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07/07/2016

Le nombre manquant (29)

– Oui, orez pour ce dernier ajout à votre sculpture, ajouta le professeur Mariani. Vous ne pouvez terminer votre œuvre sur un zéro ! Elle s’écroulerait dès sa mise en place définitive. Elle doit être fermée par un orez qui lui donnera la puissance et la beauté de l’univers. L’orez est le contraire du zéro. Le zéro n’est rien, l’orez est tout, au-delà du monde visible et matériel. Il est assimilable à l’Un (la gangue de conception de la matière, l’atome initial) plus l’infini qui n’est qu’une possibilité du monde matériel.

Tous, nous regardions le professeur. Son visage exalté montrait sa tension intérieure. Il ressemblait à un dieu, légèrement illuminé par la forge où le verre en fusion attendait. Il faisait chaud, les gouttes de transpiration tombaient de son front. Il dut sortir un mouchoir de sa poche et essuyer ses lunettes. Je jubilais. Il s’était trahi, volontairement ou non, et m’avait livré involontairement une des clés de notre recherche. Je savais maintenant que c’était bien lui qui avait modifié notre base de données. Mais il ne l’avait pas fait de manière antagoniste. Non, il avait modifié le zéro pour nous donner une piste de réflexion importante et nous faire progresser. J’admirais son humilité et la candeur avec laquelle il cachait son jeu. Mais tout cela était-il vrai ou s’agissait-il d’une comédie qu’il jouerait dans un autre but ?

L’assemblée choisit de se taire et de faire comme si le professeur n’avait rien dit. Un artiste présent posa une question technique à laquelle le sculpteur répondit et les paroles du professeur furent oubliées par la plupart des participants. Pourtant, elle marquait l’ouverture d’une nouvelle ère, la création d’un chiffre nouveau dont il fallait maintenant justifier l’existence. Je laissais se terminer les présentations des œuvres et au moment où je devais remercier le professeur, je lui glissais à voix basse mon désir de le revoir à propos de l’orez. Son œil s’alluma, il me regarda d’une manière étrange et murmura :

– Quand vous voulez. Disons demain, à 18 heures, au bar Fontana di trevi.

Je lui serrais la main sans rien pouvoir ajouter, car il était déjà accaparé par une couple qui venait le saluer. Je sortis et me précipitais à l’hôtel pour expliquer à Claire ce que j’avais appris. Nous décidâmes d’aller ensemble au rendez-vous. Il comprendrait alors que Claire n’était pas une véritable secrétaire, mais cela le contraindrait à s’impliquer plus dans une conversation de fond et surtout à expliciter le rôle de sa confrérie. Nous décidâmes cependant de téléphoner à nos deux compagnons restés à Paris et de leur demander leur avis. Ceux-ci n’étaient pas unanimes. Mathias se ralliait à notre point de vue, mais Vincent restait réticent : « Et si tout cela était une comédie de sa part pour nous faire parler et nous contraindre à dévoiler nos recherches ! » Le risque subsistait, mais comment le lever ?

– D’accord, ajouta Vincent, parlez-lui, mais ne dévoilez pas notre groupe. Dites simplement que vous travaillez sur la compréhension des aspects physiques et spirituels de la cosmologie. Vous pouvez lui dire que nous savons que c’est lui qui a modifié notre base de données, mais ne lui dites pas comment et qui.

02/07/2016

Le nombre manquant (28)

Quelques jours plus tard, nous reçûmes de Paris un mail : « Monsieur Lorenzo Caramelis est cosmologiste. Il a obtenu son diplôme en astronomie à l’université de Padoue. Il travaille sur la modélisation des formations d’amas de galaxies. C’est un homme passionné par l’évolution de l’univers et, évidemment, des galaxies. Madame Maria Pietri est philosophe et s’intéresse à la notion d’infini dans la pensée métaphysique et à la distinction entre l’infini, qui se dit de Dieu, et l’indéfini qui désigne quelque chose dont on ne peut prouver les bornes. Il semble que le groupe du professeur Mariani ait des préoccupations assez semblables aux nôtres. Il faut que vous déterminiez pourquoi, quitte à vous dévoiler quelque peu ».

Nous avions le feu vert du groupe, à nous de jouer ! Ce n’était pas évident. Quelles allaient être les réactions du professeur ? Serait-il coopératif ou, au contraire, s’opposerait-il à toutes idées d’entente ? Difficile à dire. Peut-être serait-il bon de savoir comment, face à un cas assez similaire dans la méthode, mais très différente concernant le sujet, il réagirait. Nous convenons que ce ne serait pas Claire, mais moi-même, qui essayerait d’obtenir l’information. Elle était trop proche du professeur et il aurait immédiatement une impression d’espionnage. Mais comment s’y prendre ?

J’eus l’idée de me présenter comme délégué d’une agence en communication venant de Paris pour promouvoir l’action de la France dans l’art contemporain auprès des habitants et touristes de Rome. L’objet était peu en rapport avec nos préoccupations et celle du professeur, mais étant en charge des pensionnaires, il ne pouvait échapper à ce genre de sollicitation. Il s’agissait de faire connaissance avec les artistes résidents et de rechercher quelles pourraient être les actions de promotion qu’on pourrait entreprendre. Le professeur nous accompagnerait dans nos démarches auprès de ceux-ci, ce qui me permettrait de faire connaissance et de tester sa capacité d’ouverture. Ma première rencontre fut fructueuse, le professeur s’avérait plus coopératif que je le pensais. Après la présentation des artistes résidents, il fit part de nombreuses idées concernant les relations avec la ville de Rome, puis également d’une promotion avec une certaine Confrérie de l’Infinitude. Il avait en effet remarqué qu’un des résidents travaillait d’une manière très particulièrement sur des sortes de montres tableaux qui se portaient au poignet. Il peignait avec une loupe d’horloger, au millimètre près et avait dénommé sa technique « peinture de l’infinitésimal ». Il prétendait que certains membres de la confrérie pourrait l’aider à promouvoir ses travaux, voire à lui en commander. Ainsi le professeur s’avérait prêt à aider quiconque en faisant appel à sa confrérie. Un autre résident lui montra ses travaux. C’étaient de véritables sculptures de chiffres entremêlées qui formaient des équations difformes, mais réelles et qui donc signifiaient un ordre préétabli. Ces objets se suspendaient au plafond, formant des lustres dont la lumière douce irradiait la salle et inclinait à la réflexion. Il montra celui qu’il réalisait. Les chiffres étaient en verre et soufflés à l’aide d’un tube creux. A chaque ajout d’un chiffre, il fallait chauffer l’ensemble, pas trop pour ne pas le déformer, découper l’endroit d’insertion du nouveau chiffre et réaliser avec soin l’assemblage. Le garçon expliquait comment il allait introduire un zéro au sein de la masse assemblée lorsque le professeur lui dit : « Non, pas zéro, orez ! » Discrètement, les résidents se regardèrent, semblant se dire « Mais de quoi nous parle-t-il ? »

27/06/2016

Le nombre manquant (27)

Un vieil homme prit la parole. Il semblait fatigué, mais restait très organisé dans sa tête, l’œil brillant et malicieux.

– Je souhaite tout d’abord rappeler que l’infini ne peut exister que parce que le fini s’est manifesté et existe. Celui-ci est notre réalité et est dénombrable. Ce qui est plus surprenant, c’est que l’homme ait inventé le zéro avant la notion d’infini. Je rappelle que tous les systèmes de numération commencent au un : une existence est au moins une et constitue une unité. Les autres nombres sont composés d’unités. D’ailleurs, pour les Grecs, le un n’était pas un nombre, mais ce par quoi le nombre est. Euclide énonce qu’un nombre est la multitude composée d’unités. C’est pour cette raison que le zéro n’est apparu que beaucoup plus tard. Le nombre étant fait d’unités, on ne pouvait concevoir le calcul qu’à partir de l’existant et non de l’inexistant. Le zéro n’a d’abord été qu’un signe permettant une notation de chiffres élevés ; puis il est devenu un chiffre, puis, enfin, un nombre, le nombre nul qui est le résultat de la soustraction d’un entier d’avec lui-même.

– Avant de poursuivre l’histoire des nombres, je souhaiterai intervenir, dit un petit homme presque chauve avec de petites lunettes rondes, faisant penser au visage de Gandhi, mais vêtu d’un complet du dernier chic. Notre président a parlé de l’infinitude et non de l’infini, c’est-à-dire de qualitatif plutôt que de quantitatif. Il me semble que nous sommes là, avec les systèmes de numération, exclusivement dans le quantitatif.

– Mais mon cher, êtes-vous capable de savoir quand vous passez de l’un à l’autre et comment ? Y a-t-il un langage spécifique à la qualité qui s’oppose à la quantité ?

C’était une femme dans la cinquantaine qui avait parlé, un peu agacée par cette intervention qui n’apportait rien de constructif. Elle semblait convaincue qu’il était nécessaire d’aborder le problème du rien pour comprendre celui du tout et au-delà.

Claire, au cours de cette diversion, se dit que tout ce qui était évoqué ici ressemblait quelque peu à ce que leur groupe avait lui-même examiné. S’agissait-il d’un groupe qui pourrait constituer soit un atout, soit une concurrence, soit même, éventuellement, un adversaire ? Le petit homme chauve reprit la parole :

– Je reconnais qu’il y a là matière à ne pas trop s’étendre. Cependant, le zéro est également un chiffre qui fait passer du positif au négatif. Et l’on peut, pourquoi pas, imaginer un infini positif se résumant au toujours plus grand, à un infini négatif, toujours plus petit. On pourrait alors penser que cela conduit au zéro. Eh bien, non !

Le vieil homme qui avait résumé l’histoire de l’unité et de la multiplicité, ajouta :

– c’est bien ce que je voulais souligner. Le zéro n’est pas un simple signe de nullité ou d’inexistence. Il a une magie propre qui permet d’aller au-delà de la simple numération et de passer aux fractions et à l’algèbre. Quant à l’infini, Aristote explique que l’infini n’est lié qu’à la quantité, qu'il doit être défini, s’il existe, et qu’enfin il ne peut être appréhendé comme une totalité, donc il lui est impossible d’exister en acte. Il n’existe qu’en puissance.

– Oui, l’infini pourrait se définir comme un lieu qui s’éloigne dès que l’on s’en approche. Il ne peut exister comme une chose bien définie. S’il était en acte, comme c’est également un nombre, il serait à la fois pair et impair, divisible et indivisible.

– Ce raisonnement semble vrai, mais Richard Dedekind et Georg Cantor, deux mathématiciens allemands, ont démontré l’existence d’un infini en acte. Ne me demandez pas comment, j’en serai incapable. Mais ce qui est sûr, c’est que personne ne conteste cette découverte. Cantor alla jusqu’à même prétendre qu’il existe une infinité d’infinis et il invente les nombres transfinis disant par-là que la numéricité est une condition nécessaire de l’infinité.

Claire buvait ces paroles. Elle se sentait en étroite liaison avec cet homme qui expliquait de manière simple ces concepts déconcertants. Lorsqu’il termina, elle faillit applaudir, mais, grâce au ciel, elle se rappela pourquoi elle était là et reprit son travail de secrétaire, une secrétaire particulièrement attentive à ce qui se disait. Elle commença à se demander ce qu’elle devait faire, parler au maître de leurs propres recherches ou ne rien dire quitte à laisser s’échapper une coopération possible. Elle décida finalement de m’en parler.

La soirée se poursuivit dans la même facture, questions et réponses se succédèrent. On parla de la numération de position et de l’emploi du zéro, de la numération binaire, du 60, nombre très divisible. On parla peu cependant de l’infini que l’on opposa au zéro. Le sujet de la réunion tel que l’avait annoncé le professeur ne fut que très, très partiellement traité. Comme l’avait dit l’homme qui ressemblait à Gandhi, on s’intéressa plus au quantitatif qu’au qualitatif. Visiblement, le groupe réuni ici n’était pas plus avancé que le nôtre sur ce sujet. Au retour, le maître s’endormit dans la voiture, laissant Claire à ses interrogations.

Elle me fit part le lendemain ce cette soirée et me demanda ce que nous devions ou pouvions faire : nous dévoiler ou ne rien dire et attendre ? Nous savions ce que le professeur faisait, mais nous ne savions pas pourquoi. Lui, par contre, ne savait pas que nous savions. Au cours de la réunion, il n’avait pas parlé de notre existence. Il semblait ignorer tout rapport entre ce que nous avions mis dans notre base de données et la présence de Claire auprès de lui. Devions-nous en discuter avec nos deux collègues à Paris ? Probablement. Mais qu’avions-nous à dire sur les intentions du professeur ? Claire  transcrit ses notes dans un rapport de plusieurs pages qu’elle remit le lendemain au professeur. Celui-ci la remercia sommairement, semblant y attacher peu d’importance. Il lui demanda d’en faire des photocopies et donna les adresses de chaque participant pour qu’elle leur envoie. Il semblait lui faire entièrement confiance. Ces adresses furent envoyées à nos deux comparses restés à Paris en leur demandant de se renseigner sur leurs propriétaires.

26/06/2016

Le nombre manquant (26)

Ils durent s’organiser. Ils décidèrent qu’une surveillance était maintenant plus utile à la villa qu’à la bibliothèque du Vatican. Claire se présenta à une annonce recrutant une secrétaire. Elle fut embauchée et eut la chance de se retrouver dans l’équipe du professeur Mariani qui n’était autre que le vieillard entrevu à Paris, puis à Rome. Que faisait-il ? Il fallait le découvrir derrière ses occupations courantes et connues. Apparemment, il était en charge des pensionnaires et de l’étude des religions. On peut légitimement se demander ce que l’étude des religions avait à faire avec la villa Médicis, mais c’était ainsi et cela ne gênait personne. Très vite, Claire fut vite au fait des activités du professeur Mariani : matinée consacrée à l’administration de pensionnaires, après-midi plus vague, voire très vague, passée en promenades, visites, réflexions, enseignement. Huit jours plus tard, rien ne transparaissait d’autres types d’activités. Claire se lassait de jouer la secrétaire de direction, gérant les horaires et les rendez-vous. Je me promenais dans Rome sans toutefois pouvoir en apprécier véritablement le charme, étant préoccupé par ce qui nous avait amené là. Je suis même retourné à la bibliothèque du Vatican pour trouver de nouveaux indices ou compléments à notre recherche.

