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12/12/2016

Malade

Entrer dans la chambre d’un malade
C’est déjà être malade soi-même
L’un l’est véritablement, le pauvre
L’autre, le visiteur, se rend malade lui-même
Dès l’entrée, il se sait vulnérable
Il jette un dernier coup d’œil dehors
Avant de poser son regard sur le sujet
Ses traits sont-ils altérés ?
Sa main tremble-t-elle dans l’adversité ?
Rien ne transparaît apparemment
Pas la moindre faute de comportement
Mais toujours il guette le défaut
Ne pouvant s’empêcher de l’attendre
Alors il joue la comédie de l’espérance
Tout sourire, voir tout rire
Une décontraction désopilante
Avec un rien de compassion
Le geste large, la mèche en bataille
Il s’invente des propos hors de saison
Étire ses jambes en les croisant
S’essuie les yeux avec son mouchoir
Et dit sentencieusement : quelle chaleur !
Le malade n’ose dire qu’il est bien
Au chaud dans ce lit de douleur
Ne pouvant bouger, ni même respirer
Alors il sourit aimablement
À l’être qui lui fait face et le regarde
Avec, lui aussi, un rien de compassion
Le visiteur est surpris et lève le sourcil
Que diantre, se dit-il, est-ce lui
Ou moi qui se trouve si mal
Il ne sait plus et se contemple
Dans ce miroir du jeu mondain
L’œil embué, il desserre sa cravate
Il se sent réellement mal, sinon malade
Mais un mal étrange, qui colle à la peau
Comme un mauvais rêve, un soir de bringue
Ou encore un réveil d’une nuit sans sommeil
Il refait enfin surface et devient aimable
C’est-à-dire aimant, sourires et en verve  
Il enclenche la première, avec douceur
Comment vas-tu ? As-tu mal ? Es-tu bien mis ?
De petites phrases qui ne coûtent rien
Qui permettent de se mettre dans le bain
En immersion dans le brouillard de la maladie
Il cherche le mot juste et ne le trouve pas
Il rit lui-même de son manque d’aisance
Bredouille une phrase incompréhensible
La rend sensible par une caresse dans l’air
Se reprend et finit par entrer dans le bleu
D’échanges intimes et de souvenirs communs
Une sorte de lévitation qui prend la gorge
Qui l’élève gentiment sous les aisselles
Et le transporte sur le nuage de l’entente
Enfin, il redevient lui-même, dans ce moi
Qui court à la surface de la peau
Et rayonne à l’extérieur sans rien dévoiler
De ce qu’il cache en lui, derrière la frontière
De la bien-portance et du bien-être
Il ne peut s’empêcher de se comparer
À un infortuné malade imaginaire
Qui n’en peut plus de traîner sa carcasse
Devant d’autres plus miséreux que lui
Que fait-il ici, lui l’indolent d’un jour
Malade de voir un vrai malade
Jouant la comédie de l’osmose
Jusqu’au moment où n’en pouvant plus
Il annonce doucement qu’il se fait tard
Qu’il a encore beaucoup de chemin à parcourir
Qu’il doit acheter telle chose, avant de rentrer
Que sa voisine l’attend, que son chien doit sortir
Qu’il doit porter son linge à la laverie
Bref, mille prétextes et excuses imaginaires
Qui lui sortent de la bouche en flots continus
Il lui dit presque à Dieu, se rattrape
Il le revoit bientôt, dans une nouvelle visite
Tout aussi malencontreuse et feinte
Laissant une lueur d’espoir au malade
Qui n’en dit mot et sourit d’un air las
Oui, tu dois te reposer ! Mais qui parle à qui ?

©  Loup Francart

08/12/2016

Palimpseste

Un nom barbare, comme une robe moulante
A coller sur la peau d’un cadavre bien mûr
Ou encore un animal inconnu et pervers
Qui fouille dans les corps et s’y installe
Le palimpseste n’est ni un sentiment
Ni un animal, ni même un outil
Ce n’est qu’un bout de papier
Flétri, gommé et réutilisé
Une commodité jetable
Un vrai brouillon
Un mot en trop
Ne disant
Rien
Ah !
Dire pal
Un supplice
Si douloureux
Vécu par el-Halabi
Assassin du général Kleber
Limp, tel une boiterie anglaise
Qui produit une dissymétrie funeste
Quant au zeste, péricarpe des agrumes
Que devient-il une fois dans la transparence
Du liquide agréable qui enivre le palais et l’esprit ?

