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04/05/2014

Le peintre

Cet homme qui ne connaissait rien à la peinture, se dit un jour : « Comment créer un monde que l’on est seul à regarder et qui vous fait vivre dans le bonheur ? » Eusèbe avait beaucoup lu, il jouait de la musique sur un vieux piano, il s’essayait à la poésie, laissant les phrases chanter en lui avant de les transcrire sur des feuilles volantes. Mais tout ceci ne lui donnait pas un toit, un abri dans lequel se réfugier pour savourer la vie. Certes, il connaissait le monde. Il avait même voyagé non seulement en France, mais en Europe, en Afrique et en Amérique. Mais jamais il n’avait trouvé un monde à sa mesure dans lequel il glissait en douceur et laissait la vie s’écouler comme un fleuve.

Il fut entraîné un jour, par un ami, dans une exposition de peinture. Celui-ci lui expliqua que lorsqu’il allait à une exposition, il revêtait son plus beau costume, se parfumait, se peignait et entrait dans la salle d’exposition comme un jeune marié entre dans la chambre conjugale. « C’est une autre monde dans lequel j’entre en catimini. J’y respire à l’aise. J’y croise des gens différents, le regard clair, émerveillés de la richesse des couleurs, ensorcelés par la puissance des traits. Et tout ceci s’ordonne autour de moi. Je fabrique ma maison princière et j’y erre en toute liberté. » Eusèbe s’interrogea : « Quel bel exemple du bonheur. Environné de ce que l’on crée ou qu’un autre crée pour soi, la vie devient une patinoire sur laquelle on glisse jusqu’à la chute finale. On traverse les jours sans connaître les affres de la solitude. On reçoit plus qu’on ne donne, sauf si l’on est soi-même artiste. » Eusèbe décida de s’initier à la peinture. Mais il ne savait quel type de peinture choisir et comment s’initier.

Le lendemain, il choisit soigneusement le musée dans lequel il tenterait de faire connaissance avec la peinture. Un musée d’art classique ? Oui, il connaissait cette peinture sereine, ces paysages sublimes, ces visages expressifs. Mais cela ne le sortirait pas de son monde réel. Il serait un double dans la copie d’un monde connu. Il choisit de sortir des sentiers battus. Un art non figuratif, mais pas complètement abstrait à la manière des tachistes ou des informels. Un art qui s’ouvre sur des paysages irréels, à peine esquissés, que l’on invente en soi en les regardant. Un art d’intuition, un chemin que l’on ouvre et qui vous laisse partir seul sur la route de l’imagination. Cela devint un jour nouveau, qui allait lui dévoiler l’inénarrable : le cocon dans lequel il pourrait laisser sa vie s’écouler avec bonheur. Il revêtit non pas un costume et un pardessus, mais un pantalon chic et sport et un blouson de peau, doux et malléable. Il voulait être flexible, ne rien attendre de ce qu’il connaissait. S’il l’avait pu, il y serait parti nu. Mais la pudeur restait plus forte que l’envie de nouveauté.

Après avoir payé, devant un guichet translucide, à un personnage transparent, il avança vers l’entrée tendant son billet au préposé qui le déchira en deux et ne lui en rendit qu’une moitié. « Ça commence bien ! », se dit-il. Mais il voulait entrer dans un autre monde et peu importait ce qui se passait dans ce monde-là. Il avança et marcha le long des murs, regardant les toiles exposées, laissant son regard s’insinuer d’un tableau à l’autre.

Rien. Il ne se passait rien. Eusèbe avait décidé, avant même de franchir la porte du musée,  de se mettre devant un tableau et de le regarder jusqu’à ce qu’il entre dans celui-ci et le comprenne. Mais encore fallait-il trouver le tableau à contempler. Si son regard n’était pas attiré, son esprit le serait-il ? Vraisemblablement non. Il attendait d’être flashé, de sentir ses cheveux se dresser sur sa tête, d’être pris de tremblement sacré. Et rien de tout cela n’arrivait. Il errait dans le musée sans autre impression que celle de la chaleur qui y régnait. De guerre lasse, il s’assit devant un tableau où des objets enchevêtrés dansaient sans souci de plaire. Ce n’était pas encore du cubisme, ni même de l’abstrait, mais un mélange d’ordre et de désordre, de papiers à musique, de journaux sans titre, de guitares cassées et d’autres objets plus difficiles à identifier. Ombre et lumière, contraste et faux fuyant, il rassemblait les singularités de la peinture moderne, sans que rien cependant ne lui fasse impression. Mais Eusèbe était fidèle à ses promesses. Il avait dit qu’il resterait quatre heures devant un tableau ou au moins jusqu’à ce qu’il ait compris. Alors il resta, regardant le tableau, sans penser à rien de précis. En attente... puis en ouverture… puis en goûteur d’impressions et de sensations.