Un soir Claire ne rentra pas à son heure habituelle. Je me dis qu’elle avait dû faire quelque course et qu’elle allait surgir d’un moment à l’autre. Mais les heures passèrent, huit heures, dix heures, minuit, toujours rien. Je m’inquiétais, puis finis par m’endormir dans un fauteuil. A trois heures, elle arriva et me réveilla, excité. Elle avait enfin percé le secret du professeur Mariani. Il avait bien une double vie, enfin, presque. En fin d’après-midi, au moment de partir, Mariani demanda à Claire si elle pouvait rester, car il avait une mission à lui confier : pouvait-elle l’accompagner à une réunion où il lui faudrait prendre des notes et en faire un condensé à lui remettre le lendemain. Notre amie n’eut aucune peine à acquiescer à cette demande. Le professeur semblait satisfait de sa bonne volonté et ils partirent en voiture vers le quartier de Trastevere. Malheureusement, Claire ne connaissait pas suffisamment Rome pour pouvoir retrouver la maison devant laquelle ils s’arrêtèrent. Ils descendirent quelques marches et sonnèrent à une porte cochère. Une jeune fille vint leur ouvrir et, sans un mot, ils la suivirent, traversant un jardin assez sobre, puis pénétrèrent dans une maison. Ils descendirent un escalier assez raide et se retrouvèrent dans une sorte de loggia donnant sur le Tibre. Une dizaine de personnes étaient là, semblant les attendre. Chacune d’entre elles saluèrent le professeur en l’appelant maître. Celui-ci expliqua la présence de Claire, ce qui parut tranquilliser certains. Ils s’installèrent autour d’une table, Claire assise à la gauche du maître. Elle sortit son ordinateur et annonça qu’elle était prête à transcrire ce qui se dirait.

– Mesdames, Messieurs, commença le professeur Mariani, vous connaissez les règles de notre confrérie : ne parler qu’exclusivement du sujet que nous traitons. Aujourd’hui nous allons parler d’un fait singulier : l’infinitude de la création. Avant de vous céder la parole, je souhaite simplement expliciter ce titre de façon à éviter toute incompréhension. Vous savez comme moi que l’infinitude est la qualité de ce qui est infini. Elle se rapporte au qualitatif plutôt qu’au quantitatif. La création serait donc infinie et non un phénomène fini comme on l'a longtemps cru. Cependant, en allant plus loin, parle-t-on d’infini spatial, d’infini temporel ou d’infini conceptuel, voire même d’infini spirituel. Cela mérite une discussion que je vous prie de commencer.

– Merci, monsieur le Président, dit un des messieurs assis à la table. Cette introduction n’est pas négligeable et nous nous efforcerons de rester cadrés dans le sujet que vous nous avez aimablement décrit. J’ai bien noté la différenciation que vous faites des différentes compréhensions que l’on peut avoir de l’infini. On peut s’interroger sur l’infini spatial. Est-il semblable à l’infini temporel. L’un peut-il exister sans l’autre ? Probablement pas d’après Einstein, le cadre espace-temps étant indissociable. Mais j’accepte volontiers les différences entre les infinis matériel (Einstein entendait également la matière dans son continuum), conceptuel et l’infini spirituel.

Claire observait cet homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants, un beau port de tête et un costume savamment repassé, apparemment riche, mais sympathique. Elle observa également les autres comparses autour de la table. Chacun semblait avoir des qualités et des manques différents. Une seule jeune femme se tenait légèrement sur sa droite, l’œil vif, la chevelure coiffée un peu à la garçonne, mais néanmoins sage. Elle sembla vouloir dire quelque chose, mais se retint.

21/06/2016

Le nombre manquant (25)

Le lendemain, j’étais dans l’avion pour Rome à côté de Claire et nous nous demandions ce que nous allions découvrir. C’était assez exaltant, mais également un peu angoissant. Nous trouvâmes un petit hôtel pas trop loin du Vatican, passâmes une bonne nuit et nous présentâmes dès neuf heures à la bibliothèque. Nous nous inscrivîmes auprès de la secrétaire en précisant, dans la rubrique objet d’étude, des recherches concernant les mathématiques et la cosmologie. Elle nous décrivit l’organisation de la bibliothèque et l’emploi de la base de données, nous remercia de nos inscriptions et nous laissa seuls. Faisant semblant de chercher un livre spécifique, nous nous trouvâmes bientôt devant l’ordinateur, sans toutefois lui prodiguer un intérêt excessif. Nous nous installâmes à une table voisine, pourvu de livres que nous faisions semblant d’étudier et qui suscitait de notre part de nombreuses notes écrites. La journée passa. Deux ou trois habitués vinrent se servir de l’ordinateur, mais juste quelques secondes, pour chercher une référence. La bibliothèque ferma sans que nous ayons vu le vieil homme. Durant la nuit, comme j’avais du mal à dormir, je pensais à tous ces événements et remarquai tout à coup que les interventions du pirate suivaient la mise en base de données de nouveaux documents. Mais oui, c’était bien cela ! Tant qu’on ne change pas nos données, il ne se passe rien, ce qui est compréhensible. Et les corrections n’ont bien sûr lieu que sur les nouvelles données. J’en parlai au petit déjeuner avec Claire qui acquiesça. Elle me dit que justement elle avait un texte à enregistrer. Elle l’envoya aussitôt et nous partîmes pour la bibliothèque. Je commençai la première permanence, Claire devait me rejoindre trois heures plus tard. Dix minutes avant son arrivée le vieil homme apparut. Il semblait fatigué, mais la tête toujours rayonnante. On voyait que le cerveau fonctionnait sans difficulté et qu’il savait ce qu’il faisait. Claire arriva à ce moment-là. Discrètement, je lui fis un signe des yeux qu’elle comprit immédiatement. Elle s’installa à la table en face moi et l’observa sans mot dire. Il sortit de sa poche de veste un papier et commença à taper ce qui semblait un code, car il allait sans cesse du texte au clavier, vérifiant la justesse de sa frappe. Il appuya sur entrée (enfin nous l’avons supposé !) et attendit quelques secondes avant de taper un court texte. Il prit soin de fermer patiemment  les portes de la base de données, puis remis l’ordinateur dans sa configuration d’attente. Nous avions convenu avec Claire de ne pas l’interpeler, mais de le suivre de façon à connaître son environnement. Nous profitâmes de notre présence simultanée pour nous distribuer les rôles de la filature. Claire le suivit jusqu’au moment où il se retourna. Je pris alors le relais laissant Claire disparaître dans la foule. Nous passâmes devant le château saint Ange, puis traversâmes le Tibre pour nous diriger vers la villa Médicis. Là, en jetant un dernier coup d’œil dehors, il entra. Claire me rejoint discrètement.

– Comment se fait-il qu’il entre dans l’académie de France ? me demande-t-elle.

– Il va falloir le découvrir, lui répondis-je.

20/06/2016

Le nombre manquant (24)

– Ça y est ! On va bientôt savoir qui c’est ! J’avais tendu un piège en intégrant vos derniers documents sur notre base de données. Eh bien, il a changé un nouveau mot. Zéro est bien toujours modifié et dénommé Orez, mais vous aviez évoqué l’antizéro. Il n’est pas appelé anti-orez.

– Dis-moi tout de suite comment il l’appelle.

– Eh bien, il ne l’appelle pas. Il le remplace par un zéro barré avec une barre horizontale au milieu, signe que l’ordinateur peut reproduire en tapant le zéro, puis en le barrant. Pour l’instant ce signe, ou peut-être pourrait-on dire ce chiffre, n’a pas de nom.

– et tu me dis que nous allons savoir de qui il s’agit ?

– Oui, bien sûr. Il y a une caméra installé dans la bibliothèque qui filme ceux qui utilisent l’ordinateur. Il suffit que Claire appelle son cousin et nous aurons le film, donc la tête et même plus de celui qui s’en est servi. Demande à Claire quand elle pourrait avoir la bande.

– D’ici une demi-journée maximum, répondit Claire. Il va nous être envoyé par Internet et nous pourrons la visualiser sans difficulté.

– Alors, c’est parti !

Ce ne fut que le lendemain matin que Claire reçut la bande. Elle eut le courage d’attendre que tous soient là pour ouvrir le paquet. Ce n’était qu’une petite clé USB qu’elle introduisit dans son ordinateur. Tous étaient les yeux rivés sur l’écran, sans mot dire, presque haletants. On voyait clairement l’ordinateur, la caméra était placé au trois-quarts avant et permettait de bien visualiser toute personne l’utilisant. On vit un petit vieillard s’avancer, s’installer tant bien que mal en face de l’ordinateur, et taper. Dès qu’il commença, ce fut magique. On le voyait réfléchir et taper, taper, taper, c’est-à-dire dicter ces ordres à la machine avec une célérité époustouflante. Il savait ce qu’il faisait et il le faisait bien. Mais ce n’était qu’un petit vieillard aux poils blancs, noueux, les sourcils broussailleux, une moustache fourni, les lunettes sur le nez. L’œil vif cependant, éclairé d’une lueur subtile, comme enfiévré. Un contraste saisissant entre le personnage et la personne. Quand il eut fini, il ramassa ses papiers, jeta un dernier coup d’œil à ses instructions, les envoya d’un clic, puis ferma l’ordinateur, redevenant le personnage falot qu’il semblait être. Rien ne l’avait distrait et il repartait maintenant le nez au vent, comme un vieillard inculte et dépassé.

– Mais qui donc est ce bonhomme ? s’exclama Mathias.

– Oui, c’est un drôle de personnage, constata Vincent.

– Malheureusement, cela ne nous apprend pas grand-chose, ajoutais-je. Qui est-il ? Pourquoi vient-il sur cet ordinateur ? Que cherche-t-il ? Aucune réponse à ces questions.

Enfin Claire réagit :

– Comment ? Vous avez exactement ce que vous avez demandé, l’image de celui qui modifie notre base de données et cela ne vous suffit pas. Vous ne pouvez tout avoir d’un coup. Votre patience est limitée. Prenons le temps, d’abord de réfléchir, puis d’agir.

– Réfléchir, oui, mais à quoi ? Qu’un vieillard anonyme se serve de cet ordinateur ne nous apprend rien, malheureusement.

– Vous voulez sans doute disposer d’une fiche de police qui vous dise son origine, ce qu’il fait, pourquoi il ne fait, quelles conséquences cela va avoir, etc. Il faut nous mettre en piste et tenter de récupérer ces informations à partir de ce que nous connaissons. Ce qui signifie dans un premier temps que l’un d’entre nous, ou deux, aille voir sur place et suive cet homme.

15/06/2016

Le nombre manquant (23)

Au retour de Claire, nous reprîmes nos travaux de recherche et de réflexion là où nous les avions laissés.

 – On peut se poser une autre question, m’annonça-elle. Le zéro signifie rien. Dans le monde matériel, rien signifie absence de matière. Or, et c’est l’’expérience qui nous le prouve, dans le monde matériel, il y a toujours de la matière. Seul le monde de la pensée est immatériel et donc n’en contient pas. On peut donc en conclure que le zéro n’est qu’une illusion de la pensée. Cela me rappelle les dessins inventés par l’artiste suédois Oscar Reutersvärd qui a découvert en 1934 l’impossible construction à trois chevrons et qui a ensuite multiplié cette forme d’illusion en augmentant ou en diminuant le nombre de chevrons.

– Oui, je crois que la Suède lui a consacré de nombreux timbres qui reprenaient cette découverte.

–  C’est vrai. Mais, cette amusante illusion fut redécouverte de manière mathématique par Roger Penrose qui en publie le dessin dans le British Journal of Psychology en 19581. Dénommée Triangle de Penrose, il ne peut exister que sous la forme d’un dessin en deux dimensions. Il représente un objet solide, fait de trois poutres carrées s’entrecroisant. Il a étendu l’idée à d’autres polygones, le carré, le pentagone, l’hexagone, mais l’effet d’optique n’est pas aussi frappant. Un autre peintre, ou plutôt un graveur, Maurits Cornelis Escher, a ensuite, de manière très original, exploité ces découvertes.

–  J’ai vu une exposition de ses œuvres, remarquais-je. C’était extraordinaire. Je me souviens d’une gravure de 1961 dénommé La cascade où l’eau coule et remonte la pente pour à nouveau retomber de manière si vraisemblable qu’il faut y regarder à deux fois pour comprendre qu’il ne s’agit que d’une illusion.

–  Eh bien, ne peut-on pas penser que le zéro est également une illusion de la pensée qui n’a rien à voir avec le monde matériel ? Il n’existe pas et n’est que la frontière entre la matière et l’antimatière. Le zéro n’existe que dans la pensée et est certes un bel objet conceptuel, mais l’avez-vous vu dans la nature ?

–  C’est vrai, mais n’oublie pas qu’il est également le point qui permet de passer des nombres positifs aux nombres négatifs et que tout cela est parfaitement logique et démontré.

–  Oui, c’est vrai, mais ce passage est-il illusion ou réalité ? Cela me rappelle le paradoxe d'Achille et de la tortue, formulé par Zénon d'Élée. Achille ne peut rattraper la quelle que soit sa vitesse, car, chaque fois qu'Achille passe par le point où se trouvait la tortue, celle-ci, pendant ce temps, progresse.

–  Et cependant il la double…

–  Oui. Nos sens nous trompent et faussent notre raisonnement. Voilà à quoi sert la pensée : à rétablir la vérité. Le monde matériel n’est compréhensible que grâce au monde de la pensée.

–  Alors peut-on dire, lui demandais-je, que Dieu ne serait qu’une illusion créée non plus par une vision d’un agencement matériel particulier, mais, inversement, par une illusion conceptuelle qui ne peut exister.

–  On pourrait le croire et c’est la tendance de nombreux savants qui ne croient que ce qu’ils constatent matériellement. C’est le fameux mot de Staline : « Le pape ! Combien de divisions ? » Enfin, presque !

–  Pas tout à fait, mais peu importe. Alors que faites-vous des situations miraculeuses et interventions divines constatées de par le monde, quel que soit les lieux et les opinions ?

–  Personne n’a jamais pu prouver que celle-ci étaient vraies. Disons qu’elles sont pour l’instant inexplicables. Mais viendra un jour où l’on saura les expliquer de manière logique et scientifique. C’est tout au moins ce que croient beaucoup de septiques rationnels. Il faut cependant creuser plus avant dans ces domaines qui semblent malgré tout prometteurs parce que n’ayant jamais été exploités de manière sérieuse en raison d’un a priori scientifique qui doit maintenant être dépassé.

–  Oui, cela me rappelle les expériences de Near Death Expérience dénombrées par quelques scientifiques, suite aux travaux de Raymond Moody et d’Elisabeth Kübler-Ross, tous deux américains et thanatologues. Elles commencent à être prises au sérieux, alors que les risées fusaient dès que quelqu’un osait évoquer une quelconque possibilité de réalité sur ce que racontaient bon nombre de patients.

Mais nous fûmes interrompus par mon téléphone portable. C’était Vincent.