    C’est vrai ce n’est qu’un palimpseste
    Un manuscrit qui toujours fut modeste
    Parce qu’utilisé et devenu indigeste
    Puis jeté, sans être devenu manifeste

©  Loup Francart

03/12/2016

Bleu

Bleue la lame du couteau dans le froid
Juste un bout de ciel et d’horizon voilé
Où courre le train noir et peureux
Dans la plaine réchauffée de lumière

Les notes cristallines des éclats de glace
Résonnent aux oreilles du voyageur averti
L’intensité tranchée des rayons réfléchis
Crée un voile subtilement bleuté

La pointe d’un glaçon brisé par les pieds
Rouvre la plaie de l’absolue transparence
Le monde s’éloigne à grandes enjambées
La lumineuse beauté bleuit le paysage

Bercé par le ronronnement des rails
Je me replie dans la chaleur du fauteuil
Envahi par cette froideur étincelante…
La vitesse façonne le vent de la solitude…

©  Loup Francart

28/11/2016

Fantomatique

Au creux des arbres, dans le feuillage
Apparaît la lune verte, rapiécée
Elle crie au monde sa folie
Elle se précipite sur les passants
Qu’a-t-elle fait, se dit-elle
Pour mériter pareille opprobre
Rien ne va plus dans ce monde altéré
De railleries où chacun conserve
Son quant-à-soi et son désir altier
Pourtant elle avait rêvé sans répit
Dans le mystère de son autre face
Dans les champs écarlates et sans fin
Elle avait ouvert son sourire
A d’autres qu’à elle-même
Elle s’était baignée dans le froid
Et la transparence de la nuit
Regardant sans se lasser son âme
Enfouie dans l’eau glacée
Miroitant de possibles ombres
Sur sa clarté limpide et cruelle
Et lui, l’homme éveillé et perdu
S’était mépris sur ses intentions
Rien ne bouge, rien n’existe
Qu’elle, perchée au sommet
Des cieux et des étoiles
Double intense de votre âme
Courant dans les bois, esseulée
A la recherche de son moi
Et ne trouvant que le vide
Fumeux et sans consistance
Un fantôme sans papier
Qui court après son ombre
Et ne trouve lui-même
Qu’une lueur d’espoir
Sans commune mesure
Avec la solitude
Adieu, toi qui fut moi
Adieu, moi qui fut toi
Le voile est levé
Je suis là et ne suis rien
Qu’un peu d’humanité
Sans nom, ni visage

 ©  Loup Francart

23/11/2016

Perte sèche

Je perds la tête…
Mais en avais-je réellement une ?
C’est bien une grosseur que je porte
Depuis longtemps au bout du cou
Mais il suffit d’un vent aigre
Pour que j’en perde la notion
Passent alors en moi des bruits
Des couleurs, des odeurs
Qui n’ont rien à voir avec moi
J’erre dans le paysage moite
De mon insuffisance trompeuse
Un balai en haut du corps
Où coule l’air frais des tempêtes

Il m’arrive aussi de perdre la main…
Elle part de son plein-gré, entière
Et contre ma volonté batifole toute seule
L’autre main peut chercher à la rattraper
Mais elle n’arrive pas à la repérer
Alors cette seconde erre sans fin
En recherche d’un moindre mal
Et ne trouve que le vide appauvri
Des jours nostalgiques et pluvieux

Attention ! Je n’ai jamais perdu mon âme…
Elle m’est solidement ancrée
Au plus profond de moi-même
C’est probablement parce que je ne sais pas
Où elle se loge dans cette carcasse
Que jamais elle ne m’a fait défaut
Elle me rend transparent
Me donne sa vertu simpliste
Et m’enrobe de miel sauvage


Oui, cela je ne le perdrai jamais
Elle m’appartient plus que moi-même
Je la contemple et ris
D’y retrouver un peu de celui
Que je continue de chercher tous les jours
Et que je ne trouve nulle part

 ©  Loup Francart

20/11/2016

Bouillonnement

Quel est ce bouillonnement
Qui sourd de tes entrailles
Tel le trop-plein d’un volcan
Déversé en pluie de mitraille

A peine sorti de la nuit sans fond
Il t’emporte dans sa danse
T’étourdir, te promène sur le pont
T’étreint et sans cesse la relance

C’est l’aspiration du large
Sans lieu ni durée qui t’entraîne
Jusqu’à l’horizon et ses marges

Le cœur soulevé d’absence
Tu pars en goguette hors de l’arène
Comme aux jours de ton adolescence

 

©  Loup Francart

 

