’elle a dit comme parole d’évangile. Elle récidive quelques pages plus loin (p.128), assénant à nouveau sa phrase-clé :

La Cour observe que les redevances acquittées par les agriculteurs sont peu incitatives, et que « alors que le bassin Loire-Bretagne est le plus concerné par la pollution due aux nitrates, les redevances à la charge des agriculteurs ne représentent en 2013 que 10 % du montant des redevances …». Sans remettre en question cette analyse, qui s’appuie sur des données chiffrées, on peut observer que le principe pollueur-payeur, en lui-même, ne présuppose pas une forme d’équilibre arithmétique des contributions mais l’internalisation des externalités négatives et une fiscalité incitative.

Ben voyons ! Les magistrats ont dû sourire devant ce langage abscond qui reflète bien le dédain de l’administration vis-à-vis des administrés. Non seulement ils doivent payer, mais ils ne doivent pas comprendre ce qu’on leur fait payer et ils ne doivent même comprendre les explications que l'administration concède à l'autorité supérieure. 

Ajoutons pour faire bonne mesure qu’en tant que président d’une association luttant contre la destruction forcenée et non étudiée des barrages, et donc moulins ou ouvrages, l’administration départementale (aux mêmes causes les mêmes effets) ne répond pas aux courriers qui leur sont envoyés en lettre recommandée avec accusé de réception. Plusieurs courriers restent en attente de réponse, car ils ne savent pas quoi répondre, en particulier à la question : l’administration impose la destruction des barrages pour rendre l’eau propre conformément à la Directive Cadre de l’Eau de l’Union européenne. Mais lorsque l’eau est bonne telle que définie par cette directive, pourquoi imposer la destruction des ouvrages ? On attend toujours la réponse.

De plus, la loi sur l’eau française a imposé des conditions pour atteindre la bonne qualité de l’eau voulue très justement par Bruxelles : la continuité écologique (spécificité uniquement française) qui impose la circulation des sédiments et des poissons. Pour quoi faire ? Pour atteindre la bonne qualité de l’eau. Mais lorsque l’eau est bonne telle que définie par cette directive, pourquoi imposer la construction de passes à poissons pour toutes sortes de poissons y compris ceux qui ne trouvent pas sur le cours d’eau, ceci à des prix exorbitants qui vont contraindre les propriétaires d’ouvrages à accepter leur destruction par manque de moyens financiers ? On attend toujours la réponse.

En fait ce que veut l’administration, c’est bien la destruction des ouvrages. Vive l'idéologie  contre la raison rationnelle !

 

16/02/2015

Matinale 2

Mais celle-ci ménage toujours des surprises. Quelques jours plus tard, Amélie retourna à la piscine. Il ne pleuvait plus. Elle se permit même de courir dans le dernier kilomètre avant d’atteindre la porte vitrée et chargée de buée. Elle transpirait un peu, rosie par sa course, heureuse de s’être laissé porter par son impulsion. Elle se déshabilla, revêtit le même maillot une pièce, prit à nouveau garde à son entre-jambe, attrapa sa serviette et sortit, se préparant à l’immersion. Comme l’autre jour, elle regarda l’eau claire, transparente à souhait, vide de toute personne, car il était encore tôt. L’idéal : quelques allers et retours avant de se rhabiller.

