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10/08/2014

Sur la corniche Kennedy à Marseille

14-08-03 Corniche Marseille1.jpgAujourd’hui, je ne cours pas. Je regarde les autres courir le long de la mer sur cette corniche où veillent des villas grandioses aux côtés de petites maisons fermées. Et ils passent, les coureurs de tous poils, transpirant, s’épongeant, buvant de l’eau ou toute autre boisson énergisante. Nombreux sont ceux qui courent petitement, les coudes au corps, le buste droit comme un I, le regard lointain perdu  dans leur propre contemplation, en échauffement permanent devant l’immobilisme d’une mer plate, sans vague, juste un frémissement  et scintillement d’une surface bleue.

Beaucoup de femmes et d’hommes courent, bardées de fils, aux oreilles (on ne court pas sans musique bruyante!), aux poignets (combien de pas fait-on en cent mètres?), parfois au bas du sein gauche (quelles pulsations par minute ?), le plus souvent, il est vrai, au bras gauche (le droit étant trop noble pour s’accoutrer ainsi), une petite télévision. Que dit leur petit écran ? J’ai beau tenter de savoir, rien n’apparaît. Blanc comme neige. Pourtant il enregistre les foulées, les battements du cœur, le rythme de la respiration, l’arthrose de la hanche droite, la faiblesse du pied gauche (oui, l’égalité des pas n’est la même), tout ce qui fait un homme ou une femme au corps sain parce que sachant ce qui s’y passe.

Les femmes agitent leur queue de cheval, désinvoltes, courant moderato, regardant autour d’elles, semblant dire : « Regardez ma brelle silhouette, mais ne la suivez pas ! » Et elles poursuivent, longilignes sous le soleil, telles des étoiles filantes. En voici une, toujours queue de cheval flottante, de rouge vêtue, une bouteille (petite) d’eau dans chaque main, toujours des fils aux oreilles comme un prolongement d’elle-même. Elle court petitement, mais sûre d’elle. Ah, celle-ci marche, un peu trop enveloppée pour courir. Mais elle marche comme un bulldozer et l’on s’écarte sur son passage. Rien ne saurait la faire dévier. Et celle-ci dont la queue de cheval revêt l’aspect d’un plumet triomphant semblant dire : « Ralliez-vous à mon panache noir ».

Entre cette union féminine contre l’embonpoint, courent les hommes. A chacun sa manière de courir. Lui, concentré sur lui-même, la tête dans les épaules, est un automate des petits pas, légers cependant, mais suspendus à son écoute de soi, le regard vague, courant sans savoir qu’il court. Tap, tap, tap, tap… Le bruit des chaussures de sport tapant du plat le macadam. Oui, cette fois-ci c’est un inhabituel du jogging. Il passe tel un ours, la jambe raide, les épaules figées, semblant souffrir le martyre. Mais il poursuit inexorablement, la volonté bloquée, malgré le fait qu’il est doublé par de jeunes élites en mal de transpiration. En voici un, volant sur le bitume, à la foulée légère, le maillot dégoulinant, sûr de sa sveltesse et de sa morgue non exprimée. Un vieil homme, très digne, très bien fait, courant en habitué, me faisant un petit clin d’œil au passage, parfait d’élégance non recherchée, zigzagant entre les piétons, humains la chair flasque, marchant à pas poussifs et déjà essoufflés.

Quelle belle fraternité que celle des joggeurs, tels un troupeau de jeunes poulains courant dans un pré fleuri comme dans un tableau naïf, la casquette sur la tête. « La France en marche » pourrait dire un slogan politique conçu par des gens n’ayant jamais couru et ne rêvant que d’une chose, qu’elle ne marche pas trop vite pour conserver leurs privilèges, celui des publicistes médiatiques faisant la pluie plutôt que le beau temps.

Au loin, derrière l’horizontalité de l’eau, les îles blanches, couvertes de crème solaire étirent leurs membres. Le château d’If leur fait une tête renfrognée et résolue, au-delà du cou fluet, le corps des îles se poursuit par les deux seins aux pointes bien visibles, l’un d’une tour, l’autre d’une antenne. Ces îles ont du poil sur le nombril, mais restent imperturbables au passage des voiliers qui les contemplent. Immobiles, elles semblent mortes, terrassées par l’histoire, la chaleur et la nonchalance des passants qui les regardent de la corniche sans les voir.