15/11/2016

Boucle

Il est venu, vert de lui-même
Il prit son courage à deux mains
Et sauta le ruisseau des eaux folles
Rien ne va plus, entendit-il
Dans un lointain vécu sans faille
Alors il repartit penaud, mais détendu
Vers d’autres cieux plus verts
Au ciel chargé de plomb et d’airain
Il naviguait dans les espaces sidéraux
Chantant sa complainte sauvage
En solitaire habitué à l’absence
 De cohérence et d’embonpoint
On l’appelait le fil volant
Mais ce n’était qu’un point
Sans même un abri où dormir
Qui parcourait le monde virtuel
Et s’attardait sur les litotes
Parfois il tombait dans le vide
Interminablement, solidaire
De l’ivresse des trous sans fin
Il franchissait la porte du trou noir
Et se retrouvait, exclu
Dans un monde moins consistant
Engagé dans une boucle infernale
Qui se terminait par une impasse
Demi-tour, criait-il aux vents
Qui le poussaient vers sa fin
Et le point repartait vers les pleins
D’une cervelle aiguisée et proliférante
Toujours plus au fond de l’imagination
Dans ce plein où rien n’existe
Hors du soi qui n’est pas le moi
Mais un autre fou, ivre de puissance

 

©  Loup Francart

 

10/11/2016

Présent

Le cœur soulevé
La pensée envolée
Le vide sans espace
Au fond de l’impasse
La main cherchant
L’ombre du contrechant
Le noir dans le trou
Imposant son verrou
Et par-dessus tout
Le meilleur des atouts
L’aspiration de l’être
Vécu sans altimètre
Tornade qui pressure
Ouvrant la blessure
De ce moi sans partage
Tapis dans l’ermitage
Jeté dans le désordre
Veut-il en démordre ?
Non, sans doute
Car de la céleste voûte
Tombe l’avertissement
A l’usage des amants
Rien ne sera fait
Au plus-que-parfait
Seul compte le présent
Du vide jaillissant
Ne pense plus
Ne reste pas exclu
Tu es sans être
Pars sans maître !

 

 ©  Loup Francart

06/11/2016

Lubie

Elle avait la prunelle aiguisée
Elle voyait les baigneurs à mille mètres
Et quand la mer était haute et verte
Il lui suffisait de se mettre sur la pointe des pieds
Pour savoir si les chaluts étaient remplis

Elle n’avait pas ses yeux dans sa poche
Ni les mains d’ailleurs qui s’activaient
Et piochaient des noisettes dans son sac à main
Lorsqu’elle voyait un homme comestible
Ses yeux lançaient des éclairs de convoitise

Oui, la capitaine du port a des lubies
Elle repère les marins en perdition
Envoie le bateau orange pour les sauver
Mais tient à sa compensation très chère
L’étendre encore mouillé dans sa cabine

Non, elle n’a pas d’idées lubriques
Elle ne veut qu’une chose, qu’il lui raconte
Le moment où, prêt à se noyer
Il appela la madone d’un grand cri
Et fut porté par les bras des méduses transparentes

Alors, seule, elle ouvre les bras au ciel
Et crie d’une voix forte : « Merci »

 

 ©  Loup Francart

02/11/2016

Détournement

Le train roule, roule et roule encore
Mais il ne va pas dans la bonne direction
Il a été détourné.

Nous sommes partis vers l’inconnu
Le pays des rêves et des cauchemars
La boussole est déréglée et vide de sens
Est-elle également détournée ?

Les voyageurs se regardent, inquiets
Vers quel noir destin nous conduit-on ?
L’ignorance est pire que la frayeur
Elle nous retourne sur nous-mêmes
Et conduit à d’autres détournements

L’atmosphère progressivement s’alourdit
Le ciel s’obscurcit de nuages sombres
Qui se chevauchent sans vergogne
L’être se tasse au fond de son fauteuil
Et boude la vue câline des terres
Pense-t-il encore au déraillement ?

Le train s’endort par manque de patience
Les yeux clos nous nous cherchons à tâtons
Dans le noir, il prend la main de sa voisine
Qui la retire aussitôt, offusquée et tremblante
Pas de soutien, pas de voisin, pas de fin
Tout va à vaut l’eau, plus rien ne tient
Le contrôleur passe et la caravane nenni

Le voyage dura, dura, dura encore
Le conducteur a repris la bonne direction
Mais le cœur n’y est plus, vide et plat
On poursuit sur la lancée, aphone  
Le silence se fait oppressant et tendu

Tous semblent sans réaction aucune
Raides dans leur fauteuil ou amollis
Ils prient le ciel pour trouver la gare…

 