11/06/2016

Le nombre manquant (22)

– Oui, c’est certain, nous dit-il à notre arrivée. C’est un ordinateur du Vatican, tu sais, ceux qui sont mis à disposition du public à la bibliothèque. Nous ne nous étions pas trompés, les religions sont bien les plus intéressées par ce genre de recherche. C’est leur fonds de commerce et il peut remettre en cause leur existence propre. Si quelqu’un découvrait qu’il n’y a pas de Dieu et qu’il pouvait le prouver, toutes les églises s’effondreraient. Cela pourrait engendrer de véritables guerres civiles, car il y aurait évidemment toute une catégorie de personnes qui ne pourraient l’admettre.

– Il est sûr que cela ne serait pas de tout repos. Le raisonnement humain peut-il, lui-même sujet à l’erreur, constituer une preuve véritable ? Mais ne rentrons pas dans ces considérations et revenons à notre préoccupation : qui ?

– J’avoue que ceci est encore inconnu. Qui se sert de cet ordinateur et l’a détourné de son objet, la recherche de documents dans une bibliothèque contenant des milliers, voire des millions de livres écrits dans de nombreuses langues ? Cela nous ne le savons pas. Pour l’instant, le Vatican n’a pas été mis au courant. Seul mon ami policier et nous-mêmes savons ce qu’il en est. Il m’a fait ses recommandations. Il ne faut surtout pas que cela s’ébruite, surtout chez les officiels. Aussitôt tout ceci serait qualifié de Très Secret-défense et le relais serait pris par les spécialistes sans que nous puissions poursuivre nos investigations. On pourrait finir par une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, voire l’Italie.

– Alors, comment faire pour savoir qui se sert de cet ordinateur ?

– J’avoue que pour l’instant je ne vois. Peut-être auriez-vous des idées ?

– Oui, c’est possible, énonça Claire. J’ai quelqu’un de ma famille, un de mes neveux qui est un jeune prêtre et actuellement affecté au Vatican. Il pourrait peut-être faire quelque chose. Je ne sais pas, peut-être installer une caméra devant l’ordinateur, ce qui nous permettrait d’identifier le pirate. L’ennui est que cela met quelqu’un d’autre dans la confidence.

– Oui, mais a-t-on le choix ?

– Je ne sais pas.

Ne trouvant pas d’autres pistes, notre groupe fit confiance à Claire qui fut chargée de contacter son parent. Elle dut se rendre elle-même à Rome, ne pouvant évoquer cette affaire par téléphone. Ce fut fait, une caméra fut installée, coincée entre deux piles de livres, face à l’ordinateur. L’attente commença. On ne savait si au cours des derniers jours le pirate avait pénétré dans notre base de données. Alors on attendait, mais aucun changement sur nos documents ne fut signaler par l’un ou l’autre d’entre nous.

05/06/2016

Le nombre manquant (21)

Le lendemain, je retrouvais Claire à la bibliothèque. Elle avait passé une mauvaise nuit, rêvant d’insectes envahissant son lit pendant son sommeil. Cela venait probablement de nos réflexions sur les intrusions dans notre réseau. Je fis une plaisanterie du genre : « Nous avons besoin d’intrusion pour nous secouer et nous réveiller ! », mais je n’eus pas l’impression que cela l’aidait beaucoup.  J’avais moi-même mal dormi cette nuit, l’esprit préoccupé par ce que nous avions travaillé hier et la conclusion de Claire : « Mais alors l’antimatière du zéro, c’est Dieu ! » Cette exclamation m’avait semblé toute droite sortie de l’intuition et d’une découverte inopinée et j’avais admiré Claire de sa capacité de déduction intuitive. En réfléchissant, j’en vins à prendre conscience d’une faille dans ce raisonnement. Tout d’abord Dieu est distinct de toute matière.

– Dis-moi, j’ai réfléchi à ce que nous avons échangé hier et, en particulier, à ta sentence intuitive dans laquelle tu disais que Dieu serait l’antimatière du zéro. Finalement cela me semble erroné.

– C’est bien possible. Je ne prétendais pas avoir dit quelque chose d’extraordinaire. C’était une sorte de boutade. Mais explique-moi pourquoi ?

– Tout simplement parce que Dieu n’est pas matériel. Qu’est-il ? Personne ne le sait, mais ce que l’on sait, c’est qu’il est autre que le monde matériel. On ne peut le qualifier d’antimatière, car celle-ci est bien, malgré tout, de la matière.  En effet, d’après Paul Dirac, le savant qui a découvert l’antimatière, pour chaque particule, il existe une antiparticule correspondante, qui est tout à fait semblable sauf qu’elle a une charge opposée. On peut aller jusqu’à envisager des galaxies et des univers  constitués uniquement d’antimatière[1].

– Mais ce ne sont que des suppositions mathématiques qui ne sont confirmées que dans le monde quantique.

– Il y a une deuxième objection qui me semble également importante. Le zéro n’est que l’appellation du rien, il ne peut donc pas disposer d’antimatière n’étant pas par définition constitué de matière.

– Je te concède cette deuxième objection. Mais on pourrait justement dire que le zéro, qui n’est qu’une invention humaine, n’existe que parce qu’il a été conçu dans le monde matériel et pour le comprendre. Donc, il doit comporter une antiparticule spécifique, attribut indispensable à toute création.

– Tu as réponse à tout, Claire. Je confirme ton intuition, même si j’en ai douté quelque peu !

La boutade de Claire nous avait fait avancer. Certes, d’un tout petit pas. Ce n’est que par ces petits pas, très petits, que nous arriverons à notre fin. Claire avait l’avantage de ne pas s’attarder sur ses erreurs, mais de relancer sa machine à penser grâce à ce jeu bien humain de l’échec relanceur du succès. Peu de gens sont pourvus de cette qualité qui fait que la compréhension de la somme des échecs peut amener le succès d’un projet si celui-ci est bien conduit.

Mon téléphone portable se mit à sonner. C’était Vincent, très excité, qui nous dit savoir quel était la machine pratiquant les intrusions. Il n’en dit pas plus.

– Nous arrivons, lui dis-je, stimulé par cette incroyable nouvelle.

 

(1) Voir le site du CERN sur l’antimatière (http://home.cern/fr/topics/antimatter).

01/06/2016

Le nombre manquant (20)

J’avoue que cette réflexion me fit froid dans le dos, même si sa formulation était malhabile. Cela paraissait tellement irréel et, par ailleurs, tellement logique que j’en restai sidéré.

– Allons donc déjeuner, me fit-elle, toujours aussi pragmatique. Au cours du repas, elle me parla de tout et n’importe quoi, en femme intéressée par mille détails de la vie, qui me faisait douter que c’était la même qui avait formulé les réflexions de la matinée.

Au moment où nous allions nous remettre au travail, je reçus un coup de fil de Vincent :

– Il y a du nouveau. Il s’est manifesté et j’ai réussi à le piéger. On va pouvoir savoir qui il est ou, tout au moins, connaître l’ordinateur à partir duquel il opère.

– Comment as-tu fait ?

– Je t’expliquerai. Viens avec Claire, nous pourrons en discuter !

Mathias et Vincent était déjà là, discutant énergiquement. Vincent nous expliqua sommairement ce qu’il avait mis en place et comment il avait pu découvrir l’adresse IP du hacker. Claire et moi n’y avons rien compris, d’autant plus que les expressions employées par Vincent consistent en sigles ou acronymes en anglais dont la signification nous échappait. Nous avons simplement retenu qu’il avait mis en place un système de détection d’intrusion de type hôte (HIDS) et un système de prévention d’intrusion (IPS). Il connaît maintenant l’identité de l’intrus et il ne lui reste plus qu’à rechercher qui est la personne derrière l’ordinateur. Une grande victoire en somme, n’est-ce pas ?

Vincent était très fier de son exploit. Mais en réalité, il ne nous apprenait pas grand-chose. Il ne pouvait que poursuivre ses recherches pour en savoir plus, avant que nous ayons une idée claire du ou des intrus. Il précisa cependant qu’il ne s’agissait pas du piège dont nous avions parlé la veille, qui était un piège d’ordre stratégique visant à réellement connaître nos intrus, mais simplement un piège technique permettant d’identifier quel est l’ordinateur qui nous attaquait. Ce n’était qu’un premier pas, mais important.

– Si je comprends bien, nous pouvons éventuellement nous protéger de ces intrusions, nous savons d’où elles viennent, mais ne savons pas qui est derrière tout cela, résuma Claire, toujours pragmatique.

– C’est à peu près cela, répondit Vincent. Mais, c’est déjà beaucoup, fit-il remarquer. De plus, je vais tâcher de me procurer le nom du propriétaire de l’ordinateur espion. J’ai des connaissances dans la police numérique à qui j’ai rendu des services il y a peu. Nous devrions pouvoir disposer de ce nom.

– Une bonne nouvelle, enfin !

Là-dessus, nous nous quittâmes et chacun rentra chez lui. Lydie m’attendait, impatiente. Cette histoire avec mes compagnons l’irritait sans qu’elle ose le dire ouvertement. Elle me répéta que nous avions des comportements de gamins ou d’étudiants attardés et que cela pourrait mal finir. Se doutait-elle de ce qui allait se passer ?

28/05/2016

Le nombre manquant (19)

J’avais choisi de poursuivre nos recherches avec Claire. Je commençais à apprécier cette jeune femme décidée. Elle était opiniâtre, ne craignait pas les affrontements, savait prendre des chemins détournés pour arriver à ses fins, mais restait modeste et ne se mettait pas en avant. De plus, elle était jolie lorsqu’elle s’enflammait pour son sujet, lorsqu’elle levait un doigt de certitude avec une flamme dans les yeux et qu’elle cherchait à convaincre, le corps emporté par son élan intellectuel. Elle me rappelait deux sculptures de Camille Claudel, Le Dieu envolé, un bronze datant de 1894, et L’implorante (1898, aussi dénommée La Jeunesse ou L’imploration ou La Suppliante). Elle y mettait une telle ardeur qu’on adhérait à ses idées avant même d’être de les avoir comprises.

Nous avions décidé de nous intéresser à l’antimatière, forme miroir de la matière. Elle a été découverte en 1931 par Paul Dirac qui cherchait une forme relativiste pour l'équation de Schrödinger, équation de base de la mécanique quantique. Elle s’applique autant à la physique des molécules qu’à la cosmologie à ses états premiers quand l’univers se réduisait à une particule élémentaire. Il ne s’agissait pas d’entrer dans les considérations des savants, mais de voir quelles analogies ces découvertes pouvaient contenir.

– Comment pourrais-je comprendre quelque chose à ces considérations qui dépassent même la physique et sont issues de concepts purement mathématiques ? me disait Claire.

– Ce qui nous intéresse, c’est en quoi cela pourrait changer notre approche du monde quotidien et nous dévoiler les interactions entre le monde des physiciens et le monde des philosophes, voire des mystiques, répondais-je. Il doit bien y avoir une explication permettant le passage du monde expérimental au monde spéculatif, plus flou, mais s’appuyant également sur une certaine logique.

– Mais pourquoi ce terme d’antimatière ?

– En fait les antiparticules ressemblent assez aux particules usuelles, sauf que lorsqu’une particule rencontre une antiparticule correspondante, cela provoque une réaction qui les annihile et fait apparaître d’autres particules. Ainsi, il n’y a pas seulement attirance ou aversion, mais il peut y avoir une troisième hypothèse, celle d’un changement d’état des particules par leur mise en relation. De la conjonction ou de l’opposition naît une autre chose qui est différente.

– C’est bien l’objet de nos recherches, me semble-t-il ? S’interrogea Claire.

– Oui, même si nous ne l’avions pas formulé ainsi jusqu’à présent.

– Ainsi, le zéro ne serait pas seulement un séparateur entre le positif et le négatif, mais pourrait être à l’origine d’explications différentes et pourrait donner lieu à des découvertes qu’on n’avait pas soupçonnées.

– Oui, pourquoi pas.

De manière imperceptible, Claire avait tracé une voie nouvelle dans nos recherches : y avait-il un antizéro, pendant du zéro connu et utilisé ? Ce ne pouvait être l’infini qui, en fait, n’a pas de fin et est plus un point d’interrogation qu’une réalité concrète. Je fis part de mes réflexions à la jeune femme et celle-ci s’exclama aussitôt :

– Mais alors l’antimatière du zéro, c’est Dieu !

24/05/2016

Le nombre manquant (18)

Je remplis les cases du tableau et me dit que cela représentait beaucoup de possibilités. Je séparai également les pays dominants des pays émergents en ajoutant pour ces derniers la connaissance dont ils ne disposent pas en comparaison avec les pays dominants.

Catégorie

Sous-catégorie

Motivation

But

Lieu

Petits groupes, voire  Individus

 

Argent

Domination

Connaissance

 

 

Organisations

Églises et sectes

Religion, idéologie

 

 

 

Mafias

Argent

 

 

 

Scientistes

connaissance

 

 

États

Dominants

Domination, argent

 

 

 

Pays émergents :

Brésil, Inde

pouvoir

connaissance

 

 

 

Paradis fiscaux

argent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le retour dans la salle de notre groupe marqua la déception de tous. Cela ne nous avançait pas à grand-chose ; Le champ de recherche était si large qu’il devenait impossible à mettre en œuvre avec nos faibles moyens.

– Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Vincent qui exprimait le scepticisme de tous.

– Eh bien, on réfléchit ! répondis-je, un peu agacé par son scepticisme permanent.

– J’ai une idée, dit Claire. Tout d’abord, nous pouvons laisser tomber la colonne but et la remplacer par indice. Avons-nous des indices qui peuvent nous faire pencher plus sur une motivation que sur une autre ? Nous pourrions même noter ces indices de 1 à 3 en termes de probabilité. Ainsi en est-il de l’argent ! Nous nous sommes un peu obnubilés sur celui-ci parce qu’il est le nerf de la guerre. Mais au stade où nous en sommes de nos recherches, est-il véritablement une motivation ? Je ne crois pas. De plus, pourquoi se manifester en remplaçant un mot par un autre. Dans ce cas, ils resteraient discrets et ne se feraient pas connaître de cette manière.

– Pour l’argent, ajouta Mathias, je ne mettrai même pas 1, disons 0,5 pour ne pas laisser tomber cette hypothèse. Tu as raison, elle est peu probable au stade où nous en sommes.

– Si nous poursuivons notre réflexion, fit remarquer Vincent, on peut raisonnablement penser qu’il en est de même pour le pouvoir. Les États ou organisations intéressés par la domination que pourrait donner une recherche comme la nôtre doivent bien rire en regardant, s’ils y ont accès, ce que nous avons produit. Allez, mettons 1 dans la colonne indice en face du pouvoir.

– en dehors des indices de probabilité de telle ou telle motivation, le changement de nom constitue également un multiplicateur de cette probabilité. Ainsi, ce changement, sans autre modification, me semble un indice plus fort dans le cas de la religion et de l’idéologie que dans le cas de la connaissance. On pourrait mettre 2 ou 2,5 pour ce cas particulier, non ?

