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14/09/2014

Chroniques enfantines, récits de Nathalie Bouvy (Edilivre 2014)

Ce sont des moments épars dans la vie d’une jeune enfant ou même des sensations, des impressions sans suite, des instants d’émotion dans la fuite du temps et des souvenirs. On saisit les incompréhensions des grandes personnes devant ces récits sans rationalité, mais également celles de la petite fille qui s’exprime. Pourquoi tel adulte se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi fait-il semblant de ne pas ressentir ce qu’elle même ressent ? Mystère des grandes personnes à l’opposé de la transparence enfantine.

Elle fait des visites à une multitude de tantes. Elles sont vieilles pour la plupart, majestueuses de dignité, dans de grandes maisons cirées, pleines de beaux meubles. L’enfant n’en retire que de petites impressions, le bonbon dans la coupe de verre, les bas mal tourbichonnés de l’une d’entre elles, l’odeur de la vieillesse.

Souvenirs… Souvenirs : Le poêle abandonné sous un auvent qui a aiguisé sa curiosité et fait frémir les grandes personnes. L’autre petite fille, également en barboteuse, avec laquelle elle n’a jamais joué, mais qui la fascine au-delà du talus raide fraîchement biné et parsemé de plantes et arbustes piquants les jambes nues. Les convenances du divan vers lequel elle avance à quatre pattes : dans mon souvenir, le divan est en arc-de-cercle. En passant devant les dames, mon regard arrive juste à hauteur de leurs genoux. J’aime observer leurs boucles d’oreilles et leurs belles robes. Je regarde aussi entre leurs jambes qui se referment brusquement comme les pages d’un livre. J’avance un peu plus vite pour voir si mon regard a bien cet effet inattendu. Les genoux se resserrent rapidement, instinctivement, impulsivement comme si ils se recollaient. Le cadeau de Monsieur Bertholet : une guêpe-cendrier en cuivre. J’étais émerveillée par le cadeau et par l’objet. On pouvait soulever les ailes de la guêpe et on découvrait son ventre creux. Ce fut mon premier cadeau de grande personne, car ce n’était pas un jouet. J’en étais très fière.

Des réminiscences précises dans leurs sensations, auréolées du flou du contexte de l’enfance. Le toucher d’un objet, sa dangerosité, les désirs d’une petite fille, sa lucidité devant les adultes, mais toujours environnée du brouillard d’une réalité ressentie ou inversement de récits racontés plus tard par les uns ou les autres. Les deux sont désormais liés dans la cage des souvenances à n’ouvrir qu'en cas de spleen.  

13/09/2014

L’art du phare

D’une part, elle fait la part du feu ;
D’autre part, elle lui fait la part belle.
Mais de quelle part parle-t-on ?

S’agit-il du départ de Gaspard,
L’homme-léopard fumant des boyards
Et courant d’un air égrillard
Vers d’anciens Louis-Philippards
Pour, gaillardement, leur faire part
Des gares éparses de Montbéliard.
Il se déclare grenouillard
Et tente comme les braillards
De s’en prendre aux Magyars.

Participer c’est prendre part,
Avec quel écart, au rempart
De la plupart des salopards,
De tristes vieillards en retard,
Errant dans le brouillard
Et guettant le nasillard renard 
Avec l’art d’un franchouillard.

Sans art et sans antibrouillard,
Elle s’empare de milliards
Et se pare de rondouillards gaillards
Pour noyer son cafard
Dans le lupanar de Kandjar.
Mais elle repart vers le corbillard
Qu’elle déclare vasouillard.
Par quel hasard la bagarre
Barre-t-elle aux scribouillards
Le départ du tortillard ?

Ah, la plus grande part
Des pillards accaparent
Le billard qui effare
Le regard des paillards.
Où part-il ce canard
Qui s’autodéclare débrouillard ?

Départ hasardeux des chevillards
Vers une partie de colin-maillard.
Fini, je le déclare, ce retard
Des couards qui s’effarent
Des déboires sans espoir.

