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28/07/2019

Absence

Un simple bout de papier
Une mince feuille qui vole
Et le voilà parti
Dans les rêves les plus fous

Rien ne l’en fera sortir
L’œil fixe, enrobé de douceur
Il laisse ses mains jouer
Et ses pieds batifoler
Sa tête est ailleurs
Dans les champs et rivières
Elle rêve d’elle-même
Et se regarde vivre

Cela lui plaît, cette vie désincarnée
Il vit d’ailleurs plusieurs vies
Et se contemple sur toutes ses faces
Luisant comme un paon
Attaché à ses personnages de verre
Plus bouillonnant qu’un volcan
Et fragile comme une poupée

Avance donc dans la folie
Marche sur tes chaussures
Cours dans ta tête ébranlée
Fais de ton être entier
Un hommage à l’humanité

La folie m’a rattrapée
Plus rien ne me sauvera
Que la contemplation de l’absence
Et la découverte de l’autre

©  Loup Francart

27/07/2019

Locédia, éphémère (13)

Au troisième étage, après une montée plus pénible, je m’arrêtais sur un palier incliné vers une porte basse d'où s’échappait la rumeur aigrelette d’une voix de femme troublée par le sourd bourdonnement d’un homme. Elle est là. Tu es là et tu n'es pas seule. Tu es là, si près de moi que je sens déjà le grain souple de ton bras. Tu parles. Tu ne me regardes pas. Tu ries et ton rire me transperce. Tu ne ries pas pour moi, tu ries pour l’inconnu, un bourdon qui tourne autour de ma tête, me pénètre les oreilles et grignote ma raison. Pourquoi cries-tu tout à coup ?

Non, ce n’est pas toi. Tu ne cries pas ainsi. Tu cries pour rire, pour faire du bruit et rompre l’enchantement. Une autre femme est là. Elle a crié, juste assez pour que je l’ignore. On ne peut pas s’intéresser aux cris des gens.

Je repars, je reprends ma quête ascendante. Cinquième étage lentement révolu. J’aborde le sixième. D’un coté, à droite, une porte peinte, bien pleine, bien fermée, cloisonnée entre ses murs. Tu ne peux habiter là. De l’autre côté, à gauche, un linteau de perles ouvert sur l’obscurité. Je cherche en vain le bouton d’éclairage. Après quelques instants, je distingue le départ d’un nouvel escalier, plus étroit, plus bancale, écrasé entre deux murs tachés de gris. Il ne sent pas la cire. Il dégage une vieille odeur de grenier, une odeur de bois vermoulu, poussiéreux, usé par les chaussures. Il tourne aussi, mais s’enroule en fait à l’extérieur de la cage du premier escalier. Beaucoup plus raide que l’autre, il monte vers un corridor éclairé par une vitre posée à même le toit. Ce corridor serpente à son tour dans les recoins du grenier transformé arbitrairement en chambres dissymétriques et bossues.

Ne m’avais-tu pas dit une fois que ta chambre était minuscule, si petite qu’il fallait s’asseoir sur le lit pour écrire sur la table, s’y agenouiller pour faire sa toilette. Ne m’avais-tu pas dit que le plafond était fait de fentes multiples, de recoins, de méplats, d’ombre et de clarté. Je t’imaginais épousant de ton corps les aspérités du plafond, comprimée par l’épaisseur molle du lit, rampant maladroitement vers la seule issue possible, une petite entrée découpée au creux d’un mur. La table, le lit, le lavabo cernaient la porte et interdisaient son ouverture. Le rêve s’arrêtait là. La suite devenait sans importance, perdait son intérêt à côté de tes efforts désespérés pour glisser entre les aspérités du plafond. Qu’importait l’aboutissement. Seul me passionnait l’effort, la lutte contre les murs, les petites gouttes de transpiration qui perlaient au-dessus de ta lèvre supérieure, le désordre de tes cheveux.

