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29/09/2019

Locédia, éphémère (25)

Le premier jour du printemps, quand la sève nouvelle travaille le corps, les cadavres d'amour étaient enterrés au cours d'une grande fête. De grosses pipes, utilisées une fois l'an pour la circonstance, mues par des soufflets de forge, éclairaient le puits de leurs flammes violacées tandis que le fossoyeur opérait la mise en bière des cadavres. Bien payée, il ne travaillait qu'un jour par an. Le reste du temps, il allait de maison en maison établir sa clientèle. Puis on procédait à la mise en tombe. Ce soir là, la place était creusée de cratères quinconcés. On les franchissait à l'aide de petites échelles de bois rare courbées. Le soufflet des pierres tombales, empilées les unes sur les autres, se dégonflait peu à peu au rythme des flammes des pipes. Les derniers cadavres d'amour, moins chanceux que les autres, n'avaient pas la joie dernière d'être enterrés à la lumière. Souvent même le dernier, enterré dans le noir complet des nuits montagnardes, laissait échapper un bras ou un pied hors de sa tombe, légèrement écrasé par la dalle.

Hier, seul un arbre à femme mort coupait l'horizontalité de la place, comme un épouvantail posé là pour empêcher les enfants de jouer sur les tombes. Un étroit tunnel lumineux y prenait naissance et s'enfonçait en pente douce dans le flanc de la montagne. Après une demi-heure de marche, je débouchais au pied d'une colline, dans une vallée envahie de plantes piquantes et de pierres empilées. De longues ronces se déroulaient aux alentours du chemin caillouteux et s'enchevêtraient en un amas inextricable. Quelques fleurs noires égayaient leurs touffes. Ces fleurs se nourrissent d'insectes en les attirant avec le parfum d'amour dont se revêt la femelle à la période nuptiale. Elles les digèrent lentement, déchiquetant peu à peu de leurs courtes dents poilues l'aile, puis l'abdomen du mâle, rejetant la tête et les pattes trop velues à leur goût.

Au fond de la vallée habitée de pierres difformes, j'aperçus une ferme dont la ruine abritait ses dernières poutres sous des arbres décharnés. Soucieux d'un abri pour la nuit, j'avançais péniblement, escaladant les pierres. A ma grande surprise, une forte odeur de vie régnait dans l'une des pièces, la seule dont le plafond n'était pas défoncé. Dans la cheminée, quelques braises de bois dur gisaient éparses, grisonnantes au-dessous d'une bassine de cuivre verdâtre. Des herbes avec leurs tubercules y flottaient dans une eau trouble. Dans un coin, un lit de bois étirait ses pieds, revêtu d'une cretonne trouée comme un gruyère, tandis qu'à son chevet un fauteuil basculant à dents de scie naviguait sur le carrelage terreux. Je m'étendis douloureusement sur le lit boursouflé et m'endormis.

28/09/2019

Chute

 

Il chut sans crainte
Le blanc de l’éternité
Le noir de la mort

 

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26/09/2019

Métropolitain

Un pied en avant, deux valises à trainer
L’autre le rejoint, mais le premier est déjà loin
Derrière la poignée des valises, loin
Probablement trop loin
Je tire à moi ce poids qui résiste
Il ne vient pas et me freine
Mais mes pieds partent avec l’escalier roulant
Je pars en avant montant imperturbablement
Je pars en arrière tenant les valises
Me voici dissocié, le corps étiré
Je pars à reculons et plane une seconde
Où sont le haut et le bas, l’avant et l’arrière ?
Je suis sans référence ni attache
Une plume dans l’espace autour des corps
Je pars, je suis parti, les pieds trop haut
Le buste glisse au long du tunnel montant
Je franchis les valises prestement
La tête effectue une courbe parfaite
Le corps écrase mes bagages
Les corps des autres s’échappent en avant
Un coup de gong achève la chute
Je vois les jambes de ceux qui montent
Je vois les regards étonnés et curieux
J’entends un mouvement et un cri
Je suis toujours entraîné vers l’avant
Propulsé par le sol qui monte inexorablement
Ne laisse pas traîner tes doigts, me dis-je
Les pieds en l’air, planquant mes extrémités
Empêtré dans mes valises mouvantes
Je réfléchis dans le brouillard épais
J’entends les cris de la foule impressionnée
Ça y est, je reconnais le haut et le bas
La gauche de la droite, moi-même et l’autre
Je me redresse, malgré tout désorienté
Les images tournent et se succèdent
L’escalier avance, imperturbable
On arrive en haut, je vois la fin du calvaire
Les rayures, les marches qui entrent dans le sol
Je me redresse enfin avant l’entrée
Dans cette porte dentée qui s’enferme
Et broie présence et souvenirs
Un pied en avant ; l’autre qui le rejoint
Le corps debout, la tête en place
Les têtes autour de moi, anxieuses
Je suis infirmière, me dit l’une d'elle
Elle me tâte le haut du crâne
D’autres veulent appeler les pompiers
Je prends conscience de ce désordre
Je me cale les pensées et remercie
Fuyons ce brouhaha, cela ira mieux
Repartir comme si de rien n’était
Poursuivre la lente remontée dans le couloir
Jusqu’à la sortie de la pesanteur
Et l’échappée vers l’air libre
La liberté malgré le dépaysement
Deux jours plus tard, la tête va bien
Mais une côte vacille et étire sa douleur
Lorsque je me couche et ne peux dormir
Le silence de la nuit à côté de celle
Qui est là, toujours et encore
A m’entourer d’un baume fluidifiant