– Je suis d’accord. Et nous avons bien avancé déjà ! constata Mathias. Avez-vous d’autres idées ou suggestions à faire.

Chacun se regarda, mais personne ne dit mot. Le brainstorming était terminé, on n'en tirerait plus rien aujourd’hui. Je retirai juste le 2,5 dans la case correspondant à la religion et l’idéologie pour inscrire 3 et mis 2 en face des cases connaissance. Tous semblèrent approuver ce petit changement, cela mettait en évidence l’indice le plus probable. Mathias s’empressa de recopier sur son ordinateur le tableau qui se présentait maintenant comme suit :

Catégorie

Sous-catégorie

Motivation

Indice

Lieu

Individuels 

Individus

 

argent

pouvoir

connaissance

 

0,5

2

 

Petits groupes

argent

pouvoir

connaissance

0,5

1

2

 

Organisations

Églises et sectes

religion, idéologie

3

 

Mafias

argent

0,5

 

Scientistes

connaissance

2

 

États

Dominants

pouvoir

argent

1

0,5

 

Pays émergents :

Brésil, Inde

pouvoir

connaissance

1

2

 

Paradis fiscaux

argent

0,5

 

– Arrêtons-nous donc là pour le brainstorming, dit Mathias, mais distribuons-nous les tâches ! Comment allez plus avant ? Je vois deux solutions. La première, c’est de recherche d’autres indices, informations, questions sur Internet en rapport avec ce qui est inscrit dans le tableau. La seconde, mais je dis tout de suite que je ne sais pas comment, serait de tendre un piège aux intrus pour en savoir plus sur leurs motivations.

– Excellente idée, m’exclamai-je, mais il faut trouver comment. De plus, cela suppose qu’ils sauront que nous connaissons leur existence. Est-ce bien le moment ?

– A mon avis, ils le savent déjà. Nous leur avons donné des signes : changement d’organisation de notre base de données, arrêt brusque d’entrée de données au changement de nom. C’est plus que suffisant me semble-t-il !

– Tout ceci ne nous dit pas quel genre de piège nous pouvons installer, ajouta Claire.

– Oui, c’est vrai. Que proposes-tu ?

– J’avoue que pour l’instant, rien. Il faut y réfléchir. Le piège doit être simple, non ambigu ; il doit permettre d’identifier clairement le ou les auteurs et, si possible, de les empêcher de refaire la même chose. Je propose que la moitié d’entre nous réfléchisse au piège à tendre et l’autre moitié continue de rechercher des éléments de réflexion sur notre sujet. Personnellement je prends la réflexion, je ne suis pas très forte en stratégie. Qu’en pensez-vous ?

Nous nous quittâmes sur ces paroles après nous être partagés les rôles et donnés rendez-vous deux jours plus tard. C’était court, mais cela nous permettrait de faire un premier point de situation.

PS. Pardonnez-moi, je n'ai pas trouvé dans le système Hautetfort comment tracer les lignes d'un tableau.

19/05/2016

Le nombre manquant (17)

Pendant cette discussion, Mathias avait utilisé un tableau de papier qui traînait par là. Il avait créé un tableau avec quatre lignes et plusieurs colonnes dénommées au niveau de la première ligne : catégories, sous-catégories, motivation, but, lieu, conséquences, et d’autres colonnes non encore remplies. Dans la première conne, il inscrivit individu, puis, sur la ligne du dessous, organisation et enfin État. Il inscrivit les cinq motivations dans la case de la ligne deux.

– Et maintenant, si nous passions aux organisations, et d’abord aux types d’organisation qui pourraient être intéressées par nos travaux.

– Pourquoi pas les églises ? Cela fait des siècles que l’église catholique s’intéresse aux découvertes scientifiques et surveille tout ce qui se rapporte à l’univers, à son origine et à sa fin, à l’infini et beaucoup d’autres choses encore. Mais ce n’est surement pas la seule église qui pourrait être intéressée. Le calife al-Mansour a été le premier occidental à reprendre la numération de position indienne  et à utiliser le zéro malgré les énormes résistances qu’il a rencontré. Elle s’imposa au Xe siècle, mais mit encore plusieurs siècles avant de devenir la référence. L’Islam, en ces temps curieux de retour aux rivalités moyenâgeuses, pourrait chercher à reprendre la main sur une cosmologie de plus en plus scientifique et éloignée de la métaphysique.

– Je rappelle, ajouta Claire, que ce sont les indiens au Ve siècle qui ont inventé le zéro. Pourquoi l’Inde, devenue une nation puissante malgré sa population très nombreuse et diversifiée, ne chercherait pas non plus une piste en cosmologie, à l’instar du physicien Raman.

– Si je comprends bien, remarquais-je, la plupart des religions et sagesses du monde pourraient être séduites par nos recherches, ce qui me semble normal puisque Dieu dans la plupart des religions est le créateur du monde. N’oublions pas que les églises disposent d’argent, de volonté et de moyens assez considérables.

– Passons à d’autres organisations, par exemple les sectes, incita Mathias.

– Mais c’est la même chose que les religions !

– Oui, mais elles sont plus individualistes, plus entières et plus dangereuses parce que cachées.

– Je pense malgré tout, dit Vincent, que nous pouvons les intégrer dans les églises, cela nous évitera des doublons.

– Alors passons aux mafias. Pourraient-elles être concernées et quel serait leur intérêt ? Avec elles, il n’y a qu’un seul mobile l’argent…

– et le pouvoir.

– mais seulement pour accumuler plus d’argent.

– Il y a de nombreuses organisations mafieuses dans tous les coins du monde.

– Sérieusement, croyez-vous que les gangs, mafias ou cartels puissent s’intéresser à nos recherches. Cela ne les intéressera que si nous découvrons quelque chose qui pourrait rapporter beaucoup d’argent ou leur donner le pouvoir d’en rapporter beaucoup. Ce n’est pas encore le cas, et ce ne sera très probablement jamais le cas.

– Alors, on raye les mafias ?

– Non, mais ne nous attardons pas. Gardons-les seulement en mémoire. On ne peut les écarter, mais pas non plus les prendre trop en considération pour l’instant.

– Reste alors les organisations scientifiques, remarqua Vincent.

– Pourquoi ? Les cosmologistes sont nettement en avance sur nous. Nous recherchons même ce qu’ils produisent pour enrichir nos bases de données. C’est absurde.

– Peut-être pas autant que tu le crois. N’oublie pas que faisons nos recherches dans des domaines  qui ne se côtoient pas. Toute explication théologique est rejeté par les savants, y compris celle de Teilhard de Chardin, et toute explication scientifique est mal vu des religieux et spirituels. Nous avons pris la résolution de rechercher dans toutes les disciplines, quelles qu’elles soient. Cela nous donne un avantage et un but, faire rejoindre la science et la mystique par l’expérience vécue et non la spéculation. Cela met sur le même pied l’expérience spirituelle et les expériences scientifiques. Connais-tu beaucoup de personnes qui se posent le problème de cette manière ?

– Non, je le reconnais. C’est même notre spécificité et notre passion.

– Alors pourquoi n’y aurait-il pas d'autres organismes qui se poseraient les mêmes questions et chercheraient des réponses ?

– C’est vrai, c’est possible. Cela m’étonnerait, mais c’est possible. C’est ce qu’on appelle la convergence des questions et des recherches. Plusieurs personnes se posent le même problème et, tout d’un coup, ils arrivent quasiment en même temps à des solutions. Elles peuvent d’ailleurs être différentes les unes des autres.

– D’accord. On l’inscrit !

– Reste les États, dit Vincent. J’en vois en priorité trois : les États-Unis, la Russie, la Chine ; trois États marqués par la recherche et en avance sur les autres.

– Je pense que l’on peut rajouter l’Inde et, pourquoi pas, le Brésil.

– L’Inde, oui. Le Brésil, j’y crois beaucoup moins, mais gardons-le.

– Je rajouterais également, dit Claire, quelques États disposant d’argent sale, compromis entre des individus plus ou moins organisés et un État y voyant une autre manière de gagner de l’argent ou de le blanchir.

– Bon ! conclus-je. On fait une petite pose et on voit ce que cela donne.

14/05/2016

Le nombre manquant (16)

– Il me semble que la première question est : qui est derrière tout cela, dis-je. Tant que nous n’aurons aucune information, nous ne pourrons rien faire et surtout pas contrer ses actions. Pour cela, il faut rechercher dans le contexte dans lequel nous sommes immergés : la fac, tout d’abord, puis les lieux où nous avons effectué des recherches, puis nos connaissances et familles. Aurions-nous laissé s’échapper quelques mots qui auraient pu déclencher des interrogations parmi nos proches dont certains ne sont pas sûrs ? Qu’en pensez-vous ?

– Cela nécessite que l’on recherche de nombreuses informations, sur Internet et ailleurs. Avons-nous le temps de le faire ?

– C’est le seul moyen. Tant que l’on ne saura pas de qui il s’agit et pourquoi, nous n’avancerons pas.

– Oui, nous sommes d’accord. Mais, et après ?

– Après nous analyserons la situation. Est-elle contrôlable ? Peut-on avoir des alliés qui pourraient nous aider ? Quelle est notre part de responsabilité dans tout cela ? Nous nous interrogerons alors pour décider si nous avons réellement une crise ou non, c’est-à-dire en quoi la situation est insatisfaisante.

– Cela ne résoudra rien.

– Certes, mais nous verrons plus clair. Nous saurons ce qui se passe et cela nous permettra, dans un deuxième temps, de comprendre ce qui se passe. Nous pourrons alors envisager vers quelle situation nous comptons aller, c’est-à-dire quelle situation future rechercher. Enfin, dans un troisième temps, nous envisagerons les stratégies possibles pour passer de cette situation présente insatisfaisante à la situation future recherchée.

– Toute cette démarche est nécessaire ? demanda Claire. Cela me semble long.

– Oui, sans doute, mais c’est le seul moyen d’avoir en main toutes les données du problème et les solutions envisageables. Savoir, puis connaître, puis anticiper, puis décider et enfin mettre en œuvre.

– Alors, mettons-nous au travail, proposa Mathias. Un peu de brainstorming nous réveillera les méninges ! Vous connaissez la règle : on ne discute pas chaque proposition, on émet des idées, puis, ensuite, on les trie rationnellement. Qui est derrière tout cela ?

– Dans tous les cas, dit Claire, on a trois catégories : un individu seul, une organisation et enfin un Etat, voire plusieurs Etats.

– Commençons par les individus seuls, dis-je.

– Eh bien, dit Mathias, il peut y avoir un plaisantin qui nous fait faire des nœuds au cerveau, un malin qui cherche à se faire connaître et qui prépare une sortie vers les médias avec un truc sensationnelle. Alors il cherche à nous piéger et il attend une information intéressante. Le mobile : la renommée.

– Il peut également y avoir, répondit Vincent, un maître-chanteur qui a flairé la bonne affaire : nous contraindre à payer pour qu’il garde secrète les informations qu’il nous a subtilisées. Le mobile : l’argent.

– Cela peut également être un individu qui s’intéresse à l’ésotérisme de manière maladive, un passionné de l’inédit. Le mobile : la passion.

– ou encore quelqu’un qui cherche à approfondir le sujet parce qu’il s’y intéresse lui-même et qu’il a trouvé là une infinité de détails et d’études qu’il ne peut trouver ailleurs. Le mobile : la connaissance.

– cela peut aussi être l’inverse. Quelqu’un qui voit qu’on est plus avancé que lui dans nos recherches et qui tient absolument à découvrir le premier ce chiffre qu’il ne sait définir. Le mobile : connaissance, renommée, voire pouvoir.

– On peut aussi penser à quelqu’un qui recherche une emprise sur les autres car sa découverte peut lui permettre d’accéder à une forme de domination. Son mobile : le pouvoir psychologique pouvant aller jusqu’au pouvoir physique.

– N’oublions pas non plus la crainte de la découverte d’une nouveauté qui modifierait nos rapports avec la vie et la mort. Le mobile : la peur.

– La folie ne semble pas être un mobile à retenir. Ce n’est le cas que pour un crime. Eliminons-la. Mais rappelons-nous que certains sont prêts à tout pour être cités dans les médias. Le mobile reste alors la renommée.

Très vite, il y eut de nombreux mobiles possibles. Claire proposa de faire une synthèse de ce que nous avions trouvé sans entrer dans les détails du pourquoi et ou du comment. Il y avait en premier lieu l’argent, puis le pouvoir, la connaissance, la renommée. L’un de nous fit remarquer que tous ces mobiles étaient négatifs, personnels, intéressés. Peut-il y avoir des mobiles désintéressés ?

– Oui, pourquoi pas ! répondit aussitôt Mathias. Imaginons quelqu’un qui en sait plus que nous et qui, au courant de notre recherche, tente de nous aider. Il pourrait prendre contact avec nous plus tard après avoir vu comment nous nous débrouillons avec l’élément qu’il nous a donné.

– Ce serait donc un mobile parfaitement altruiste, mais pourquoi ?

– Faire avancer la recherche ou faciliter la mise en place d’une nouvelle société, ou encore révéler une nouvelle forme de connaissance.

– On va se perdre dans toutes ces possibilités. Disons simplement que le mobile serait désintéressé. Est-ce possible ? Oui, je crois, même si les chances sont minces que cela existe.

10/05/2016

Le nombre manquant (15)

– Il me semble que la première question est : qui est derrière tout cela, dis-je. Tant que nous n’aurons aucune information, nous ne pourrons rien faire et surtout pas contrer ses actions. Pour cela, il faut rechercher dans le contexte dans lequel nous sommes immergés : la fac, tout d’abord, puis les lieux où nous avons effectué des recherches, puis nos connaissances et familles. Aurions-nous laissé s’échapper quelques mots qui auraient pu déclencher des interrogations parmi nos proches dont certains ne sont pas sûrs ? Qu’en pensez-vous ?

– Cela nécessite que l’on recherche de nombreuses informations, sur Internet et ailleurs. Avons-nous le temps de le faire ?

– C’est le seul moyen. Tant que l’on ne saura pas de qui il s’agit et pourquoi, nous n’avancerons pas.

– Oui, nous sommes d’accord. Mais, et après ?

– Après nous analyserons la situation. Est-elle contrôlable ? Peut-on avoir des alliés qui pourraient nous aider ? Quelle est notre part de responsabilité dans tout cela ? Nous nous interrogerons alors pour décider si nous avons réellement une crise ou non, c’est-à-dire en quoi la situation est insatisfaisante.

– Cela ne résoudra rien.

– Certes, mais nous verrons plus clair. Nous saurons ce qui se passe et cela nous permettra, dans un deuxième temps, de comprendre ce qui se passe. Nous pourrons alors envisager vers quelle situation nous comptons aller, c’est-à-dire quelle situation future rechercher. Enfin, dans un troisième temps, nous envisagerons les stratégies possibles pour passer de cette situation présente insatisfaisante à la situation future recherchée.

