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25/08/2013

Te Deum, d’Arvo Part

http://www.youtube.com/watch?v=CPd3e5woOyc

La plupart des Te Deum commencent par une explosion de sons venant des instruments ou des voix. Ici rien de tout cela. Le grognement de la terre, l’écho du travail de la matière dans l’immensité de l’espace. Puis un « Te Deum laudamus » empreint de sérénité et de confiance malgré la terreur de l’existence. Réponse des voix de femme, en écho, elles aussi pleines de foi et de loyauté.

Te Deum laudamus,
te Dominum confitemur.
Te aeternum Patrem,
omnis terra veneratur.

Nous te louons, Dieu,
Nous t'acclamons, Seigneur.
Père éternel,
Toute la Terre te vénère.

S’agit-il réellement d’un Te Deum ? Les violoncelles, puis les violons s’épanchent pour rappeler la fugacité de la vie, sa fragilité. La troisième strophe éclate tout à coup (Sanctus, Sanctus, Sanctus…), puis se calme, puis explose (Pleni sunt caeli et terra…).

« Sanctus, Sanctus, Sanctus
Dominus Deus Sabaoth.
Pleni sunt caeli et terra
maiestatis gloriae tuae. »

« Saint, Saint, Saint,
Dieu, Seigneur de l'univers ;
le ciel et la terre sont remplis
de la gloire de ta majesté. »

Le Te Deum est sensé exprimer la louange et l’action de grâce. Mais ici, celles-ci sont toute intérieures. C’est un condensé de louange qui s’échappe d’un petit trou dans la conscience, une sorte de trou noir dans la toile de l’espace et du temps, fuyant l’existence des hommes.

On suit difficilement ce qu’a voulu dire le compositeur, car ce Te Deum ne ressemble à aucun autre. Il est tendre, plein de grâce intimiste, empli d’une dévotion intemporelle. Certains peuvent penser le contraire : glacial. Oui, c’est un paysage arctique, désert et coupant, qui s’étend sur des kilomètres carrés et qui reflète l’inconnaissance humaine face à la toute puissance divine (Sauvez ton peuple, Seigneur,...). Mais cette inconnaissance est accompagnée par la tendresse d’une promesse : Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu (Saint Irénée). On peut penser que ce qu’a voulu exprimer Arvo Part, c’est l’intimité de cette transformation.

24/08/2013

Où sommes-nous ?

Il arrive parfois qu’à la vue d’un paysage l’œil se demande ce qu’il regarde. Où suis-je ? me murmure-t-il à l’oreille. Alors le cerveau s’enflamme. Ce qu’il voit ne correspond pas à ce qu’il ressent, ni à ce qu’il sait. Là, la réalité dépasse la fiction. Cela tourne dans la tête comme dans le tambour d’une machine à laver et même quand cela s’arrête, ce n’est pas suffisamment à l’horizontal pour qu’on commence à avoir une idée précise de la réalité. J’ai un kaléidoscope dans la tête, et j’ai beau remuer les morceaux de verre pour les mettre à l’endroit, rien ne vient. On s’affole donc : qu’est-ce ceci ?

13-08-17 Rolley (10-1).JPG

Un lac vu de la rive boisée avec quelques bateaux flottant tranquillement sur la surface calme de l’eau. Le soleil est actif, l’eau devient ruisselante de lumière et prend ce ton éblouissant, quasi aveuglant, qui procure à l’œil un défaut de vision par saturation. Lac enchanteur des jours d’été, envie impulsive de plonger dans une eau pure et fraiche, bonheur sensuel des corps au-delà de toutes considérations intellectuelles.

La photo suivante, enclenchée cinq à six secondes après cette première prise de vue, donne une vision fondamentalement différente.

13-08-17 Rolley (11).JPG

Je suis transporté à l’ombre des bois, en pleine campagne, auprès d’une prairie verdoyante où paissent quelques bêtes. C’est le matin, la lumière est crue, mais tamisée par la tendresse de l’éveil. C’est là aussi l’été, mais un été plus tendre, plus alangui, et cependant revigorant.

Le plus curieux n’est pas cette différence de sensation entre deux clignements d’œil qui fait bouger les pièces du kaléidoscope, mais le fait que cette sensation bizarre n’est pas due à la réalité, mais aux photos de cette réalité. Il n’y a aucun trucage. Mais l’œil mécanique a manifesté un semblant d’insuffisance humaine. C’est bon de savoir que la technique a également des difficultés d’adaptation.

