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05/03/2011

Comme l’âme dépareillée des marins

 

Comme l’âme dépareillée des marins ensevelis en terre,
Chaque pierre a son éloquence. Il y a la pierre du fou
Et celle du bienheureux. Celle de la tristesse  et celle de l’opulence.
Les unes ont la densité de l’espoir ou la corpulence du crime,
d’autres la légèreté de l’ignorance ou la beauté de l’inconséquence.
Et chaque caillou sur le chemin montant vers le cimetière
S’arrondit lentement au pied des foules compassées
Qui y montent tristement, aussi lourdement que la douleur,
Pour redescendre joyeuses et plus légères d’insouciance
Vers le petit bistrot des âmes disparues au pied de la colline.

Lentement les âmes s’usent aux années plus rugueuses
Comme la corde d’amarrage des navires sous le sel.
Et un jour elles se détachent en petits cailloux brisés
Qui s’en vont un à un, le long du chemin,
Pour renforcer l’asphalte rectiligne et éternel
Jusqu’à l’arrêt de la mécanique humaine.

 

 

03/03/2011

Dans le désert plat de l’imagerie télévisuelle

 

Dans le désert plat de l’imagerie télévisuelle

Que n’ai-je vu de beautés factices

Dédiées aux plus choquants des prêtres,

Ceux d’une publicité criante ou de jeux tapageurs,

Ou encore aux vertus de voitures carrossées

Par le dernier éphèbe en délire du jour ?

Que n’ai-je vu aussi, de guerres sanglantes

Et de soldats perdus pour un pouvoir obscur

Ou encore de rires émouvants et fragiles

De jeunes adolescentes effarouchées

Un soir de grisante veillée au bar délétère ?

 

Oui, j’ai contemplé

La noirceur des meurtres en série,

Le bleuissement des rêves enivrants,

Le jaunissement des fins d’une vie,

Le verdoiement des explorations perdues,

La griserie des fêtes mondaines,

Le brunissement de papyrus en miettes,

L’écarlate des bouches de femmes,

L’orangeté des délires printaniers

Dans l’étrange chambre de nos vingt ans,

Le vermillon des petits pas menus

Des danseuses chinoises aux pieds bandés,

La pâle blondeur des cheveux de reines,

Le bref éclair des couteaux affutés

Dans les rues inconnues de villes lointaines,

Jusqu’aux évanescentes rencontres

De sordides réseaux en mal de reconnaissance

Par des enfants insoumis et brutaux.

 

Parfois, vient un instant de pur délice,

Comme l’ombre de Dieu sur le ciel assombri,

Qui éclaire d’un reflet étincelant

Le lent cheminement de l’âme

A la recherche d’un plaisir sain.

Alors s’attardent les cœurs endurcis

Et les intellects obscurs et sordides

Pour contempler, fruit du pur hasard,

L’apparition attendue d’un désert sans fin

 Où rien ne se passe hors du silence des sens.

 

25/02/2011

Rien… Le silence de l’attente

 

Rien… Le silence de l’attente
Dépouillé d’une vie antérieure
J’attends ta venue

Je connaissais le rire
Je savais des mots et des gestes
Parfois aussi la tristesse d’un jour sale
Je n’avais pas d’attaches
J’allais, enivré d’air

Un jour, sous le feu d’une étoile
Tu m’as regardé
Je t’ai aimée cette nuit
Pour une flamme dans tes yeux

Maintenant, j’ai oublié le vocabulaire
De ces mots qui me grisaient
Je suis le pantin désarticulé
Dont les gestes se confondent
Et mon rire résonne, étrangement faux

J’attends, les mains tendues
Comme un noyé vers les rives
Je ne sais plus qu’un mot
L’attente

 

23/02/2011

Que dire devant la page vide

 

Que dire devant la page vide 

D’une nuit verte, au coin d’un réverbère ?

Premiers mots qui passent comme un vol de cormorans.

Mais qu’y a-t-il derrière ? Un vent de fronde

Chassé par la profusion du langage.

Silence des sentiments.

Un vide dans le noir de l’esprit,

Image de la floraison du cœur.

Dans la tiédeur de l’obscurité monte en moi

Le chant heurté, puissant et magique,

Des sirènes mouvantes et volubiles.

Au loin le son aigu d’une voiture

Qui flotte au gré du vent sur la route de l’Espagne.

Pas un passant ne vient à mon secours,

Ne m’apporte le mot qui permettra la suite

De cette histoire sans fin, ni commencement.

Dorment les passants du jour,

Eveillés les fantômes de la nuit

Qui montent une garde acide

Aux tréfonds des portes cochères

Et rient de me voir, assis

Dans mes pensées sordides,

Faute de pouvoir dormir

Et laisser aller mon esprit

Dans la fraicheur du rêve.