 ©  Loup Francart

01/11/2016

Equitation

Le cheval a l’élégance de son cavalier
Il ne se donne qu’à celui qui l’anime
En jouant de son centre de gravité
Et n’est en rien un partenaire anonyme

Il atteint sa joie et sa perfection
Lorsque, tendu comme un ressort
Il prend des allures d’idéation
Et devient son propre sponsor

Alors l’homme quel qu’il soit
De serviteur devient seigneur
Il s’élève dans le vide et la soie
Le cheval le fait monseigneur

Ce frémissement intense l’éveille
A une autre vie, devenue création
Qui le fait pure merveille
Dans le tremblement de la perfection

Il s’avance, fier et serein, au passage
Et semble dire toute sa puissance
Au service de celui qui, de l’apprentissage
L’a conduit à exprimer sa magnificence

Le couple devient dieu, émouvant
Il élève l’âme humaine du cavalier
Et transforme l’être de chair
De sa monture en feu vivant

Ce n’est qu’alors que l’équitation
En vérité, atteint son but ultime
Franchir le point de distanciation
Et naître en communion intime

 

  ©  Loup Francart

29/10/2016

Le volcan

 

http;//www.youtube.com/embed/iwwV4hGVEcQ


http://www.youtube.com/embed/iwwV4hGVEcQ



De rouge et d’or
Il déverse de toute sa hauteur
Les entrailles de la terre
Et hurle de ses profondeurs

– Non, n’approchez pas de ces eaux
Qui coulent de ma blessure géante
C’est le sang de votre mère Gaïa
Qui régénère l’apparence de la planète bleue
Admirez la vigueur de ses projections
Et le serpent qui se coule dans la pente
Pour rejoindre les eaux primordiales

C’est le dragon des îles du Levant
Dont les doigts bouillonnent à l’entrée dans l’océan
Qui crache ses vapeurs en chuintements sinistres
La roche en feu se donne, entière et consentante
En volutes de fumée et de sang mêlés

Agrandissant ainsi le socle des vivants
Le volcan se pâme d’adoration rougeoyante
Et chante en ces lieux solitaires le mariage
Du solide et du liquide dans l’éther enfumé

 

©  Loup Francart

 

27/10/2016

Détournement

Le train roule, roule et roule encore
Mais il ne va pas dans la bonne direction
Il a été détourné.

Nous sommes partis vers l’inconnu
Le pays des rêves et des cauchemars
La boussole est déréglée et vide de sens
Est-elle également détournée ?

Les voyageurs se regardent, inquiets
Vers quel noir destin nous conduit-on ?
L’ignorance est pire que la frayeur
Elle nous retourne sur nous-mêmes
Et conduit à d’autres détournements

L’atmosphère progressivement s’alourdit
Le ciel s’obscurcit de nuages sombres
Qui se chevauchent sans vergogne
L’être se tasse au fond de son fauteuil
Et boude la vue câline des terres
Pense-t-il encore au déraillement ?

Le train s’endort par manque de patience
Les yeux clos nous nous cherchons à tâtons
Dans le noir, il prend la main de sa voisine
Qui la retire aussitôt, offusquée et tremblante
Pas de soutien, pas de voisin, pas de fin
Tout va à vaut l’eau, plus rien ne tient
Le contrôleur passe et la caravane nenni

Le voyage dura, dura, dura encore
Le conducteur a repris la bonne direction
Mais le cœur n’y est plus, vide et plat
On poursuit sur la lancée, aphone  
Le silence se fait oppressant et tendu

Tous semblent sans réaction aucune
Raides dans leur fauteuil ou amollis
Ils prient le ciel pour trouver la gare…

©  Loup Francart

24/10/2016

Oui, maintenant, les pianos ont des oreilles !

Un piano doit être entre bonnes mains
Ces mains sont des danseuses vierges
Qui ne connaissent qu’un chemin
Celui où les jeunes filles gambergent

Arrivé tout frais acheté, laqué et enrobé
Il a trouvé sa place naturelle, sans souci
Il a sonné tout de suite sans se dérober
Bien que la tension des cordes se soit adoucie

Depuis il trône dans le soleil du matin
Brillant de ses dents blanches et de feux châtains
Le soir, avant de fermer, n’oublie pas son cache-col

Un piano c’est fragile, le rhume le rend inéligible
Alors il ne peut que pleurer des larmes inaudibles
Que seul entend l’artiste qui casque le piano-école

Oui, maintenant, les pianos ont des oreilles !

