29/12/2013
L'éternité
Seules les choses temporelles peuvent nous donner une idée de l’éternité. Les concepts peuvent nous expliquer de quoi il s’agit, mais comprend-on réellement avec l’intellect ?
D’abord l’absence de temps. Chaque seconde est toujours la même seconde. Il n’y a d’ailleurs plus de secondes. Bien pire que d’imaginer un monde sans espace ou à l’espace illimité. Je suis à la fois en un point et en un autre. Mais l’espace n’existe que parce qu’il existe des objets. Sans consistance, pas d’espace. La présence crée l’espace. De même pour le temps. Sans existence, sans une présence, pas de temps. La vie, quelle qu’elle soit est à l’origine du temps et de l’espace. Pas seulement la vie humaine ou animale ou végétale, mais la simple présence de quelque chose, ne serait-ce qu’un grain de poussière d’étoiles.
Je ferme les yeux : un trou noir. Je ne suis qu’une enveloppe vide. Je perçois la différence entre le monde et moi-même, mais cela se limite à une fine pellicule transparente. Elle s’emplit aussitôt. Je reviens à moi-même. Serais-je un placard qu’on s’empresse de remplir de tout ce qui traîne ? On ferme la porte et on s’en va, sans bagage.
Cette éternité ne dure pas. Elle est tellement fugace qu’elle n’existe qu’une seconde, la première. Aussitôt après, je suis envahi d’images et la vie repart. La vie serait-elle inconciliable avec l’éternité ? L’éternité serait-elle le contraire de la vie ? Existe-t-il un lien entre l’éternité et la vie. Certainement, sinon l’éternité ne pourrait être conçue.
L’image de l’éternité : Quatre heures du matin, un lampadaire éclaire d’une lueur jaunâtre le vide de la nuit. On distingue au loin les lumières de la ville d’Annecy, au-delà du lac, une étendue lisse, sans aspérité, une coupure de l’espace. Pas un bruit, pas un mouvement, rien ne vient troubler le calme envoûtant. Derrière la fenêtre, le gel. Ici, il fait chaud. Ça permet de penser. Et l’image de l’éternité s’incruste dans le cerveau comme un rêve sans fin. Je suis aspiré par l’étendue du lac et par ces quelques lumières qui se cachent derrière. Je suis souple et ferme comme cette eau invisible qui reflète la vie. Laisse-toi faire et plonge dans ce miroir qui te raconte ce que tu es.
07:29 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vie, éternité, temps, espace, présence | Imprimer
28/12/2013
Départ
« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. »
Certains jours le monde extérieur reflète le monde intérieur et inversement. S’agit-il d’osmose, de dérive ou d’accident temporaire ?
Il se plongea dans la purée de pois, fermant ses écoutilles : les yeux d’abord, mi-clos ; puis les oreilles, épaissies par le fracas des gouttes sur le zinc ; et même le toucher, froid et glissant comme une couleuvre. Seul le goût de la pluie coulant de sa coiffure gardait un air salé, souvenir des embruns du mois précédent. Il avançait lentement, évitant les flaques, s’écartant des passants, tenant ferme sa petite mallette contenant son ordinateur.
Soudain, un corps s’empara de celle-ci, d’un geste brusque qui lui démantela le bras. « Ma mallette ! », cria-t-il à la silhouette qui déjà s’estompait dans la brume. Il tenta de courir derrière l’homme, mais celui-ci était trop vif, trop rapide et connaissait les lieux avec une certitude instinctive qu’il ne pouvait égaler. Il était nu sous la pluie, suffoquant, cherchant de l’aide qu’il ne trouvait nulle part, amnésique.
Quel effet ! Plus rien pour lui dire qui il est, ce qu’il doit faire, quels sont ses projets. S’il savait lire, il ne pouvait écrire qu’avec un clavier. Non, il n’était pas infirme. Il avait été formé à l’école du futur, à l’aide d’une tablette sur laquelle il tapota d’abord avec la main, maladroitement, puis avec un doigt, plus habile, enfin avec deux, puis trois, puis quatre, jusqu’à dix doigts. Il tapait aussi vite qu’il parlait. Ses fautes étaient corrigées fur et à mesure de leur apparition sur l’écran. Il n’avait pas de mémoire. Pour quoi faire ? Ce qu’il pensait, ce qu’il savait, ce qu’il vivait même étaient enregistrés sur son ordinateur, dans des fichiers bien ordonnés, classés par année et par thème avec un moteur de recherche associé fonctionnant par intuition et association d’idées. Il était de ces rares êtres humains qui se souviennent de tout, sans difficulté. L’école en faisait des surhommes qu’on ne peut tromper.
Pourtant, aujourd’hui, le 27 décembre 2013, il n’était plus rien. Le vide, le trou, l’absence, le noir, le saut sans bretelles. La pluie le lavait. Sa façade s’éclaircissait et l’on ne voyait rien au-delà, juste une sorte d’auréole transparente, opaque, mais sans consistance, un spectre qui se remuait sans intention.