– Toute cette démarche est nécessaire ? demanda Claire. Cela me semble long.

– Oui, sans doute, mais c’est le seul moyen d’avoir en main toutes les données du problème et les solutions envisageables. Savoir, puis connaître, puis anticiper, puis décider et enfin mettre en œuvre.

– Alors, mettons-nous au travail, proposa Mathias. Un peu de brainstorming nous réveillera les méninges ! Vous connaissez la règle : on ne discute pas chaque proposition, on émet des idées, puis, ensuite, on les trie rationnellement. Qui est derrière tout cela ?

– Dans tous les cas, dit Claire, on a trois catégories : un individu seul, une organisation et enfin un État, voire plusieurs États.

– Commençons par les individus seuls, dis-je.

– Eh bien, dit Mathias, il peut y avoir un plaisantin qui nous fait faire des nœuds au cerveau, un malin qui cherche à se faire connaître et qui prépare une sortie vers les médias avec un truc sensationnelle. Alors il cherche à nous piéger et il attend une information intéressante. Le mobile : la renommée.

– Il peut également y avoir, répondit Vincent, un maître-chanteur qui a flairé la bonne affaire : nous contraindre à payer pour qu’il garde secrète les informations qu’il nous a subtilisées. Le mobile : l’argent.

– Cela peut également être un individu qui s’intéresse à l’ésotérisme de manière maladive, un passionné de l’inédit. Le mobile : la passion.

– ou encore quelqu’un qui cherche à approfondir le sujet parce qu’il s’y intéresse lui-même et qu’il a trouvé là une infinité de détails et d’études qu’il ne peut trouver ailleurs. Le mobile : la connaissance.

– cela peut aussi être l’inverse. Quelqu’un qui voit qu’on est plus avancé que lui dans nos recherches et qui tient absolument à découvrir le premier ce chiffre qu’il ne sait définir. Le mobile : connaissance, renommée, voire pouvoir.

– On peut aussi penser à quelqu’un qui recherche une emprise sur les autres car sa découverte peut lui permettre d’accéder à une forme de domination. Son mobile : le pouvoir psychologique pouvant aller jusqu’au pouvoir physique.

– N’oublions pas non plus la crainte de la découverte d’une nouveauté qui modifierait nos rapports avec la vie et la mort. Le mobile : la peur.

– La folie ne semble pas être un mobile à retenir. Ce n’est le cas que pour un crime. Éliminons-la. Mais rappelons-nous que certains sont prêts à tout pour être cités dans les médias. Le mobile reste alors la renommée.

Très vite, il y eut de nombreux mobiles possibles. Claire proposa de faire une synthèse de ce que nous avions trouvé sans entrer dans les détails du pourquoi et ou du comment. Il y avait en premier lieu l’argent, puis le pouvoir, la connaissance, la renommée. L’un de nous fit remarquer que tous ces mobiles étaient négatifs, personnels, intéressés. Peut-il y avoir des mobiles désintéressés ?

06/05/2016

Le nombre manquant (14)

Sans doute, ceux qui suivent ce blog depuis un certain temps, se souviennent-ils d'un récit commencé mais jamais fini. Il s'est arrêté le 6 septembre 2015, au 13e épisode et s'appelait "Le nombre manquant". Il n'y eut pas de suite.... en attente d'inspiration, je l'avoue... J'étais à court d'idées et ne savais comment poursuivre un récit commencé sans en posséder la fin. Eh oui, il faut faire son apprentissage d'écrivain et avouer ses erreurs et insuffisances.

Le sujet me tient à cœur, mais il est difficile et me cause bien du souci. En voici la suite, qui poursuit l'aventure entre science et mystique à la recherche d'un nombre à découvrir qui n'est ni le Zéro, ni le Un, ni l'Infini et qui résume tous les nombres.

Alors, si le cœur vous en dit, poursuivons l'aventure, retrouvons les élèves du professeur Foiras et tâchons de la mener à son terme que j'ignore encore, ou presque, et dont je ne connais pas les péripéties.

 

 

Cinq jours plus tard, nous nous retrouvions chez Mathias. Un simple coup de fil nous avait prévenus. Pas de mail, pas de rencontre. Nous avions convenu d’arriver à cinq minutes d’intervalle pour ne pas donner la puce à l’oreille de nos poursuivants éventuels. Peut-être nous surveillaient-ils ?

Une fois tous réunis, Mathias prit la parole.

– Résumons-nous. Nous avions trouvé le moyen de cacher aux autres nos recherches, par pure précaution. Bien nous en a pris. Quelqu’un, au moins une personne, connait maintenant l’existence de notre base de données. On en a la preuve par le changement de nom du zéro en orez. Pourquoi ce changement de nom ? On ne le sait. Quelles sont les motivations de celui ou ceux qui l’ont fait ? Quelles sont les conséquences pour nous, pour nos recherches ? Cela va-t-il nous contraindre à abandonner ? Et derrière ces interrogations de premier degré, on peut se demander si nous sommes tous fiables. Cela pourrait-être l’un d’entre nous qui est à l’origine de cette farce. Comment en être sûr ? Deuxième question, que signifie ce mot : orez. Je pense que chacun d’entre vous avez remarqué que c’est le mot zéro écrit à l’envers. Cela a-t-il une signification ? Est-ce un message que l’on tenterait de nous faire passer. Il est tout de même bizarre qu’ayant réussi une première fois ce tour de passe-passe, l’auteur recommence de la même manière sans même se cacher. On peut croire qu’il le fait exprès. J’avoue que toutes ces questions sans réponse me laissent perplexe et vous aussi, sans doute. Va-t-on devoir abandonner nos recherches pour d’abord tenter de savoir de quoi il s’agit ?

Mathias nous regardait d’un œil inquisiteur et nous sentions une tension intérieure en chacun de nous. Nous en vînmes à nous regarder bizarrement. Heureusement, Claire intervint.

– Tout d’abord, je veux dire qui si nous poursuivons comme cela, c’est la fin de notre groupe. Nous avons réussi à créer une certaine confiance entre nous, à nous soutenir dans nos recherches, à même réfléchir ensemble, chacun apportant sa pierre ne fonction de ses compétences. Aujourd’hui notre dispositif craque. C’est une véritable crise qui détruit notre unité et nous conduit à la faillite de nos recherches. Est-ce ce que nous voulons ? Pour ma part, je prône la plus grande clairvoyance là-dessus. Ou nous restons unis, ou nous nous séparons. Peut-être est-ce ce que cherche celui ou ceux qui jouent avec nos nerfs ? Ne nous laissons pas faire. Tout d’abord, disons-nous tout ce que nous avons sur le cœur en termes d’interrogations, voire de reproches.

– Parlons-en justement, répondit Vincent. Tu es bien la première à être soupçonnable. Nous avions déjà constitué notre groupe et tu débarques comme un cheveu sur la soupe, sans que l’on sache exactement pourquoi. Certes tu nous a aidé à faire de notre SGBD une réalité, mais ne serait-ce pas ton intérêt si tu voulais te joindre à nous ?

Je me crus obligé d’intervenir :

– Quelle supposition injurieuse. Claire s’est donnée pleinement à nos recherches et nous a permis de constituer une base solide. Certes, celle-ci est à nouveau dévoilée. Mais pourquoi l’accuser d’en être la cause ? Rien ne te permet de le penser.

Mathias prit la parole. Il était jusqu’à présent resté muet.

– Si nous commençons comme cela, nous allons nous détruire nous-mêmes, sans l’aide de personne. Il nous faut des questions claires, sans rapport avec votre prénom et votre personne, puis nous pourrons commencer à tenter d’y répondre. Je vous propose en premier lieu la recherche d’une méthodologie. Comment allons-nous organiser nos interrogations, quelles questions se posent, dans quel contexte et quelles solutions sont possibles, quelles qu’elles soient ?  Bref, quelles méthode de raisonnement devons-nous employer pour faire face à nos interrogations ?

Nous étions passés près d’une autre crise, plus sévère, celle de la dissolution de notre groupe. Ces quelques paroles eurent l’effet souhaité. Vincent demanda même pardon à Claire qui lui accorda volontiers celui-ci. Chacun semblait reparti sur ses rails, regardant la même perspective, un point à horizon où se rejoignaient nos interrogations. Premier temps, construire la méthodologie nous permettant de découvrir les bonnes questions à se poser.

 

30/04/2016

Science et foi

 Les idées sont si faciles à manier que c’en est désespérant. Elles sont d’une docilité lâche ; elles se prêtent à tout. Pas d’obstacles. (…) Mais qu’au lieu de manier des idées on manie des réalités, on se heurte aux lois de la physique. C’est ce qui arriva au parti des philosophes et à ses représentants, les constituants. Ils vinrent munis de principes abstraits, et, croyant que l’homme était une abstraction, durent très surpris de trouver une résistance matérielle. Ils crurent qu’ayant dit : tous les hommes sont égaux, tous les hommes, en fait, allaient devenir égaux, et leur étonnement du extrême de voir qu’après leurs paroles souveraines il n’y avait rien de changé. Ils se trouvèrent pareils à des chimistes qui auraient déclaré : tout pouce cube de toute matière pèse le même poids.

Rémi de Gourmont, Promenades littéraires, 3e série, 1909

 

Le propre de la pensée constructive est de conceptualiser. À partir d’un fait, elle généralise, trie le circonstanciel, établit des liens avec d’autres faits, en tire des conclusions éparses qui, peu à peu, se rassemblent en une explication satisfaisante à l’esprit.

A l’inverse, le propre des faits est de contredire les explications que l’on en a données jusqu’à présent. Cependant, les savants persistent à chercher des explications logiques, et ils ont raison puisque certains découvrent ce qui empêche jusqu’à présent de comprendre ce qui se passe. Ainsi, Edward Lorenz a ouvert une nouvelle discipline, la science ou théorie du chaos. On entre là dans les limites entre les idées et les faits. Le mathématicien Douglas Hofstadter écrit : « un chaos tout à fait inquiétant guette derrière une façade d’ordre, et au fond de ce chaos, se trouve un certain ordre encore plus mystérieux ». La théorie du chaos est la science du quotidien. Elle traite de l’évolution des cristaux de glace ou de la formation des nuages qui sont des phénomènes apparemment aléatoires. Lorenz a conçu un modèle mathématique composé de 12 équations dans le cadre de ses recherches sur les prévisions météorologiques. En 1961, pour simplifier ses calculs et gagner du temps, il décida de les réaliser  avec seulement trois décimales au lieu de six. Les résultats auraient dû être proches, mais ces différences infimes modifièrent complètement les résultats. Il avait ainsi découvert ce que l’on appelle « l’effet papillon », formulé lors d’une conférence scientifique en 1972 : « « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».

En poursuivant ce raisonnement, on peut s’interroger sur cette limite entre les idées et les faits. Y a-t-il bien une séparation entre une théorie et sa mise en application ou cette séparation n’est-elle due qu’à un manque d’approfondissement des idées à l’origine du concept à mettre en œuvre ?

D’une manière beaucoup plus générale, on peut aussi s’interroger sur la différence entre la science et la foi. L’une interroge les faits, l’autre part d’un a priori non vérifiable scientifiquement, l’existence de Dieu. Très longtemps, les savants se opposés aux religieux, remettant en cause les dogmes auxquels il était interdit de toucher. Mais dernièrement, les cosmologues se sont aventurés sur le plan des hypothèses proches de la foi : l’origine de l’univers, le bigbang, l’avant-bigbang, les multivers, etc. Inversement les églises acceptent l’observation des faits et recherchent des hypothèses permettant de comprendre les divergences entre la science et la vision religieuse du monde. Ce fut le cas de Pierre Teilhard de Chardin ou encore de Georges Lemaître. Progressivement les questions se rapprochent et les réponses se mêlent quelque peu. On atteint une zone que les militaires appellent le brouillard de la guerre, expression de Clausewitz qui traduit les incertitudes entre la conception d’une campagne et sa réalisation. Il est très probable que cette zone se rétrécisse, mais reste réelle malgré tous les efforts, l’art de la guerre ne dépendant pas seulement des aspects matériels d’une campagne, mais aussi, et surtout, de ces aspects purement humains beaucoup plus difficiles à prévoir.

Néanmoins, la progression de l’humanité réside bien dans cette faculté propre à l’homme de chercher ce qui semble inatteignable et non conciliable, au-delà des préjugés. La science est devenue philosophe et la foi fait face au réel. Qui gagnera ? Très certainement personne, elles se retrouveront une, peut-être à la fin des temps. Qu’est-ce qui les unira ? L’expérience, qui fait passer des concepts aux faits. Ceci et vrai pour les deux disciplines, la science s’étant toujours fondée sur l’expérimentation, mais également la foi dont l’expérimentation est celle des faits spirituels n’entrant pas, jusqu’à présent, dans le champ des expériences scientifiques.

12/02/2016

Les faux antagonismes

L’expérience conduit l’homme à deux attitudes fondamentalement différentes : un intérêt concernant les effets du vécu ou l’intérêt concernant ses causes et explications.

Le poète est un homme qui plonge dans le vécu quitte à s’y noyer. Ce qui l’intéresse c’est son irruption dans le bain cosmologique et non le pourquoi et le comment de ce bain. Son attitude est une attitude religieuse, la rencontre avec l’incommensurable et la revitalisation que cela lui apporte.

Le savant ne s’intéresse pas au vécu, mais à tout ce qui le permet, c’est-à-dire aux cadres conceptuels qui font sa réalité.

Ces deux attitudes créent le dilemme entre la religion et la science, entre le vécu et son explication. Elles sont à l’origine des conflits sur l’explication du monde.

Pourtant les deux attitudes se retrouvent dans les champs de l’expérience : expérience métaphysique du religieux, expérience physique du scientifique. Les deux sont chercheurs de vérité, par des voies différentes.

Le poète tente de vivre sa vie, le scientifique tente de la concevoir.

Entre les deux, il y a la majorité qui subit la vie sans chercher à s’en nourrir ou à en imaginer les règles.

Il existe bien sûr une troisième voie : l'action. Mais celle-ci ne s'interroge pas sur la vie. Elle tente de surnager.

06/09/2015

Le nombre manquant (récit insolite 13)

         Trois heures du matin. Un coup de fil me réveilla. C’était Vincent.

– Ils ont recommencé, m’annonça-t-il.

– De quoi me parles-tu ?

– Les pirates. Ils sont à nouveau entrés dans notre base malgré toutes précautions prises.

– Comment le sais-tu ?

– A nouveau, le terme zéro est devenu orez. Dans tous les documents et pas seulement dans un des ordinateurs du réseau. Ce qui signifie qu’ils connaissent notre système de sauvegarde et qu’ils peuvent modifier nos fichiers sans aucune difficulté.