Il observait cette guitare dont le manche branlant ne pouvait plus résonner d’aucune note. Il examinait cette main qui courrait sur les cordes sans les toucher. Il contemplait le corps désarticulé du musicien et le vit se déhancher en rythme lent. Il scrutait cette invitation à la danse sans comprendre pourquoi elle émanait du tableau. Il devint ce guitariste dont il ne voyait pas le visage, mais dont le corps exprimait la tendresse et la force. Les notes résonnaient en lui, s’imprimaient dans ses sens. Chaque couleur prenait une signification musicale, émettait une mélodie, transperçait son appréhension, lui donnant une approche virtuelle et vivante d’une réalité inexistante. Il était la musique, il était la joie des résonnances, il n’était plus qu’un magicien qui pénétrait dans le cœur et l’âme des autres pour y jeter l’étincelle de la création.

Quelques instants plus tard, il se réveilla, se tâta, se regarda comme s’il flottait entre deux eaux. Il vit le tableau qui étincelait dans cette salle du musée et écrasait les autres. Depuis ce moment, quand il entre dans un musée, il ne cherche pas à apprécier tous les tableaux. Il porte un regard d’ensemble, puis passe devant chacun d’eux, jusqu’à ce qu’il trouve celui qui lui parle, qui le transforme, qui l’éblouit. Il en cherche les raisons et chacune de ces raisons l’éclairent sur l’art pictural. Cette impression simultanée de vide et de plein, de couleurs et d’absence de réalité, il l’entretient, la fait naître en lui, l’analyse jusqu’à ce qu’elle rayonne et le comble d’une joie sans mesure. Peu importe de quel type de peinture il s’agit. Le sujet peut être totalement abstrait ou figuratif, ancien, moderne ou contemporain. Ce qui compte, c’est ce sentiment d’évasion qui le transporte vers une compréhension globale du monde, instantanée, amoureuse et divine.

Le lendemain, Eusèbe pénétra chez un marchand de couleurs, acheta des tubes, un cadre sur lequel il pourrait tendre une toile, un pot de peinture blanche qui servirait d’apprêt. Il rentra chez lui, ferma les yeux et vit le tableau se dessiner, les formes s’imprimer devant sa rétine, s’emplir de couleurs. Il commença à peindre dans une joie et une liberté qu’il n’avait jamais connues. Désormais il pouvait, les jours difficiles, s’abriter dans sa maison colorée et partir loin des soucis du monde.

03/05/2014

L'âme

Si vous ouvrez le dictionnaire
L’âme serait un principe...
Celui-ci serait-il réel ou imaginaire ?
Est-ce un axiome qui participe ?

Alors pourquoi certains l’égarent ?
Ont-ils une poche secrète
Ou errent-ils, fumant leur cigare
En attente de révélations indiscrètes ?

D’autres la vendent au diable
Et courent le monde, nus
Leur ombre devient falsifiable
Ont-ils été ou ne sont-ils plus ?

Et toi, individu ou créature
Sens-tu en toi ce double aimable
Devenu ta réelle signature
Et qui te rend si fiable

L’âme, personne ne la touche
Aucun ne la voit des yeux
Mais si tu pars à la retouche
N’oublie pas ce double irrespectueux

Il est toi-même et mieux
Il t’encourage et prend son envol
Va avec lui sans crainte d’adieu
Il fait de toi un bénévole...

Sur terre comme au ciel
Où donc loge-t-on l’âme
Dans un corps immatériel
Ou dans le cœur d’une femme ?

Ne pleure plus, ô mon âme
Tu peux quitter la chair
Ne crains pas la césure de la lame
Abandonne ce triste partenaire !

