19/10/2014
L'ombre
Longtemps, je ne l’ai pas remarquée
Elle passait inaperçue à mes yeux
Peut-être ne voyais-je pas le soleil ?
Un jour cependant, ou plutôt un soir
Elle m’est apparue, fragile
Comme une ombre d’elle-même
C’était bien mon ombre à moi
Oui, elle me ressemblait
Même profil, encore que j’ai du mal
A contempler mon profil altier
Sans utiliser une glace fraiche
Embuée à sa sortie du frigo
Depuis elle ne m’a plus quitté
Je la trimbale avec moi
C’est ma sœur, encombrante
Elle veut parfois passer devant moi
Elle me pousse vers le chambranle
Et se propulse en courant d’air
Pour entrer la première, rosissant
Devant les regards acérés
Oui, elle me fait de l’ombre
Cette enveloppe sombre
Qui se détache de moi
Sans avoir le courage de me quitter
Parfois elle me sourit
– Qu’en penses-tu ?
Semble-t-elle me demander
J’avoue ne plus savoir
Si elle est mon double
Ou si elle se joue de mes hésitations
Je la contemple se mouvoir
Et sourire à tous, enchantée
De ce subterfuge honteux
Et je dois moi-même sourire
Pour ne pas délier ce mariage
Hors nature avec mon double
Oui, il lui arrive de se coucher
A mes pieds, vers midi,
Et de me dire – Ne bouge plus
Je suis bien près de toi
Laisse-moi reposer contre toi
Me réchauffer à ton corps brûlé
Enflamme-moi dans tes bras
Et courre plonger dans l’eau
Là où les rayons de l’astre
Ne peuvent m’atteindre
Je pourrai alors te laisser en paix
Blottie dans ton corps refroidi
Jusqu’à devenir transparente
– Quelle idée, lui ai-je répondu
Sans toi je ne serai plus
Si tu deviens invisible
C’est que moi-même ne suis plus
Même dans l’eau claire
J’ai besoin de ma consistance
Comment pourrai-je nager ?
Je coulerai et disparaîtrai
A jamais aux yeux de tous
Et c’est ainsi qu’un jour
Il y a déjà longtemps
Je devins transparent
Invisible
Nu
Comme une amibe
Même au microscope
Mes voisins ne m’ont pas trouvé
Ils pleurèrent quelques jours
Puis, de guerre lasse
Me laissèrent partir vers d’autres cieux
Dans ce pays où la lumière
Envahit tout, y compris les êtres
Là l’ombre n’existe pas
Et ne fait plus peur aux femmes
Elles ne se remaquillent plus
Sûres de leur effet sur l’unique
Sans doublure vertueuse
Qui les regarde béatement
Volant de ses petites ailes
Autour de leur personne
Qui rayonne de bonheur
Sans l’ombre d’un doute
© Loup Francart
07:53 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, littérature, poème, écriture | Imprimer
18/10/2014
Arrière-plan
Tel est le titre de l’exposition d’Alain Bublex à la galerie Vallois 36 rue de Seine Paris 6ème. Mais ce sont tantôt des arrière-plans, tantôt des avant-plans, tantôt des retouches dans un paysage encore entier que pratique Alain Bubex. Admirez par exemple ce pont peint sur ce paysage sylvestre. Il semble vrai, enjambant la vallée, féminisant le décor de sa gracieuse courbure, donnant un poids humain à la sauvagerie du lieu.
Là c’est cette fois l’inverse. Le mont Fuji est peint derrière ce paysage de mer. Tout l’arrière-plan est inventé et produit un effet de décalage qui s’accommode cependant bien avec le premier-plan.
Ici, seul le premier-plan est photographique. Et encore, on voit le reflet de l’usine dans les divergences de l’eau ? Où commence la réalité, ou finit la fiction ? On ne le sait et cette ignorance provoque un trouble dans les certitudes de notre cerveau. Est-ce que je rêve ?
Mais Alain Bublex peint également des paysages modernistes et industriels tel ce tableau au dessin simple, à la peinture à plat, qui semble sortir d’un papier de bonbon des années 70.
Quel contraste avec cet autre paysage montagnard où l’homme apparaît perdu dans le coin gauche du tableau, à cheval. Là aussi une peinture à plat, irréaliste, mais poétique par cette lumière mystérieuse éclairant l’arrière-plan sans cependant illuminer l’avant-plan.
Enfin, que dire de cette transformation d’une maison de banlieue en usine à gaz ?
D’une manière générale, les tableaux d’Alain Bubex tournent autour de deux thématiques ; l’architecture et les moyens de transport, automobiles en particulier. Mais disons également que c’est le contraste entre la modernité réaliste et la nature réelle des rues, paysages ou autre objet, qui l’intéresse. Ce mélange surprenant entre la photo et la peinture donne une vision décalée qui interpelle le spectateur et l’oblige à entrer dans la poésie du mélange.