 

©  Loup Francart 

23/10/2016

Dimanche

Dimanche, jour du soigneur
Oui, le Seigneur est soigneur ce jour-là
Il vous nettoie le corps et le parfume
Il vous masse la nuque raidie
Il vous promène dans son paradis
En petite voiture comme un enfant
Et vous vous réjouissez de ces instants
Où l’univers devient intime
Il vous montre les petits à côté
Qui font du bleu du ciel
La matrice de votre vie rêvée
Le temps est retourné avec avantage
Vous en voyez l’envers, si doux
Comme un morceau de velours
Que l’enfant tient dans sa main
Humant son propre parfum
Et il devient une parcelle du divin
Dieu est immanent en toute chose
Y compris dans vos rêves de chérubin
Merci Seigneur de cet instant sublime
Où le monde se retourne
Et nous fait un pied de nez

©  Loup Francart 

21/10/2016

Visite

Elle apparut un jour
Personne ne l’attendait
Elle descendit la côte
Avec son port de reine
Que regardait-elle ?
Elle s’arrêta à l’auberge
Entra, l’air décidée
Mais ressortit aussitôt
Sans rien prendre ni toucher
Elle poursuivit sa route
Sans souci ni fardeau
Suivi par les gamins
Qui riaient sous cape
Ses cheveux blonds
Rayonnaient d’or
Son pied allait et venait
La poitrine en avant
L’œil à terre, blanc
Que cherchait-elle ?
Continuant à descendre
Elle souriait aux passants
Qui ne la connaissaient pas
Étonnés, ceux-ci ne savaient
S’ils devaient ou non répondre
Aussi personne ne sourit
Si ! Une femme seule
La regarda passer et sourit
Déjà elle s’éloignait
Environnée d’opprobre
Lorsque l’étrangère se retourna
Et lui fit un signe de la main
L’autre hésita ne sachant que faire
Qu’il est difficile devant tous
De prendre un parti
Alors que les autres ignorent
La beauté d’un sourire
Et la joie d’un regard
Elles marchèrent l’une vers l’autre
Se regardèrent sans rien dire
Se rapprochèrent, muettes
Et s’embrassèrent doucement
En amies, sans offense
Elles prirent la route des champs
Et plus personne ne les revit
Ni l’étrangère ni la Justine
Qui pourtant était native

©  Loup Francart 

18/10/2016

Taiseuse

Elle se tut sans effort
Que pouvait-elle dire ?
Ses mains cachées dans le dos
Battaient la mesure en silence
Effrayées d’entendre encore
Le boléro endiablé de l’automne
Et de sentir sur sa peau
Le vent léger et frais
Venant de la mer

Elle se tut sans effort
Que peut-on en dire ?
Vous l’écoutiez serein
Sans savoir qu’en tirer
Sa beauté s’évanouissait
Au fil des heures et des veilles
Jusqu’à ne plus tenir dans sa poche
Alors elle s’en allait, seule
Danser dans le désert
Et rire à satiété

Elle se tut sans effort
Que peuvent-ils en dire
Ces mâles fiers et penauds
Qui ne justifiaient rien
Et faisaient beaucoup de bruit
Elle baissait les yeux
Mais son corps de femme
Brûlait de tant de soins
De tant de caresses accomplies
Le tremblement léger de ces cils
Lui rendait sa vigueur d’adolescente
Saute dans l’arène et marie-toi !

Elle se tut sans effort
Que peut-il dire ?
Elle l’avait choisi, l’homme
Qui se complait dans son ombre
Il va et vient sans bruit
S’approche de la source de ses lèvres
Et embrasse calmement sa douceur
Puis il la prend dans ses mains
Et caresse sa tendresse
Jusqu’au tremblement suprême
Elle hurle alors d’un cri silencieux :
« Tu es ce que je suis
Car je ne suis rien de ce que tu es »

©  Loup Francart 

16/10/2016

Littérature

J’ai parcouru les rues et les ruelles
J’ai lancé un regard aux poèmes
J’en ai conçu un enchantement cruel
Et une nostalgie bohème

Tous ces vers étalés, mal compris
S’observant face à face
Jusqu’à l’ultime duperie
Comme une imprévue volteface

La poésie ne peut se délasser
Prisonnière entre les pages enlacées
Elle ne s’échappe qu’à la lecture

Alors les strophes ouvrent leurs bras
La rime se fiance à l’opéra
Mais cela fait-il de la littérature ?

 ©  Loup Francart

12/10/2016

Infini

L’homme, en tant qu’être fini, peut-il penser l’infini ?

On conçoit facilement un nombre sans fin
On perçoit plus difficilement un espace infini
On entrevoit malaisément un temps infini
Mais peut-on imaginer la matière sans fin ?