Les hommes courent derrière les femmes. Les femmes agitent toujours leur queue de cheval. Jusqu’où vont-ils ? Nul ne le sait. Mais… Ils y vont, et vite…

09/08/2014

Au-delà du moi

Celui qui, regardant en lui-même n’y trouvera qu’obscurité, mécontentement, faiblesse et vanité ne doit pas traduire sa déception par un scepticisme amer. Qu’il regarde toujours plus moins, toujours plus profond en lui, jusqu’à ce qu’il perçoive à de faibles signes de souffle léger qui naît de la sérénité renaissante. Qu’il les recueille pieusement, ces signes, car ils prendront vie, grandiront et se changeront en hautes pensées qui franchiront le seuil de son esprit comme des missionnaires célestes annonciateurs d’une voix qui viendra plus tard, la voix d’un être caché, mystérieux qui habite au centre de son être et n’est autre chose que son moi originel.

(Paul Brunton, L’Inde secrète, Payot, 1983, p.308)

 

La recherche de ce Moi originel, appelé également Soi, au-delà du moi, est en Inde un besoin et une tradition. Tradition des hommes qui se dédie à cette recherche à un moment de leur vie ou toute leur vie. Besoin, intérieur et profond, qui taraude l’esprit et le corps et non simplement le cœur et l’intellect comme en Occident. Et quoi de plus simple et de plus naturel que de s’assoir et d’entrer en soi-même.

Alors commence la bataille : comment apaiser, dans un premier temps, la multitude de pensées diverses qui envahissent le cerveau. Oui, on s’en doute, elles empêchent la voix de se faire entendre. Mais comment les arrêter ? Chaque jour reprend à zéro son travail d’élagage. Toutes les pensées repoussent dans la journée. Les examiner chaque soir jusqu’à s’endormir en ayant évacué les impressions du jour. Chaque matin, les empêcher de revenir par la méditation.

Un jour vient où elles se taisent. Mais il reste toujours notre propre voix qui, ayant pris de la hauteur, domine notre univers intérieur et lui impose le silence. Elle parle et c’est toujours moi qui parle. Elle est coriace, elle ne cesse de s’imposer, d’autant plus qu’elle est fière d’avoir vaincu le bruit cosmique. Mais il peut vous arriver à certains moments de trouver le silence total, cette paix merveilleuse et enchanteresse qui donne à votre âme la dimension de l’univers. Vous vous êtes oublié vous-même et cet oubli devient évasion. Vous ne vous contemplez plus, détaché de vos propres actions comme auparavant. Non. Vous n’êtes plus ce moi qui toujours vous accompagne. Vous êtes libre, totalement. Vous n’avez même plus à secouer vos vêtements, votre propre corps ou même encore vos pensées. Tout cela est parti en fumée, envolé, et vous êtes libre. Le Soi est là, à portée de main, vous le savez, mais vous ne savez ni qui il est ni ce qu’il est. Mais qu’il est bon d’être englobé d’une telle nébuleuse qui vous accompagne un bout de chemin. Vous n’êtes plus Monsieur ou Madame Untel, vous êtes la vie.

08/08/2014

Matinée

Tel l’oiseau survolant lentement les plus hauts pics
Il flottait entre deux litotes, encouragé
Par le chant des perroquets et leurs cris archaïques
Et bâtissait ses vers en comptant d’un doigt agile

Dieu qu’elle est jolie cette petite endiablée
Elle courre d’un pas enchanté sur les cailloux
Et montre ses jupons au passant attentionné
Sans gène ni remord, en dansant le guilledou

Et cette enchanteresse matinée s’écoule
A petits pas menus et sous le vent qui soule
Jusqu’à ce que sonnent les douze coups de midi

Que ces jours sont bons, baignés d’un soleil fulgurant
Ils s’étirent joliment sur le bleu des événements
Et gardent en souvenir leur tendre alibis

© Loup Francart

07/08/2014

Pluie, roman de Kirsty Gunn (Christian Bourgois éditeur, 1996)

L’eau avant tout, l’eau d’un lac qui dans ce coin a une odeur de rivière, puis la solitude de deux enfants, l’absence des parents, fêtards et négligents, la maturité de la fillette, l’amour qu’elle porte à son petit frère dont elle 14-07-31 Pluie.jpgest la vraie mère. Ce n’est pas une histoire avec un commencement, des épisodes et un dénouement. Non, c’est un étirement de la surface du lac, quelques rides à sa surface, une pierre lancée par Jim Little, et le retour au calme comme ces nuits où ils se réfugient près du lac sans que le moindre adulte s’en soucie. Le roman coule comme de l’eau, au rythme poétique des sensations et des descriptions de Janey, la fillette, qui observe, constate, juge parfois, tout cela avec impartialité, sans référence morale. Maman est belle, d’une beauté remarquable et remarquée. Papa est à ses genoux, esclave et heureux de l’être. Les invités, tous les soirs, s’amusent, jouent aux cartes, dansent, boivent beaucoup.