 

Oui, la nuit s’enfonce en moi

Creusant un large trou

Que je remplis de verbes

Comme on enfile les huitres

Sur le fil à couper le beurre.

Elle ne cessera pas

Avant l’aube qui ne vient pas

De me dire « étends-toi ! ».

 

 

 

18/02/2011

Jour du peintre

 

Jour du peintre, le soleil dort

Bordé de plumes, il se cotonne

Émergence sereine, sans contours

Il délivre sa myopie de cyclope

Terre de verre teintée, molle

Araignée laiteuse et géométrique

Je m’englue dans ta toile déployée

Jusqu’à cet œil pâle et soyeux

Mes pas étouffés par ta chair

Ne peuvent monter jusqu’à moi

 

14/02/2011

Pour la Saint Valentin

 

Tu es la femme

Et tu es toutes les femmes

 

Tu me reçois comme homme

Et je deviens tous les hommes

 

Nous deux, homme et femme

Dans le désert clos de nos rencontres

Comme une bulle saisissante

Qui dure, et dure et vit, inlassable

 

Parfois, sans même nous regarder

Nous avons simultanément le même mot

Et, souriant de cette conjonction

Achevons en un regard ce qui ne fut qu’une pensée

 

Tu m’as donné ta vie, chaque jour

J’ai vu ton rire fou et tes larmes de chair

Mais aussi l’immense appel de tes yeux clairs

Et la tendresse de tes doigts de verre

 

Au-delà de la dure apparence des années

Je te contemple, enfant des premiers instants

Quand nous jouions dans l’herbe grasse

En attente de nos promesses mutuelles

 

 

12/02/2011

Cette immense tenture noire

 

Cette immense tenture noire

Qui tombe sous mes yeux fatigués

S’entrouvre parfois sur des paysages finis

Réminiscences de mon enfance

D'autres fois, l’azur blanc des cieux

En montre les plis amers aux regards

Comme ces plaies des malades

Qui restent cachées sous les linges

 

Certains jours, une étrange pâleur

Voile les événements les plus simples

Comme celui d’un reflet sur le café du matin

Ou l’éclat d’un réverbère sur une vitre

Alors ce jour est marqué à jamais

Des senteurs du passé, tièdes et ténues

Jusqu’au moment où le soir survient

Pour enfouir au creux de sa nuit

Les images ensoleillées des jours

 

D’autres soirs, au creux de notre manteau intérieur

Se construisent dans un tiroir de la mémoire

Des bulles de connaissances oubliées

Elles éclatent au visage de notre indifférence

Et balayent nos doutes sur leur existence

Ce sont des pluies fines, colorées et chatouilleuses

Qui ensorcellent les pensées et les font danser

En tangos endoloris ou en valses alanguis

Fête de la nuit dans le repos du corps

 

Que tombe la tenture sur ces souvenirs

Ou qu’elle s’entrouvre sur un monde fou

La déraison conduit à partir

Dans les fossés d’eau courante

Jusqu’à une mer acide et verte

 

 

09/02/2011

Derrière l'alliance du passé et du présent

 

Derrière l’alliance du passé et du présent,

Qui façonne l’homme à l’image de l’histoire,

On soupçonne pourtant un autre regard,

Celui du possible, de l’inattendu,

Comme un trou de taupe sur le plancher des vaches

Ou un coup de poing dans le regard intérieur.

 

Emergence de souvenirs, le passé

Se dilue dans l’inadvertance des événements

Selon l’humeur, l’honneur et l’humour, et, parfois, l’horreur.

Rien n’arrête la folie de l’ouragan griffonnant

Sur le crane de l’homme mort

En ayant trop vécu et peu créé.

D’autres se concentrent sur l’existant,

Une gorgée de vin fin, une écharpe futile,

La note aigre de l’éléphant assis sur la lune,

Ou même le jaune acide des perruches dans l’aube.

 

Tous attentifs au fil de ce qui leur arrive,

Ils oublient la fleur de l’existence, le pollen des désirs,

Le bouquet des chaleureux embrasements

D’un monde renouvelé à chaque moment

Par la vertu du délire, par l’ouverture de l’imaginaire,

Par la couverture du regard fêlé sur l’inexistant.

Qu’adviendra-t-il de ce monde rêvé

Sur les hauteurs de Pampelune un jour de déraison ?

Sera-t-il exclu des richesses d’un existant

Ou inclus dans la lente et lourde côte

Des idées déshydratées par l’absence d’écho ?

 

Seuls comptent l’aspiration tenace du large,

Les espaces venteux des steppes sans fin,

Le vertige des hauteurs montagnardes,

Et, surtout,

La précieuse indifférence des dimanches

Quand, empli d’absence, je descends

Jusqu’à la source de ta lèvre entrouverte.

 

06/02/2011

La poésie ne prouve pas. Elle impose.