07:28 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, photographie, tromperie, décalage, paysage | Imprimer
17/10/2014
La leçon de piano
L’enfant entame le morceau avec assurance, ferveur et un semblant de délié des doigts qui lui donne assurance. Tout d’un coup, la panne. Il reprend, toujours aussi vite, avec la même détermination. Même échec de la mémoire automatique des gestes. Il s’arrête, ne dit rien, tente de se remémorer la succession, non pas des notes, mais des mouvements de doigts, reprend plus lentement, mais toujours sans penser à regarder les notes qui se trouvent sous ses yeux, imprimées sur l’album. Blocage !
Il faut alors reprendre patiemment le cheminement mental de la lecture de la note à l’écoulement des sons qui s’enchaînent harmonieusement. Comme il est difficile de lire ces ronds pourvus de queue, qu’ils soient noirs ou blancs, perchés entre deux lignes ou à cheval sur l’une d’entre elles. Voyons… Et l’enfant recompte à partir de la ligne du bas… Sol ? La ? Fa ? Bien sûr vous ne l’aidez pas en lui disant oui ou non. Il faut qu’il trouve, qu’il se souvienne de la visualisation de la ligne et du rond. Cela dure… Quel lent apprentissage, quel effort à produire dans un abstrait en dehors de tout son revigorant la motivation. Comment passer de cet apprentissage épuisant pour les neurones à cet enchantement de la mélodie ? C’est un bien grand mystère à reproduire à chaque nouveau morceau. Comment s’enclenche dans cette tête brune, concentrée, le fil ténu d’une continuité de la mélodie ? Mystère. Tout se passe hors de votre contrôle. Un jour, huit jours ou quinze, tout se déroule avec aisance comme par enchantement. La complainte se déploie, frappée avec régularité, dans un automatisme sans faille, peut-être un peu trop mécanique, dans un style de machine à écrire. Ça y est.. On peut passer à l’expression, une phase plus complexe, car la maîtrise de la puissance des sons et du moment de leur frappé est plus complexe que le déroulé mécanique d’une mélodie. Là, marquer un ralentissement avant d’énoncer la note qui produit la douceur attendue ; ici, atténuer l’émission du son en caressant le clavier sans attaque, puis, à cet endroit, au contraire, mettre un contraste qui vous soulève le cœur et le porte aux nues.
Mais quel bonheur lorsque tous ces ajustements faits, l’élève se concentre et joue pour lui, sans plus s’occuper de votre propre impression, le regard sérieux, comme voyageant dans un paysage merveilleux que les sons diffusent. L’esprit de la musique l’atteint, le soulève et le laisse s’envoler vers d’autres cieux, ceux de la félicité de la musique. Et c’est vraiment un autre monde !
07:14 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, apprentissage, piano, mélodie, méthode | Imprimer
16/10/2014
Enfantement
Chaque cellule s’organise pour accepter ces rondeurs. Au centre, la vie se prépare, mathématiquement. Est-ce possible ?
07:09 Publié dans 22. Créations numériques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art cinétique, optique art, dessin, peinture | Imprimer
15/10/2014
Ange
Quelle expression ! Il est aux anges.
Serait-il confit de sucre et d’olives
Dans un sourire figé et malheureux
Comme le chevalier du ciel
Certains en font le saut
Ils s’élancent de la falaise
De leurs idées préconçues
Et plongent dans la folie
D’autres, en cheveux fins
Enlacent leur possession
D’un filet protecteur
Pour mieux les conserver
Les anges de mer
Planent dans les eaux
Et font de l’ombre
Aux plongeurs ensommeillés
Ils se mangent également
Ces fins vermicelles argentés
Flottant dans leur potage
Comme des bras de poulpe
Peut-être vivront-ils assez longtemps
Pour entreprendre l’estomac
Et vous courber en deux
Dans une crampe dithyrambique
Avec une patience d’ange
Elle contourne le viril
Et le retourne sur le gril
Pour convertir son égo
Les enfants comme les anges
Volent en paquets rieurs
Ils s’amusent de l’effroi
Qu’ils causent inconsciemment
Parfois même, ils se moquent
Des remontrances outragées
Que font dans le village
Les guetteurs de scandale
Pourtant ils existent ces anges
Qui protègent la victime
De l’inlassable opprobre
Des veilleuses à la fenêtre
Mon ange s’exclame la mère
Mais ange est-il celui-ci
Qui court en sabots
Dans la neige de l’innocence
L’ange est fidèle et serein
Il ne cache pas sa préférence
Pour le meilleur de l’homme
Il l’enrobe de ses bras protecteurs
Certains cependant se sont révoltés
Et on acquit l’indépendance
Mais pour quoi faire ?
