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22/03/2015

Don Camillo

Petit livre des années 1950, Don Camillo a accompagné mon enfance. Je me souviens de maman lisant ce livre le matin dans son lit, riant toute seule de ces chapitres drolatiques dans lesquels don Camillo affrontait Peppone et les membres du parti. Mais don Camillo avait toujours le dessus. En effet, il avait reçu de Dieu deux cadeaux importants ; une foi immense et une espèce de direct à la mâchoire capable d’assommer un bœuf, à supposer qu’un bœuf  eût une mâchoire et il n’a pas la force d’un bœuf. Peppone encaissa le direct et s’effondra : « Je te ferai voir moi, si la chair est faible, marmonnait don Camillo.

Au fil des livres dans un vide-grenier, j’ai retrouvé « Don Camillo et sesdon camillo, sabre et goupillon, chrétiens, communistes ouailles ». Il sentait la remise, était coloré de taches d’humidité, avait l’aspect désolé et authentique des vieux bouquins de bibliothèques publiques et était rayé d’une étiquette blanche avec un chiffre 1 écrit au stylo bleu par une dame de patronage bien intentionnée. Après quelques marchandages obligatoires pour faire plaisir au bouquiniste, j’obtenais le livre pour une poignée de centimes, heureux de repartir et de pouvoir me plonger à nouveau dans les délices de mon enfance.

Tous les ingrédients y étaient. Le premier chapitre était très éclairant. Il s’intitule « La lampe et la lumière » et nous parle de lampes à huile éclairant les idées des hommes :

Don Camillo leva les yeux vers le Christ du maître-autel et dit :

– Jésus, il y a en ce monde trop de choses qui ne vont pas.

– Je ne pense pas, répondit le Christ. Il n’y a que les hommes qui ne vont en ce monde. Pour le reste, tout va parfaitement.

Don Camillo fit quelques pas en long et en large, puis s’arrêta devant l’autel.

– Jésus, dit-il, si je me mets à compter : un, deux, trois, quatre, cinq, six sept, et continue ainsi à compter pendant un million d’années, arriverai-je au bout ?

– Non, répondit le Christ. Ce faisant tu es comme l’homme qui trace un grand cercle sur le sol et de met à en faire le tour en se disant ; « Je veux voir quand j’arriverai à la fin. » Tu n’arriveras jamais à la fin.

Don Camillo qui s’était mis aussitôt à cheminer mentalement  sur le grand cercle, se sentit étouffer comme s’il s’était penché, un instant, à la fenêtre de l’infini.

–Et pourtant, insista don Camillo, je dis, moi, que même les nombres doivent avoir une fin. Fieu seul est éternel et infini et si les nombres n’avaient pas fin, ils seraient éternels et infinis comme Dieu.

– Don Camillo, pourquoi en veux-tu tellement aux nombres ?

– Parce que, à mon avis, si les hommes ne vont pas, c’est à cause des nombres. Ils ont découvert les nombres et en ont fait les régulateurs suprêmes de l’univers.

Quand don Camillo embrayait, c’était terrible. Il alla de l’avant un bon bout ; puis ferma boutique et marcha de long en large dans l’église déserte. Il revint ensuite devant le Christ et s’arrêta :

– Jésus, si les hommes se réfugient dans la magie du nombre, n’est-ce pas, au contraire, une tentative désespérée de justifier leur existence d’êtres pendants ?

Il se tut un instant, angoissé :

– Jésus, les idées sont-elles finies ? Les hommes ont-ils donc pensé tout le pensable ?

– Don Camillo, qu’entends-tu par idée ?

– Un idée, pour moi, pauvre prêtre de campagne, c’est une lampe qui s’allume dans la nuit profonde de l’ignorance humaine et met en lumière un nouvel aspect de la grandeur du Créateur.

Et les chapitres s’égrainent, tous aussi pleins de conflits et d’amour déguisé entre les deux partis, celui de Dieu et celui du diable ou plutôt celui de Dieu et celui des hommes. On lit Pénitence, L’innocence, La grève, La bicyclette, Le Kolkhoz, Foudre et bien d’autres, jusqu’au dernier Via Crucis où Don Camillo est exilé par son évêque à Monterana, le pays le plus déshérité de la terre. Ne trouvant de crucifix, il alla le chercher dans son village et se fait ramener par Peppone et son camion, mais pas jusqu’au bout. Il part dans la campagne avec le crucifix sur l’épaule, le sentier est raide, les gros cailloux glissent et la croix est énorme, de chêne plein. Quatre heures pour arriver au village de Monterana. Mais Peppone avait suivi don Camillo pas à pas. Il n’avait pas la Croix sur l’épaule, mais il avait participé à cette immense fatigue et il n’avait pas cessé de sentir le poids de cette croix.