 

La poésie ne prouve pas. Elle impose. Elle ne démontre pas, ne calcule pas. Elle suggère, elle laisse glisser la compréhension à travers des méandres inconnaissables. Chaque image verbale se suffit à elle-même, mais c’est l’enchaînement des images qui fait de ce texte un poème et lui donne son impact sur le centre de l’être. Ne pas chercher de rapport logique, mais le rythme qui s’impose à soi, hors de soi, comme une écriture automatique qu’il faut cependant contrôler. Les images se succèdent. Il ne s’agit pas d’images au sens de la vue, mais d’impressions fixées en quelques mots, qui donnent au lecteur l’ambiance et la finalité de ce que l’auteur a ressenti et a voulu exprimer.

Dans l’immense vide de la conscience, jaillissent les mots qui éclatent en bulles d’images et rendent vie aux instants privilégiés où s’est établie l’étincelle d’une affection de l’âme pour le fait vécu ou l'imaginaire qui s’enracine dans la réalité. Rien ne saurait dire auparavant que cette synergie s’établirait. Elle surgit en un instant, impromptue, lancinante, jusqu’au moment où il faut céder à cet impérieux désir d’exprimer ce que remue en soi ce petit bout de vie, si petit qu’il s’oublie très vite, malgré les efforts faits pour le conserver en mémoire. Alors commence le travail des images, puis des mots, puis des enchaînements, jusqu’au moment où se forme ce que certains appellent un poème, mais qui, pour l’auteur, n’est qu’une naissance inespérée, à chaque fois différente. Cet enchevêtrement, il lui arrive parfois de le reprendre, de retravailler chaque image, jusqu’à ce que, derrière l’apparent jaillissement des mots, se cache une construction subtile, aux apparences candides.

La poésie est la pensée à nu, simplifiée de tout l’appareil de la raison, comme un don invisible de l’auteur à son lecteur, invisible mais authentique et unique. La poésie aspire, ouvre l’être qui se jette dans le grand vide, heureux de sentir cette sensation extraordinaire de l’envolée du corps, du cœur, de l’esprit et de l’âme. La poésie est le liant des défaites terrestres et des espoirs célestes, une harmonie souveraine qui fait de l’homme un archange des images mentales qui transcendent son égo et l'ouvrent à la sérénité.

 

 

05/02/2011

Revenir, comme après un long voyage

 

Revenir, comme après un long voyage,

Dans ces pièces qui abritent vos souvenirs,

Ou plutôt les objets qui font que vous êtes vous-même,

Depuis vos cahiers d’écolier abritant vos impressions

Cueillies au fil des années, jusqu’au goût subtil

Des salades préparées par la même main amoureuse.

Retrouver intacte également la brillance du secrétaire

Comme un objet de collection utilisé quotidiennement.

Se réjouir du silence feutrée qui colle à l’appartement

Et emmitoufle nos pensées de mièvres délices.

Attention, ne pas se laisser envahir par cette quiétude amère

Qui, progressivement, noie l’esprit dans un tourbillon d’images

Sans suite, sans fin, sans consistance, sans pouvoir sur le monde.

Le retour doit rester un commencement et non une continuité.

Donner les éclairs nécessaires à la redécouverte

Comme la foudre transperce le ciel bleu nuit, un soir d’été.

Par exemple, le confort dodu du lit,

Comme un édredon de crème fouettée et de fraises des bois,

Ou cette place préférée dans le canapé, façonnée au fil des jours,

Comme un creux de mollesse et d’habitude,

 Ou encore la plainte verdoyante des pieds du fauteuil

 Noyés dans la forêt de troncs qui encombre le salon.

Oui, ouvrir les yeux sur une nouvelle réalité

Ou de nouvelles sensations ou des perceptions inédites.

Quel plaisir d’éprouver pour un quotidien dépourvu d’attraits

Des sentiments qui serrent le cœur, dégazent l’esprit,

Ouvrent des perspectives roses dans un ciel bleu cobalt.

Vert comme une pomme ou un élastique sucré,

Le paysage de notre vie quotidienne prend le poids de l’avenir,

Débarrassé du passé, dans la désaffection des réminiscences,

Difficilement présent par manque de consistance,

Ouvert à l’inconnu, tendu vers un horizon improbable,

Et pourtant attrayant comme une sucette glacée.

 

 

04/02/2011

Réveil

Où suis-je ? Une usine : mille chuchotements et même quelques cris m’arrivent dans le brouillard. Plus rien. Puis, un tableau d’art moderne, style Braque, fait de prismes, de lumière, d’angles et de couleurs. Mais juste un instant. A nouveau la désintégration. Des lumières au plafond, et, à nouveau, des voix, un bourdonnement de paroles jusqu’au retour à la nuit. Je geins sans le savoir, longue plainte dans le brouhaha des voix. Quelqu’un parle plus fort et semble s’adresser à moi. Mais je ne comprends pas ce qu’il me dit. Je parle, mais m’entendent-ils ? Et d’ailleurs, que dis-je ? Je ne sais.