©  Loup Francart

25/09/2019

Affection

Immensité de la terre ou petitesse, selon la place qu'occupe dans le cœur l'être dont la distance nous sépare.

Sans doute est-ce parce que la pensée est plus vaste que l'univers qu'elle est aussi facilement vide. On oublie un être qui vit à côté de nous, mais un autre que l'on chérit reste beaucoup plus proche malgré la distance.

 

24/09/2019

Locédia, éphémère (24)

Mon âme ensevelie.

Descendu vers toi, je tends les bras à l'oubli et les bulles de souvenir éclatent au bout des doigts. D'autres m'échappent et m'ensevelissent. Partagées entre toi et moi, elles créent notre séparation. Je ne vois plus que l'herbe noire de tes cheveux et le contour de tes chevilles.

Hier, lassé du dédale incohérent de nos voyages, je suis retourné à ce village où Locédia m'avait fait venir après plusieurs semaines de silence. Il a vieilli. Haussé sur son bloc de pierre, il est devenu inaccessible. Une échelle de corde au pied d'un caillou mou et ventru pour protéger des chutes constitue maintenant la seule voie d'accès. Faite de fibres de limace, elle est légère et souple. Je dus me munir des gants de crin que j'avais dans le coffre de la voiture pour l'empoigner. Elle mène au soupirail d'une maison à moitié taillée dans le roc. Après de vigoureuses tractions des bras, je m'y laissais glisser. Aveuglé, je ne vis d'abord qu'un trou noir. Je m'aperçus ensuite que la pièce montait en colimaçon vers une porte de bois vert qui donnait sur l'étable à chats. Je me souviens de mon étonnement lorsque Locédia, habituée du village, m'avait appris qu'on n'apprivoisait pas les chats pour s'en faire des amis. On les domestiquait pour les détruire. Les montagnards qui les avaient longtemps combattus, jugeaient plus facile de les élever, puis de les tuer au moment où ils parvenaient à leur période nuisible. Un vieillard, aidé de jeunes enfants, suffisait à cette tache d'utilité publique (songez donc aux maisons envahies par les chats. On arrivait à peine à apprivoiser les souris blanches !).

Traversent la chatterie, j'arrivais à un épais corridor donnant sur une pièce en forme de puits où la lumière descendait en cascades rebondissant sur les pierres de mica. Je me regantais pour emprunter une nouvelle échelle de corde et débouchais sur la place du village. Locédia m'y avait conduit pour la fête du printemps. Je la reconnaissais difficilement. Elle servait de cimetière. Les dalles ondulaient entre les herbes bleues dont la barbe moussait aux jointures des pierres. Leurs fleurs de lèvres rouges émettaient un crissement de baisers lorsqu'elles se rencontraient. Seuls les morts d'amour, assez nombreux dans le village où la solitude des mois d'hiver encombrait les corps, y étaient enterrés. Durant ces mois, les cadavres d'amour, livides de plaisir, étaient entreposés dans une petite glacière réservée à cet effet. Creusée dans la roche, à l'abri des regards tentateurs, elle laissait apparaitre sur un rayon de soleil quelques mains ou jambes décolorées parmi les cristaux de neige. Le soir, à la veillée, les vieux du village venaient y fumer leur pipe qui dégageait une petite flamme violette s’ils se penchaient au-dessus du puits de la glacière. Aussi disait-on dans le pays que l'âme des morts d’amour a le pouvoir de transmettre la flamme aux mortels communs,

 

23/09/2019

Cubécar

 

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Douce comme toi

Le cœur tendre ou la peau dure

Aiguë comme lui