Il était entré dans l’église et apercevant le tronc des pauvres, il y avait glissé le billet de dix mille.

– Jésus, murmura don Camillo en levant les yeux vers le crucifix, vous n’êtes pas fâché d’être là ?

– Dieu est partout, répondit le Christ.

–Jésus, il n’y a qu’un drapeau ; mais chaque régiment a le sien. Vous êtes mon drapeau, Seigneur !

 

Et nous, enfants, qui avions du mal à lire ou lisions sans comprendre ce que signifiait chaque histoire, nous ne lisions que les images, c’est-à-dire les illustrations d’un inconnu, car je n’ai pas pu retrouver qui avait illustré la première page de chaque chapitre. Mais ce sont ces dessins un peu puérils qui ont bercé les jours de mon enfance, au même titre que Tintin.

21/03/2015

Conversion

Retourne-toi, retourne-toi !
Dans l’herbe tendre des jeunes années
J’ai longtemps cherché derrière
Ce qui pouvait guider les pas devant
Peine perdue…

Pourtant, parfois, je me suis fait tirer par la manche
Mais ce n’était que le temps pour ralentir mes ardeurs
Devant, toujours la même plaine
Rutilante de mirages,
Attirante comme le ventre d’un ogre
Où l’on coure et s’enfonce dans la lie
D’un bonheur à petits pas

Un soir, las d’un tennis de mots
Revenu solitaire dans l’antre de l’éveil
Je vomis le poids du cadrage moral
Quel soulagement ! Je ne suis plus tenu !
Cette peau principale et raide
Qui sert de frontière avec l’autre
S’est retournée et offre sa tendresse
Aux caresses des passants

Le vent frais y glisse
Et enivre le vieil homme
Redressé, il rage d’impuissance
Moitié dehors, moitié dedans
Il est crucifié par son initiative
Du ciel touché du doigt
Il garde la cloque de la connaissance
Du sol, empêtré, il ne peut s’extraire

Es-tu transformé ?
Ce retournement te satisfait-il ?
Un pas vers l’inconnu cette conversion
Je ne suis plus au centre
L’autre devient mon préféré
Je me cache derrière son ombre
Et poursuis ma quête le cœur dilaté

Un trou dans la poitrine
J’avance dans la troupe des vivants
Et attend l’extinction des feux

© Loup Francart

20/03/2015

La mode à Paris

Hier, je me promenais dans le quartier du Palais royal et marchais en contrebas d’un trottoir. Ne plus voir que les pieds de nos concitoyens représente un privilège certain. Ils sont beaux, épanouis et nantis. Beaux en partie par les tiges qui en sortent, fines et racées, revêtues de soie hors de prix qui lâche tous les trois jours. Epanouis, par l’aisance avec laquelle ils marchent et devisent ensemble, tapant du talon avec force et plaisir. Nantis enfin, car suivre la mode exige des sacrifices financiers : se priver de repas pour acheter les précieuses chaussures n’est pas à la portée de tous. Mais tous doivent porter ces chaussures sous peine d’être exclus de l’appellation « parisienne » qui signifie l’être féminin le plus admirable au monde.  

De quoi sont-ils chaussés ces pieds des parisiennes si élégantes ? Eh bien, de boots évidemment ! Je n’avais jusqu’à présent jamais ouvert les yeux devant mode,élégance,chaussures,féminitécette réalité : neuf parisiennes sur dix portent des boots, bottes ou chaussures montantes. Elles arborent ces êtres mi-autonomes, mi-admirables et admirés, garnissant les pieds petits et si mignons de ces demoiselles ou dames joyeuses, enjôleuses et cajoleuses, devenus symbole haut et fort de l’élégance française (je n’ai pas encore eu l’occasion de mesurer la même attractivité pour ces hauts de chausse chez nos voisins). Et ils passent là devant moi, piétinant le pavé, laissant monter du sol quelques poussières mal venues, écrasant un mégot jeté là par hasard. Ils sont nombreux, battant la semelle, plus nombreux encore courant en tous sens, rares ceux qui s’arrêtent et se font face, encore plus rares, les derniers des mohicans, arrêtés face à face, dont une paire se dresse sur la pointe des pieds pour que sa propriétaire devienne objet d’amour. C’’est le printemps, ou presque, et cela signifie tout : la chaleur du bitume confronté au soleil, l’ardeur de la jeunesse à se rencontrer, les interjections entre les sexes, jusqu’aux caresses de lèvres vagabondes qui se rencontrent par inadvertance.