Elle plongea brusquement, les yeux fermés, frissonna à l’entrée dans l’eau, contractant ses membres malgré elle, tout en s’efforçant de rester souple. « Ouvre les yeux ! », s’entendit-elle se dire à elle-même. Elle les entrouvrit. Surprise ! De nombreuses personnes nageaient autour d’elle. Elle crut à des points noirs sur ses pupilles, s’arrêta un instant, se frotta les yeux, attendit quelques secondes, puis les rouvrit. Etant remontée à la surface, elle ne vit rien. L’eau était lisse, seuls les cercles fait par la sortie de sa tête du bassin s’éloignaient d’elle. Elle se laissa à nouveau glisser dans l’épaisseur du fluide et ouvrit les yeux. Ils étaient toujours là, nageant ou plutôt marchant le plus simplement du monde, parlant même entre eux, absolument pas gênés par le manque d’air. Elle écarquillait les yeux, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Elle dut prendre une bouffée d’oxygène. Elle remonta d’un coup de pied, pris deux respirations et se laissa de nouveau couler. Elle vit deux femmes assises sur le fond, discourant tranquillement, trois jeunes garçons tentant d’atteindre une balle, un homme nageant avec l’énergie du désespoir, une jeune fille peu sûre d’elle cherchant quelques mains secouristes. S’approchant d’elle, elle lui offrit sa main. La jeune fille ne sembla pas la voir. Alors elle tenta de l’appeler. Mais ce n’est pas simple de parler sous la surface et plus encore d’appeler, car il faut reprendre sa respiration. Elle remonta, prit trois gorgées d’air et redescendit. La jeune fille s’était éloignée. Elle nagea vers elle, se mit devant elle et l’appela en prenant garde de ne pas avaler de l’eau. Elle n’entendit quasiment rien, sinon dans sa tête, en tout cas pas avec ses oreilles. La jeune fille poursuivit sa route, marchant au fond du bassin de manière tout à fait naturelle. Elle nagea vers les deux femmes, pensant qu’il lui serait plus facile d’entamer une conversation. Rien n’y fit. Elles poursuivirent entre elles, sans même lui accorder un regard. « Ah. Plus d’air. Vite, remontons. »

De nouveau, une surface lisse, les reflets des lampadaires du plafond, le chuchotement discret des sandales du maître-nageur. « Ne va pas te rendre ridicule en l’appelant. Regarde encore une fois ». Nouvelle respiration, nouveau plongeon, immersion totale dans une eau claire dans laquelle se mouvaient les personnages.  Ils sont toujours là, comme si de rien n’était. Ils ne la voient pas, elle ne les entend pas. « Qui sont-ils ? », se demanda-t-elle. Passa à côté d’elle, un homme d’une cinquantaine d’années, un peu chauve, l’air serein. Elle reconnut soudainement son oncle, mort quelques mois plus tôt d’une grippe attrapée en Afrique. Il marchait les mains dans le dos, pensif. Il avait laissé sa jeune femme avec ses deux enfants dans une difficile situation financière, n’ayant pas encore payé sa maison dans laquelle il avait engagé de nombreux travaux encore en cours. Les entrepreneurs réclamaient des arriérés. Sa pauvre femme ne pouvait ni les payer, ni vendre sa maison qui n’était pas fini. « C’est sans doute pour cela qu’il a l’air si malheureux. », se dit-elle. Alors elle réalisa qu’elle avait franchi le mur de l’existence. Mais pourtant elle était vivante, elle devait respirer. « Un peu plus j’oubliais » se fit-elle la remarque. Elle donna un coup de talon et remonta à la surface. Elle étouffait et se donna cette fois-ci une pause avant de replonger. « Que se passe-t-il sous cette eau ? Que font ces personnes ? Dans quel monde vivent-elles ? » Hier partant à la conquête de la vie, elle découvrait aujourd’hui derrière l’eau pure d’une piscine un monde inconnu et pourtant proche de ce qu’elle connaissait. Sa tête s’embrouillait. Elle se mit à douter d’elle-même. « Je replonge ! »

Hommes, femmes et enfants continuaient leur marche, ne semblant pas savoir où aller. Ils n’avaient d’autre but que d’aller et venir. Elle vit passer une ancienne camarade de classe qui s’était fait écraser par un bus dont les freins avaient lâché. Elle tenta de se faire reconnaître, par des gestes et même avec la voix. Rien. Elle n’existait pas pour ces gens-là. Pourtant elle les voyait, là, sous l’eau d’une piscine. Celle-ci serait-elle hantée ? Elle se convainquit de cette idée et sortit de l’eau. Elle alla trouver le maître-nageur et lui expliqua la situation. Il la regarda d’un air si suffoqué qu’elle comprit qu’il la croyait folle. Elle battît en retraite expliquant qu’elle avait mal à la tête et s’était mal réveillé ce matin. Elle prit sa serviette, s’essuya longuement le corps, comme si cela allait lui enlever le poids de sa découverte. Rien n’y fit. Elle portait en elle, et probablement pour longtemps, cet autre monde, comme un double de ce qu’elle connaissait, mais différent, insolite, décoiffant. Elle rentra chez elle, bouleversée, ne sachant à qui en parler.