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05/07/2015

Portes (1)

Lorsqu’on voit une porte en imagination, que voit-on en premier ? En ce qui me concerne, je vois son déplacement, cette bascule autour des gonds dans un mouvement lent, mais déterminé. Le cœur bat. Oserai-je pousser et entrer sans savoir ou bien dois-je rester en deçà dans un mystère insoluble par indécision ? Cet instant précis où le montant se met à tourner, volontairement ou involontairement, est chargé d’émotion. Il peut même être emprunt de sentiments, mais cela suppose que l’on ait une intention. Alors il n’y a plus la surprise de l’inconnu, mais celle de la motivation initiale.

Partir à la découverte des portes cochères de Paris c’est un peu partir vers l’inconnu. On en voit à chaque pas. On ne les remarque pas. On peine à les ouvrir. On s’intéresse à ce qu’il y a au-delà. Ne nous reste en tête que le bruit du battant qui, se refermant, émet un son creux, tonitruant ou doucereux. Le couperet d’une lame de guillotine qui se referme sur votre gorge.

En voici une, stricte, belle malgré tout, ornée, pleine de lauriers. Elle n’est pas grise, mais bleu gris ou gris bleu. Peu importe. On la sent solide sur ses pieds, volontairement fermée. La loi seule l’ouvrira et révèlera ce qui se cache derrière. Elle est symétrique. On ne sait quel côté s’ouvre. Seul le rectangle du bas est plus grand pour laisser passer les pieds du passant qui cherche à s’immiscer dans son intimité. La porte de justice… Titre d’un thriller haletant, mais réservé aux initiés.  

Celle-ci, avec ses grilles ouvragées, rappelle une prison ou tout au moins un lieu clos non ouvert à tous. Elle est solide, bien faite, avenante même. Que cache-t-elle, une cour des miracles, un lieu de retraite, l’isolement des perdus de ce siècle ? Dommage cependant qu’elle se soit laissée atteindre par la fièvre de la publicité, ces ex-voto de part et d’autre de son assise, disant à tous : « Oui, nous sommes là, entrez donc ! Montez dans les étages, c’est ouvert à tout vent ! » Mais la porte est fermée, puissamment, telle une tour de veille dans les rues où déambulent les passants.

Cette autre, majestueuse, protégeant les richesses d’un propriétaire soucieux de son aisance. Le grand siècle de Louis XIV, imposant, protecteur d’un monde précieux, fait de figurines posées sur des meubles cirés. Un rouge serein, lourd, chargé de secrets et d’escapades nocturnes que personne ne doit connaître. Ne laissez pas traîner vos pieds au bas de la porte, l’or qui s’y trouve vous contraint à les lever haut.

04/07/2015

Fièvre

Jour et nuit…
L’étouffoir…

Vous respirez...
Mais sous une bâche

Les bruits vous parviennent
Ralentis par la moiteur
 
Vous n’avez pas la force
De tendre le bras...
Vous le laissez retomber
Entre les draps brûlants

Votre front ruisselle…
Nu, souhaitez-vous aller…
Mais est-ce possible ?

Vous enviez les filles…
Petite robe, très petite
Qui flotte au vent
Elles vont partout
Où se presse l’ombre
Et étirent leurs jambes
Sur la terrasse d’un café

Les enfants jouent toujours
Mais ils se sont amollis
Ils ne crient plus pointu
Une somnolence les imprègne
Ils ne peuvent se serrer
Contre le cou de leur mère…
Trop collant…

L’homme, digne de lui-même
Se réfugie dans le glaçon
D’un verre au bar bruyant
A l’odeur aigre de promiscuité

Le garçon n’en peut mais…
Il ploie sous le fardeau tintant
De ses verres enchevêtrés
Qu’il jette distraitement
Dans l’eau fraîche du bar

Ah, vous glisser dans cet évier
Et vous laisser couler dans la bonde
En mille perles d’eau fraîche
Jusqu’à complète dissolution !

Blup… Blup…
Puis…
Le savez-vous ?

©  Loup Francart

03/07/2015

Le mythe de la caverne

« Figure-toi, des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. » (Platon, La République, livre VII)

Cette caverne est une épreuve. Mais elle mène à la vérité que l’on ne trouve que par soi-même en apprenant à répondre aux questions qui se posent à travers son existence.

Cette photo a été prise un après-midi où le soleil inscrivait en ombre chinoise sur une porte les objets posés sur un muret. Elle illustre bien ce mythe ou cette allégorie. Elle symbolise le passage du visible à l’invisible. A chacun de nous de trouver la porte ouvrant sur le réel inconnu des hommes. Qui est le plus réel : les objets, leur ombre, la porte (un mur) ou la serrure qui ouvre sur un autre monde, ou encore cet autre monde lui-même ?

02/07/2015

Mustang, film de Deniz Gamze Ergüven

Cela semblait tellement absurde cette colère d’une société désuète devant un amusement d’adolescents, que j’ai failli partir dès les premières images. L’histoire est restée absurde, puis s’est transformée en tragédie avec les mariages forcés, la mort de l’une d’entre elles et la fuite finale des deux dernières. C’était des filles comme toutes les adolescentes occidentales, joyeuses, drôles, sans arrière-pensées. Elles s’entendaient bien, si bien que la maison devenue prison, restait vivable. Mais elles doivent partir une à une, au bras d’un adolescent, mariée contre leur gré.