Edouard le bavard, tais-toi ! 

© Loup Francart

12/09/2014

Jean Arcelin, un peintre aérien

Peintre franco-suisse, Jean Arcelin aime le flou et la blancheur qui donne à chacun de ses tableaux un mystère difficile à saisir. On admire la toile et au bout d’un moment on se sent glisser dans l’image comme sur un lac avec les patins aux pieds et l’on s’engouffre dans une rupture  du paysage pour se retrouver entouré de rêves blancs et irréels qui font frissonner les poils de vos jambes.



 


 

Vous vous trouvez en bord de mer dans cette villa vétuste, secoué par les vents après la pluie qui a balayé le sol


 


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Un instant plus tard vous ouvrez les yeux sur l’inconnu : noyade dans l’océan au bout d’un jardin qui sent la pourriture de végétaux jeté dans un coin.


 


 

 

 

 

L’océan toujours qui frappe inlassablement la falaise en semblant défier le logis cramponné dans sa verdure.



 


 


 

 


Une vague, une seule, et vous naviguez sur les mers du Sud à la recherche de vous-même sous un ciel incertain. Qu’y a-t-il derrière ?


 


 


 


 

 

 

Un peu de repos dans ce rêve délirant de blancheur. Mais le blanc est là, toujours présent, inséré dans les feuilles de papier de l’écrivain raté.

 


 


 


 


 


Ce peintre expose actuellement à la galerie 26, 26 place des Vosges 75003 Paris. Allez-y et laisser vous entraîner dans ses rêves pleins de délices. 

11/09/2014

Courir la nuit

Courir la nuit laisse toujours un arrière-goût d’enchantement. Il ne naît pas du fait que l’on ne voit pas ses pieds, mais du fait que l’on se situe difficilement dans l’espace. Même sensation que lorsqu’on prend une douche les yeux fermés et que l’on se tient sur un pied pour savonner l’autre enfermé dans la boite de projection de l’eau. Où suis-je ? Il vous arrive de croisez quelques spectres qui, comme vous, au lieu de compter les moutons dans leur lit se détendent en courant. Mais ils glissent à la surface de votre perception et disparaissent de votre mémoire à la vitesse d’un écureuil. Alors vous courrez seul, sans maître ni esclave, dans le noir, le gris, sans couleur, sans chaleur, mais avec verdeur et entrain. Vous aimez le bruit des semelles plates de vos chaussures ultralégères, à tel point que vous vous demandez parfois, dans le noir, si vous n’avez pas oublié de les chausser. Sans cesser de courir, en ralentissant un peu, vous tâtez un de vos pieds et vous avez l’impression d’être les pieds dans la glaise. Ce ne sont que vos chaussures.

Vous repartez en vous essuyant dans votre maillot qui déjà retient votre transpiration. C’est le moment où vous laissez aller votre imagination. Elle démarre seule, puis vous rejoint en vous entraînant dans une ronde folle bien que vous ne courrez pas si vite que cela. Elle vous précède toujours. Dans un coin plus obscur que les autres, vous tendez les bras en avant pour vous protéger de chocs ou de rencontre avec de mauvaises idées. Mais elles s’écartent, vous laissent passer en vous saluant d’une main. La foule s’intensifie. Vous reconnaissez même des gens connus : votre ancien professeur, le chat de la voisine, le boucher dont le couteau est engagé dans la ceinture, le juste qui fredonne sa chanson sans parole. Vous vous dégagez en douceur pour poursuivre votre course folle entre les maisons, les voitures, évitant les arbres et les déjections de chiens. Vous souriez de cette fin de nuit aussi belle que le lever du jour qui commence à poindre. Vous distinguez quelques couleurs : jaune léger, vert pomme, bleu marine. Vous voici près de la basilique de Montmartre, comment y êtes-vous monté, vous ne le savez plus, engourdi dans vos pensées qui vous engluent comme une chrysalide et restreignent vos foulées. Allez, vous avez bien mérité une petite pause ! Vous poursuivez en marchant, respirant l’air du matin, frais, désaltérant comme une eau de source. Vous ouvrez les yeux sur la danse sociale de chaque matinée : saluts empressés du boucher à la boulangère, bruits assourdissants de la poubelle sortie par la concierge, miaulement du chat du quartier, le blanc que l’on commence à entrevoir dans la légère lueur de l’aube. Vous dépassez le balayeur qui agite ses poils de plastique au bout du manche et repousse vers le filet d’eau les quelques papiers poussés par le vent. Vous arrivez à la limite que vous vous êtes fixé. Alors vous faites demi-tour en tournant trois fois autour de l’arbre. Ah, aujourd’hui j’ai failli repartir dans l’autre sens, prolongeant ma promenade. La rue s’éclaire, les voitures commencent à encombrer la chaussée. Cela se sent, car vous ne courrez pas avec le masque des japonais comme des chirurgiens empressés de se rendre au travail. Ce n’est pas le brouillard de Tokyo, mais l’odeur spécifique de la civilisation qui s’éveille et commence sa ronde qui va durer la journée, en attendant la nuit qui calmera les ardeurs (ou les libérera).