Je suis bien dans ma bulle. Pourquoi vouloir m’en faire sortir ? Retomber dans le néant, dans le silence sans fond d’où je sors. Pourquoi retrouver les lentes orbites des objets autour d’un rien de conscience. Je ne veux plus de conscience, simplement l’absence de pensée, de sensations et même de réflexes qui me poussent à ouvrir les yeux et à écouter.

 Je n’ai pas mal, mais ce n’est pas pour cela que je vais bien. Je ne sais pas ce qui se passe, sinon que l’usine tourne, fonctionne à côté de moi, vivante et bien réelle. J’entends les paroles ou plutôt j’entends leurs sons, mais je ne les comprends pas. Je vois des images sans pouvoir les relier à une réalité vécue. C’est un bourdonnement, tout d’abord faible, comme une petite musique dans un coin de la tête, puis il s’amplifie, se fait plus réel, prend de la consistance. Chaque morceau du puzzle se raccorde, éclate à nouveau en pluie d’impressions sans logique, puis s’assemble comme un kaléidoscope.

Je ne sais si je suis moi-même réel. Pourtant, je suis. Je suis différent de tout ce que je vois et entends. Je les ressens et je sais qu’ils ne sont pas moi. Mais qu’est-ce que je suis ? Je ne sais. Peu importe d’ailleurs. Ecrasé sur un matelas d’aluminium, mon cercle d’appréhension se limite à un mètre autour de moi. Je ne tiens pas à aller au-delà.

Non, ne me bougez pas, je suis bien, que le temps ne reprenne pas sa course. Qu’il s’arrête pour que je récupère.

(suite à un séjour en clinique)

01/02/2011

Il me manque, certains jours

 

Il me manque certains jours, lorsque le soleil confie sa face rubiconde aux mains boisées de l’horizon, l’ombre du désir blotti dans la chaleur de ton être.

Quand je te regarde, étrangère, sous une apparence de femme, riante de tes doigts autour de mots inventés, et que sur tes yeux ouverts, j’abaisse les paupières du souvenir, je revois ta pâle dépendance hébergée sur mes lèvres. Partagé d’étonnement, j’imprime au vide du néon la lettre lumineuse de l’attente.

Inlassablement dépecée de la vérité du moment, tu danses de dix bras et de sourires multiples le ballet de tes retournements. Je te vois, là, assise, au regard de la glace, et je te vois courbée au cygne de mon épaule, reposante de ton corps dans l’abîme de notre endurance.

 

 

30/01/2011

Ce matin, par inadvertance

 

Ce matin, par inadvertance, j’ai pris le métro,

Ce serpent souterrain qui court dans la moiteur

Des dessous de la ville et transporte mille fantômes

Somnambuliques, vers des destinations multiples

 

Je sortais de mon lit, encore engourdi

Mais l’œil clair des attentes d’un jour nouveau

Et entrais dans la chenille lumineuse

Pour prolonger mon rêve exotique

 

Quelle étrange morbidité enserre ces passagers

De noir vêtu et d’ennui revendiqué

Sur la pelouse de leur mortuaire dessein

Ils allaient en silence, dans leurs pensées amères

 

Tous de noire désespérance, écrasés d’allégeance

Au dieu de la mode ou de l’inconscient collectif

Ils se laissaient porter, indifférents

Jusqu’au terminus de leur indolence

 

Chacun d’eux dormait les yeux ouverts

 Sur la pâleur des publicités

Qui lui donnent la consigne

De se vêtir de noir, exclusivement

 

Les yeux baissés sur leur tiédeur communautaire

Ils se concentrent sans éclat sur leur aphasie

Ignorant la belle délicatesse des couleurs assemblées

Pour faire revivre et danser espoir et liberté

 

 

26/01/2011

Ce que je voudrais être

 

Ce que je voudrais être pour toi

Ce n’est ni la force, ni le savoir

Ni l’orage, ni le torrent, ni la tempête

Mais le refuge de tes regards

Le lac, la vallée et le logis

Je serai aussi pour toi

Les piliers de ton temple de vie

Celui qui sera toi et rien d’autre

L’ombre de ta démarche joyeuse

Le soleil du repos de ton âme

Et si parfois un vent léger se lève

Et t’éloigne quelque temps du lac

Ton regard suffira à me dire les saisons

Et la raison de nos émerveillements :