Nuit après nuit, les mêmes gens se mêlent et s’entremêlent dans les remous ; il s’agit là de leur version du temps. Ils discutent et ils dansent, ils vont et viennent parmi leurs congénères, s’imaginant, à chacun de leurs déplacements qu’il y a quelque chose dans cette soirée qui va les transformer. Les femmes se maquillent, s’appliquent des touches de parfum en des endroits mystérieux. Les hommes assistent à cela  comme de jeunes animaux et le disque, sensuel, tourne et brûle dans son sillon. (C’mon, baby… You know I love you…). J’imagine les frotti-frotta qu’ils doivent pratiquer ensemble ces maris et ces femmes, tant d’espoirs évaporés dans la nuit.

Maman tarde à aller se coucher. Elle respire la nuit, puis, enfin, se couche pour ne se réveiller que très tard. C’était bizarre, mes parents se satisfaisaient de leur pelouse jaune, de leurs fauteuils tachés. Mon petit frère et moi avions un lac entier en guise de terrain de jeux, mais eux ne bougeaient, ils restaient là, près de la maison, allongés comme des cadavres sur leurs lits de repos cassés. Un drôle de spectacle à offrir à des enfants, à la fois splendide et décadent ! Il y avait le corps de notre mère, tout luisant d’huile, bronzé absolument de partout, magnifique d’élégance à côté de notre pauvre père, tout couvert de croûtes. Il n’avait jamais supporté le soleil.

Alors les enfants vivent leur vie. Janey chérie son frère. C’était toujours moi qu’il réclamait à grands cris, mais c’était la soie de ses cheveux à elle qui lui effleurait le visage quand elle s’inclinait au-dessus de son lit la nuit. « Chhh… » Légère comme un souffle, elle l’embrassait pour lui dire bonne nuit, sa propre mère. « Chhh… » Qui étais-je à côté d’elle ? Qui étais-je pour encourager si pleinement cet enfant dans sa conviction que je pouvais le protéger, quand je n’étais moi-même qu’une gamine au ventre bombé ?

Et le rêve tourne au cauchemar. On ne sait exactement ce qui se passe, on ne fait que deviner qu’il s’agit de Jim. Le récit se concentre sur la tentative que fait Janey d’une respiration artificielle. Que deviennent-ils ? Vont-ils au bout de leur rêve ou de leur cauchemar ? Nul ne le sait. Ils s’évanouissent de ce rêve éveillé et se perdent dans l’histoire du monde. Je me souviens comme, il y a longtemps, mon petit frère et moi sortions toujours dans la pluie d’été. Nous disparaissions ou nous revenions, je ne sais plus. Nous entrions dans l’eau. Là-bas au lac, la pluie était tellement douce. C’était une étoffe légère, un rideau transparent de gris et d’argent, pareil aux voiles des vaisseaux fantômes, arachnéen. Il y avait des nuages dans la pluie, des brumes blanches qui s’élevaient du lac si bien que l’eau s’amalgamait à l’air comme si elle y vivait. (…)

Rien d’autre n’existait à cette époque que ces deux enfants. Regardez-les. Ils sont deux et ils ont toute la plage pour eux, la blancheur des nuages et de l’eau qui tourbillonne à leurs pieds tandis qu’ils dansent en rond à l’infini… A chaque tour qu’ils font ils rapetissent, ils s’éloignent, ils rapetissent de plus en plus dans le lointain jusqu’à ce qu’on ne puisse plus les voir du tout.

06/08/2014

Bains de mer

Retour en Méditerranée et ses plages chaudes après de nombreuses vacances en d’autres lieux.

