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18/03/2015

Sculptures de Ruta Jusionyte

Des êtres bizarres, mi-humains, mi-rêvés, figés dans des attitudes familières, pensifs et inoffensifs. Ce pourraient être des dieux, mais ils sont tendres comme la terre dans laquelle ils sont sculptés.

Leur fragilité leur tient lieu de linceul, ils sont d’un autre temps, d’un autre espace, fait de chair vivace, de regard ouvert sur la vie, mais également d’interrogations et de circonspections.

Ruta est lituanienne, née en 1978. Elle explique son cheminement : « La culture a été rayée, détruite pendant l'occupation russe, et même le savoir-vivre. Cinquante ans d'occupation et de privation, ça compte. A la libération, on s'est aperçu qu'on était des sauvages sans le minimum de culture pour vivre le quotidien. Mais moi, je sentais une culture profonde, enfouie, une culture souterraine. Quelques artistes lituaniens ont compris cela et n'ont pas peur du ridicule, de l'absurde et de la crise comme ils n'avaient pas peur d'attaquer l'envahisseur russe par la métaphore et les messages de leur art. Exprimer, c'est aussi laisser émerger ce monde de la métaphore, un monde archaïque en moi... mon seul héritage, c'est ma culture lituanienne qu'il m'est nécessaire d'exprimer ; et mon outil d'expression, c'est la métaphore qui détourne les situations pour arriver au but. »

Saisis dans leur extase, ils contemplent un monde impossible, le cœur ouvert, l’âme exaltée, un rêve inatteignable pour l’instant, mais qu’ils connaîtront un jour.

Ils peuvent aussi être saisis de terreur devant ce monde inconnu…

 Mais toujours, une profonde humanité saisit le spectateur devant ces morceaux de chair à vif, figés dans leur quotidien qui est autre. 

Les œuvres de Ruta Jusionyte sont visibles à la galerie Claudine Legrand, 49 rue de Seine 75006 Paris.

08/05/2011

Jardinage

 

C’est la période du jardinage, période souhaitée et appréhendée en même temps, qui contraint, pour l’entamer, à un effort supplémentaire rien qu’à l’idée d’être fatigué en fin de journée. Et pourtant que nous réserve-t-elle cette journée !

 

Lorsque la décision est prise, il convient de se détacher de ce que nous voulons faire pour en jouir plus aisément. Premier constat : une après-midi chaude, orageuse, même s’il n’y a pas de tonnerre, ni bien sûr d’éclair. Trois heures de silence ouaté, invisible et pourtant présent, sentant la terre chaude et mouillée et le suc des plantes que l’on arrache ou que l’on met en terre. Engourdissement de l’esprit dans un travail simple, simpliste même, mais relaxant et recentrant sur l’essentiel de la vie, le contact avec soi-même et avec le monde sans contrefaçon. La terre, sèche parfois, comme une poussière de grenier, ou encore arrosée et collante aux mains que l’on essuie sur son pantalon, choisi en raison de sa vétusté. L’eau, indispensable et prolixe, rajeunissement gratuit des plantations, qui s’infiltre avec lenteur parce qu’elle est bu progressivement au long de sa coulée par un sol aride et avide. Pas de musique, non, même si un prélude Bach vous courre dans la tête à certains moments, comme un souvenir perdu qui se rappelle à vous. Rien que cet écrasement du corps devant la lenteur, la chaleur, la pesanteur, l’immobilisme, la lourdeur même, de ce terroir que vous palpez, retournez, triez jusqu’à le caresser et même le câliner.

 

Alors vous sortez les géraniums un à un de leur pot de plastique imitation terre cuite (les marchands savent bien ce qui attire le client !). Trois jours de plus dans la boutique et ils mourraient de manque de d’eau. Vous creusez dans le terreau l’emplacement de la plante et la placez en l’entourant d’humus comme un jeune marié enlace sa promise un soir de noce. L’eau, à nouveau, qui doit surprendre les racines de leur velouté, pénétrant leurs pores pour remonter vers les tiges et leur redonner la fraicheur tant attendue d’un nouveau décor. Survient subrepticement quelques gouttes de pluie, légères comme les notes d’un piano un après-midi de printemps jouant la valse lente et charmeuse de bals populaires. Cela rafraichit et ravive la pensée qui s’effaçait dans la lourdeur de l’atmosphère. Les idées plus claires vous aident à disposer les pots de manière harmonieuse à l’œil : celui-ci à tourner vers la gauche pour faire ressortir la fleur éclose, mais pas encore épanouie, celui-là à retourner pour cacher la fêlure de la terre cuite, enfin ce grand dadais qui a poussé de manière excessive et dont il faut cacher un feuillage trop important au regard de sa floraison. Vos mains sont noires, les ongles boursoufflés de terre, vous relevez les manches de votre pull over avec l’avant bras opposé, par frottement, et vous vous contentez de renifler pour ne pas sortir votre mouchoir.

 

Vient le moment où l’échafaudage des actions s’écroule. Vous avez fini votre après-midi jardinage. Le soleil a atteint le toit de la maison d’en face et va plonger le jardin dans une ombre obscure qui lui donne un deuil léger, comme celui d’un rêve éveillé que l’on voit partir sans impatience, mais avec un sentiment de tristesse et de nostalgie. Vous levez le regard sur le ciel mi-couvert et pensez à ces quelques gouttes de pluie reçues qui vous ont rafraichi sans toutefois vous rassasier.

 

« Il va pleuvoir cette nuit, tant mieux », pensez-vous en guise de mot de la fin.