Ce matin est un jour comme les autres. Il a commencé tôt, peut-être un peu trop. Mais quel bonheur que ces matins seul dans la nuit, les yeux écarquillés, courant après son imagination sans jamais arriver à la rattraper. Peut-être que par un mouvement inverse, le jour où j’arrêterai de courir, elle restera près de moi.

10/09/2014

Ankunft bei den schwarzen Schwänen, WWV 95 (1861), de Richard Wagner, interprété par Alexander Lonquich

https://www.youtube.com/watch?v=83pIdDPBQg4


Une belle pièce romantique si différente des opéras de Wagner que l’on se demande s’il s’agit bien du même compositeur.

Une introduction frappée d’accords qui deviennent progressivement des échos, comme des réminiscences qui montent progressivement à la mémoire. On part dans une rêverie calme, sereine et enrichissante qui va d’une descente dans les souvenirs à une montée vers l’absence, le tout entouré de bulles de champagne qui s’égrainent en notes légères.

Oui, c’est une belle composition et sa lente glissade vers le silence vous incite à la réécouter sans cesse et sans lassitude.

09/09/2014

Au fil des heures

Au fil des heures, au fil des jours
Dans la pâleur de ma solitude
Je retrouve l’ignorance et l’absence
Je perds mon manteau de lumière

Le monde s’endort et pèse
La pesanteur reprend ses droits
J’en ressens le poids intense
Et le pouvoir de son enracinement

Pourtant, je le sais, présente,
Elle est encore au rivage
Le corps tendu vers l’amour
 Le cœur noyé de bonheur

Les heures et les jours passent
Le ciel descend sur son image
Ensevelie de sa certitude
Elle s’épanouit en moi.

© Loup Francart

08/09/2014

Soyez naturels

On entend souvent cette expression : « Soyez naturel ! » Quoi de plus naturel que de l’entendre dans la bouche d’un photographe, d’un professeur, d’un éditeur, d’un metteur en scène et de bien d’autres encore. L’entendant l’autre jour à propos de recommandations faites à des jeunes mariés, je me suis demandé ce qu’elle signifiait. Qu’est-ce qu’être naturel ?

Le vieux geste des français, dit cartésiens alors qu’ils sont généralement le contraire, est d’ouvrir le dictionnaire au mot naturel. « Qui appartient à la nature ; qui en est le fait, qui est le propre du monde physique par opposition à surnaturel » (Larousse). Là il me semble que nous sommes tous naturels, ou tout au moins la très grande majorité des gens. Seuls quelques mystiques baignent naturellement dans le surnaturel. Alors quelle idée de nous demander d’être naturel. Nous le sommes tous.