Chaque grain de matière se conçoit accompagné
D’une parcelle d’espace et d’un fragment de temps
Cet espace-temps lui donne son volume
Définit son existence et sa durée
La matière ne peut être infinie
Puisqu’elle est inexorablement environnée
D’un ensemble obligatoirement plus vaste

De même, dans le domaine des idées
La bêtise peut-elle être infinie
Comme certains le prétendent
Mais ils se gardent bien de penser
Que l’intelligence pourrait être infinie

L’invention du zéro coupa le souffle
A beaucoup de spéculateurs audacieux
Le rien n’existe pas
L’univers se renouvelle-t-il sans fin ?
A-t-il été créé à partir de rien ?

Zéro est le nombre qui donne naissance au un
Le un n’existe que parce qu’il se distingue du zéro
Qui est à la fois réel, positif, négatif et imaginaire pur
S’il est un nombre, son pendant l’infini
a-t-il les mêmes propriétés ? Surement pas !

L’infini n’est ni positif, ni négatif
Nicolas de Cues, théologien et mathématicien
Qui vécut à la fin du Moyen-âge
Le voit comme une sphère dont le centre est partout,
La circonférence nulle part

L’infini est-il réel ou imaginaire ?
Plutôt que penser cette question
Peut-on dire que l’imaginaire a une réalité ?
Oui, sans doute, autrement
Tout serait dit, ou rien !

Mais où va-t-il chercher ces idées ?
Est-il possible que l’infini n’est rien
Et que le rien soit infini ?
Non, car le zéro donne naissance
Au positif et au négatif

Seul le fini, parce qu’il est dénombrable, se définit
Le zéro est, par la volonté de l’homme, prédéfini
L’infini est, parce qu’absolu, indéfini
Est-ce à dire que n’étant pas mesurable
Il n’est pas dénombrable ?

Cantor découvrit les infinis mathématiques
Qu’il définit comme nombres transfinis
Par opposition à l’infini réel qui recouvre l’absolu
Les infinis physiques n’existent qu’en eux-mêmes
Le Tout se loge dans le rien que l’absolu englobe

L’infini réunit positif et négatif
Il réconcilie les opposés
Il ne les détruit pas
Construit-il l’antimatière ?
Seul Dieu le sait…

©  Loup Francart

 

08/10/2016

Inconscience

Silence pesant dans l’œuf de la personne.
Ne cherche pas à voir l’ombre tatillonne,
Surtout ne casse pas cette protection.
Que le globe oculaire stagne en création !

Le paysage caresse cet horizon.
Étrange est la ligne de conjugaison
Où se mêlent lassitude et patience,
Un trouble bouillon d’absence de conscience.

Maintenant, casse cette maigre protection.
Dévoile-toi, vierge de toute filiation,
Pour courir sans fin dans la lande convoitée.

Tu es de pierre et de sang, malveillant
Jusqu’au creux de ton personnage ignorant
Qui n’ose chevaucher ce nuage ouaté…

 ©  Loup Francart

04/10/2016

Concentre-toi

Une tête d’épingle. Rien d’autre
Ne la cherche pas dehors
Elle est en toi, là où tu n’es plus toi
Là où l’infini te pénètre
Et te prend comme une proie
Concentre-toi !

Ton corps n’est plus qu’enveloppe
Une feuille légère que tu ne peux saisir
Ta raideur devient souplesse
Ton inertie devient attente
Au bord du précipice, tu guettes
Espérant la venue du Tout Autre
Concentre-toi !

Noirs, puis rouges, puis blancs
Entre tes yeux clos se pressent
Les grains vivants de l’attention
Qui s’amassent en toute liberté
Tel un nuage lumineux qui te prend
A la jonction des pensées et des sensations
Et t’aspire, là où Tout est en Tout
Concentre-toi !

Sans poids ni durée, tu flottes
Entre les eaux primordiales
Tu gouttes sur la pointe de ta langue
Cette saveur étrange et méconnue
D’un infini qui t’est familier
L’ouverture vers une absence
Plus aimante que la présence
Le rien devenu Tout
Concentre-toi !

Tout est vide
Le vide est Tout
Le Tout n’est rien
Et, derrière, Il Est...

ou peut-être Je Suis...