© Loup Francart

02/05/2014

L’art contemporain, une manière de communiquer ou de se différencier

Dans un petit livre intitulé « André Masson », Hubert Juin (Le musée de poche, 1963) écrit : Tout se passe comme si l’homme contemporain, lassé par le prodigieux  galop de l’art de peindre refusait dorénavant de mettre son cœur dans l’objet de sa contemplation. Ou, du moins, s’il met son cœur dans l’objet de sa contemplation, c’est en secret, au centre d’un domaine préservé et réservé : l’œuvre d’art ne lui est plus un moyen de communiquer, de retrouver les autres et le monde, mais au contraire de se séparer. Il ne contemple plus un tableau dans la chaleur de se trouver, par cela même, des semblables ; il le contemple pour s’enchanter de sa différence, de sa séparation. La peinture (…) lui devient occasion de fuir, permission de démissionner de l’œuvre commune (œuvre commune qui, elle, n’étant point œuvre d’art, devient l’extérieur même). Contemplant dans sa solitude, c’est plus de sa solitude que s’enchante le spectateur que de l’œuvre.

Notons d’abord que cette réflexion est quelque peu ambiguë. Hubert Juin parle-t-il du peintre ou du spectateur ? A la lecture de la dernière phrase, on constate qu’il évoque le public. L’art moderne (cela a été écrit en 1963) serait ainsi plus l’occasion, pour ceux qui entrent dans les galeries, d’être en retrait de la vie sociale que d’entrer en relation avec l’autre. L’art classique, entendez l’art qui reproduit la réalité, est un art de réjouissance en commun de la beauté de la nature, de l’homme et de la civilisation. Il ouvre à la convivialité ou, au moins, à la compréhension commune de cette réalité. L’art moderne, que chacun peut comprendre comme il l’entend, à sa manière, devient un art qui divise, qui individualise. Il n’exclut pas forcément, mais il ne rapproche pas par une entente commune d’un même thème. Le seul rapprochement qu’il procure est un rapprochement d’esthète, c’est-à-dire d’amateurs qui seuls peuvent comprendre la peinture actuelle. Les autres, ceux qui ignorent l’art moderne et contemporain, ne peuvent accéder à la sublimation de cette compréhension. L’art moderne fabrique donc une élite, fière de l’être qui s’enchante de sa différence, de sa séparation. Et cette élite se fabrique son propre langage, sa propre explication de l’œuvre. Elle communique non pour retrouver les autres, mais pour montrer qu’elle a une vision différente, qu’elle est seule à pouvoir interpréter l’œuvre et à l’apprécier.

Pour l’artiste lui-même, en est-il de même ?

J’ai la pudeur de penser que l’artiste, qu’il soit contemporain ou des siècles passés, ne pose pas la question de cette manière, du moins pour une majorité d’entre eux. Certes, un certain nombre d’artistes, autoproclamés ou reconnus puisqu’ils gagnent de l’argent, ont la même approche que leur public : l’art le montre différent, supérieur pourrait-on dire. L’artiste est un éclaireur qui offre à ses contemporains une nouvelle vision du monde que le public se doit d’accepter et de suivre. Ainsi la valeur de l’œuvre n’est plus dans l’œuvre, mais dans l’idée qu’elle représente : une vision particulière et unique. Cependant, n’en était-il pas de même pour l’artiste classique, même si celui-ci se doit d’entrer dans la vision commune et d’y exceller. L’artiste, pour s’affirmer, doit apporter malgré tout un style particulier, même dans l’art classique. Mais ce style ne concerne que sa peinture et non sa vision de la vie. En fait, moins l’art exprime la réalité, plus l’artiste cherche à imprimer sa vision du monde dans son œuvre. N’est-ce pas bizarre ?

Mais pour la plupart des artistes, l'art n'est pas dans l'idée de l'art et, au-delà, du monde, mais dans la joie physique et spirituelle de peindre. C'est une respiration qui lui permet d'exister, qui n'a rien à voir avec une philosophie, quelle qu'elle soit. Et même si cette joie ne transparaît pas tous les jours dans la vie d'artiste, elle illumine les jours et accomplit l'homme. C'est cela qui permet à l'artiste de continuer à exercer son art.