23/08/2013

Le flûtiste invisible, roman de Philippe Labro

Un roman qui n’en est pas un, puisqu’il est constitué de trois nouvelles, et qui mentionne en liminaire : « Tout est déterminé par des forces sur lesquelles nous n’exerçons aucun contrôle. Ceci vaut pour l’insecte autant que pour l’étoile.13-09-23 Le flûtiste invisible.jpg Les êtres humains, les légumes, la poussière cosmique – nous dansons tous au son d’une musique mystérieuse jouée à distance par un flûtiste invisible (Albert Einstein) ». Et l’auteur ajoute : Comme Schindler, je crois qu’il n’y a qu’une seule chose dont nous devrions être certains : la sensation qu’autour de nous, avant ou après, en dedans ou en dehors, il y a un élément inconnu sur lequel n’avons aucune prise, aucun contrôle, mais dont nous pouvons imaginer qu’il en exerce un sur nous. C’est l’élément inconnu qui m’intéresse.

Seule la première nouvelle m’a paru digne d’intérêt. Pourquoi ? Elle semblait vécue, alors que les deux suivantes m’ont paru plus compassées. Elle se dénomme « Bye bye Blacbkbird ». Blackbird est une jeune américaine qui voyage sur un transatlantique et que rencontre un jeune garçon qui se rend aux Etats-Unis pour étudier. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une rencontre, mais le fruit d’un pari fait avec ses camarades : Qui serait assez culotté pour aller faire un compliment à cette jeune femme si belle, là-bas, à la table de gauche ? Ses cheveux étaient d’un jaune éclatant, comme des fleurs de tournesol, un jaune qui aurait pu virer à l’orange. Elle lui donne rendez-vous le soir même, mais n’y vient pas. Le troisième soir, elle ouvre en pyjama sa porte. Ils parlent. Elle lui demande : « qu’attendez-vous de moi, au juste ? ». Devant son absence de mobile, elle éclate de rire : « Seriez-vous trop bien élevé ? Vous ne voyez pas qu’il se voit votre désir ? Vous croyez qu’un homme peut dissimuler son envie d’une femme ? Vous avez faim d’amour, c’est cela, pourquoi ne pas le dire ? » Elle avait une capacité unique et déconcertante à passer de l’ironie à la langueur, de l’intime à la distance. Elle met le disque de la chanson Bye bye Blackbird et lui dit à la fin : « On ne choisit rien. Et rien n’est impossible, sauf de refuser la mort. Et tout est possible, mais rien n’est important. Tout est fatal. » Lorsqu’il va partir, elle lui demande de l’embrasser. Je pouvais sentir son corps sous la soie, touchant le mien sans bouger : « Eh bien, dites-moi, quelle vigueur dans le pantalon ! Mais dans quel émoi êtes-vous tombé ? ».

Il en devient fou, ne pensant qu’à elle, la cherchant partout et elle, se dérobant, l’évitant jusqu’à l’arrivée à New-York. Là, contrairement à toute attente, elle se donne à lui subrepticement. Puis, immédiatement après : « Rhabillez-vous. Allez, vous avez eu ce que vous vouliez ». Je l’ai regardé. Elle avait une expression voilée, hantée, une cernure mauve avait creusé sa peau sous chacune de ses paupières. On ne pouvait lire aucune satisfaction nu aucun plaisir sur ce visage auquel, en vérité, je ne comprenais rien. Quelque chose de mortel est passée dans ses yeux.

En épilogue, l’auteur philosophe : « Tout est mouvement, écrit Balzac, la pensée est mouvement. La nature est établie sur le mouvement. Balzac continue et se dévoile enfin. Il ose, enfin !, (sic) écrire les quatre lettres DIEU : « Dieu est le mouvement, peut-être. Voilà pourquoi le mouvement est inexplicable comme lui et, comme lui, profond, sans bornes, incompréhensible, tangible. »

22/08/2013

Le chien

C’était bien un chien…
Une grosse boule de poils
Mal léchée et sale…
Il marchait en vieillard
Une patte après l’autre,
Tirant sa carcasse
Et s’arrêtant pour souffler…
Les enfants en avaient peur…
Il s’approchait doucement
Sans bruit, sans un coup de queue
De sa langue râpeuse
Il caressait patiemment la main
Celle qui traînait ici ou là
Et l’enfant poussait un cri
Lui, il ne bougeait pas
Il le regardait de ses yeux doux
Ne comprenant pas sa réaction
Il se couchait à ses pieds
Mais l’enfant changeait de chaise
Se réfugiait dans les bras de sa mère
En disant « Je n’aime pas les chiens »
Et lui ne disait rien
Il fermait les yeux et rêvait
Du temps où il courrait avec les enfants…
Aujourd’hui seuls les souvenirs
Lui font remuer la queue
D’un contentement timide…

