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16/03/2014

Sa chambre est une gare

Sa chambre est une gare, une gare de province
Où l’on entre pour faire un long voyage
Aux pays ignorés de nouveaux princes
Qui règnent sur la géométrie de l’esprit de leurs pages.

On y voit des affiches couvertes de couleurs
Où l’Espagne s’ombre sur le sable des arènes d’or,
Où l’Escorial étale ses vertus de l’honneur
Dans la nuit des étoiles et des nébuleuses de la mort.

© Loup Francart

15/03/2014

Arbres dénudés (2)

 

De ce vieillard encore debout, que reste-t-il ? Quelques poils au menton, une béquille qui tient lieu de jambes, des bras noués et incontrôlables, un clin d’œil irraisonné au monde : « Voyez, je suis encore là ! Plus rien ne me retient, mais la vie coule en moi malgré mon âge et je ne renonce pas à quelques années supplémentaires ! »

  

Plus majestueux encore ce chêne invincible, fort comme un taureau. Il a souffert dans ses combats contre le vent, le soleil, l’eau, l’érosion, mais il est droit dans le ciel et semble régner sur le désert. C’est un quinquagénaire fort des Halles qui impose sa loi alentour. Ses membres tordus ne demandent qu’à vous prendre et vous enserrer dans ses mains immenses. Alors vous contemplerez du haut de sa majesté le paysage et pourrez dire : « Il n’est pas beau, manque d’harmonie, mais quelle force qui s’impose à tous. Il ne plie pas, mais ne cède pas non plus ! »

 

Celui-ci est enserré. Il a cédé à son environnement qui l’envahit. Mais il résiste. Ses pieds sont pris, mais ses bras s’agite encore librement et appelle au secours : « Je suis vivant, je n’en ai pas l’air, mais venez voir mon bois. Il peut encore vous chauffer et vous donner ce que vous recherchez. Alors, utilisez-moi. Ne suis-je pas beau, dans ce bleu du ciel voilé ! »

 

 

Quel contraste avec ce bébé joufflu qui s’épanouit au soleil. Jamais touché par la main de l’homme qui l’a planté là un jour, il  nargue les vieux par une jeunesse insolente et pleine de vie. Il en est des arbres comme des humains, la sève monte plus vite dans l’impatience de la jeunesse, mais le bras pacificateur de l’homme mûr s’étend également sur eux.

14/03/2014

Réunion

Vous entrez dans la salle. Une salle polyvalente, tellement polyvalente que vous la connaissez par cœur sans y être une seule fois entré. Elle tient de la salle de volley-handball-tennis, voire football et de la salle des fêtes, cinéma, voire théâtre amateur. Nous sommes peu nombreux. Mais peu à peu les participants à la réunion arrivent. On ne les entend pas. Sons étouffés et inaudibles, brouhahas dispendieux. Le président s’essaie à faire le calme et prend la parole. Tour de table habituel : XX, secrétaire de l’Association YY ; BB, « professeure » de l’école Machin ; PP, policier municipal, etc. Hétéroclite me direz-vous. Oui, ce sont les réunions fraiches de la campagne où chacun apporte l’odeur de son village et de sa spécialité. Après quelques mots de remerciement pour les présents et de regret pour les absents excusés, le président passe la parole à l’intervenant. La table est en U. Quinze mètres séparent les deux bras levés du U. Il parle. On voit sa bouche remuer. On entend un petit grésillement, comme les pas d’une souris dans le foin du grenier. Tous se regardent. Enfin, quelqu’un ose dire qu’il n’entend rien. L’intervenant reprend de sa voix de ténor exacerbée qui sort de la gorge sans passer par le masque. L’ordinateur est là, le vidéoprojecteur également. Les images apparaissent. Heureusement. Si on ne comprend pas les paroles, on peut lire les images.

Une dame lève la main. Elle parle d’un filet de voix si ténue que cette fois-ci tous réclament de passer d’un dialogue à deux à un échange plus convivial entre tous les participants. Elle fait un effort. Ses paroles sont maigres, mais presqu’audibles. La question est brève, la réponse dure. On revient trois diapos en arrière, on rebascule deux diapos en avant. La démonstration est refaite. La dame est rassérénée. On ne sait si elle a compris ou si elle abandonne par timidité.