Première impression : le bruit, un bruit confus fait d’abord, comme sur tous les bords de mer, du Fraooo…om, Fraaa…am des vagues venant faire leur dernière révérence à vos pieds. Il emplit vos oreilles de son bercement chaotique, incessant, fractionné. Vous ne l’entendez plus, mais il est là, permanent, comme du poil à gratter sous votre chemise. Il faut changer de lieu comme il faut changer de chemise pour s’en débarrasser.  Puis les cris aigus des enfants. Que disent-ils ? Peu importe. Ils crient, et comme le bruit alentour est constant, ils rajoutent quelques décibels à leur manière habituelle de s’exprimer. Cela signifie qu’ils s’amusent. Enfin, les conversations d’adultes, plus douces certes, réservées au cercle des proches dont vous profitez obligatoirement étant à très faible distance de tout un chacun. Madame qui raconte que l’autre jour son petit s’est fait piquer le pied en entrant dans l’eau. Monsieur qui explique qu’il a vu, également sous l’eau, un poisson d’au-moins soixante-dix centimètres. Il était énaurme ! Et ses proches le regardent, peu convaincus, mais n’osant pas le contredire. Le jeune homme qui raconte son ascension du Mont Blanc un jour d’orage et la fille qui lui demande s’il n’a pas eu peur. Le vieillard qui demande à tous ses voisins s’ils n’ont pas vu une petite fille au maillot vert. Tous ces bruits, conversations, manifestations de joie, vous font penser au métro. Pas celui de Paris où les gens ne parlent pas et remâchent leurs problèmes en eux-mêmes, le visage fermé ; mais celui de Rome, où les conversations vont bon train et vous laissent cois.

Deuxième impression : le mouvement qui envahit vos yeux comme le bruit agresse votre ouïe. Certes, le mouvement, faible, des vagues qui viennent arracher quelques grains de sable sous vos pieds, mais surtout cette impression de désordre indescriptible, chacun ne pensant et n’agissant que pour lui-même (mais y pense-t-il ?). Un tableau cubiste de jambes en perpétuel mouvement, de bras s’étendant, de pieds écrasant le sable, de cheveux volant sous la brise, de postérieurs s’enfuyant. Curieux que ces gens qui viennent chercher le repos en vacances, ne cessent de bouger, sauter, se retourner face au soleil comme le fait la saucisse posée sur la grille du barbecue.

Troisième impression : la couleur ou plutôt les couleurs, sans ordre, sans organisation, mêlées au mouvement. Un véritable caléidoscope. Elles sont exacerbées par les rayons du soleil, attirent l’œil droit comme l’œil gauche. Votre regard ne sait plus où aller pour se reposer : serviettes de bain étendues sur lesquelles les humains sont assis, couchés, debout parfois, accrochés à leur île minuscule qui les protègent de l’envahissement ; maillots unis, à fleurs, rayés en longueur ou en largeur, d’autres comportant des nœuds sur les seins, sur le nombril, dans le dos (comment fait-elle pour faire un nœud aussi artistique dans son dos ?) ; bleu de l’eau couverte de têtes ; jaune de la plage que vous distinguez difficilement étant trop encombrée de corps. Un vrai cimetière urbain ! Vous admirez le maillot de Madame qui lui permet de cacher un embonpoint certain, le short serré sur les cuisses de l’adolescent qui gonfle ses pectoraux, l’élégance de l’absence de tissu sur de nombreuses parties du corps de la jeune femme. Enfin ces bouches rouges, roses, violacées de femmes commentant les faits et gestes de leur enfant, riant ne sachant pas pourquoi ou ouvertes de surprise sans émettre un son.

Bref, vous êtes au bord de l’eau… Mais cette proximité de la mer n’est-elle pas également proche de l’atmosphère parisienne, du métro, du stade, du zoo de Vincennes, de l’opéra, des berges de la Seine où passent les bateaux emplis de monde qui regardent ceux qui les regardent. Quel jeu de cache-cache ! Vous courrez en province pour vous retrouver dans la capitale, vous regardez ces gens qui vous regardent et vous n’avez rien d’autres à voir, à entendre, à toucher.

Le soir, rentré dans votre location (vous n’avez pas les moyens de vous acheter une maison que vous n’utiliserez qu’une fois l’an), soulé de bruits, de mouvements et de couleurs, vous affirmez : « L’an prochain, j’irai en montagne ! ».

05/08/2014

Vertu

Certains mots vieillissent, comme les humains. On s’en sert sans y prendre garde, et puis, un jour, quelqu’un rit : de quoi parle-t-il ? Oui, vous êtes décalé. Ce mot ne s’emploie plus, il est ringard. Ainsi en est-il de la vertu. Certes, l’expression de « femme de petite vertu » s’applique-t-elle toujours à certaines catégories de la gente féminine, mais comme ces catégories ont singulièrement augmentées ces dernières années en raison de la libération des mœurs, on ne l’utilise plus guère.