21/08/2013

"La Poule", de Jean-Philippe Rameau, interprété par Grigory Sokolov

http://www.youtube.com/watch?v=xcXY7dyK7eQ

 

On est projeté dans le poulailler, caquetant en chœur avec les gallinacés, piétinant sur la paille, évitant les œufs, nullement incommodé par l’odeur. Quelle imagination de la part du compositeur, Jean-Philippe Rameau. On imagine les poules au pas de l’oie, embrigadées, mais cherchant à se libérer de cette emprise, s’égaillant à maintes reprises, fuyant tout ce qui les contraint, restant malgré tout poules, dodues, échevelées, coquettes, secouant la tête avec obstination, avec quelques remords ou hoquets, puis reprenant leur rythme.

Où se trouve le coq ? C’est le triomphe de la féminité, dans toute sa vigueur. Un piétinement de talons hauts, de valses endiablées, telles les coquettes qui se mirent dans le miroir et sourient à leur image, entre elles, bien dans leur peau, heureuses d’être débarrassées d’une présence masculine qui les oblige à jouer le jeu de la séduction. Mais elles restent femmes, imaginatives et groupées, fières de leur indépendance, riant comme des folles, s’amusant d’un rien, se prenant par le bras, s’entraînant les unes les autres, relevant leur gorge pour mieux glousser, levant leur crête et humant l’air avant de hoqueter et de se donner en chœur. Quel bel ensemble que ce poulailler ! N’est-il pas aussi beau qu’une cour du XVIIème siècle, avec ses robes de taffetas, ses cerceaux, ses rires entendus, le tout caché derrière un éventail pour mieux médire contre les hommes.

Admirons le jeu de Grigory Sokolov qui comme toujours nous donne un aperçu de sa délicatesse et de sa virtuosité. Merci pour cette pièce brillante faisant rêver sans vouloir médire sur la féminité qui égaille le monde.

20/08/2013

Le monde selon Garp, roman de John Irving

Le livre était lourd et volumineux (650 pages d’une écriture serrée), ce qui n’est pas encourageant pour en commencer la lecture. De plus, la quatrième de couverture était peu engageante, contrairement à ce qu’a voulu l’éditeur. Elle13-08-20 Le monde selon Garp.jpg évoquait le féminisme, la violence des hommes, la peur des femmes, cette opposition des sexes qui fit pendant un temps les premières pages des médias d’outre-manche. Bref, les clichés d’une Amérique éternelle peuplée de machos texans. Et je continuais à le penser au bout d’une cinquantaine de pages, malgré quelques bons mots : Jenny avait l’impression que ses études n’étaient rien d’autre qu’une façon polie de gagner du temps, comme si elle avait été une vache mise en condition pour recevoir la canule de l’insémination artificielle.

Je finis par me détendre et lus avec curiosité les cinquante pages suivantes. Enfin, je fus pris par le récit, non pas à la manière d’un triller à l’intrigue palpitante, mais en raison de la personnalité du personnage principal, S.T. Garp, fils de Jenny, une jeune fille de bonne famille devenue infirmière, qui se fait faire un enfant par un malade, le Sergent Technicien Garp, mitrailleur de queue d’un avion atteint par les balles au cours de la seconde guerre mondiale. Huit jours plus tard, je fermais le livre en me se disant que j’aurais bien poursuivi la lecture de cette saga délirante, bien qu’apparemment anodine : Garp luttant contre la concupiscence des hommes, rejetant la violence de l’environnement quotidien et assurant la protection des enfants. Tel est le sujet du livre, les peurs d’un père dans un monde fou, mais habituel. Et souvent je me suis dit : ces descriptions sont trop longues, ces sentiments sont trop étalés, je les saute.  Mais je revenais par la suite sur ces métaphores pour ne rien perdre de l’ensemble.

Le livre est ambigu. Cela tient au mélange entre le récit parfois trop lent et la rapidité des événements clés qui ne sont qu’évoqués, puis repris de manière indirecte. Ainsi l’accident entre l’auto de Garp et celle de l’amant de sa femme, dont les dégâts sur la famille ont été considérables, n’est abordé qu’à travers ses conséquences. Pierre-Yves Petillon, qui présente le livre dans sa version française, nous dit : « On les compte sur les doigts d’une main, finalement, les livres où l’on rit à voix haute, où l’on s’esclaffe comme autrefois, lorsqu’on avait dix ans et qu’on allait voir un Laurel et Hardy dans un petit cinoche de quartier. » Je pense plutôt à une espèce de nostalgie difficilement interprétable que donne le roman, comme un arrière-goût d’entente entre l’auteur et le lecteur, mais qu’on n’ose pas avouer, n’y même reconnaître. On est gêné, mais heureux de l’être. On y prend plaisir sans savoir pourquoi. C’est ce qui fait la qualité du récit : inattendu, tant dans les événements que dans les émotions de Garp. Il en reste un sentiment curieux qui vous contraint à achever le livre sans comprendre son intérêt.