– Ce que je ne comprends pas, c’est le pourquoi de ce changement de nom. Es-tu sûr qu’il n’y a pas d’autres modifications ?

– Absolument sûr ! J’ai passé ma soirée à vérifier avec le comparateur. Je n’ai vu que cette différence.

– C’est peut-être un message que l’on cherche à nous faire passer.

– Peut-être. Mais il est bien incompréhensible. Cela peut aussi être l’œuvre d’un mauvais plaisant qui cherche à nous prouver son habileté. Enfin, et ce serait plus inquiétant, ce peut-être une affaire beaucoup plus sérieuse. Un espionnage qui laisse intentionnellement une trace pour voir nos réactions et anticiper. Ceci pourrait alors être l’œuvre soit d’un niveau étatique, soit du niveau d’une organisation inconnue qui cherche quelque chose, mais quoi ?

– Si c’est cela, nous sommes mal partis, constatai-je. Que comptes-tu faire ?

– Pour l’instant je ne sais. Mais nous devons en discuter, donc nous réunir très rapidement et nous poser la question de l’action à mener.

– Cela me semble logique. On se réunit aujourd’hui ?

– Oui, cet après-midi, à quatorze heures. Tu peux ?

– Oui, aucun problème. Alors, à cet après-midi.

Notre petit groupe se réunit après le déjeuner : analyse, hypothèses, recherche de solutions. Mais peu de choses en sortie. Il fallait en savoir plus sur les intentions de l’auteur du piratage et rien pour l’instant ne nous avait mis sur la voie.

– Tendons-leur un piège, dit tout à coup Mathias. S’ils tombent dedans nous saurons qui ils sont et ce qu’ils veulent.

– Excellente idée, mais quel piège et comment les attirer ? répliqua Vincent.

– La première des choses est de savoir ce qui les intéresse dans nos recherches, dit Claire. Est-ce l’aspect scientifique, la numérologie et la cosmologie ? Est-ce l’aspect métaphysique, les notions d’infini vues par les philosophes ? Est-ce l’aspect ésotérique, les confusions possibles entre le zéro, le néant, l’infini et le tout ? Pourquoi ne pas mettre dans un nos textes récents une allusion à une découverte fondamentale dont on ne mettra que quelques bribes qui attireront les pirates et nous révèleront leurs motivations.

– Qu’est-ce que vous proposez concrètement, demanda Vincent, toujours avec une pointe d’ironie vis-à-vis de l’intruse, comme il l’appelait lorsqu’elle était absente.

– Pourquoi tout d’abord ne pas tenter de savoir s’ils sont intéressés par l’argent, le pouvoir ou la renommée, dit Mathias, avant de savoir quel est le sujet de leur recherche.

– L’idée de Claire me semble excellente, dis-je. Que vaut-il mieux ? Rechercher le sujet ou le mobile. C’est à étudier. Il faut maintenant que chacun réfléchisse à la manière d’attirer nos faussaires. Coupons à nouveau notre base du réseau et mettons-nous au travail. Rendez-vous dans deux jours chacun avec une proposition acceptable. Nous choisirons ce qui nous semble le meilleur.

L’ensemble des participants acquiescèrent. Vincent fit cependant remarquer que mettre à l’abri la base de données donnerait une indication claire aux pirates. Nous savons que nous avons été piratés et nous nous posons la question de savoir ce que nous devons faire. Peut-être valait-il mieux faire comme si nous ne nous étions aperçus de rien et chercher la parade sans donner l’alerte.

– Je pense qu’il a raison, dit Mathias. Evitons de nous servir de la base et ne nous contactons pas pendant quelques jours en faisant semblant d’être très occupés à autre chose.

Sur ces recommandations, la séance fut levée.

03/09/2015

Le nombre manquant (récit insolite 12)

            J’avais toujours été intrigué par l’aspect mystérieux de certains chiffres qui peuvent se transformer en lettres. Ainsi en est-il du chiffre Un et de la lettre Aleph, première lettre de l’alphabet hébreu. Je n’avais jamais eu le temps de creuser cette révélation d’un mariage entre chiffre et lettre. Voyant Claire prête à s’intéresser à toute sorte de sujets, je la priais de centrer ses recherches sur ce mystère.

Deux jours plus tard, lors de notre réunion hebdomadaire, elle fit part de sa découverte. Elle avait lu un article écrit par Rav Yits'hak Jessurun, du Centre d'Etudes Juives Ohel Torah, et en avait tiré des éléments intéressants.

– Il explique que la lettre "Aleph" ne se prononce pas. C'est une lettre muette. Une lettre sans sonorité ou expression orale. L'existence de cette lettre provient uniquement de son silence, de ce qu'elle permet à d'autres lettres de suivre et de ce qu'elle permet aux voyelles (qui dans la langue hébraïque ne sont pas proprement des lettres) de s'associer à elle. Alors, pourquoi une lettre muette ? Pourquoi la langue hébraïque conserve-t-elle un signe qui, en fin de compte, est une "non-lettre" ? Certes, bien d'autres langues connaissent ce phénomène, comme la langue française qui possède un "H" muet et un "E" muet. Mais là cette lettre est intentionnellement muette. L’ "Aleph" est un caractère de silence qui précède les autres lettres, celles de la parole.

– Tout ceci est sans aucun doute très intéressant, mais je ne vois pas ce que cela peut nous apporter dans nos recherches, dit Vincent, toujours très pragmatique.

– Si justement. Dès l’instant où l’Aleph représente le silence, c’est-à-dire l’absence de parole, on pourrait penser que le chiffre qu’elle représente est le Zéro. Or il n’en est rien. Elle représente le nombre Un. Aleph comme E’had (=Un). E’had, c’est l’Un, l’Unique et l’Unicité. Ne trouvez-vous pas extraordinaire qu’un mot qui ne se prononce pas soit assimilé au Un, c’est-à-dire au Tout mystique, voire à Dieu, Un et insaisissable ? L’Aleph est l'âme de l'alphabet hébreu et c'est elle qui anime cette langue en insufflant l'immanence divine à toutes ses lettres et à tous ses mots !

– Tout ceci me semble très embrouillé, dit Mathias. J’avoue que pour l’instant, cela ne m’apporte que des maux de tête. Comment une seule lettre, même la première, peut-elle résumer la philosophie de l’existence du monde et unir le Un et le Néant ?

– Je n’ai pas parlé du néant. Je n’ai parlé que du silence dans le bruit des mots, du contraste existant entre le son et l’absence de son, et, in fine, du rapprochement des contraires. N’est-ce pas ce dont vous m’avez parlé lors de mon initiation à vos recherches ?

– Vos dernières explications m’ouvrent de nouveaux horizons, dis-je, même si elles restent encore très obscures. J’avoue avoir été dubitatif dans vos premières explications, mais je pense qu’effectivement il y a là quelque chose à creuser. Bravo, Claire, vous avez montré votre perspicacité. Vous méritez réellement de faire partie de notre groupe. Je pense que nous pouvons vous laisser encore un peu de temps pour poursuivre les recherches sur cette énigme de l’alliance du Rien du Tout et de l’abime infranchissable entre le Un et le Zéro.

– Avez-vous lu la nouvelle de Georg Luis Borgès, l’Aleph ? Cette nouvelle me semble intéressante. Elle illustre la possibilité pour un humain de saisir, à travers un point de l’univers, sa totalité. Ce point, c’est l’Aleph, une lettre qui ne se prononce pas (c’est moi qui tire cette conclusion), parce que l’écrivain ne peut décrire ce qu’il a vu : « Ce que virent mes yeux fut simultané, ce que je transcrirai, successif, car c’est ainsi qu’est le langage ». Et que vit-il : « L’Aleph est le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles. » En un regard, le Tout visible, la totalité du cosmos en un seul point.

– C’est effectivement une approche intéressante, mais j’avoue que pour l’instant je ne vois pas ce que nous pouvons en faire, dit Mathias.

– Avant de construire une vision d’ensemble, dit Claire, on construit des petits bouts de vérité qui constituent une première cohérence. Ce n’est qu’ensuite, que cette cohérence s’étend à plusieurs petits bouts, jusqu’au moment où tout cela fabrique un ensemble  ou plutôt des ensembles ayant une cohérence globale inattaquable. Contentons-nous de cette première approche, et gardons-la en réserve, nous verrons bien ce que nous en ferons.

Les échanges dûment enregistrés par Vincent, furent mis dans la base de données et Claire déclara qu’elle poursuivait se recherches. Elle avait raison, il faut être patient. Mais elle énerva un peu mes deux compères. Elle semblait si sûre d’elle.

30/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 11)

          A notre première réunion, je parlai de cette jeune femme. Elle s’appelait Claire Pertuis. Je racontai notre double rencontre, ses explications et la justesse de ses arguments. Ils écoutèrent, hochèrent la tête et me laissèrent carte blanche.

– Mais, testes-la, me dirent-ils.

Je décidai de commencer par le test concernant ses capacités à intégrer notre groupe. J’en parlai à Mathias, qui était, lui, en charge de trouver un réseau capable de prendre en compte nos données. Il me répondit qu’en effet, il n’avait pas avancé dans ce domaine, ne sachant à qui s’adresser.

Le lendemain, je rencontrai Claire. Sans lui parler librement de notre groupe, je lui fis part de nos recherches et de la difficulté que nous avions à créer une base de données multiples.

– Sachez que je n’y connais rien en ordinateurs. Oui, je sais utiliser la bureautique de base, Word, Power Point, voire, dans ses fonctions basiques, Excel. Mais c’est tout. Alors je ne vois pas comment je pourrais vous aider dans ce domaine.

– Nous ne vous demandons pas de créer le système. Simplement, de trouver le moyen de disposer d’une multitude d’ordinateurs en réseau que nous utiliserons pour cacher nos données.

– Je peux essayer, mais sans aucune garantie que je vais trouver. Laissez-moi deux jours, car je n’ai pour l’instant aucune idée.

Deux jours plus tard, Claire me téléphona.

– Je pense avoir trouvé ce que vous cherchez. Puis je vous voir ?

Je m’empressai de lui fixer un rendez-vous. Dès son arrivée, elle me fit part de ce qu’elle pensait être un bon plan.

– D’après ce que j’ai compris de vos explications, il faut pouvoir cacher vos données dans des ordinateurs dont les propriétaires ne savent pas ce qu’ils contiennent, qui constituent néanmoins un réseau accessible, mais privé, qui puisse vous servir d’hébergement anonyme. Je crois que j’ai trouvé.

Elle me raconta sa rencontre avec sa tante parisienne, une brave demoiselle de soixante-sept ans dont la passion était le macramé. Elle faisait partie d’un club de macramé et ses membres échangeaient leurs réalisations sur Internet. Grâce au neveu d’une des affiliées, qui était ingénieur informatique, ce club avait créé  un véritable réseau privé qui leur donnait une assurance de discrétion.

– Pourquoi ne pas utiliser ce réseau totalement anonyme pour planquer vos données de manière aléatoire dans les ordinateurs. Le club a une audience mondiale puisqu’il y a des abonnées de nombreux pays du monde. Votre hacker s’introduit dans le club par mon intermédiaire et vous profitez du réseau, ni vu, ni connu.

Il est vrai, me dis-je, que personne ne songerait à fouiller dans les ordinateurs de personnes âgées qui ne s’intéressent qu’au macramé. Rien que ce nom ferait fuir la plupart des gens.

– Le seul ennui, c’est que vais devoir faire comme si je me passionnais pour le macramé, dit-elle en riant.

Après en avoir parlé aux autres, je lui donnais le feu vert et la mis en contact avec Vincent. Le courant ne passait pas bien entre eux deux. Elle se méfiait de lui. Il s’introduisait dans les machines sans qu’on le sache et elle ne pouvait admettre que cela pouvait être fait pour une bonne cause. Lui, Vincent, avait du mal à admettre une femme dans notre groupe très fermé. Il pensait que toute femme ne peut s’empêcher de divulguer à n’importe qui ce qu’elle sait sans en mesurer les conséquences.

L’affaire fut, malgré tout, rondement menée. En deux semaines, Claire fut intégrée dans le club et put partager ses idées sur les points de macramé avec une multitude de vieilles dames en mal d’embrouille de cordages, tout cela avec la complicité de sa tante qui ne se doutait absolument pas des causes du revirement de sa nièce en ce qui concernait l’art des nœuds. Claire transmit à Vincent son adresse e-mail et celui prépara l’installation de notre base de données dans le réseau. En vieux briscard, il introduisit dans un premier temps de nombreuses données qui n’avaient rien à voir avec celles que nous voulions abriter. Chacun de nous avait pour consigne de modifier ces pages, de les utiliser à qui mieux mieux de façon à voir si le système se comportait sans problème. L’expérience dura un mois pendant lequel les faits et gestes de Claire furent suivis de près par Vincent. Rien ne put lui donner à penser qu’elle jouait un double jeu. Elle se comportait normalement, sans s’intéresser au réseau hormis les nouveaux nœuds qu’elle s’efforçait maladroitement d’inventer pour justifier sa présence au club.

Un mois plus tard, elle fut intégrée dans notre groupe et initiée à nos recherches. Elle ne fut pas étonnée par ce que nous lui avons révélé. Elle s’y attendait et cela correspondait à ce qu’elle souhaitait : percer le mystère du cosmos et de la vie. Quelle aventure !

28/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 10)

Mathias fut chargé de la recherche du réseau d’ordinateurs. Vincent mènerait ses investigations sur les pirates. Je poursuivrai seul nos recherches, étant l’ignorant du numérique.

Je passais l’après-midi dans la bibliothèque de Beaubourg. Elle contient de nombreux livres qui concernent à la fois l’ésotérisme, les religions, la cosmologie, l’astronomie et les modèles cosmologiques intégrant le Big Bang, l’expansion de l’univers, les multivers et bien d’autres spécificités du cosmos. Je recherchais un livre traitant de l’énergie noire qui représente à peu près 68% de la densité totale de l’univers, mais dont la nature est inconnue. Je tentais de revenir à ce à quoi le professeur Foiras nous avait initiés. Consultant le fichier des ouvrages, je sentis tout à coup sur mon bras une main ferme, mais patiente. Je levais les yeux et retrouvai la jeune femme que j’avais déjà vue une fois et que je pouvais éventuellement soupçonner d’avoir piraté notre base de données.

– Bonjour, Monsieur, me dit-elle d’une voix claire, vous cherchez quelque chose. Je peux peut-être vous aider.

Ce n’était qu’un constat. Il signifiait sans doute qu’elle s’y connaissait, mais en quoi, puisqu’elle ne savait pas quel était l’objet de nos recherches, en dehors de ce que je lui avais dit.

