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14/03/2014

Réunion

Vous entrez dans la salle. Une salle polyvalente, tellement polyvalente que vous la connaissez par cœur sans y être une seule fois entré. Elle tient de la salle de volley-handball-tennis, voire football et de la salle des fêtes, cinéma, voire théâtre amateur. Nous sommes peu nombreux. Mais peu à peu les participants à la réunion arrivent. On ne les entend pas. Sons étouffés et inaudibles, brouhahas dispendieux. Le président s’essaie à faire le calme et prend la parole. Tour de table habituel : XX, secrétaire de l’Association YY ; BB, « professeure » de l’école Machin ; PP, policier municipal, etc. Hétéroclite me direz-vous. Oui, ce sont les réunions fraiches de la campagne où chacun apporte l’odeur de son village et de sa spécialité. Après quelques mots de remerciement pour les présents et de regret pour les absents excusés, le président passe la parole à l’intervenant. La table est en U. Quinze mètres séparent les deux bras levés du U. Il parle. On voit sa bouche remuer. On entend un petit grésillement, comme les pas d’une souris dans le foin du grenier. Tous se regardent. Enfin, quelqu’un ose dire qu’il n’entend rien. L’intervenant reprend de sa voix de ténor exacerbée qui sort de la gorge sans passer par le masque. L’ordinateur est là, le vidéoprojecteur également. Les images apparaissent. Heureusement. Si on ne comprend pas les paroles, on peut lire les images.

Une dame lève la main. Elle parle d’un filet de voix si ténue que cette fois-ci tous réclament de passer d’un dialogue à deux à un échange plus convivial entre tous les participants. Elle fait un effort. Ses paroles sont maigres, mais presqu’audibles. La question est brève, la réponse dure. On revient trois diapos en arrière, on rebascule deux diapos en avant. La démonstration est refaite. La dame est rassérénée. On ne sait si elle a compris ou si elle abandonne par timidité.

Le temps des questions semble une détente, presqu’une récréation. Un peu de bruits : on change le croisement des jambes, on sort son mouchoir, on déplace son stylo sur la table, bref milles petits gestes qui traduisent l’impatience, un ennui dissimulé, un vague à l’âme d’être enfermé dans cette salle malodorante alors qu’il fait si beau dehors. La joute verbale commence. Les questions se font plus précises, les réponses plus embrouillées. Les représentants de l’administration en rajoutent. Pas d’explication, des impératifs sortis tout droit des arrêtés pondus quelques mois auparavant par une administration délirante qui ne songe qu’à réglementer, réglementer encore, réglementer toujours. Protestation de la part de certains. Réponse : « Nous ne faisons qu’appliquer les règles et ne sommes pas responsables de leur contenu ». Dans notre pays de fonctionnaires tranquilles, personne n’est responsable d’une situation complexe, embrouillée parce que les responsabilités sont diluées, noyées entre diverses couches hiérarchiques, techniques, juridiques, organisationnelles, communicationnelles. Qui fait quoi ? Il est difficile de le trouver. Qui est responsable de quoi ? Impossible d’approcher la vérité.

Vingt minutes plus tard, le président redonne la parole à l’intervenant qui reprend son discours toujours aussi persuasif et inaudible. Nouvelle récréation, nouveaux débats. Intervention du président. Celui-ci cette fois-ci, prend un ton raide et comminatoire. Il se tient sur sa chaise très droit, tendu vers la salle, un doigt sur la joue pour donner du poids à ses remarques : elles sont réfléchies et doivent faire preuve d’autorité. Quelqu’un ouvre la bouche. Rien n’y fait. Le président a parlé. Plus personne ne parle, même pour dire quelque chose d’intéressant. C’est la démocratie participative dans laquelle la seule participation est la présence à la réunion.

Trois heures plus tard, épuisés de devoir tendre l’oreille, les participants se lèvent après la conclusion du président. On se dérouille les jambes, on se permet de parler d’une voix forte, on échange sur quelques points, on parle de la pluie et du beau temps, des champs gorgés d’eau, des routes encombrées de boue et de mille autres potins qui façonnent bien sûr une conversation entre gens d’un même lieu, mais qui se connaissent peu.

Vous montez dans votre voiture. Quelques gouttes de pluie s’écrasent sur le parebrise. Vous vous demandez ce que vous êtes venu faire à cette réunion. Dire que vous auriez pu courir la campagne et cueillir ce qui vous tombe sous la main, en toute simplicité.

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