Il est évident que les boots, de par leur forme et leur attrait, facilitent la prise de connaissance. Certains ne sont cependant pas très abordables : lanières de cuir, noirs évidemment, agrémentés de clous dorés et de talons ferrés. D’autres sont plus amènes : cuir aussi, mais tannés et brillants de tous leurs feux, ou encore en peau, rouge ou jaune, souples comme la queue des lézards en vadrouille. Sans voir la tête des demoiselles au-dessus de leurs chaussures, j’en devine qui se contemplent les doigts de pied avec bonheur : « Quelles sont belles ces chaussures. Je les ai payées un peu chers, mais vraiment, c’est le top du top ! » « Elles montent royalement les escaliers », se disent entre elles les jambes en l’air. Alors elles redescendent pour se laisser remonter d’un pas plein de dignité cachée, d’envie suscitée ou de plaisir non dissimulé.

2.pngD’autres, il est vrai, ne font guère parisiennes. Mais c’est cela le chic, ne pas avoir l’air de ce que l’on est, n’en montrer qu’à demi l’existence tout en ayant l’air de dire : « Tout ceci, c’est pour ceux qui veulent frimer ! » Mais au-dessus de ces bottines s’étend un pantalon hors de prix et une petite veste, trop petite, qui fait tourner les pieds de nombreuses autres chaussures montantes.3.png

Certaines se veulent royales, couronnées de colliers, brillantes comme un sou neuf, surmontées d’allumettes désirables gainées de bas innocents. Ceux-ci ne fréquentent que leurs semblables, des êtres de qualité, portés par des personnes remarquables et remarquées.

Enfin, les impériales, simples, mais ornées de cheveux qui donnent un air de fête et font dresser sur la pointe les pieds qui les portent. Peut-être s’exercent-elles à ces rapports particuliers de printemps dont nous avons parlés tout à l’heure, ou encore s’extasient-elles en se contemplant à la devanture d’un magasin.

 

Une fois de plus l’excellence parisienne se manifeste ouvertement aux yeux du monde. Tous et toutes dans le même moule, mais quel moule, celui d’un hors normalité que tous arborent.

 

19/03/2015

Matin

La campagne est enrobée d’une brume laiteuse. Rien n’est cependant indifférent aux rayons d’un soleil discret, mais réel, qui pointe son œil sur le monde encore endormi. Le train file, flèche virtuelle dans la réalité du paysage printanier. Les trains, comme les cailloux, ne sont pas sensibles aux saisons. Ils s’essoufflent par jeu pour monter la côte, mais regardent en arrière dans la descente vertigineuse des souvenirs.

Et nous, enfermés dans cette boite roulante, mi-dormant, mi-éveillés, admirons cet éclaircissement progressif des sens et de la nature. Plus de ciel, aucune trace, rien qu’un pâle bleu de lait qui se confond avec l’horizon, un peu plus sombre, mais si peu qu’on se demande s’il y en a un. La terre s’illumine, chatoyante, semée de pierres précieuses qui flottent dans la verdure des bassins fourragers. Quelques êtres vivants, vaches couchées, lièvres levés par le bruit, chouette s’envolant de son arbre, rompent la monotonie de l’immobilisme.

Un monde figé, extatique, ronronnant et béat, se réjouit à chaque seconde de cette chaleur qui envahit le corps. Il s’épanouit en silence. Un coup de ciseau dans la pellicule de la vie…

18/03/2015

Sculptures de Ruta Jusionyte

Des êtres bizarres, mi-humains, mi-rêvés, figés dans des attitudes familières, pensifs et inoffensifs. Ce pourraient être des dieux, mais ils sont tendres comme la terre dans laquelle ils sont sculptés.

Leur fragilité leur tient lieu de linceul, ils sont d’un autre temps, d’un autre espace, fait de chair vivace, de regard ouvert sur la vie, mais également d’interrogations et de circonspections.

Ruta est lituanienne, née en 1978. Elle explique son cheminement : « La culture a été rayée, détruite pendant l'occupation russe, et même le savoir-vivre. Cinquante ans d'occupation et de privation, ça compte. A la libération, on s'est aperçu qu'on était des sauvages sans le minimum de culture pour vivre le quotidien. Mais moi, je sentais une culture profonde, enfouie, une culture souterraine. Quelques artistes lituaniens ont compris cela et n'ont pas peur du ridicule, de l'absurde et de la crise comme ils n'avaient pas peur d'attaquer l'envahisseur russe par la métaphore et les messages de leur art. Exprimer, c'est aussi laisser émerger ce monde de la métaphore, un monde archaïque en moi... mon seul héritage, c'est ma culture lituanienne qu'il m'est nécessaire d'exprimer ; et mon outil d'expression, c'est la métaphore qui détourne les situations pour arriver au but. »

Saisis dans leur extase, ils contemplent un monde impossible, le cœur ouvert, l’âme exaltée, un rêve inatteignable pour l’instant, mais qu’ils connaîtront un jour.