Poussons donc nos investigations un peu plus loin. « En grammaire, le genre naturel désigne l’opposition de sexe mâle-femelle » (CNRTL). Tiens, quel étonnement ! La théorie du genre s’oppose à cette opposition naturelle. Elle prétend justement qu’elle n’est pas naturelle : nous sommes tous du même sexe à la naissance. Mais on nous dit dans le même temps que « le naturel n’est pas le produit d’une pratique humaine » et que ce produit  « n’a pas été acquis ou modifié ». Avouons qu’il est difficile de s’y retrouver.

Trêve de plaisanterie : le naturel est ce « qui est conforme à l’ordre normal des choses, au bon sens, à la raison, à la logique » (Larousse). Là, il est vrai, il devient difficile d’être naturel. D’abord, tout le monde n’a pas forcément du bon sens et encore moins de raison et de logique. Et puis la notion de bon sens n’est pas la même pour tous. Le bon sens d’un chinois n’est pas le bon sens d’un africain. Et même s’il s’agit d’un « Ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir » comme le prétend l’Office québécois de la langue française. On constate bien que cet ensemble est assez varié sur terre. Le bon sens et la raison ne sont que très rarement naturels, de même que la manière habituelle de sentir et encore plus de réagir.

Qu’en conclure ? Qu’il n’est justement pas naturel d’être naturel. Etre naturel est plus qu’un apprentissage, c’est le résultat de toute une vie. Je me débarrasse de mon manque de naturel parce que je me suis débarrassé de moi-même. Je suis naturel parce que j’ai laissé mon personnage à la porte de ma vie et que je m’éloigne seul sans mon ombre à mes côtés. Quel soulagement. Je peux courir sans fatigue, je peux penser sans  béquille, je peux vivre sans mémoire et m’envoler vers l’avenir ou le tout ou le rien sans regret du passé. Mais est-ce si naturel que cela ? Non. S’il m’arrive parfois de faire abstraction de moi-même pendant quelques instants, la plupart du temps, mon premier réflexe est bien de tout ramener à moi-même pour prendre position dans le monde et m’y maintenir. D’ailleurs, admirons tous les portraits de peinture jusqu’à l’apparition de l’abstrait, mouvement né lui-même de l’apparition de la photographie. Sont-ils naturels ? Ils s’efforcent d’en avoir l’air et pas le fait même ils manquent de naturel. Les premières photographies également. Elles sont figées dans un immobilisme de bon aloi, contraire totalement au naturel. Il y manque le mouvement, il y manque la vie.

Ah ! Là nous avons abordé un point important. Le naturel est dans le mouvement. Etre naturel, c’est ne pas arrêter de faire, mieux : d’être. L’homme, naturellement, cherche la plupart du temps à s’arrêter. Il a besoin de se contempler lui-même pour exister. Il doit se voir dans le monde et prendre sa distance pour se savoir vivant. L’animal est naturellement naturel. Il mange, dort, défèque avec naturel. Il ne cherche pas à se situer dans la nature. Il y est et cela lui suffit. L’homme procède inversement. Son naturel est un apprentissage de vie et le résultat de l’atteinte d’un état quasi mystique. Être naturel suppose que l’on soit bien avec soi-même, avec les autres et avec notre environnement, c’est-à-dire avec la nature. Or ce qui empêche cet état, c’est moi. C’est mon moi qui me fait me contempler sans cesse, me situer parmi les autres, chercher ma place dans un monde où tous cherche une place et veut très souvent la place du voisin. Et cela est vrai dès la naissance. Le jeune enfant ne voit que lui, ne connaît que lui et cela lui demande de nombreuses larmes avant de comprendre qu’il n’est pas seul au monde et qu’il doit faire de la place aux autres, voir leur céder la place.

Être naturel suppose l’oubli de soi. Être naturel consiste à se débarrasser de tout ce qui nous empêche d’être naturel. C’est le contraire du naturel animal, c’est une perfection difficile à acquérir. Les jeunes mariés ont encore beaucoup à faire pour devenir naturels et les mariés et les plus âgés ont trop souvent encore plus à faire pour atteindre cet état idéal qui n’a rien à voir avec le naturel de la nature.