Concentre-toi…
Et… va…


 ©  Loup Francart

30/09/2016

Parapluie

Pour la pluie, quel instrument !
Rond de tête et fin du bec
Terminé par un tire-bouchon
Enfouir la main sous ses jupes
Pour déployer sa corole
Et lui faire dire, avec béatitude
Que son don est bénéfique
Que tous les poils sont secs
Que le cerveau peut continuer
A propulser ses vers de mirliton
Sans risque de noyade

Parfois ses baleines gémissent
Ou sautent et retombent
A plat sur une giboulée mortelle
Ce qui n’empêche pas
De se mouiller les pieds
A l’ombre de son auvent
Mieux vaut chausser les caoutchoucs
Que portent les hommes frileux
Pour éviter un rhume indécent

Certains en font un argument
Pour vendre son ventre replet
Empli de foulards et chemises
Si la police survient, on ferme
Et on part sans avoir l’air de rien
Sinon qu’il ne pleut pas sous un parapluie
Alors que mouillé est celui qui le porte

Après utilisation, le laisser
Étendu, retourné, comme un escargot
Sur le dos, bavant modestement
Répandant sa rosée sur le sol
Qu’il dise sa satisfaction
D’offrir un abri à l’être mouvant
Qui le tient bravement
Comme un cierge dont la cire
Coule jusque sur la main fermée

Oui, un parapluie, ça brûle
Et l’eau ne l’éteint pas...

 ©  Loup Francart

27/09/2016

L'accomplissement

Je me souviens de ton rire, frais et joyeux
De tes mains comme des moineaux qui s’envolent
De ce visage levé vers le soleil qui happe ta blancheur
Et entraîne tes paillettes d’or dans une danse d’éventail

Ta face tenue entre mes mains, mouvante de vie
Suspendue à ce cou où j’enfouis mes baisers
Senteur de printemps au sortir de l’hiver
Exhalant douceur et désir, lentement

Tu me regardes l’œil vif, heureux et lumineux
Je vois en lui le reflet de mes rêves amoureux
Un ciel sans partage, vide de tout mouvement
Échangeant le bonheur de vivre un tel moment

Tu me tends la main que j’ose à peine prendre
Elle brûle mes doigts et m’envahit le corps
Ah, si toujours je pouvais ressentir cette douleur
Et marcher vers la mort la tête haute d’accomplissement

 ©  Loup Francart

23/09/2016

Métropole

File entre les arbres !
Prends garde aux passants !
Ivres, ils ne lèvent pas le regard
Ils ne te voient pas, ne t’entendent pas

Leur seul horizon, le toit des voitures
Qui piétinent sur le canal
Encombrent l’entendement
Et bouchonnent de fièvre retenue

Tu files, tu te faufiles, dans l’étroit fil
Entre les fantômes qui devisent
Et s’égaient sur la chaussée
Surpris dans le courant de folie

Agitation à la surface
Calme olympien des sous-terriens
Comme un bol d’offrandes
Afin de revêtir le seul silence

La pâle lueur du jour
Se révèle encore trop rude
Pour les habitants désenchantés
Qui dansent dans les pots d’échappement

La ville fuit son ombre noire
Les rayons solaires glissent sur l’eau
Encombrent les rêves des plus fous
Et déjantent les roues de l’imaginaire

Passe au loin, de peur de mourir
Que rien ne te retienne
Dans ce bazar crieur et râleur
Envole-toi et contemple, solitaire
L’œil lunaire face à face !

 ©  Loup Francart

20/09/2016

Cousinade

Une poussière de têtes s’entasse
En attente de reconnaissance
La mémoire flanche, puis revient
Chaque visage remonte à la surface

Vacarme des conversations
Comme un brouillard de mémoire
Qui monte du sol de l’enfance
Et se couvre de souvenirs délicieux

Dans l’obscurité, je courrais, perdu
Cherchant vainement les portes de la réminiscence
Je me prends les pieds dans ma jeunesse
Et trébuche de bégaiements innocents
 
La brume se dissipe, l’horizon s’éclaircit
De grands blocs de commémoration émergent
Et barrent le chemin des rencontres d’hier
Ils sont là, bien en chair, fantômes vivaces

Que ce monde passé est empli de trous noirs
Par bonheur quelques naines blanches illuminent
Le grenier poussiéreux du théâtre antique
Des souvenirs d’enfance montant à pas menus

Oui, chaque stèle se couvre d’un nom
D’un visage, d’un geste, d’un rire ou d’un délire
D’enfants heureux, de bébés pleureurs
De cousins ressurgis, de parents disparus.

Allons, plongeons dans le bain des vestiges
D’un passé révolu et pourtant bien vivant !

Quel rafraîchissement !