Ils errent dans le noir et le froid
Déchus, ils recherchent compagnie
Et tendent leur bâton sucré
A ceux qui méditent en silence
Sans savoir vers quoi pencher
Les quatre cavaliers de l’Apocalypse
Ministres de la vengeance divine
Epuisent en rond leurs montures
Pour assurer une victoire amère
Mais il est des anges féminins
Qui font craquer l’homme quel qu’il soit
D’un regard assuré et d’une caresse maligne
Le cœur retourné, le baiser sur la bouche
L’ange de lumière ne se dévoile
Qu'à ceux qui se laisse aller
Dans les bras de l’absence
En toute innocence
Toi, mon ange,
Qu’es-tu pour m’attirer à toi
Ouvrir mon âme asséchée
Et la couvrir de baisers ?
© Loup Francart
07:02 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
14/10/2014
desideri
http://www.youtube.com/watch?v=nVjh-oY0hek
Quel chant ! Il ouvre le corps en deux et le projette dans l’espace et le temps et vous vous laissez écarteler, déchirer jusqu’à ne plus être que cette nostalgie délibérée qui vous agresse et vous conduit à l’absence. Vous êtes envoûté et seul un changement de ton, le son frêle du piano vous ramène à la vie tout en vous laissant un goût amère dans la bouche.
C’est un poème de Konstantinos Kavafis (1863-1933) que chante Kyriacoula Constantinou. Il s’éteint comme il est venu, avec insistance et bienfaisance et est remplacé par le silence non pas de l’oubli, mais de la mémoire qui se cherche sans parvenir à savoir d’où est sorti le chant.
07:24 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie, chant, guitare lusitanienne | Imprimer
13/10/2014
Vernissage
Quelle confusion. Que de monde tournant en rond, le nez en l’air, l’air égaré. Ils regardent sans voir réellement et ceux qui voient réellement sont dérangés. Où va le regard ? Doit-il partir vers la droite comme le suggère l’assemblage cubiste qui semble monter vers eux. Mais lorsqu’il remonte vers la gauche, il constate un mouvement inverse qui le conduit à penser que le monde bascule. Alors il tente un coup d’œil d’ensemble. Quelle montagne tortueuse qui ne tiendrait pas debout dans la réalité. Peindre en deux dimensions pour donner l'illusion de trois dimensions c’est pourtant l’enfance de l’art. La perspective a été inventée pour tromper l’œil et lui donner une assise confortable alors qu’elle permet des positions d’objets impossibles dans la réalité. C’est pourquoi tous ces visages, toutes ces mains, toutes ces jambes se mélangent dans la pensée et font de vous un fourre-tout où se mêlent souvenirs des uns, reconnaissance des autres, identification de nouveaux visages, caresse lente et sourde d’une valse d’images qui tournent autour d’un axe, celui de vos rêves et de vos cauchemars.
Dans le même temps vous prenez du recul, vous vous rendez au point de fuite de toutes ces perspectives et vous contemplez avec étonnement ces trois pièces qui s’enfoncent dans l’immeuble jusqu’au confortable nid douillet de vos certitudes. Lui, connu il y a quarante ans, qui n’a pas changé, toujours rieur et moqueur, content de lui malgré son manque d’envergure. Lui encore, grand, qui se voûte quelque peu, dont le sourire sympathique s’ouvre sur un visage anguleux et dont le regard semble devenu las. Ne voit-il que la laideur du monde ou les profondeurs ailées des parts de ciel que donnent les tableaux ? Elle qui sût charmer de sa voix d’or mes oreilles musiciennes, mais dont le visage est toujours découpé en lamelles divergentes. L’autre devenue plus femme que femme, couverte de bijoux et passablement maquillée, riant fort sans remarquer les regards désapprobateurs. Toutes ces images, tous ces sons, toutes ces impressions, sentiments, réminiscences, en même temps, en un même lieu, dans cette grotte devenue l’impact du monde pour un moment, le lieu d’un formidable raccourci, comme un regard de fin qui se prolonge à l’infini.
Vous êtes passé derrière les tableaux, dans cette perspective cachée des yeux du passé et de l’avenir, là où plus rien ne vous touche, ne vous étreint, ne vous bouscule. Dans ce calme étonnant du passage, vous restez froid, l’œil ouvert, l’ouîe en éveil, la main en l’air comme pour saluer une dernière fois votre être qui se pavanne immanquablement secoué de rires et de sanglots. Adieu chers amis, je pars dans le pays des songes, je m’élève ou je m’enfuis dans les profondeurs terrestres. Bref, je m’éloigne de ces préoccupations bavardes pour redevenir l’être perdu, vierge et tendre tel un champignon hallucinogène.
07:47 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sociétéé, mondanité, reconnaissance, homme et femme | Imprimer