01/05/2014

L'homme sans monde

Il y eut un homme, mais était-ce réellement un homme, qui vivait dans le monde sans être de ce monde. Il reçut le don de découvrir en lui le double du monde. Parfois il ne savait plus où était celui-ci. Ce qu’il voyait derrière la vitre de son être, était-ce le monde ou un rêve éveillé, ou bien, inversement, ce qu’il rêvait en lui, cette immensité sans forme, était-ce la réalité ? Il lui arrivait d’errer pendant plusieurs jours dans des paysages désertiques, sur des plateaux perdus, en bordure du monde sans jamais trouver la fin, cet abîme qui engloutit la peur. D’autres jours il vivait normalement. Ce décollement de son être disparaissait. Il était là, bien présent, buvant et parlant comme tout un chacun. Il exerçait même un métier, peintre de trompe-l’œil. Il vivait rarement au même endroit et s’arrêtait là où une vaste demeure avait besoin de ses soins : peindre des perspectives enchantées de fleurs et de feuillages qui conduisaient le regard si loin qu’il se perdait.

C’est ainsi qu’il découvrit son don, si l'on peut appeler ainsi ce privilège ou cette fatalité. Descendu de son échafaudage, il reculait pour vérifier la perspective de son œuvre. Il s’y noya en un clin d’œil, aspiré par un chemin qui s’enfonçait dans une forêt où l’on devinait une lueur lointaine, une source attirante vers laquelle on tendait les mains. Il passa de l’autre côté et contempla la pièce démesurée dans laquelle il travaillait. Il ne se vit pas. Il commença à marcher dans cette immensité, s’éloignant de son ouvrage. Il ouvrit une porte, puis une autre et ne reconnut pas le monde tout en étant dans le monde. Il portait son regard en lui et voyait l’extérieur. Quand il comprit ce qui lui arrivait, il tenta de se détacher de ce rêve qui lui collait à la peau. Il sentait bien cet enfermement derrière une cloison transparente et, au-delà, la réalité de la vie. Mais il ressentait dans le même temps une liberté infinie, une paix dégagée de tout souci. Avançant la main vers cette cloison, il en ressentit la résistance, comme une toile d’araignée qui entourait son doigt tendu et qui ne cédait pas. Dans le silence de ce monde intérieur, il voulut crier. Mais rien ne vint. Le cri se perdit dans une atmosphère privée d’air. Il tenta de parler. Rien, le silence dans un jour sans fin. Alors il marcha, marcha, marcha pour sortir de ce double, toujours accompagné de son enveloppe translucide qui laisse voir le monde réel, mais insaisissable. Epuisé, il finit par s’endormir au pied d’un arbre, sans avoir atteint le fond du tableau, ce point dans la forêt qui marque la limite du possible. Il se réveilla dans son état normal. Il ouvrit la bouche et gémit. Il entendit ce son plaintif et sut qu’il était à nouveau dans le monde.

Ce devint un jeu pour lui de sortir du monde par cet espace qui semblait auparavant impénétrable et qu’il peignait sans grande application, comme un brouillard doré, sans forme. Désormais, il s’appliquait, imaginait des formes nouvelles, des prismes redondants, des quartz étincelants, des glaces qui renvoyaient leurs images vides. Il reproduisait, sans en avoir conscience, cet état de l’univers dans lequel il était entré un jour, par inadvertance. Ce n’était pas des univers parallèles, sans point de contact entre eux. Ils pouvaient se confondre en lui, tantôt réels, tantôt irréels. Mais où était la réalité ? Il ne rencontrait jamais un autre être humain. Quelques animaux parfois, des plantes à profusion, mais l’essentiel se composait de minéral, envoûtant, multicolore, enchevêtré.

Or, un jour comme  il errait dans ces paysages désertiques, il rencontra un autre homme. Il le salua fort civilement. L’autre fit de même. Ils tentèrent de se parler, mais aucun son ne se faisait entendre. Ils prirent le parti de s’écrire, sortant de leurs poches papier et crayon.

– Que faites-vous là ? demanda-t-il. J’erre depuis des années dans ce monde et n’y ai rencontré personne. Vous êtes le premier être vivant que j’y vois.