– Bonjour, Mademoiselle. Je poursuis mes recherches tranquillement et n’ai plus la célérité des jeunes. Je ne pourrai pas vous suivre si vous m’aider, alors à quoi servirait de vous dire ce que je cherche.

– Cela vous permettrait d’aboutir plus vite, donc de creuser plus votre sujet pour vous amener à une réflexion plus approfondie.

Le raisonnement était juste. Elle ne payait pas de mine, mais elle savait ce qu’elle voulait et semblait s’y connaître. Je n’osais cependant lui dévoiler l’objet de nos recherches, tout en me demandant si effectivement elle ne pourrait pas nous être d’une aide précieuse. Je décidais de faire un test. Je lui expliquais ce qui concernait l’énergie sombre (ou noire, c’est la même !) et ma recherche de livres traitant du sujet, dont en particulier l’accélération de l’expansion de l’univers.

– Je connais bien ce sujet. J’ai travaillé dessus au cours de ma thèse, bien que celle-ci ne portait pas strictement sur ce point. On trouve de nombreux livres en anglais, mais bien peu en français.

Ainsi elle était thésarde et semblait savoir de quoi elle parlait. Elle n’avait pourtant pas l’air d’être une matheuse : ni boutons sur le visage, ni vêtements godiches, ni lunettes d’écaille. Elle avait un visage calme, une peau légèrement rose, peu bronzée il est vrai, des pommettes saillantes, mais sans exagération, les yeux clairs, presque bleus clairs à l’exception d’une pointe bleu marine en approchant de la pupille. Comme son visage était penché vers moi, j’eus l’occasion de faire ce constat. Il me sembla de bon augure. Ses lèvres étaient assez minces, mais d’un dessin irrésistible. Sa coiffure auburn lui donnait un air insolite. Elle l’avait coupé court, mais suffisamment nuageuse pour ne pas faire masculin. Enfin, au-delà de ces apparences, elle semblait très à l’aise, presque culottée. De plus, elle avait le sourire aux lèvres, semblait avenante et impressionnait peu ceux qui pouvait parler avec elle. Avouons-le, je fus séduit, ce qui ne signifie pas que je tombais amoureux et qu’il y eut l’impulsion bien connue d’une personne âgée vers les êtres jeunes. Non, je voyais simplement une jeune femme ouverte, attentive et, ma foi, intéressante.

Je me levai et lui proposai d’aller à la cafétéria pour parler de nos préoccupations.

–Tout d’abord toutes mes félicitations pour votre parcours. Vous m’avez l’air bien armé pour la suite. Mais que voulez-vous faire ?

– C’est mon problème. En fait je ne sais pas exactement.

Apparemment, l’astronomie ne l’intéressait pas suffisamment pour qu’elle se consacre entièrement à cette discipline.

– Qu’est-ce qui vous intéresse réellement ?

– En fait, je ne suis pas directement intéressée par les sciences dures, malgré ma thèse. Je m’intéresse à ce qui peut sembler à certains des contes philosophiques. Ce qui m’intéresse, c’est un mélange de science et de philosophie, voire de spiritualité.

– C’est-à-dire ?

– Vous savez comme moi que la science est arrivée aux confins d’une compréhension autre que scientifique et même philosophique. Elle se pose la question de l’origine du cosmos et rejoint par-là la philosophie des Grecs et la théologie des Pères de l’Eglise et les réponses que donnent chacune des religions. La difficulté actuelle n’est plus de trouver au travers d’une discipline, mais de nouer des relations entre celles-ci de façon à éliminer contes, souhaits ou doctrines. C’est, je pense, une future discipline à part entière. Mais la plupart de savants, philosophes et théologiens récusent une telle approche. La vérité est pour eux dans leur seule discipline et ils ne veulent pas en démordre.

Tout à coup, je réalisai que ses centres d’intérêt étaient semblables aux nôtres et qu’elle était proche de notre vision. J’en fus enthousiasmé. Une recrue de choix ! Mais... Doucement. Il fallait la dédouaner de toute velléité de piratage et la tester sur son aptitude à intégrer notre groupe.

24/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 9)

Réunion de crise. Nous nous mîmes au travail. Mathias expliqua pour quelles raisons il était persuadé que nous avions eu une visite. Cela nous parut évident à tous. Mais il s’agissait d’abord d’interdire toute nouvelle pénétration ou de se déconnecter d’Internet, ce qui nous laissait sans possibilité de recherche. Il importait également de savoir qui pouvait chercher à nous pirater. C’était pour ces deux points l’affaire de Vincent, notre hacker. Se déconnecter n’était évidemment pas un problème. Interdire un nouveau piratage lui semblait à sa portée. Le dernier point était moins palpable. Il se mettrait à cette recherche dès qu’il aura réussi à trouver le moyen d’interdire toute intrusion.

Deux jours plus tard, Vincent nous téléphona :

– On peut se réunir. J’ai quelque chose à vous proposer qui devrait nous garantir contre les intrusions. Rendez-vous ce soir, à dix-huit heures chez Mathias.

Chacun de nous attendit avec impatience la fin d’après-midi, arriva en avance d’un quart d’heure, si bien qu’à dix-sept heures cinquante nous pûmes commencer la réunion.

– J’ai trouvé et cela me semble solide. J’ai réfléchi avant de trouver la solution. C’est en lisant le journal hier matin que j’ai résolu notre problème. Il y avait un article sur les postes radio à évasion de fréquence, en fait des postes radio à étalement de spectre par saut de fréquence. Certains pays, dont les Etats-Unis, se plaignaient de plages de fréquence insuffisantes pour l’ensemble de leurs systèmes de transmission. Lisant cela, je me suis dit qu’il devait être possible de fragmenter nos fichiers, de les introduire dans de nombreux ordinateurs et de concevoir un logiciel permettant, grâce à un système robot informatisé, muni de clés de chiffrement, de définir un ordre de récupération des documents. Ils pourraient alors être lus, voire modifier, puis le travail achevé, être à nouveau dispersés et renvoyés dans les ordinateurs utilisés en changeant bien sûr l’ordre dans lequel ils sont intégrés dans chacun de ceux-ci. Comprenez-vous le principe ?

– Cela me semble assez clair, dis-je, mais est-ce possible techniquement ?

– Avec un peu de travail cela semble possible. Il faut juste concevoir le logiciel permettant d’effectuer toutes ces manipulations en temps compressé.

– Il me semble que toutes les données doivent auparavant être cryptées, ce qui compliquerait sérieusement le travail des pirates, dit Mathias.

– C’est effectivement ce que j’ai prévu, ce qui demande un logiciel extrêmement rapide.

– En fait, c’est une sorte de SGBD un peu plus complexe, n’est-ce pas ? demanda Mathias qui avait quelques connaissances en informatique.

– Tout à fait, un système de gestion de base de données permettant l’accès permanent et rapide à nos données que personne ne peut lire car elles sont dispersées dans de nombreux disques durs.

– Combien de temps penses-tu qu’il te faut pour mettre ce système au point ?

– Je ne sais. Au moins une dizaine de jours, me semble-t-il.

– Et d’ici là que fait-on avec nos données ? 

– On n’y touche pas, on les déconnecte de la toile et on travaille sans filet, chacun rassemblant ses recherches dans son propre ordinateur qu’il ne connecte plus. Tous les deux jours, on se rassemble et on fait le bilan de nos recherches. Toi, Mathias, tu devrais pouvoir sans difficulté te charger de cette tâche.

– C’est parti ! s’exclama Mathias d’un air réjoui.

On avait trouvé une solution au premier problème. On avait une solution de principe pour le deuxième problème et dès que Vincent aurait mis au point son logiciel, nous nous attaquerions au troisième. Que demander de mieux !

Neuf jours plus tard, Vincent nous dévoila son système. Apparemment complexe, il était cependant simple à utiliser, trafiquant les données de manière caché aux utilisateurs. Mais il fallait encore trouver les ordinateurs qui cacheraient les fragments de données. Il convenait de disposer d’un minimum de confiance pour introduire nos fichiers, même cryptés dans des machines que nous ne contrôlions pas. Cela supposait également de créer un double impérissable de ces données, car un ordinateur lambda peut tomber en panne, être cassé, volé ou être l’objet de tout autre incident qui pouvait effacer ou détruire les fragments de données, rendant ainsi incohérente notre base.

23/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 8)

Je ne réalisais que plus tard, dans la journée, l’importance de l’information. Pourquoi s’introduire dans notre base de données ? Je me dis d’abord que tous pouvaient faire la même chose : chercher sur Internet les informations concernant les aspects philosophiques, scientifiques, ésotériques, des nombres et concepts liés à la numération. Alors pourquoi nous pirater ? Certes, tout est rassemblé, ce qui évite les recherches auxquelles nous avions déjà consacré beaucoup de temps. Mais est-ce une réelle motivation de piratage ? Sûrement pas. Il doit y avoir autre chose. Mais quoi ? 

Nous nous étions bien douté que ce nombre manquant détenait vraisemblablement un pouvoir important. Celui qui le découvrirait aurait sans doute accès à des capacités d’action jusqu’ici insoupçonnées. Pensez donc : créer un pont entre le connu et l’inconnu, ou plutôt avoir accès à l’inconnu, tous les inconnus, grâce à une nouvelle manière de compter. Tout homme détenant un tel secret ne pourrait que chercher à l’utiliser et ne pourrait le garder pour lui. Il deviendrait aussitôt la proie d’une telle concupiscence  qu’il devrait être protégé en permanence, donc enfermé au secret. Je comprenais que nous n’avions jamais réfléchi aux conséquences de nos travaux. Nous faisions cela de manière entièrement désintéressée, comme une sorte de hobby ou comme un défi à relever. Mes réflexions à ce propos étaient jusque-là assez embrouillées. La nuit suivante me permit de placer dans les différentes cases les éléments d’analyse. Cela me sauta aux yeux pendant mon jogging matinal, le lendemain. Comme quasiment tous les matins, je courais dans les rues de Paris, soit le long des quais, soit dans les jardins. J’en profitais pour réfléchir le plus sérieusement possible à mes préoccupations insolubles. Je courais, je regardais la vie s’écouler à la vue des passants et tout d’un coup me venait une idée en rapport avec mes réflexions. Elle était le souvent insolite et pas forcément très claire, ou plutôt, elle n’était pas immédiatement en rapport avec celles-ci. Mais très vite, j’entrevoyais des rapprochements insolites. A peine rentré, je consignais par écrit mes intuitions. Auparavant, il m’était souvent arrivé d’oublier ce que j’avais entrevu. C’était perdu pour toujours, bêtement, par négligence ou parce que j’étais pris par quelque chose de plus urgent. Ce jour-là, je n’eus nul besoin de noter. L’inquiétude me frappa instantanément : notre engagement avait des côtés dangereux et nous devions nous tenir sur nos gardes.

Je pensais d’abord à Vincent, le hacker. Comment l’avions-nous inclus dans nos travaux ? Etait-il quelqu’un de fiable ? Je ne savais quoi répondre à cette interrogation. Et même, Mathias ? Ah, oui, lui me semblait sans faille. Nous avions conçu ensemble ce projet et il avait autant, sinon plus, d’idées que moi. Il me sembla que c’était une preuve suffisante. Ma femme ? Non. Elle m’avait mis en garde elle-même de manière assurée. Je me demandais maintenant si elle n’avait pas raison. Il faudra que je lui en parle, mais doucement. Ne pas éveiller de crainte en elle ! Le professeur Foiras ? Nous ne lui avions rien dit de nos recherches. Nous l’avions juste interrogé sur ce qu’il avait avancé plusieurs fois concernant la matière noire et l’immensité de notre ignorance. Il s’en tenait à un simple constat, une évidence au regard de ces observations, et ne s’intéressait pas spécifiquement à l’accès à ces données inconnues. Non, nous ne connaissions personne à qui nous aurions pu mettre la puce à l’oreille, même involontairement. Peut-être Vincent. C’est tout. Il faudrait en avoir le cœur net.

Soudain, alors que j’amorçais mon retour vers notre appartement, je pensai à une femme qui m’avait abordé à la bibliothèque de Beaubourg. Elle avait vu les trois livres que j’étudiais et s’était intéressée à moi en prenant prétexte des titres de ces livres. J’étais dans ma période mystique, pensant trouver des éléments intéressants dans ces documents peu lus et encore moins étudiés. Il s’agissait du « Livre des secrets », de Bhagwan Shree Rajneesh, de « Le centre de l’être » de Karlfried Dürkheim et de « La voie de la perfection » de Bahrâm Elâhi. Cet éclectisme la surprenait. Nous avions parlé assez longuement de ces enseignements. Elle voulait savoir ce qui me motivait dans ces recherches. Je lui avais répondu que seules les interrogations que je me posais sur la vie, la mort, le monde me poussait à chercher des réponses. Elle devait avoir un peu moins de la quarantaine, elle était jolie, fine, peut-être un peu effacée ou, tout au moins, son apparence n’était pas sa préoccupation première. Elle semblait intelligente, posait des questions argumentées, ne perdant pas le fil de ses pensées. Nous avions échangé nos cartes avec nos adresses-mails respectives. Mais nous ne nous étions pas recontactés, remettant chaque jour à plus tard l’envoi d’un message nous permettant de poursuivre notre conversation. Oui, il est possible que disposant de mon adresse-mail elle ait pu entrer dans nos échanges avec mes deux autres compagnons. Mais comment ? N’étant pas informaticien et encore moins hacker, j’étais incapable de savoir si cela était possible. Encore un point à vérifier.

22/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 7)

Nous continuâmes bien évidemment à suivre les cours à la Sorbonne, mais nous étions ensorcelé par notre question : y a-t-il un nombre exprimant le tout, du zéro à l’infini en passant par le un et l’ensemble de la numérotation ? Mais rien ne venait. Nous tournions en rond. Et encore ! Nous restions plutôt sur place, immobilisés dans nos interrogations théoriques sans pouvoir en sortir. Une fois de plus Lydie me donna quelques signes d’impatience auquel je ne pris pas garde. 

Un matin, Mathias me téléphona d’un air catastrophé :

– Nous avons été piratés !

– Comment cela, piratés ?

– Oui, tu sais, toutes nos recherches, je les ai confiées à notre hacker. Elles ne tenaient plus sur mon ordinateur, pas assez de mémoire. Il a créé une base de données privée, en principe inaccessible, que seuls quelques initiés peuvent consulter et, encore moins, modifier. Eh bien, ce matin en consultant une fiche sur le Rien, je me suis rendu compte qu’elle avait été transformée. J’en avais gardé un exemplaire sur ma machine et il est différent de celui que j’ai consulté.

– Quelle différence ?

– Cela semble idiot, mais cela ne porte que sur quelques mots, par exemple, le mot ZERO a été retourné. Il est écrit OREZ. Et je peux t’assurer que je n’ai rien touché, ni le hacker qui est maintenant aussi pris par note recherche que nous le sommes.