Un amour comme une fleur éclose

Aux premières heures du jour

Aux premiers temps de notre jeunesse

Que la lumière épanouit

Que les baisers reposent

Un amour qui ne dure qu’un jour

Parce que chaque jour le voit différent

Un amour qui n’en est plus un

Parce qu’il sera à la fois l’amour

L’amitié, l’estime et respect

Un amour qui est plus que l’amour

Parce qu’il sera bien d’autres choses encore

 

 

23/01/2011

Les flambeaux étaient des mains

 

Les flambeaux étaient des mains

Et leurs bras étaient ma mort

De longues rides sillonnaient leur bronze

 

Les quais étirent paresseusement leur pierre

Et la statue jette sa main en l’air

Tandis que le jaune égraine ses écailles de feuilles

Sur le gravier qui frôle ses pieds nus

 

Les deux fêtards se tournent le dos

Alors que brûlent leur veston

Et que les notes s’envolent dans le froid

Gémissantes sur ce doigt alangui

 

Blonde est ma chambre que cachent ses ombres

 Et les têtes des candélabres me surveillent

De leurs yeux de feu dans la glace piquée

 

Au plafond courre un cheval de plâtre

Autour de la lampe noircie par le soleil

 

Le marbre de la cheminée est nu

Je vois ses veines et son teint de cadavre

Qui jaunit déjà par endroits

 

Derrière une forêt de grands tuyaux

Des pattes d’échassier aux ailes ployées

Écrasent de leur ombre la paresse du tapis

Et la lyre du piano allonge ses pieds

Sous ma chaise aux grands cheveux de paille

 

Sur les riantes parois de la bibliothèque

Les cloques de l’acajou ont crevé ça et là

 Laissant la chair claire pénétrée de lumière

 

Dors donc me dis la rose qui repose…

 

 

20/01/2011

Silence des nuits sans sommeil

 

Silence des nuits sans sommeil

Où le cœur marque inexorablement

L’écoulement des heures figées

Dans la pose de l’enfant endormi

Et que dehors dans l’obscurité mouvante

La lune accomplit son périple immuable

 

Chaleur du poids de la veille

Dans la moite activité imaginaire

Des rêves du premier sommeil

 

Se lever et marcher dans l’obscurité

Sentir le carrelage froid sous le pied

Et l’odeur persistante du jour

Qui imprègne encore les pièces vides

Jusqu’à ce que la paupière lourde

Les membres las et la tête vide

Le corps replonge dans l’élément de son absence

 

 

17/01/2011

L'eau morte

 

L’eau morte coule le long des tuyaux

Et j’entends son gargouillis dans le creux de ma main

 

Goutte à goutte le temps s’écoule

 

Les gens dans leur bêtise hautaine

Glissent sur les trottoirs embués

Tandis que l’œil morne des fenêtres les observe

 

Une main fine a essuyé la larme qui creuse l’œil

D’un geste mouillé et gémissant

 

Les rues fuient les rues sans se séparer

Labyrinthe de bruits et de regards

 

Et la nuit abat sa longue cape de deuil

 

L’eau ruisselle et éponge le son des pas

Et les passants cachent leur misère

Derrière un col ou sous un parapluie

 

Marche continuelle et pressée

Qui ne finira jamais en danse effrénée

 

Le fer de mon balcon a perdu sa beauté

Comme les volets ont fermé leurs bras

 

Les ombres regagnent la clarté enfermée

Dans le sein des flancs de ces rues

Pendant que s’étend la grande bête noire

 

Goutte à goutte le temps s’écoule

 

 

14/01/2011

Les pieds à l'horizon

 

Les pieds à l’horizon, le corps au zénith

Tes genoux formaient le globe de ma terre

Où je reposais naufragé d’un océan indifférent

Je levais le regard à l’ombre de tes étoiles bleues

Deux étoiles qui dansaient à l’innocence du feu

Recréant d’elles-mêmes la chaleur d’autres planètes

Une terre à l’envers du creux de mon cou

Ma joue abritait parfois l’ombre de ta main

Bien qu’elle soit petite. Mais l’ombre s’agrandit

À l’angle du souvenir. Je ne peux plus chercher

Dans l’arrondi de ma paume la mémoire

Des formes de la tienne. Aurait-elle déjà oublié

De quelle étrange sensation elle se revêtait.

Tu fermes les yeux comme un rideau de théâtre

Entracte ou fin ? J’attends les acclamations pour savoir

Un rideau noir, avec des franges recourbées

Noir comme le vent ou de la fumée

Un rideau noir, l’auteur s’y cache

A quoi sert sa ligne bleue

Doublée pour les ivrognes ou le borgne ?