Ils peuvent aussi être saisis de terreur devant ce monde inconnu…

 Mais toujours, une profonde humanité saisit le spectateur devant ces morceaux de chair à vif, figés dans leur quotidien qui est autre. 

Les œuvres de Ruta Jusionyte sont visibles à la galerie Claudine Legrand, 49 rue de Seine 75006 Paris.

17/03/2015

La chute du mystique

Tourné vers le mystère de la vie et de la mort
Le mystique se regarde vivre sans participer
Au ballet de ceux qui goûtent à la pomme
Acidulée, elle laisse un arrière-goût dans la bouche
Qu’il avait tristement ressenti un jour
Lorsqu’il se laissa aller à contempler
A travers le trou d’une serrure, l’œil écarquillé
La blancheur diaphane des filles dénudées

De toutes les fibres de son bas-ventre
Il avait senti monter le désir et la fièvre des corps
Quelle amertume ! Aucun contrôle. L’élan même
D’une animalité qui sourit de sa victoire
L’esprit chéri, choyé et caressé, refuge
Eloigné de l’agitation démesurée du quotidien
S’évada d’un coup d’aile, laissant place
A la lourdeur de la pesanteur et des viscères
Il pleura des nuits entières, sans bouger
Perclus sur son lit de douleur et de remord
Il s’enferma dans la caverne de l’inexpérience
Mais toujours et sans cesse, la concupiscence
Le taraudait, le laissant désespéré et exsangue  
« Je ne peux cependant me défaire consciemment
De ce que Dieu m’a donné en toute volonté
Qu’en faire ? »

Il abandonna ses rêves de blancheur
Il se roula dans sa chair et sa flamme
Il embrassa tous les recoins des corps
Ronds, polis, adoucis de talc, fermes
Des femmes, des demoiselles, vertueuses
Ou débauchées, nubiles ou fatiguées
Il se repue de sensualité exacerbée
De parfums capiteux, de caresses tentantes
Il connut l’ivresse des jours couchés
Et des nuits dénudées sans sommeil
Jusqu’à ne plus pouvoir distinguer
La vie des corps de la mort de l’esprit
Alors il appela son âme à son secours

Elle vint sous la forme de l’innocence

Une femme, encore jeune, débordante de vie
Plantée naturellement sur le fil du juste milieu
Qui lui tendit la main d’un sourire débordant
Mais le retint de toute manifestation
Il ne put que se laisse traiter ainsi
Entre charme et refus, flot et assèchement
Jusqu’à ce que la séduction l’achève
Et lui fasse rendre son orgueil de mâle
Elle le prit dans ses bras, le caressa longuement
Lui dit toutes les douceurs du monde
Et ils s’envolèrent légers et décoiffés
Dans la fraicheur d’un hymen inespéré

Désormais ils vont main dans la main
Lui, délivré de ses cauchemars
Elle, enfiévrée de vies à venir

16/03/2015

Sommeil

Enfin, le premier pictoème musical qui allie musique, dessin et poésie en un harmonieux ensemble qui vous permet de rêver en toute quiétude, avec les délices d'un assemblage conçu par le même artiste : composition musicale (une improvisation), dessin (au pied levé) et poème (pour la jouvencelle).

Avant de lire, mettre le son en cliquant sur : Sommeil.wma

 

Tu dors de ton sommeil écrasant de bonheur
Le drap frais rejeté d’un geste théâtral
Dévoilant cette débauche de blancheur
Dans une fuite jusqu’au triangle central

L’ombre de la nuit tamise ton image
Légers et fragiles sont les plis de ton corps
Je découvre en moi une envie d’abordage
Mais ton indolence devient un mirador

peinture,dessin,poème,poésie,taploème

Tu es belle de ton harmonie profonde
Je te contemple, enfant, comme les ondes
Sous les vibrations du chant du violoncelle

Ensemble nous sommes depuis la nuit des temps
Moitié rêvée, moitié réelle, jamais à contretemps
Tu demeures l’ineffable jouvencelle

© Loup Francart

 

Certes, le son n'est pas bon, mais les moyens sont limités. La seule fonction magnétophone de l'ordinateur ne permet pas de couper ou modifier le son. Nous améliorerons cela dans l'avenir.