 ©  Loup Francart

19/09/2016

Regard

Glisse-toi dans ton ombre
Epouse cette sombre pénombre
Qui traverse ta vie
Et l’enchante sans avis

Entre dans la tente
Et couvre ta tête imprévoyante
Assainis ton être démuni
De la caresse des nuits

Seras-tu la mort voilée
Ou la transparence étoilée
Tu glisses entre les gouttes
Et seul poursuis ta route

Parti dans l’atmosphère
Tu n’es plus sur terre
Ta légèreté t’entraîne
A la rencontre de la reine

A genoux à ses pieds
Tu contemples sa majesté
Et ton âme s’élève
Frappée par le glaive

C’est fini, absence
Sans aucune réticence
L’air égaré, vide de pensées
Tu fuis au-delà de la jetée

Rien ne sera plus jamais
Comme avant, tu l’aimais
Cette vie douce et espiègle
Qui te donne la vision de l’aigle

 

18/09/2016

Premières pluies

Le rien du sommeil
Et le tout du tonnerre
L’infini sans pensée
Le fini encombré
Tu te dresses sur ta couche
Et oses prononcer Dieu

Qu’ai-je fait ?

Tu reprends conscience
Ce trou dans ton être
Est-il le cri primordial
Ou cours-tu dans l’absence
Pour te convaincre d’aimer ?

Fracas du verre

La pluie tombe, grossière
Sur les toits de tôle
Et les rêves de geôle

Tu te lèves en tâtant
Et oses un regard
Sur le rideau des eaux
Qui coulent des cieux
Et lavent ton cerveau

Le fini encombré
T’enlace dans le temps
Et te disperse dans l’espace

Tu es vivant, oui,
C’est certain !

 ©  Loup Francart

17/09/2016

Queue

Ils étaient là depuis trois-quarts d’heure
Pressés les uns contre les autres
Personne ne voulant céder sa place
Et la queue s’étirait, mollement

Mon voisin écoute nos conversations
L’oreille en capuchon, le nez en vrille
Qu’a-t-il reconnu qui l’ait fait trémousser
Un reste d’affection ou d’opprobre ?

Je me  retourne, c’est long
Long comme un jour sans pain
Les têtes dodelinent, sereines
Et boivent leur inquiétude, sans fin

Une femme avance et longe le cordeau
Elle marche à pas menus, sans bruit
Mais déjà les cris s’élèvent
A la queue, mécréante et tricheuse

Elle trouve une autre femme
Et lui parle, mine de rien
Et celle-ci entre dans son jeu
Et l’agrège en catimini

L’homme rase les murs, col relevé
Il a pris son parti et plaide
J’ai tout tenté et n’ai rien
Où donc puis-je aller ?

La queue n’a pas de cœur
Elle n’a que des émotions
Elle coure sur place sans mot dire
Et fuit toute forme de civilité

On avance, oui, on avance
Vous faite un demi-pas, devant
Et deux sur le côté, bouche-bée
Pour retrouver votre équilibre

Oui, une queue c’est un calvaire
Qui s’enroule autour de la croix
Et rompt de toute part
Le ciment de la civilité

©  Loup Francart

16/09/2016

Poète

Il est poète pour ne rien dire
Il n’en pense pas moins
Et lui non plus, pire
Il n’en prend aucun soin

Avez-vous déjà vu
Ceux qui n’ont qu’un grain
Pour devenir fétu
Et vaquer en pèlerin

Ils s’enfoncent en votre chair
Et ricanent de votre effarement
Plus rien ne les libère
Même leur enfermement

Alors ils marchent sûrs d’eux
Tête haute et chapeau bas
Sans un regard sur l’autre laborieux
Qui peine en contrebas

Le poète fouette le soviet
Et exhale le rire en cachette
La vie est drôle et belle
Lorsqu’on erre dans le djebel !

©  Loup Francart

15/09/2016

Canicule

La rue est ronde de la chaleur
Qui tombe du ciel lentement
Avec la douceur d’un agneau
Et la berce d’apesanteur

Les voix traversent l’air densifié
Elles pépient en oiseaux polis
Pénètrent l’oreille voluptueusement
Et montent en vrille dans la nuit

Toutes fenêtres grandes ouvertes
Comme un pois chiche vous flottez
Aucun souffle ne vous chasse
Vous êtes là, patients, sans force

Vous n’avez même plus un fil
Pour vous protéger de la fournaise
C’est un sauna permanent
Auquel il manque le liant de la vapeur

O mon corps, Peux-tu fondre
Et me laisser seul et dénudé ?
Non, le poids te rattrape
Couche-toi sur le sol vierge

Et désormais ne va plus chercher
L’ombre de ta consistance
Au pied des immeubles luisants
Mais dans la fraîcheur du rêve

©  Loup Francart