Je cherchais ta présence derrière chaque porte grise, anonyme, semblable aux autres. Je guettais le son d’une voix féminine, l’odeur de ton parfum, la résonance de tes pas. Le corridor était revêtu de carrelage rougeâtre, lui-même emmitouflé dans une épaisse couche de poussière élimée vers le centre, à l'endroit où les pieds s’impriment.    Les tuiles laissaient s’écouler les gouttes de pluie qui formaient à certains endroits une sorte de mare dans le paysage poussiéreux et inégal du carrelage. On y marchait avec répugnance au début, puis avec volupté, le tapis moelleux de la poussière envoûtant la réception des pas. De la main, je suivais le cheminement inégal des murs, m’arrêtant plus longuement devant l’encoignure des portes, y cherchant une plaque, une carte de visite, un bout de papier portant un nom. J'eus vite parcouru les deux extrémités du couloir fermées sur un mur à la peinture écaillée. Rien, tu n'étais pas là. Si encore je connaissais ta porte. Pourquoi n’y as-tu pas laissé un signe ?

26/07/2019

Vie

 

Insuffisance de la pensée :

Nécessité de l’action, c’est-à-dire de la vie.

L’amour est l’expression la plus forte de la vie.

 

25/07/2019

La déité

La déité ne proclame pas
La déité ne livre pas bataille
La déité n’explique pas
La déité ne dit mot
La déité n’est pas du monde

Et pourtant...
Elle Est

Elle est la bise qui te berce
Elle est la vague qui t’emporte
Elle est celle qui t’embrasse
Elle est celui qui t’enseigne
Elle est l’enfant qui te tend la main
Elle est le vieillard qui te conseille

Elle est pouvoir sans vouloir
Elle est connaissance sans savoir
Elle est agir sans mouvement
Elle est amour sans désir

La déité n’a pas de nom
Mais elle sait tous les noms
La déité imprègne l’univers
Mais elle n’est pas du monde

La déité est le vide
Qui emplit le cosmos
La déité est la force
Qui créa la matière
La déité est le mouvement
Qui engendre la vie

La déité est le tout
Qui est en tout
Mais qui est hors du tout

La déité est le rien
Qui n’est ni ici ni maintenant
Et qui ne se dévoile à l’être
Que s’il s’oublie lui-même
Hors de l’étendue et de l’instant

©  Loup Francart

24/07/2019

Zéro

« Chaque nombre, jusqu'à l'infini, a jailli de 1 et, par conséquent, de 0. En ceci réside un profond mystère ».

Codex des moines de l'abbaye de Salem, fin du XIème siècle

 

 

Quel est le premier des nombres: le Un ou le Zéro ?

On pourrait penser bien sûr que c’est le Un. Le Un est un monde à lui seul. Il englobe une totalité. Il fait passer de la physique à la métaphysique, de l’individu à la personne, de la matière à l’esprit.

Le Zéro n’est rien. Il est vide, non qualifiable et non quantifiable puisqu’il n’existe pas. Pourtant l’homme l’a conçu, de même que l’infini qui est le tout du monde connu et inconnu, mais seulement materiel. Le monde spirituel n’est pas englobe dans cette comptabilité. Il est au-delà, dans la rencontre du moins et du plus, non pas par le zéro, mais par un nombre qui réunit les contraires en les conciliant et non en les opposant.

Alors, et alors seulement, le Zéro devient créateur du Un et du monde matériel, comme l’a démontré le mathématicien Cantor.

23/07/2019

Locédia, éphémère (12)

Chapitre 4

 

Ce soir-là, j’étais revenu à Cipar. Elle était absente depuis longtemps, Partie, son absence m'avait paru moins pénible, car j’oubliais peu à peu les lignes de son visage et, seul, parfois, le toucher d’un fruit mûr ou celui du velours de mon couvre-lit me rappelait sa présence. Chaque objet prenait alors un visage nouveau, une transparence compréhensible, qu'il ne possédait pas habituellement. Je découvrais sous le vernis sale qui les recouvre en permanence, une sonorité cristalline, une réalité invisible. Ils ne communiquaient pas à mon regard un nouveau pouvoir, mais tous mes sens se trouvaient soudainement aiguisés par cette réminiscence.