Sous les romains, la vertu était synonyme de force. Elle désignait le courage physique ou moral, la force d’âme, la vaillance. Son origine est dérivée de vir qui donna viril et virilité. D’après Caius Marius : « La vertu est la clef de voûte de l'empire (romain), faisant de chaque seconde de la vie du citoyen, une préparation minutieuse aux dures réalités de la guerre, et de chaque bataille rien d'autre qu'un sanglant entrainement ».

La vertu s’est ensuite déclinée en vertus cardinales qui sont le courage, la prudence, la tempérance et la justice, en vertus intellectuelles (la sagesse, la connaissance, l’humilité), en  vertus morales (la charité, la chasteté) ou même théologales (la foi, l’espérance et la charité). Mais comme ces déclinaisons nous semblent loin.

Les Romains étaient-ils aussi vertueux que nos politiques sont obstinés ? Les premiers flottaient dans leur image et montaient au plus haut des opinions, les seconds persistent et signent pour accumuler sièges et mandats. La vertu étant devenue un mot ringard, on lui cherche des équivalents. Celui qui semble le plus proche serait sans doute l’éthique. Ce mot fait plus sérieux, plus philosophique et moins moraliste. On en parle beaucoup, on la pratique peu. Elle est l’objet de débats et de colloques, mais sa pratique reste tiède. Pourquoi s’encombrer d’un moteur de quatre chevaux alors que la puissance se situe sans conteste du côté de la pratique des amitiés politiques. Pourtant la vertu politique, disait Robespierre, est un « sentiment sublime qui suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers ; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus : car sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices ? Et comment l'esclave de l'avarice et de l'ambition pourrait-il immoler son idole à la patrie ? ».

Au siècle précédent la vertu restait à l’honneur, mais de manière plus personnelle. Elle désignait une personne propre et devenait synonyme d’austérité. Les grandes figures morales devenaient  des hommes ou des femmes à principes, pratiquant la chasteté, la fidélité, l’honnêteté. Mais ces façades cachaient beaucoup d’hypocrisies.

La vertu existe-t-elle encore ? Oui, certes. L’utilisation de la locution en vertu de reste un pied de nez littéraire, une culbute des artistes de la parole comme des hommes de loi. Et lorsqu’elle est employée dans la formule magique en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, on atteint le fond de l’hypocrisie politique. Cependant, la vertu républicaine est remise à la mode, mais une mode fantoche.

Le mot vieilli. Et pourtant, n’est-elle pas belle cette qualification de vertueux ? Elle me fait penser immanquablement à la personne qui s’enduit de crème transparente pour errer dans le monde et se glisser entre les colères et autres luttes sociales, au-dessus du lot et des foules.

Aussi, je m’interroge : quelle est ma vertu première ? Je n’ai pas encore trouvé.

04/08/2014

Matin

Bleu et vert et or, tout s’embrase
L’astre monte dans un ciel gris
Pour apporter la couleur du matin
Lentement la brise survole
Les massifs obscurs qui effrayent
Et bientôt le disque clair apparaît
Entre les chênes dont seul le toit
Est pourvu de feuilles maigres
L’oiseau bavard picore sur le seuil
Il étire son ver pour mieux le gober
Puis s’envole en riant fortement
Comme un enfant malin et sournois
Tout dort encore, rien ne pérore
Les grandes jambes de nos voisines
Ne cousent pas les kilomètres
Et reposent allongées telles des potiches
Elles ont dansé toute la nuit
Et courut à quatre sur la plage
Leur douceur fait rêver les cœurs
Et enflamment le bouillonnement
Des corps jeunes et altiers
Tout s’éclaircit, se pare de lumière
S’arrondit de bien-être
Se courbe de suffisance
Devant la bienfaisante aurore
Qui redonne la vie éblouissante
A un monde encore endormi
Mais prêt à éveiller ses papilles
Devant l’éclat du dieu soleil
Qui chatouille l’œil ouvert

Célébrons ensemble la fête
Toujours renouvelée
De l’espérance d’un jour nouveau
Où les humains se découvrent
Et saluent d’un recueillement joyeux
La montée de la lumière

© Loup Francart