Alors il partit la tête haute, sans hésiter, pour marcher sans fin dans une ville inconnue, jusqu’à échouer dans une nouvelle gare et reprendre un train pour on ne sait où.
07:07 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, spleen, insolite | Imprimer
27/12/2013
La nuit
La nuit, quand seule tourne
L’aiguille aigre de l’horloge
A la cadence de la course terrestre
Dans l’espace scintillant
Et que les couleurs anéanties
Se rêvent à la forme des objets
Comme un aveugle ignorant
Je te tends les bras pour retrouver
La douceur de ton visage inachevé
Et la chaleur de ton corps
Qui bat lentement dans ton repos
Au rythme éternel de la vie
© Loup Francart
07:05 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
26/12/2013
La chute des anges, chorégraphie du Nederlands Dance Theater
http://www.youtube.com/watch?v=VFcJ0a3aBJs
Le rythme et l’association-dissociation.
Des insectes dans une boite s’auto-affolant ou des grâces prises parfois de folie ?
Le combat de fourmis dans la forêt équatoriale !
Une beauté insolite, extra-planétaire, en rupture avec l’habituelle idée de l’harmonie. Et ce rythme obsédant, percutant, épuisant qui vous envoûte.
La chute des anges : Telles des mécaniques, elles déroulent un incessant ballet que l’on ne peut prévoir, tantôt dans un ensemble parfait, tantôt en dissociation complète. C’est surprenant, insolite, d’une beauté loufoque, mais raisonnable. Un équilibre en permanente rupture.
07:04 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, rythme, femme, art, musique | Imprimer
25/12/2013
Noël : le mystère divin
Le Christ serait-il né mille fois à Bethléem
S'il ne naît en toi, ton âme reste solitaire.
La Croix du Calvaire tu contemples en vain,
Tant qu'en toi-même elle ne s'élève point."
Angelus Silesius (Le pèlerin chérubinique)
C’est toute l’ambiguïté de cette fête de Noël. Il ne s’agit pas de célébrer la naissance historique de Jésus, mais de quitter ce Moi pour laisser naître le Soi immortel. Dépècement de l’âme et naissance de la lumière intérieure !
De même qu’il faut comprendre la différence entre le Dieu de la religion et la Déité mystique inconnaissable, de même il faut accepter de ne jamais non plus connaître en toute lumière le mystère qui donne sens à la vie.
« Il est métaphysiquement impossible que l’Essence divine dans sa réalité transcendante puisse se révéler comme telle. Le témoignage de Moïse au Sinaï est là-dessus sans équivoque : « Nul ne peut voir ma face sans mourir » (Ex 32, 20).Toute théophanie (manifestation ou vision de Dieu) présente donc une ambiguïté fondamentale : elle est un Voile sur la Divinité qui veut se révéler... L’Essence divine demeure incommunicable et inaccessible à la créature comme telle, et celle-ci ne peut connaître Dieu qu’à travers le voile de la Révélation. »
Abbé Henri Stéphane (traité XII.2)
C’est alors qu’apparaît la nécessité de la connaissance de soi et de règles de vie qui permettront le changement. En effet, on ne se change pas soi-même ; on se met dans les conditions qui permettent à l’Esprit d’opérer le changement. Ceci suppose de comprendre ce qui s’y oppose en nous, puis de l’éliminer. Chaque tradition spirituelle possède sa propre stratégie, véritable psychothérapie spirituelle, s’attaquant à la fois au conscient et à l’inconscient, au corps et au mental, aux habitudes et aux émotions. Cette lente descente en nous-mêmes, au-delà du personnage que nous créons et entretenons en permanence, peut être facilitée en suivant les conseils de ceux qui l’ont vécue eux-mêmes. C’était autrefois pour les chrétiens d’Occident le rôle du directeur de conscience ou confesseur. C’était le rôle des starets chez les orthodoxes. C’était aussi le rôle des maîtres soufis chez les musulmans ou encore des gourous chez les hindous.
07:44 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, mystère, parole, vie | Imprimer
24/12/2013
L’art authentique
L’art authentique est en soi une conquête de l’esprit ; il élève l’homme à la dignité du Créateur, fait jaillir des ténèbres du destin un éclair d’émotion et de jouissance mémorable, une lueur de passion et de compassion partageable. Par ses formes toujours renouvelées, il tend vers la vie ouverte en abattant les cloisons de l’habitude et en provoquant une manière de percevoir et de vivre. (François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006 ; p. 121)
L’art, à l’égal de la mystique, est la conquête de l’inconnaissable. Il englobe la connaissance personnelle de l’artiste et celle de ceux qui contemplant ou écoutant son art se hissent à sa hauteur.