Après l’entracte, la pièce commence

Elle est toujours différente, pourtant les entractes se succèdent

L’acteur n’a pas fini de signer les autographes

 Alors tu biographes jusqu’au jour du mot fin

 

 

11/01/2011

Silence, voilà la nuit sur la ville

 

Silence, voilà la nuit sur la ville

Un passant cherche la chaleur de l’obscurité

Autour du halo glacial des réverbères

Il va d’un pas rapide et étriqué

On ne voit déjà plus son chapeau

Mais on l’entendra longtemps

Si la fenêtre reste entrebâillée

 

Silence sonore des résonnances

D’une ville prête à nous échapper

Où l’on n’a plus sa part de vie

Parce qu’elle est au monde de la nuit

 

Mais si cette ville n’est plus la nôtre

Que ne découvre-t-on pas en elle

Chaque bruit prend la consistance

Du rêve étrange de la connaissance

 

 

07/01/2011

Un train, la nuit

 

Un train, la nuit, comme un serpent

Dans la géographie de son désert de sable

Lent balancement des boggies qui cogne la joue

Sur la vitre humide et froide

 

Parfois les pleurs d’un enfant agacent le sommeil

Ou plutôt la rêverie installée comme un brouillard subtile

Qui conduit le voyageur au-delà de ses espérances

Jusqu’au terminus de ses phantasmes et de son ignorance

 

D’autres fois, la femme en face rencontre le regard

Chargé d’interrogation d’un voyageur égaré

Qui cherche vainement un interlocuteur malhabile

A effacer toute curiosité sur son grain de beauté

 

Bercement des sons et des mouvements jusqu’à l’oubli

Hypnotisme et résurgence de fatigues ignorées

Contraignant leurs victimes au repos de la chair

Alors que l’esprit vagabonde sous l’œil clos

 

Au dehors, dans l’espace imprécis des paysages

S’imaginent les vies fragmentées de personnages

Qui regardent un instant la machine de fer

Défilant bruyamment dans leur intimité

 

Jusqu’où ira-t-on dans l’espace noir guidé par le rail ?

La distance s’épaissit, se contracte et engendre

Des regards vagues sur des visages blafards

Alors chacun meurt un instant sous le jugement de l’autre

 

 

06/01/2011

Le geste plein d'espoir

 

Le geste plein d’espoir,

Nous avancions sur la grève rocailleuse,

 Entre l’air et l’eau, vers le ciel et la mer,

Accompagnés des cris hostiles des oiseaux.

Nous trébuchions sur le sol visqueux

Et tes pieds nus s’enfonçaient dans le granit.

Nous devions ensemble tirer dessus

Pour les ressortir gris et poisseux,

Et je les essuyais avant de repartir.

Le ciel était descendu sur l’horizon,

Jusqu’à toucher nos fronts de sa voûte poussiéreuse,

Et nous nous courbions un peu plus sur la pierre

Escaladant avec peine de rondes roches gluantes

Qui gémissaient à l’atteinte de nos ongles crispés.

Ta main parfois m’enserrait la taille.

Je goûtais la morsure de tes doigts sur ma chair

Qui faisait tressaillir les muscles.

Nous marchions depuis le matin, sans nourriture,

La langue sèche, l’œil fiévreux,

Et le soir ne voulait pas tomber.

Où d’ailleurs aurions-nous pu nous étendre ?

 

 

01/01/2011

Quelques grains de sable

 

Quelques grains de sable dans une encoignure

Où s’attarde un filet de lumière

Parvenu par des voies détournées

A soulager leur solitude honteuse

 

Quelques cris d’enfants étonnés

Qui font gémir le balcon rouillé

D’où suintent des larmes de vieillesse

 

Également, et c’est nécessaire

L’ombre rafraichissante des ormes

Où se perd le savoir des couleurs

La plainte languissante d’un volet

Qui se ferme sur les yeux d’une femme

Encore frissonnante des caresses de l’air

 

Suffisent au voyageur attardé

Qui n’a pas encore trouvé de gite

 

Il errera durant la nuit claire

Attentif aux frémissements des sons

Jusqu’à ce que l’aube dévoile avec prudence

Ses longs filaments à l’horizon

Et que de nouveau crissent les graviers

Sous les pas fatigués de l’absent

 

 

30/12/2010

La longue main de mon regard

 

La longue main de mon regard au poing fermé dans la nuit noire

S’est avancée derrière la vitre pour se fermer sur l’obscure froideur

De la rue ouatée et transparente. A l’abri de l’enceinte linéaire

Du verre mobile et ondulé, j’ai tâté chaque recoin d’ombre

Comme un lac profond et frais dont on cherche vainement le fond.

J’ai caressé le velours frissonnant du halo de lumière,

Accroché en guirlandes éphémères sur les murs tièdes.

J’ai arrondi le creux de ma paume sur la boule de chaleur

Qui se creusait un nid douillet dans la courbe du globe oculaire,

Penchant la tête de côté pour bien me pénétrer de ce contact bienfaisant.

Et j’ai voulu aller plus loin, regarder les étoiles, les effleurer,

Comme, enfant, j’essayais vainement d’atteindre, à la surface du lac,

Les nombreuses lentilles d’eau qui dérivaient en étoiles marines.