Debout elle se grandissait sur les jambes à la manière des héros de western et, laissant pendre ses bras, les épaules en arrière, elle se tournait vivement vers moi. Cette brusque volte du haut du corps entrainait les bras en un geste inarticulé, comme le pantin de carton bouilli qui refuse la dictature des ficelles. Alors elle riait en rejetant ses cheveux sur le dos, la gorge tendue et ses mains se levaient lentement pour enfin étouffer ce rire, un rire que j’attendais et qui chaque fois ne gênait. D'autres fois, elle tendait l’arc renversé de son corps et prenant ses seins à pleines paumes, elle déclarait, mi-rieuse, mi-sérieuse :

_ Ils sont beaux. Ne suis-je pas belle ? Et je souriais de cette adoration qu'elle portait à son corps.

_ Je veux te séduire, disait-elle encore on se penchant vers moi les yeux fermés et les lèvres offertes. Mais si je profitais de cette offrande, elle m'accusait d'abuser du fait qu'elle avait les yeux clos pour l’embrasser.

Où donc est la vérité ? Se moquait-elle ? Se contenait-elle ? Ce soir-là, elle s’est absentée si longtemps.

Je l'avais cherché dans la ville. Elle avait dû partir en voyage avec des gens qu’elle avait rencontrés au hasard de ses promenades. Elle n'appréciait la compagnie que de ceux qu'elle ne connaissait pas. Quand elle les connaissait vraiment, elle ne voyait plus que leurs défauts et souvent leur qualité première se métamorphosait en défaut exécrable pour elle. Aussi partait-elle à la découverte des êtres et cueillait-elle dans ce jardin anatomique de grandes brassées d'amis qui se fanaient plus ou moins vite selon la saison et son humeur. Si les fleurs savaient seulement empêcher qu’on les cueille au lieu d'offrir leurs longues tiges aux mains.

Je ne connaissais que le numéro de la rue et celui de la maison qui se dressait dans un des quartiers de la ville haute, émergeant au soleil. Promenade au long de murs de pierres blanches, des portes cochères vernies sous l'écrasant éclat du soleil de l’après-midi. Difficile pénétration de l'ombre derrière la porte de bois. Une lueur diffuse se propageait des fenêtres bancales de la cage d’escalier. Celui-ci s'entortillait sournoisement autour de murs lisses et les marches étaient si grandes que je devais m’y hisser à l’aide du tapis rouge dont les plis me servaient de point d’appui. La rampe de fer forgé tenait miraculeusement par quelques volutes de métal qui prenaient appui sur les marches. L'odeur de la cire envahissait le moindre recoin de celles-ci et les rendait glissantes. Les premiers étages étaient facilement accessibles et je guettais en équilibre sur une marche les bruits qui pouvaient passer au-delà des portes. Mêlés aux battements de mon cœur et aux halètements retenus de ma respiration, je percevais l’agitation des cuisines, le repos de vieux meubles dont les os craquaient de temps à autre, la criarde mélodie d’un poste radio à travers l'épaisse cloison intérieure, une rumeur de marée où se distinguaient les chants des naufragés. Certains dessous de porte renflouaient une odeur de rôti, d’autres le parfum inconnue d’une femme que j’imaginais dans ses gestes quotidiens, grande et blonde, ou peut-être rousse.

22/07/2019

Valentine

La course du temps a de bien doux effets
La hanche s’arrondit, le sein se raffermit
L’adolescente se contemple, stupéfaite
Et n’ose regarder les courbes de ses amies

Ce passage si bref, de l’enfant à l’adulte
Se laisse enjoliver d’épines et de roses
Aujourd’hui, elle tente de vouer un culte
A ceux qui passent des caresses à la chose

Osera-t-elle braver l’opprobre du monde
Et chanter la liberté de l’immonde
Au bénéfice de ses jambes mutines

Au dernier moment, elle se referme
Et s’éloigne du tremblement de l’épiderme
Ce sera pour plus tard, Valentine

 

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©  Loup Francart