Le temps des questions semble une détente, presqu’une récréation. Un peu de bruits : on change le croisement des jambes, on sort son mouchoir, on déplace son stylo sur la table, bref milles petits gestes qui traduisent l’impatience, un ennui dissimulé, un vague à l’âme d’être enfermé dans cette salle malodorante alors qu’il fait si beau dehors. La joute verbale commence. Les questions se font plus précises, les réponses plus embrouillées. Les représentants de l’administration en rajoutent. Pas d’explication, des impératifs sortis tout droit des arrêtés pondus quelques mois auparavant par une administration délirante qui ne songe qu’à réglementer, réglementer encore, réglementer toujours. Protestation de la part de certains. Réponse : « Nous ne faisons qu’appliquer les règles et ne sommes pas responsables de leur contenu ». Dans notre pays de fonctionnaires tranquilles, personne n’est responsable d’une situation complexe, embrouillée parce que les responsabilités sont diluées, noyées entre diverses couches hiérarchiques, techniques, juridiques, organisationnelles, communicationnelles. Qui fait quoi ? Il est difficile de le trouver. Qui est responsable de quoi ? Impossible d’approcher la vérité.

Vingt minutes plus tard, le président redonne la parole à l’intervenant qui reprend son discours toujours aussi persuasif et inaudible. Nouvelle récréation, nouveaux débats. Intervention du président. Celui-ci cette fois-ci, prend un ton raide et comminatoire. Il se tient sur sa chaise très droit, tendu vers la salle, un doigt sur la joue pour donner du poids à ses remarques : elles sont réfléchies et doivent faire preuve d’autorité. Quelqu’un ouvre la bouche. Rien n’y fait. Le président a parlé. Plus personne ne parle, même pour dire quelque chose d’intéressant. C’est la démocratie participative dans laquelle la seule participation est la présence à la réunion.

Trois heures plus tard, épuisés de devoir tendre l’oreille, les participants se lèvent après la conclusion du président. On se dérouille les jambes, on se permet de parler d’une voix forte, on échange sur quelques points, on parle de la pluie et du beau temps, des champs gorgés d’eau, des routes encombrées de boue et de mille autres potins qui façonnent bien sûr une conversation entre gens d’un même lieu, mais qui se connaissent peu.

Vous montez dans votre voiture. Quelques gouttes de pluie s’écrasent sur le parebrise. Vous vous demandez ce que vous êtes venu faire à cette réunion. Dire que vous auriez pu courir la campagne et cueillir ce qui vous tombe sous la main, en toute simplicité.

13/03/2014

Sutra du coeur

Le Sutra du cœur est le plus bref texte du corpus du Sutra de la Perfection de la sagesse. Il est récité quotidiennement  dans les monastères zen :

« Sariputra (l’un des principaux disciples du Bouddha), la forme est vide et le vide est forme. Et vides sont les sensations, les perceptions, l’imagination et la conscience. Là où se trouve le vide, il n’y a ni apparence, ni sensation, ni perception, ni imagination, ni conscience. (…)

Il se termine par cette recommandation :

« Et voici le mantra du cœur de la perfection de la sagesse : Aller, aller, aller au-delà, au-delà du par-delà, que l'éveil soit réalisé! ».

 

Ce texte est à rapprocher de la notion de vacuité chère à la pratique du Zen. Le vide n’est pas l’absence de plein. Le vide est la condition nécessaire pour que le plein existe. Le plein a besoin du vide pour exister et le vide a besoin du plein pour être. Qu’est-ce que le vide ? C’est la non existence. Peut-on dire que le vide est le néant, au sens qu’il n’y a rien. Il y a le vide qui emplit tout, qui enveloppe tout, qui donne forme à tout.

C’est en cela que le sculpteur doit faire autant attention au vide qui entoure sa statue qu’au plein qui la définit. Sa perception du vide agit sur la forme qu’il donne. bigbang-150x150.jpg

De même les astrophysiciens s’interrogent sur ce vide sidéral à l’origine (ou non) du Big Bang. Comment le vide peut-il engendrer la nature des choses ?

De même également les mathématiciens s’interrogent sur les rapports entre le zéro et l’infini, car le zéro est un nombre entier naturel bien qu’il soit dans le même temps un nombre à part : 0 n’est le successeur d’aucun nombre, alors que tout nombre différent de 0 est le successeur dun autre nombre.

Enfin, on peut aussi rapprocher cette expérience de l’expérience mystique de Saint Jean de la Croix : la foi est nuit, mais elle est le seul moyen de connaissance de Dieu.