Mais la joue écrasée, aplatie, sur le verre froid,

Je dus tellement tendre le bras, la main et les doigts,

Qu’ils tremblaient à l’instant de caresser la petite lueur.

 

Voilà pourquoi les étoiles clignotent à l’horizon.

 

 

26/12/2010

La faim sans fin des matins de rêve

 

La faim sans fin des matins de rêve
Quand l’œil de la nuit se regarde encore
Quand le drap colle aux jambes engourdies
Quand la main délaisse les doigts sur la neige
Quand le sable tombe goutte à goutte dans l’oreille flétrie
Quand le vent, quand le rouge, quand la tache
De mon œil de cyclope forme une planète
Sur l’opuscule pâle des fleurs de l’inconscience

Quand le rond du ventre épouse le rond de la terre
Quand la mort lèche de frissons la plante des pieds
L’araignée impassible tisse une toile ailée
Qu’un son éclate en bulles de savon dans
Le gaz du sommeil chaud, arrondi, caverneux
Les cheveux éclairés d’une incroyable rousseur
La tête du guillotiné est secouée de spasmes
Son corps détaché, prisonnier de sa trame
Se débat sans élasticité, lentement, douloureusement

Quand le goût des requiem envahit les oreilles
Quand le chuintement de la vie siffle entre les dents
Quand les paupières troublent la page blanche de leurs hélices
Il se met en quinconce, les genoux sur les yeux
Les ongles déchirant les oreilles de froissements de verre
Replié dans sa rondeur, dans sa chaleur, sans sa profondeur de chat
Il se lisse les poils dans le bon sens
Dans le sens des aiguilles d’une montre
Et ses genoux cerclés de rouge sont le regard
Noir de son nombril de cyclope au front d’intelligence
Il se met en quinconce, en carré, en cercle, jusqu’à la ligne droite
Qui déroule solitaire avec lenteur les nœuds magiques
De sa route incontournable comme le nœud des pendus

Quand les plumes collent au palais avec l’odeur de l’édredon
Quand la peau n’est qu’une carapace
Quand les dents se cimentent de pâte amère
Quand… Quand…

 

 

25/12/2010

Passage, d'une vie à l'autre

 

L’enfant regardait la fleur tristement, en soupirant,

Et la fleur qui était coquette, mais qui avait bon cœur,

Demanda à l’enfant les raisons de ses gémissements :

« Ce matin, on m’a pris mon ours, petite fleur,

Dit l’enfant. C’était mon ami, il me comprenait ;

Il me regardait, je le regardais, nous étions heureux.

Maintenant, je n’aurai plus rien à regarder, jamais.

Toi aussi, tu es jolie. Tu n’es pas comme eux,

Mais je ne t’aime pas encore, alors je suis triste.

A mon ours, je pouvais tout lui dire.

Il me croyait. Je voulais être artiste

Pour lui peindre une maison, lui donner un empire.

J’aurai attrapé la lune un soir d’été

Et l’aurai mise dans son royaume, pour jouer.

Maintenant à quoi me servirait une lune détachée,

Si je n’ai personne à qui la donner ».

 

« Moi je la voudrai bien si tu me la donnais,

Répondit la fleur en rougissant de tous ses pétales,

Tu serais mon ami et tu me regarderais

Quand je m’épanouis dans l’aube matinale ».

 

Et l’enfant, quand vint l’été, attrapa la lune

Et oublia l’ours en apprenant à aimer la fleur.

 

 

20/12/2010

Je veux vivre

 

Je veux vivre, disaient-ils

Ils se gorgeaient de mots

Ils s’emparaient de choses

 Et ces choses, ces mots

Ils en faisaient la vie

 

C’étaient des appareils de fer et de plastique moulé

Des moteurs tournant bien carrés dans leur caisse

Des chaises et des fauteuils pour ne pas s’asseoir

Des tables de musée dans les salles à manger

Des bibelots étranges et quotidiens possédés par caprice

C’étaient des mots savants, bien formés

Achevé par un isme et vêtus d’une majuscule

 

Les mots nus étaient tristes et leur paraissaient faux

Ces mots sortis de la bouche des enfants

 Qui ignorent encore l’ivresse des belles phrases

 

Ils vivaient, disaient-ils

Ils croyaient tout avoir

Ils avaient le savoir

Ils connaissaient la possession

 

Un jour, ils sont morts

Et ils ont tout perdu

 

 

 

18/12/2010

Prêtresse

 

Tu es, par ta nature, vivante en toutes choses

Inscrite dans le rythme des saisons et des jours

Vibrante au regard de la vie et de la mort

Image de l’univers, attachée à son souffle

 