De ce dialogue réel, mais non exprimé, non traduisible en acte, émerge une nouvelle connaissance du monde, l’appréhension d’un environnement si peu semblable à ce que nous en connaissons. La vie jaillit, pure et simple, mais si réelle, si prenante, si attachante, qu’elle repousse les limites de notre compréhension, vers un nuage d’inconnaissance semblable à celui du mystique.
Pourquoi ? Un seul point commun : la création, chacune à sa mesure.
07:20 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, création, connaissance, vie | Imprimer
23/12/2013
La servante du Seigneur, ouvrage de Jean-Louis Fournier
J’ai égaré ma fille.
Je suis retourné à l’endroit où je l’avais laissée, elle n’y était plus.
J’ai cherché partout.
J’ai fouillé les forêts, j’ai sondé les lacs, j’ai passé le sable au tamis, j’ai cardé les nuages, j’ai filtré la mer.
Je l ‘ai retrouvée.
Elle a bien changé.
Je l’ai à peine reconnue.
Elle est grave, elle est sérieuse, elle dit des mots qu’elle ne disait pas avant, elle parle comme un livre.
Je me demande si c’est vraiment elle.
Jean-Louis Fourier a perdu sa fille, celle qu’il avait toujours connue, charmante et drôle, habillé de couleurs vives, excentrique, même parfois extravagante.
Pourtant dix ans avant, déjà, elle lui demande ce qu’il penserait si elle était religieuse. Pourquoi pas ? Donner ce que nous avons de mieux à Dieu ! Mais ce n’était qu’un mauvais rêve. Un jour, elle partit dans la pénombre avec Monseigneur. Il a étudié la théologie à la Faculté. Il écrit une histoire de la philosophie. Il parle le grec et le latin.
Le livre est la méditation enragée d’un père face à son incompréhension d’une vie autre. Elle veut être sainte. Lui veut l’aimer et la croire encore vivante.
Elle pratique maintenant l’humour rose, pasteurisé, avec de vrais morceaux de fraise.
Elle est tombée dans la layette mystique.
L’humour bleu ciel et rose bonbon, ça n’existe pas.
L’humour, c’est noir.
L’humour c’est une parade, un baroud d’honneur devant la cruauté, la désolation, la difficulté de l’existence.
Ils se téléphonent :
– Jean-Louis, tu sais que tu vas mourir prochainement ?
– Mais oui, ma fille, je le sais.
– Tu as raté ta vie.
– Certainement, si tu le dis.
– Tu as été un vieil égoïste, tu as fait du tort aux autres.
– J’ai quand même quelques amis qui m’aiment bien.
– Ils ne t’aiment pas. Ils sont intéressés par ton argent. Tu dois normalement être damné, aller en enfer. Mais Dieu est miséricordieux et infiniment bon, il te laisse une chance.
– Enfin une bonne nouvelle.
Peut-être fut-elle réellement malheureuse avec ce père riche et content de lui. Mais il ne comprend pas :
Sectaire, ça commence comme sécateur, ça coupe. Ça coupe des parents, ça coupe des amis, ça coupe du monde professionnel, ça coupe du monde tout court.
Elle s’extasie devant les cathédrales :
C’est vrai que les artistes doivent beaucoup à Dieu. Si Dieu n’avait pas créé les pommes, Cézanne était condamné à peindre des compotiers vides.
Les souvenirs sont la seule bonne chose qui lui reste :
Tu es encadrée dans le bureau vert, une vieille photo, tu dois avoir douze ans. Je te regarde souvent. (…)
J’ai la nostalgie du passé.
On s’entendait bien avant.
Pourquoi maintenant c’est si difficile ?
On est tous les deux orgueilleux et pudiques.
On ne dit rien, on ne montre rien.
Nos sentiments sont classés secret défense.
Il crie sa rage :
Pourquoi, depuis que tu es à Dieu, tu es odieuse ?
Et Dieu lui fait peur :
La conversion, c’est un brutal éblouissement. Après un éblouissement, on ne voit plus clair, on est aveuglé, on se retrouve dans le noir, comme les lièvres éblouis par les phares d’une automobile.
Crois-tu que je sois attiré par le Dieu qui t’a éblouie ?
Il me fait peur.
Il finit :
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Je t’attends depuis plus de dix ans.
Pour une foi, j’ai de la patience. Tu vas revenir. (…)
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Reviens, avant que je m’en aille.
Et sa fille conclut dans une lettre :
Je faisais de l’humour noir parce que ma vie était noire, de désespoir. Maintenant, je fais de l’humour rose parce que ma vie est rose d’espérance, avec de vrais morceaux de fraise bio, de mon jardin.
L’humour rose, pas morose.
In médite et on médit des autres. Toi, pardonne-moi de le dire, tu médis et tu édites. Nous on médite et on mérite. Ça irrite ?
Un livre sévère et tendre, au gré de l’humeur de l’auteur. Il y a de curieux nuages sur ce ciel bleu : qui est Monseigneur ? Un gourou, un responsable de secte, un illuminé ou un amant théologien ?
07:05 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, récit, méditation, religion, génération | Imprimer