La lumière existerait-elle s’il n’y avait pas l’obscurité du vide ? Elle ne serait pas visible, tout étant lumière. Le rapprochement des contraires est une des clés de la compréhension du monde.

12/03/2014

Les formes

Les formes lui courraient dans la tête
Carrés noirs, ronds blancs, lignes
Points, rien… Quel mélange…
Une symphonie muette et colorée
Qui danse pour lui seul !
Dans son sommeil il les voit
Elles se dressent au pied du lit
Elles envahissent ses songes
Et ne lui accordent aucun repos…
Il les assemble au gré de la pensée
Du crayon sur le papier quadrillé
Elles se gonflent en trois dimensions
Prennent leur aise… Elles enflent…
Parfois elles détonnent… Douleur…
Comme une explosion dans la tête
Un vaisseau qui éclate…
Alors le sommeil vient
Il s’ouvre à l’esprit dérangé
Il balaye tout sur son passage
Et le vide s’installe, bienfaisant…
L’artiste flotte entre deux nuages
Eperdu de reconnaissance
Avant de retomber sur terre
Se cognant aux formes et aux couleurs…

© Loup Francart

11/03/2014

Les arbre dénudés (1)

Un arbre en hiver, c’est comme un poulet sans plumes. Il est mort… Mais il leur reste leur orgueil, leur allure ou leur pauvreté naturelle : Pierre le Grand ou Saint François d’Assise !

Seuls, isolés dans les champs, ils se tiennent debout contre le vent et le froid, offrant au ciel leurs bras immenses et pleurant des gouttes de pluie en abondance.

En voici un, mutilé, manchot. Il lève son seul bras droit vers les cieux comme pour protester. Têtu, il se sait seul face à tous. Il ne se rase plus. Il attend… quoi ? Il ne sait. Il contemple son ombre et dit : « Je suis fier d’être là envers et contre tous. Admirez mon courage. Je veille sur l’herbe, sur les bois alentour, dressé dans le bleu de l’azur jusqu’à ne plus sentir mon bras ». Tel les stylistes, il dresse son membre et le laisse se dessécher. Il mourra ainsi, le doigt en l’air, couché dans la boue.

 Celui-ci n’est qu’un champignon, une sorte de bolet au corps charnu que l’on rencontre sous les feuilles, à l’automne. Mais lui se tient là, dans sa puissance ramassée, ayant perdu ses membres, poilu et désossé. Il veille lui aussi. Regardez sa force contenue, son extrême concentration, ton front buté et ses poils hirsutes. Rien ne saurait le faire bouger. « Je suis là, et j’y reste ! »

La vieille garde, embarrassée de parasites qui l’encombrent tels les balanes sur le corps des baleines. Immobilisé par ce réseau envahissant, il tente de crier au secours, mais sa voix se perd dans l’air sec et ne suffit plus pour résonner. Alors il se tient là, tranquille, extatique, pathétique même, ouvrant ses doigts au monde, avant de mourir étouffé.

10/03/2014

Politiquement correct !

Le politiquement correct exige le non discernement. Toute distinction entre citoyens de la république est interdite. Le philosophe Alain Finkielkraut en a fait l’expérience après avoir dit : « Et puis il y a aussi une place en France pour les Français de souche ! Il ne faut pas complètement les oublier ! ».

Naïma Charaï, présidente de l'agence nationale Acsé (Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances) explique qu’il «  est inacceptable que ces propos soient tenus librement à la télévision sur une chaîne publique et qu'aucun des représentants du service public présents sur le plateau n'ait jugé opportun de relever ni de contredire ces affirmations que je trouve particulièrement choquantes. L'expression « Français de souche » est directement empruntée au vocabulaire de l'extrême droite, et elle est en totale contradiction avec l'article premier de la Constitution qui dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion."

Comme déjà sont retirées du vocabulaire politiquement correct les notions de race, d’origine et même de sexe, que va-t-il nous rester pour nous distinguer les uns des autres ? Les noms ? Non, les CV doivent être anonymes. Le lieu d’habitation ? Non, c’est discriminer les banlieues. L’âge ? On parle d’abaisser la majorité à seize ans. Le mérite ? Les quotas imposent que certains citoyens accèdent à certaines grandes écoles sans concours.

Méfiance ! Ai-je le droit de parler de politiquement correct ? Rien que le fait d’en parler met en évidence le fait qu’il y a du non politiquement correct, interdit sur la place publique.

Que de clones de la citoyenneté et du bien penser républicain !