Quelques descriptions font rire : « Aaa, fit Garp (le père), comme Jenny l’attirait en elle et s’accroupissait en pesant de tout son poids. – Garp ? demanda-t-elle. ça va ? Est-ce que c’est bon, Garp ? – Bon, approuva-t-il, très distinctement. (…) A mesure qu’il se recroquevillait et que sa semence suintait sous Jenny, il se retrouva une fois de plus réduit aux « Aaa » ; il ferma les yeux et pleura. Quand Jenny lui offrit le sein, il n’avait pas faim. (…) Elle se sentait plus féconde qu’une glèbe bien préparée – la terre nourricière – et elle avait senti Garp lâcher en elle un jet aussi généreux que celui d’un tuyau d’arrosage en été (à croire qu’il voulait inonder une pelouse).

D’autres épisodes sont quasi sordides : Le mouvement des Hellen-Jamesiennes appartient à un monde inconnu dans lequel des jeunes femmes se font couper la langue pour lutter contre la violence faite aux femmes en souvenir d’Hellen James, violée à l’âge de douze ans.

Il est impossible de raconter en quelques phrases le livre, trop long, trop imaginatif et, apparemment, banal. Il s’achève sur les enfants de Garp : « Dans le monde selon son père, comme le savait Jenny Garp (sa fille), il faut avoir de l’énergie. Sa célèbre grand-mère, Jenny Fields, nous voyait naguère comme appartenant à diverses catégories, les Externes (les hommes qui avaient été brûlés), les Organes vitaux (les hommes blessés qui souffraient en dedans), les Absents (des hommes qui avaient cessé d’être là) et les Foutus (absents souffrant de maux propres aux externes ou aux organes vitaux). Mais dans le monde selon Garp, nous sommes tous des incurables (de la concupiscence).

19/08/2013

Vitrail et lumière

Un beau vitrail du XIXème siècle : architecture et couleurs font pour une fois bon ménage. Certes, cela ne vaut pas les vitraux médiévaux. Mais tout de même : la sainte famille, en couleurs, enchâssée dans un décor coloré (Eglise de la Trinité à Château-Gontier 53).

13-08-06 Vitrail (53).JPG

L’univers tout entier est contenu
Dans la lumière de l’amour de Dieu.
L’infiniment grand comme l’infiniment petit
Respire du même souffle de l’amour.

Olivier Clément (voir l'article du 7 mars 2013) disait dans ses monologues qui lui servaient de cours : "L'ascèse est l'art de se transformer dans la lumière". Et le vitrail aide à aspirer à l'ascèse, non seulement par les représentations qu'il permet, mais surtout par la transparence de la lumière et sa quasi décomposition en couleurs qui donne, au-delà de la vision du visible, un aperçu de l'invisible.

L'église catholique a développé une symbolique de la lumière dans la liturgie. L'orthodoxie a même créé une théologie de la lumière. Mais il n'y a pas que dans les églises chrétiennes que la lumière est assimilée non seulement à une manifestation de la divinité, mais à l'essence même du divin.

Abû Hamid Muhammad al-Ghazali (1058-1111) dans le Michkât al-anwâr ou "Le tabernacle des lumières", partage son livre en trois chapitres. Le chapitre 1 montre que la véritable lumière est Dieu et que le nom de lumière appliqué à un autre être est purement métaphorique et à ne pas prendre au sens propre. Le chapitre 2 développe ce que représentent le Tabernacle, la Lampe, le Verre, l'Arbre, l'Huile et le Feu. Le chapitre 3 traite de la signification de la parole du prophète: "Dieu a soixante-dix voiles de lumière et de ténèbres; s'il les enlevait, les gloires fulgurantes de sa Face consumeraient quiconque serait atteint par son Regard."

La première acceptation de la lumière est qu' "elle désigne ce qui est visible par soi-même et ce qui rend visible autre chose". Mais il ajoute: "Tu as donc compris qu'il y a deux sortes d'yeux : un œil externe et un œil interne... L'œil externe appartient au monde visible et c'est le soleil sensible ; le soleil intérieur appartient au monde du Royaume céleste, il s'identifie au Coran et aux autres livres divins révélés". Et il conclut : "La lumière véritable est celle par qui, à qui et à partir de qui les choses se révèlent et au-dessus de qui il n'y a plus de lumière qui serait sa source et à laquelle elle puiserait".