Tu es des éléments la terre et l’eau

Prêtresse du feu que tu entretiens

Nécessaire à la vie comme l’air

Centre de l’humain, indissociable du divin

 

Tu es l’essence des réalités ambigües

Plus élevée et, de toi-même, t'abaissant

Sainte et pécheresse, ange et démon

Vouée à l’état de ta féminité

 

Tu es l’inspiratrice et la compassion

Étrangère à l’histoire qui ne serait pas sans toi

Héroïque dans la peine de tous les jours

Modèle du repos et de l’immobilité

 

Tu es l’ordonnatrice des mystères familiaux

Régnant sur les enfants et les vieillards

Occupée sans cesse de ce lieu de l’être

Où tu est chez toi, où je ne suis que par toi

 

Tu es l’attente et la réponse

L’habitante des profondeurs

Celle qui est et qui n’apparaît pas

La souffrance, le silence et la joie

 

Tu es la plante fragile, mais éternelle

Calme et fraiche, enracinée et mortelle

Présence de l’éternité dans le temps

Immobile dans l’inévitable mouvement cosmique

 

Je suis ce que tu n’es pas, l’histoire

Attentif à l’existence dynamique des objets

Utilisateur du temps sans pouvoir en jouir

Je suis l’acte, tu es la nature

 

 

16/12/2010

Inconnaissance décalée

 

Lueur mauve de la nuit sur la ville

Par delà les toits luisants endeuillés de feuillages

Quand tu me dis regarde. Je te contemple

Statue de bronze et d’opale tiède

J’erre encore sous cet aspect de verre

Dans un désert barré de gestes

 

Le froid tombe et glace les membres

En d’étranges pauses où je te retrouve

Quand tu ouvrais les yeux

À l’ovale de ton regard arrêté

Sur l’immobile image d’amas de fer

Et de géométriques embrasements.

 

Allongé, détendu, j’ai plongé dans la nuit

Pour joindre à deux étoiles les lueurs de ton regard

Je me suis ensuite assis aux rivages de certaines vagues

Pour puiser une poignée d’écume et désaltérer

Un petit garçon qui avait vu leurs lueurs insolites

 

J’aurai pu franchir les cols les plus hauts

Et veiller de leurs contreforts sur le lac de ton souvenir

Pourtant je chemine encore dans l’amère étendue

D’une connaissance incertaine et mouvante

 

 

03/12/2010

Flottants, les fils de mon être

Flottants, les fils de mon être

Se distendent sous le vent

 

Engagés dans la rue déserte

Ravalant les façades mornes

Arrachant quelques grains de pierre

Ils s’amassent au pied des portes

 

J’en ai pris une poignée

Et attendu patiemment que s’infiltre

Entre mes doigts disjoints

La poussière blanche et liquide.

 

Toi aussi, j’avais vainement tenté

D’assembler sur l’écheveau de mes souvenirs

Les fils ténus et fragiles de ton être

Mais tu as rejeté cet encouragement

Pour fuir sur le trottoir nu

Jusqu’à cette porte ouverte sur l’oubli

 

Parcourant la rue, remontant le courant

Projeté contre la muraille par les rafales

Je me soumets au déchaînement naturel

Courbé sur les pavés au goût de tes pas

 

Vert tendre, quand tu courais sur l’asphalte

Quand nous courrions ensemble les mains jointes

Élevés vers le ciel en guise d’offrande

Nous cheminions entre les colonnes détruites

Qui ombrageaient la place pavée d’herbes

Je recherche aussi, loin derrière toi,

Le chemin où nos pas se chevauchèrent.

 

Peut-être le hasard, ou déjà l’amour ?

27/11/2010

Naissance

Cette nuit, j’ai rompu ma coquille

A quoi servent les œufs à la coque ?

La mie est douce, mais elle gratte,

Quant à la croute, elle écorche.

Je suis couverte de cicatrices.

 

Elle était solide. On dit qu’il est impossible

De la casser par ses deux pôles.

C’est aussi vrai de l’intérieur que de l’extérieur.

 

Elle s’est tournée cette nuit.

Elle a même fait un bruit épouvantable.

J’avais l’impression de rouler sur du gravier,

Mais ce n’était que le rebord de l’évier.

 

J’ai reposé ainsi sur le côté, inquiète,

Il a fallu que je me retourne.

Demandez donc au caniche de se retourner,

Si c’est un tuyau de poêle, il aura du mal.

 

Je n’ai pas eu de mal. J’en eus quelques maux,

Non pas de tête, mais d’estomac (il était comprimé).

Bref, arc-boutée, j’ai poussé de la patte.

J’ai aussi le bec aplati, de naissance, prétend-on.

Je ne sais, car il a rompu la coquille.

 

Il fait froid, il fait noir,

Quels bruits bizarres.

C’est ainsi le monde.

Rendez-moi ma coquille.