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24/09/2019

Locédia, éphémère (24)

Mon âme ensevelie.

Descendu vers toi, je tends les bras à l'oubli et les bulles de souvenir éclatent au bout des doigts. D'autres m'échappent et m'ensevelissent. Partagées entre toi et moi, elles créent notre séparation. Je ne vois plus que l'herbe noire de tes cheveux et le contour de tes chevilles.

Hier, lassé du dédale incohérent de nos voyages, je suis retourné à ce village où Locédia m'avait fait venir après plusieurs semaines de silence. Il a vieilli. Haussé sur son bloc de pierre, il est devenu inaccessible. Une échelle de corde au pied d'un caillou mou et ventru pour protéger des chutes constitue maintenant la seule voie d'accès. Faite de fibres de limace, elle est légère et souple. Je dus me munir des gants de crin que j'avais dans le coffre de la voiture pour l'empoigner. Elle mène au soupirail d'une maison à moitié taillée dans le roc. Après de vigoureuses tractions des bras, je m'y laissais glisser. Aveuglé, je ne vis d'abord qu'un trou noir. Je m'aperçus ensuite que la pièce montait en colimaçon vers une porte de bois vert qui donnait sur l'étable à chats. Je me souviens de mon étonnement lorsque Locédia, habituée du village, m'avait appris qu'on n'apprivoisait pas les chats pour s'en faire des amis. On les domestiquait pour les détruire. Les montagnards qui les avaient longtemps combattus, jugeaient plus facile de les élever, puis de les tuer au moment où ils parvenaient à leur période nuisible. Un vieillard, aidé de jeunes enfants, suffisait à cette tache d'utilité publique (songez donc aux maisons envahies par les chats. On arrivait à peine à apprivoiser les souris blanches !).

Traversent la chatterie, j'arrivais à un épais corridor donnant sur une pièce en forme de puits où la lumière descendait en cascades rebondissant sur les pierres de mica. Je me regantais pour emprunter une nouvelle échelle de corde et débouchais sur la place du village. Locédia m'y avait conduit pour la fête du printemps. Je la reconnaissais difficilement. Elle servait de cimetière. Les dalles ondulaient entre les herbes bleues dont la barbe moussait aux jointures des pierres. Leurs fleurs de lèvres rouges émettaient un crissement de baisers lorsqu'elles se rencontraient. Seuls les morts d'amour, assez nombreux dans le village où la solitude des mois d'hiver encombrait les corps, y étaient enterrés. Durant ces mois, les cadavres d'amour, livides de plaisir, étaient entreposés dans une petite glacière réservée à cet effet. Creusée dans la roche, à l'abri des regards tentateurs, elle laissait apparaitre sur un rayon de soleil quelques mains ou jambes décolorées parmi les cristaux de neige. Le soir, à la veillée, les vieux du village venaient y fumer leur pipe qui dégageait une petite flamme violette s’ils se penchaient au-dessus du puits de la glacière. Aussi disait-on dans le pays que l'âme des morts d’amour a le pouvoir de transmettre la flamme aux mortels communs,

 

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