En réfléchissant, l’histoire ne vaut pas grand-chose, seule compte le film, c’est-à-dire la succession d’images vivantes, de rires, de surprises, d’étonnement. Rien de larmoyant. La joie explique mieux le déphasage entre un monde macho et quotidien et des adolescentes débordantes de vie.


« Je ne voulais pas seulement dépeindre ces filles comme les victimes d’un système, mais également rendre compte de leur vitalité et de leur aspect résolument solaire, tourné vers la vie malgré tout. Quels que soient les cadres qui se referment de plus en plus sur elles, elles cherchent à préserver leur fougue et leur liberté intérieure. », explique Deniz Gamze Ergüven.

01/07/2015

Chant corse : A Paghjella di l'impiccati (Le chant des pendus)

http://www.youtube.com/watch?v=FU-wBJ4r3f0&feature=related


Le groupe A Filetta est véritablement impressionnant de professionnalisme. Il transmet l’émotion sur le fil du chant dans ce tremblement imperceptible de la voix et les harmonies discrètes qu’il détache du chant principal en longs filaments. C’est un peu comme le lent déplacement d’une pieuvre dans une eau claire, entourée de quelques bulles d’air qui montent lentement vers la surface.

Ce chant des pendus est splendide d'émotion contenue :

 

Sè vo ghjunghjite in Niolu
Si vous passez par le Niolu
Ci viderete un cunventu
Vous y verrez un couvent
Di u tempu u tagliolu
Les pleurs qui encore l'entourent
Ùn ci n'hà sguassatu pientu
N'ont pu être effacés par le temps
Eranu una sessantina
Ils étaient près de soixante
Chjosi in pettu à u spaventu
Pris au cœur de l'épouvante.

Dopu stati straziati
Après avoir été torturés
Da i boia o chì macellu
Par les bourreaux, quel massacre !
Parechji funu impiccati
Plusieurs furent pendus
Ci n'era unu zitellu
Il en était un tout jeune
L'anu tuttu sfracillatu
Son corps fut mis en lambeaux
E' di rota è di cultellu
Par la roue, par le couteau

Oghje chi hè oghje in Corsica
Aujourd'hui encore a Corsica
Fateci casu una cria
Si vous y prêtez attention
Si pate sempre l'angoscia
L'angoisse est encore palpable
Intesu dì Marcu Maria
A la seule évocation de son nom (1)
Era quessu lu so nome
Cet enfant s'appelait Marcu Maria (1)
Mancu quindeci anni avia
Il n'avait même pas quinze ans.

(1) En français, pour une meilleure compréhension, on devra inverser ces deux lignes.

 

Traditionnellement le chant corse s’appuie sur trois tessitures de voix :
• La voix principale, a seconda ;
• La voix basse, u bassu ;
• La voix haute, a terza.
Les voix s’agencent par tuilage et mélismes.
Le tuilage est le déplacement irrégulier des voix qui par leurs mouvements conjoints ou contraires par rapport au chant principal, provoque des échos. Le mélisme et une inflexion mélodique autour de notes dites de passage qui permet aux voix d’entrer dans le chant.
(From : http://www.lacoccinelle.net/257544.html)

30/06/2015

Transe

Il courut longuement dans la plaine
Sans savoir où aller et se réfugier
Il fuyait ses cauchemars et ses rêves
Et ne savait comment les effacer
Autrefois, il avait appris l’égarement
Et pratiquait l’oubli et la désinvolture
Mais toujours on lui dit : « Souviens-toi ! »

Alors aujourd’hui sa mémoire est pleine
Et déborde de présupposés gris
Sa course s’alourdit et colle
Au palais qui ne peut que bégayer
Devant les mots qui veulent sortir
Aucun ne veut céder sa place
Et tous se bousculent et grincent
Si bien que rien ne vient d’intelligible
D’une bouche si bien faite

Il la vit sur le pont, venant vers lui
Sa chevelure au vent, l’œil ouvert
La joue rosie d’une course récente
Elle poursuivait mots et images
Mais sa jeunesse était un poids
Elle le vit, oublia sa poursuite
Son seul regard enfiévré tourné
Vers cet homme qui venait vers elle

Elle ouvrit les bras, tremblante
D’un désir imperceptible et nouveau
Il se réfugia dans cette immensité
Et ils partirent à deux, légers
Sans autre bagage que leurs corps
La tête vide de désirs
L’âme en transe

Elève-moi…

©  Loup Francart

29/06/2015

Les compagnons du devoir et du tour de France

Se former chez les Compagnons du Devoir, c’est avant tout apprendre un métier, en alternant un enseignement théorique et une formation pratique en entreprises, en voyageant grâce au Tour de France, en partageant des expériences et des moments de vie en communauté dans les maisons de Compagnons.

La formation s’achève par un chef d’œuvre. Celui-ci démontre non seulement la technique du compagnon, mais également son intelligence, sa sensibilité, son sens de l’observation et sa patience.  Et l’on constate ainsi que l’artisan peut-être un artiste bien meilleur que tous les soi-disant artistes contemporains dont seule la morgue surclasse les compagnons.

Mais la réforme de la taxe d’apprentissage risque de tout remettre en cause. Celle-ci sera désormais à la charge des régions et ne pourra être collectée directement par les organismes de formation. Et pourtant, le Compagnonnage du Devoir est sans doute le plus ancien organisme de formation professionnelle. Ses origines se situent vers le XIIème siècle et, jusqu’à aujourd’hui, il a toujours maintenu une tradition de transmission.