– Y a-t-il d’autres changements ?

– Je ne sais, je t’ai téléphoné dès que je me suis rendu compte de cette intrusion, car il y en a eu une. Je suis formel. Pour l’instant notre hacker tente de remonter à l’origine et d’identifier l’auteur. Mais cela peut demander plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avec la possibilité de ne pas aboutir.

– Et comprends-tu la raison de cette inversion ?

– Je t’avoue que non. Pourquoi avoir fait cela ? C’est mettre en évidence le fait que l’on sait ce qu’il y a dans notre mémoire collective. Alors je ne vois pas l’intérêt de le dévoiler, si ce n’est de montrer que l’on s’intéresse à nos recherches. Pourquoi ? Va-t’en savoir.

– J’espère que notre hacker a modifié tous les codes et clés d’entrée ainsi que le cheminement des options possibles. Il faut à tout prix empêcher toute intrusion dans notre base de données.

– Oui, cela a été fait aussitôt. Mais on a déjà l’impression que ces nouveaux codes sont déjà percés et empruntés.

– Pourquoi ?

– C’est Vincent, notre hacker, qui me l’a dit. Il le sent, mais il ne sait pas encore comment.

– Dans ce cas, il faut tout simplement fermer notre base de données ou au moins la déconnecter de la toile, en attendant de trouver une solution.

– Oui, je pense que tu as raison. Je vais le dire à Vincent. Ou plutôt, non. Je te le passe.

– Oui, Vincent, je pense qu’il faut tout de suite déconnecter notre base de données du réseau. Nous avons rassemblé trop d’éléments qui pourraient intéresser des organisations qui chercheraient à les exploiter, qu’elles soient religieuse, sectaire, mafieuse, financière, voire même des Etats.

Celui-ci en convint et la base de données fut déconnectée en attendant que nous trouvions une solution pour empêcher toute intrusion, ce qui était le travail de Vincent, le hacker.

04/01/2015

Zen

J’ai découvert qu’il est nécessaire, absolument nécessaire, de ne croire en rien. C’est-à-dire : nous devons croire en quelque chose qui n’a ni forme ni couleur – quelque chose qui existe avant l’apparition de toute forme et de toute couleur.

Shunryu Suzuki, Esprit zen, esprit neuf, Le Seuil, 1977

 

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Stephen Hawking, Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? Odile Jacob, 2010.

 

Les mêmes interrogations dans deux personnalités franchement différentes. Mais, me direz-vous, ces deux propos n’ont rien à voir entre eux ! L’un nous dit de ne croire en rien ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas croire. Trouvez ce qu’il y a au-delà de tout. Quel programme !

Stephen Hawking prend le problème à l’envers : pourquoi y a-t-il quelque chose. Et que nous dit-il ? La gravitation déformant l’espace et le temps, elle autorise l’espace-temps à être localement stable mais globalement instable. À l’échelle de l’Univers entier, l’énergie positive de la matière peut être compensée par l’énergie négative gravitationnelle, ce qui ôte toute restriction à la création d’univers entiers. Parce qu’une loi comme la gravitation existe, l’Univers peut se créer et se créera spontanément à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il existe quelque chose plutôt que rien, pourquoi l’Univers existe, pourquoi nous existons. Il n’est nul besoin d’invoquer Dieu pour qu’il allume la mèche et fasse naître l’Univers. L’univers serait donc né du néant et retournerait au néant.

Dans les deux cas la vie est éphémère. Mais pour l’un il y a quelque chose au-delà du tout, alors que pour l’autre il n’y a rien. Et nous en sommes réduits au mystère de l'avant Big bang : qu'y a-t-il derrière le mur de Plank, interrogation virtuelle sur l’information. Dieu serait information, un mathématicien de génie, qui par la puissance de sa pensée a créé l’univers. On commence à rejoindre la bible : une étincelle et le monde est créé, Que la lumière soit et la lumière fut. Mais la bible nous dit qu’au commencement Dieu créa les cieux et la terre, c’est-à-dire un monde visible et un monde invisible ou encore un monde immatériel et un monde matériel, avant même l’étincelle de la première lumière. Et le monde invisible se mouvait au-dessus du monde visible qui était informe et vide, c’est-à-dire à l’état d’informations, un monde virtuel qui naîtra avec le Big bang.

Toujours la même question : l’univers est-il ou non né de rien, c’est-à-dire du néant. Mais on peut poursuivre l’interrogation : qu’est-ce que le néant ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr c’est que ce monde ne peut connaître que ce qu’il conçoit et que concevoir le néant et l’au-delà du néant est une tâche impossible à qui vit dans le monde.

Alors poursuivons avec détermination notre quête, tout en acceptant notre sort.

24/10/2014

L’avenir de l’humanité

Combien il est difficile d’imaginer l’avenir de l’humanité. Peu d’auteurs le tentent, avec plus ou moins de bonheur et lorsqu’ils le tentent de quel avenir parlent-ils ?

Pour les uns il s’agit, comme c’est le cas d’Attali, de l’avenir dans 50 ans (Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006). Il n’est pas très beau : un monde sans Etats, un marché mondial désorganisé, un hyperempire marchandant le temps et les corps) qui finit par un hyper conflit. Celui-ci appellera l’humanité à prendre conscience de la solidarité impérative de l’humanité et amènera à des réseaux solidaires, des « entreprises relationnelles »,  du micro-crédit, une intelligence collective et enfin une démocratie participative mondiale.

Pour d’autres, l’avenir est ce que je suis maintenant, l’avenir est ce que nous faisons tous les jours de notre vie dans le présent. Ainsi le dit Krisnamurti, (Juan Carlos Kreimer, Krishnamurti for Beginners, Writers and Readers Ltd, 1999, p.201) : Y a-t-il un changement s’il y a une direction particulière, une fin particulière, une conclusion qui semble saine, rationnelle ? Ou peut-être une meilleure expression serait-elle « la fin de ce qui est ». La fin, pas le mouvement de « ce qui est » vers « ce qui devrait être ». Ceci n’est pas un changement. Mais la fin, la cessation, le - quel est le mot juste ? - Je pense que « fin » est un bon mot, tenons-nous en donc à celui-ci.

D’autres encore pensent l’avenir en termes de singularité naissant d’un changement d’échelle du développement exponentiel des nouvelles technologies. Elle peut s’imaginer en tant que singularité d’extinction (bond en arrière du développement de l’humanité), mais aussi en tant que singularité qu’autorisent les transferts massifs d’information entre l’homme et la machine qui feraient naître une nouvelle humanité que nous ne pouvons actuellement imaginer en raison des obstructions de type indécidabilité mathématique du mathématicien Gödel.

Ne poursuivons pas ces différentes visions. Posons-nous la question en tentant de voir encore plus loin. C’est ce qu’a tenté Pierre Teilhard de Chardin (Œuvres de Teilhard de Chardin, L’avenir de l’homme, Le Seuil, 1959). Pour lui, tout se passe  comme si, au cours de son existence phylétique, chaque forme vivante atteignait ce qu’on pourrait appeler une période ou même un point de socialisation (p.58). L’homme à la rencontre des autres et de lui-même par la foi en la valeur spirituelle de la Matière. Quel idéal : l’homme atteint sa plus grande originalité et sa plus grande liberté dans une socialisation qui va jusqu’à, in fine, sacraliser la matière qui deviendrait spirituelle. Y a-t-il une vision plus large que celle-ci ? Teilhard était un homme singulier, un génie visionnaire dont la vision était globale et se rapprochait des celles des savants qui cherchent au-delà du big-bang. Mais, chose singulière, cette vision était tournée vers l’avenir et non vers le passé, c’est-à-dire la naissance de l’univers. Lui aussi voit l’apparition d’un ultra-humain. Son objectif : un rebondissement de la vision de l’humanité : vers l’en haut par l’en avant, une fusion de la vision tournée vers un Dieu créateur du monde et d’une humanité qui se construit elle-même et se divinise. Mais Teilhard va encore plus loin, il parle de la fin de l’espèce humaine qui se fond en un ultra-humain. Ainsi, comme une marée immense, l’être aura dominé le frémissement des êtres. Au sein d’un océan tranquillisé, mais dont chaque goutte aura conscience de demeurer elle-même, l’extraordinaire aventure du Monde sera terminée. Le rêve de toute mystique aura trouvé sa pleine et légitime satisfaction. (Inédit, Tientsin, 25 mars 1924).

 

Ces derniers propos ne sont-ils pas rafraîchissants ? Ils nous éloignent de nos préoccupations premières d’homme qui n’est pas encore un surhomme ou un hyper-homme ou un superman. Je suis homme tout simplement. N’est-ce pas déjà un miracle ?

09/10/2014

Expériences de mort imminente

https://www.youtube.com/watch?v=Hxs7WPaBiZo

Intéressant montage sur des expériences de mort et de retour à la vie. Un voyage hors du monde, reconstitué par des expériences multiples sur lesquelles la science s’est penchée. Mais ce qui est encore plus intéressant est l’explication que tente d’en donner l’Institut national de recherche sur le cerveau aux Pays-Bas.

Le promoteur de cette nouvelle théorie distingue le cerveau, cette masse matérielle blanche et grise, de l’esprit, le bio-ordinateur électrochimique de la psyché subjective. L’esprit n’est pas indépendant du cerveau, mais il est également en relation avec un autre plan. Il estime que le monde physique n’est que la surface d’une réalité plus profonde comme la surface de l’océan sur laquelle nous flottons lorsque nous sommes en bateau. Les profondeurs de la pensée nous réservent encore bien des surprises, comme les profondeurs de l’océan.

Certes, la théorie ne va pas plus loin. Elle entrouvre une porte sans que l’on puisse pénétrer à l’intérieur. On perçoit une fente qui n’explique rien, mais qui dévoile une autre réalité. Est-ce une région du cerveau qui permet ce voyage ou autre chose ? La science ne le sait, pour l’instant. Mais quel pas par rapport à ce que les scientifiques pensaient il y a encore peu de temps.

21/05/2014

Le visage de Dieu, d’Igor et Grichka Bogdanov

Le livre d’Igor et Grichka Bogdanov, Le visage de Dieu, Grasset, 2010, a soulevé de nombreuses polémiques. Hors de cela, il a un avantage. Il met à la portée de tous les réflexions des plus grands savants actuels sur la naissance de l’univers : le Big Bang  et ce qui pouvait être avant celui-ci. Commentant les images de l’univers naissant transmises par le satellite COBE, George Smoot, prix Nobel de physique, s’exclame : « Pour les esprits religieux, c’est comme voir le visage de Dieu ! ». Cependant, aujourd’hui le mystère reste entier. Ce dont nous sommes certains, c’est que l’univers possède un code, les lois physiques, dont l’origine est au-delà de l’univers créé, au-delà du temps et de l’espace qui sont, avec la matière, nés avec l’univers. Paul Davies (The Mind of God, Simon et Schuster, 1992) dit que ces lois ont un caractère abstrait, intemporel, éternel. Il écrit : « J’appartiens au nombre de ces chercheurs qui ne souscrivent pas à une religion conventionnelle, mais refusent de croire que l’Univers est un accident fortuit. L’univers physique est agencé avec une ingéniosité telle que je ne puis accepter cette création comme un fait brut. Il doit y avoir, à mon sens, un niveau d’explication plus profond. Qu’on veuille le nommer « Dieu » est affaire de goût et de définition. »

Au-delà de l’histoire de ces recherches et des récentes découvertes de la cosmologie, Igor et Grichka Bogdanov tente, sans doute maladroitement, mais toute idée nouvelle est perçue comme maladroite, une explication de ce qui a donné naissance au Big Bang. Faisant suite à l’interrogation de George Smoot (Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi y a-t-il de l’Etre ?), ils posent la question de l’ADN cosmique, ce code de l’Univers au-delà du temps, de l’espace et de la matière.

« L’un des objectifs de la science consiste, pour l’essentiel, à réduire la complexité apparente des phénomènes, à leur donner une explication simple. Si vous ramassez une poignée de neige au creux de votre main, vous verrez très vite que chaque flocon est différent des autres. Certaine sont cristallisés en étoiles, d’autres en hexagones, d’autres encore en cercles parfaits couronnés de six petites pointes : tous uniques, les flocons peuvent être ramifiés d’une infinité de formes, ces myriades de combinaisons  vont se résoudre en une réalité très simple, commune à tous les flocons ; il suffit de les faire fondre dans votre mains pour réduite l’infini des figures géométriques à quelques gouttes d’eau ; un soupçon d’hydrogène et un souffle d’oxygène. »

Les auteurs répondent-ils à leur question du chapitre 21, le dernier : d’où vient le Big Bang ? Leur réponse : l’information. Malheureusement cette hypothèse, qui n’est certes pas idiote, est insuffisante pour être prise au sérieux et surtout insuffisamment réfléchie et expliquée, d’autant plus qu’ils ajoutent : « Y a-t-il encore quelque chose au-delà ? Si nous acceptons l’idée que l’Univers est un message secret, qui a composé ce message ? Sans doute l’absence de réponse est-elle écrite dans le message. »

Ont-ils ajouté leur toute petite pierre à la compréhension de notre origine ? Cette réponse semble bien insuffisante et même s'ils apportaient les preuves de leur affirmation, que signifie le terme information ? S’agit-il d’un contenant ou d’un contenu. L’information n’est qu’un terme vide qui ne dit rien du contenu. Ils ont transposé le fait que toute réalité est information pour dire qu’à l’origine de l’univers il y a l’information. Cela rappelle cette affirmation de Proudhon : « Dieu est la force universelle, pénétrée d'intelligence, qui produit par une information d'elle-même, les êtres de tous les règnes, depuis le fluide impondérable jusqu'à l'homme » (Pierre-Joseph Proudhon, Confessions d’un révolutionnaire, Garnier Frères, 1849). Oui, l’information certes, mais laquelle, que contient-t-elle et d’où vient-elle ? Comment aurait-elle pu se fabriquer toute seule ?

28/04/2014

Un homme remarquable

Je ne sais quelles sont les raisons qui m’ont amené à penser à ce professeur de philosophie que nous avions l’année du bac. Très certainement, il m’a donné le goût de la réflexion. C’était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philo. Sa salle de classe était une petite pièce qui n’avait qu’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Nous étions serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir devant des tables en fer, gondolées. Mais peu nous importait, on entrait dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Nous l’avions surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme lui des cheveux crépus en envol autour de sa tête. Il se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe. Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Nos camarades jeunes filles en rosissaient quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur.

Il nous éclaira sur l’origine du monde, nous parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il nous initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et nous ne soupçonnions pas les trésors qu’il nous divulguait.

Nous l’avons tous remercié à la fin de l’année. Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.