– Je suis Hugh Everett[1], inventeur de la décohérence quantique. Vous venez de découvrir qu’on peut exister dans deux lieues à la fois, dans le même temps. Non pas deux lieues de notre monde, mais deux lieues qui semblent parallèles. De plus vous pouvez les visualiser en même temps, ce qui est un avantage énorme que je n’ai pas. Depuis ma mort en 1982, je n’ai jamais vu un homme et encore moins le monde tel que je le connaissais.

L’auteur sait bien qu’Everett a interprété le paradoxe du chat de Schrödinger par la théorie des mondes multiples. Mais le peintre des trompe-l’œil l’ignorait. Il ne connaissait que son expérience, un monde intérieur aussi prégnant que le monde extérieur. Everett prétendait que c’est la nature de l’observateur ne percevant que notre univers qui empêche de concevoir toutes les possibilités prévues par la théorie quantique.

– Je vais vous faire une confidence, lui dit Everett. Dieu n’accepte pas la mort. Elle n’est qu’une projection dans un autre univers dont les caractéristiques dépendent de la vie vécue sur terre. Ainsi, l’homme qui saute par la fenêtre pour en finir avec la vie se retrouve dans un autre univers avec les mêmes angoisses qu’il n’a su résoudre. Mais l’homme qui comprend cette situation, se délivre du voyage dans les multivers. Il est, par lui, avec lui et en lui, seul et incluant tous les univers.



[1] Hugh Everett est un physicien et mathématicien américain, né le 11 novembre 1930 à Maryland ou Washington DC et mort le 19 juillet 1982 à McLean (Virginie). Il est célèbre pour son hypothèse des mondes multiples en physique, également nommée interprétation d'Everett.

30/04/2014

Surréalisme 2

Un sèche-main que l’on met en marche avec une petite claque sur la joue et qui s’arrête avec un baiser sur la paume…

Un plongeon au cœur de sa propre maison, dans une intimité silencieuse. Seules les bulles font prendre conscience de l’existence. Parachutée dans le monde, tombée du haut de sa délicatesse, elle se retrempe dans ses souvenirs avant de regagner la surface.

Le rêve d’une nuit de chaleur : s’installer sur une île, pas trop loin de la côte, pour plonger dans l’eau fraîche.

N’ouvre surtout pas les yeux sous l’eau, cela fait peur !

Alors mieux vaut se laisser happer par l’inhabituel totalement déjanté, et vivre isolé dans la cabane au bout du ciel. Mais que personne ne s'avise de faire une partie de tennis !

 

29/04/2014

Désir

Il te prend en un instant
S’imposant sans crier gare
Et te transporte dans les affres
D’un vouloir exacerbé

C’est une frustration sans fin
Une exaltation incontrôlable
L’irruption d’une démangeaison
Jusqu’à l’assouvissement

Ce peut aussi être une aspiration
Vers d’autres cieux et nuages
Une échappée enchanteresse
Jusqu’à la chute sans filet

Le désir peut durer
Il conduit à la folie
Il zappe l’intellect
Et te réduit à l’objet

Tu soupires et pleures
Ta liberté perdue
Ce poids sur ton cœur
Te coupe de l’inattendu

Comment t’en débarrasser ?
Sors à minuit sous la lune
Invoque l’inspiratrice des songes
Et laisse les larmes couler des yeux

Elle t’accordera sans peine
La délivrance des pauvres
Et t’éloignera de ton désir
Dans la possession du rêve

© Loup Francart

28/04/2014

Un homme remarquable

Je ne sais quelles sont les raisons qui m’ont amené à penser à ce professeur de philosophie que nous avions l’année du bac. Très certainement, il m’a donné le goût de la réflexion. C’était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philo. Sa salle de classe était une petite pièce qui n’avait qu’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Nous étions serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir devant des tables en fer, gondolées. Mais peu nous importait, on entrait dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Nous l’avions surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme lui des cheveux crépus en envol autour de sa tête. Il se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe. Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Nos camarades jeunes filles en rosissaient quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur.

Il nous éclaira sur l’origine du monde, nous parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il nous initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et nous ne soupçonnions pas les trésors qu’il nous divulguait.

Nous l’avons tous remercié à la fin de l’année. Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.