04/09/2011
Vacances 3 : Entrer dans le rien
Entrer dans le rien, à la surface du miroir,
Quelle tentation ! S’évanouir aux yeux du monde
Et mourir à soi-même : silence et repos.
J’avançais un pied craintif vers l’onde brillante
Et je le regardais passer à l’envers du miroir,
Un doigt de pied, puis un autre jusqu’au pouce.
Plus rien, plus de doigts de pied bleuis.
Une surface bleu vert et le couperet.
Je tire vers l’arrière et retrouve mon pied.
Quel bonheur ! Marcher avec des béquilles ?
Sûrement pas, autant devenir sourd !
Comment disparaît-il et revient-il, ce pied ?
Réessayons. Le pied entier, comme emprisonné.
Je n’ai plus qu’une jambe complète
Seigneur, que faire ? Avance et vois !
L’autre pied, puis les deux tibias,
Envolés, perdus, quelle légèreté !
Il me manque une partie de moi-même ;
Ce n’est pas la plus important, mais tout de même.
Je ne me vois pas revenir en petite voiture !
Alors poursuivons, stoïque, sans hésitation.
Le miroir est toujours semblable à lui-même
Bleu-vert, gris à certains endroits,
Tremblotant légèrement, ondulé en vagues,
Comme une bête mécontente ou frileuse.
Au dessous, un autre monde, inconnu,
Séparé par une ligne ténue, la surface.
On ne peut la toucher. Elle vous méconnaît.
On plonge dans le rien, éperdu,
Et l’on perd conscience, sans consistance,
Redevenu momie, cadavérisé, froid.
Mais qu’il est bon ce monde caramel
Qui fait de vous un glaçon enchanté,
Les poils hérissés au dessus
Un rien de rien au dessous
Comme un oiseau entre l’air et l’eau
Perdu dans un océan de miroirs
Qui ressort libre du trou sans fin
Qui le nourrit gratuitement.
Avançons, encore et toujours, petitement,
Courageusement, à petits pas,
Sans réfléchir aux conséquences désastreuses
Comme par une nuit d’orage : éclair
De convoitise, d’anéantissement, de volupté.
Oui, pourquoi cédais-je à cet attrait
Comme un aimant se dirige vers le nord
Sans hésitation, pour ne rien trouver,
Se noyer à la verticale du point d’orgue
En un sursaut final après un frisson
Et une pensée émue pour ceux qu’on quitte.
Allons, poursuivons, j’entre jusqu’au nombril.
Il disparaît à son tour, happé par la surface
Je n’ai plus mon trou de vie, mais je suis là
Toujours regardant un ciel rayonnant
Qui projette son ombre sur un corps réduit.
Rien ne me manque et pourtant
Je commence à éprouver une certaine gêne,
A l’équivalent d’un éléphant sans trompe
Ou d’un aspirateur bouché qui cherche l’air.
Pourtant, on ne respire pas par l’abdomen ?
Alors continuons, sans penser, sans ressentir.
J’entre les doigts d’une main, puis l’autre,
Je suis démuni et sans défense.
Comment faire, puisque je ne suis plus qu’un torse
Qui dore au soleil et frissonne de froid et de peur.
J’avance encore, je ne sais comment.
Je n’ai plus ni jambes, ni bras,
Je ne suis plus qu’une tête, encore vaillante,
Mais qui s’inquiète malgré tout.
Vais-je retrouver ce corps, certes mécanique,
Mais bien pratique pour explorer la méconnaissance.
La surface s’est rapprochée des yeux, elle luit,
Elle me nargue, scintillante et riante,
Comme un serpent de désir clos, mais tentant.
Je sors une langue bleuie et goûte.
Dieu, cela brûle et enflamme la gorge.
Un feu acide avec des relents de verdure
Un peu de pétrole aussi, pollution oblige.
Non, l’expérience n’est pas concluante.
Alors je ferme mes orifices avec force
Et je poursuis, inexorablement
Avançant vers une mort annoncée.
Çà y est, je suis dans le noir
Les yeux clos, la bouche condamnée.
Plus de remarques possibles,
Plus de pensées proférées, chantées, versifiées.
Plus rien qu’un silence profond, écrasant.
Seuls les cheveux doivent émerger encore
Comme une botte de radis sur un étalage
Entre des pommes de terre et la laitue
Que vous repêchez d’une main ferme
Parce qu’elle reste fraiche et appétissante.
Puis vous sentez le froid vous saisir
Jusqu’en haut du crâne, main de glace
Qui enfonce votre être sans pensée
Dans la poussière fluide et vaine
D’un courant que vous ne ressentez plus.
Mort au monde des images vraies,
Des sons clairs comme les baguettes
Des tambours d’une vie trépidante,
Des odeurs fraiches telles l’enivrant
Parfum d’une femme étendue ou
L’odeur aigre de la cuisson du chou
Ou encore la senteur du bébé repu.
Mort à la vie, naissance à un monde
Où toucher remplace la vue,
Où le froid et le chaud sont indicateurs
De changements dangereux ou bienheureux.
Je vois du bout des doigts, je respire
En vase clos, comme un poisson,
Puisant un air gorgé de rien,
Je magnifie mes sens, étonné
D’apprendre que je vis encore
A moitié, penserons certains,
Différemment dirais-je.
Encore, encore, encore…
Perdu dans l’immensité du miroir
Un corps dérive, les yeux rêveurs,
Un sourire aux lèvres, les bras en croix,
Alangui d’un bonheur sourd
Clos dans sa totalité,
Perdu aux autres,
Loin des siens,
Replié sur lui,
Déconnecté,
Vide,
Rien.
Telle est la vie !
07:00 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
Les commentaires sont fermés.