11/03/2018
L’inconnu d’Arras, pièce d’Armand Salacrou
L’inconnu d’Arras est la plus belle et une des plus puissantes pièces du théâtre moderne. La rencontre d’Ulysse qui est mourant avec les figures de son passé atteint des moments extraordinaires. Ulysse se tue pour l’amour de sa femme Yolande qui le trompe avec son meilleur ami d’enfance, Maxime. Le temps de la pièce et le temps de la seconde qui précède sa mort, pendant laquelle il revit ses souvenirs un par un.
Si Ulysse a la surprise de découvrir en la personne d’un jeune soldat (son cadet) le grand-père tué pendant la guerre de 1870, celui-ci a la désillusion de voir apparaître sous les traits d’un vieillard la petite fille qu’il avait espéré avec sa femme qui était enceinte.
L’opposition du Maxime de vingt ans au Maxime de trente-sept ans concrétise, avec une rigueur incroyable, l’antagonisme de l’adolescent plein d’un idéal intransigeant et de l’homme mûr qu’il est devenu, avec ce regret du Maxime de vingt ans : « Et penser que mes enfants ne me connaîtront jamais ».
Autre image poétique, celle du nuage bourdonnant qui environne Ulysse mourant. Ce sont les paroles qu’il a prononcées durant sa vie qui reviennent et dont l’amoncellement a soudain quelque chose d’effrayant : « Chasse toutes ces petites mouches bavardes, crie Ulysse à Nicolas, écrase mes paroles… »
Nicolas, le serviteur d’Ulysse, est le raisonneur du théâtre de Salacrou : « N’avez-vous jamais vu deux langoustes essayer de se caresser, puis partir bras dessus, bras dessous, comme à la noce ? Aussi grotesques, aussi maladroits, aussi caparaçonnés sont deux êtres de notre race qui cherchent à aimer ? »
Et cette inconnue rencontrée par Ulysse à Arras. Personnage fugitif entrevu à peine une heure, mais dont la présence demeure la plus forte, la plus émouvante, la plus vraie. C’est que Salacrou a eu le génie d’exprimer dans la silhouette de cette jeune fille égarée avec son propre malheur, au milieu du malheur universel, toute la peine et tout l’espoir de l’homme : il a imaginé un mythe de la fraternité.
07:08 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thééâtre, destin, detinée, peine, espoir | Imprimer
10/03/2018
L’œil
L’œil est le fond de l’âme,
On y admire la pointe de l’humain.
Il peut être un soleil chaleureux,
Une lune chafouine, une étoile scintillante,
Ou même un trou noir aspirant les regards…
De braise, certains le portent,
De jais, il roucoule tendrement,
Noisette, il sort des bois, croquant,
Vairon, l’âme boite dans son logement.
C’est le monde vu de l’œil-de-bœuf.
Seul, l’œil de verre est impassible,
il ne voit pas le blanc des yeux.
Faut-il tourner de l’œil pour apercevoir l'âme ?
© Loup Francart
07:05 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
09/03/2018
Le nombre manquant (44)
– En fait, remarquais-je, tout ceci ne nous apprend rien de plus que ce que nous savions déjà. Il faudrait maintenant entrer dans une recherche beaucoup plus poussée des individus, organisations ou États susceptibles d’être intéressés, ce qui n’est pas une moindre affaire. Mais on peut y réfléchir. Prenons par exemple, la catégorie des religions. Lesquelles énumérer ?
– Eh bien, tout d’abord, la religion catholique, organisée, institutionnelle, détentrice ainsi de pouvoirs sur les sociétés et le affaires du monde. Ce n’est pas nouveau et il est inutile d’énumérer les exemples.
– C’est vrai, mais est-ce si sûr de nos jours ? Il me semble que l’église a perdu beaucoup de pouvoir temporel et que la société civile et les notions de laïcité bloquent leurs prétentions.
– Justement, raison de plus pour inciter certains fanatiques à agit pour un retour à leur capacité de pouvoir.
– Je vous ferai remarquer, dit Mathias, que l’Islam est au moins autant, sinon plus, susceptible d’avoir les mêmes raisonnements et donc les mêmes actions. Je dirai même, beaucoup plus susceptible.
– C’est exact. On pourrait même la faire passer en premier dans l’ordre des probabilités, en raison des événements actuels et de leur montée en puissance dans tout le Moyen-Orient. Leurs capacités à utiliser Internet pourraient même nous inciter à étudier en premier lieu cette possibilité.
– Pour poursuivre notre tour des religions, je pense que l’orthodoxie et le judaïsme pourraient également être concernés.
–Oui, certes, mais pas pour les mêmes raisons, me semble-t-il. Se mêlerait alors un fort aspect politique et étatique, que serait la défense de la Russie telle que l’imagine Poutine ou la défense du peuple hébreu, moteur de l’action du gouvernement de Tel-Aviv. Ce qui réduit considérablement leur intervention. Ces États attendraient simplement que nos recherches soient beaucoup plus avancées pour intervenir.
– C’est exact. Gardons-les, mais pour des recherches ultérieures.
– Voyez-vous d’autres religions qui pourraient être intéressées ?
– C’est assez réduit, je dirai même inexistant. Les religions et courants religieux issus du Bouddhisme sont moins organisés, plus foncièrement pacifiques et moins missionnaires. Je pense qu’on peut les écarter. Les religions hindouistes peuvent être plus guerrières, mais elles restent géographiquement tournées vers l’Asie et idéologiquement et historiquement plutôt pacifiques, comme le Bouddhisme.
– Alors, pour devenir plus pragmatique, conclut Vincent, il faut se concentrer sur l’Islam et l’Église catholique principalement, voire l’Orthodoxie et le Judaïsme. Êtes-vous d’accord ?
Ce fut unanime et cela représentait déjà un travail énorme et une recherche de renseignements trop importante pour trois personnes, d’autant plus que les deux autres possibilités d’acteurs n’avaient pas encore été envisagées : les organisations à visées dominantes et les États.
07:15 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme, ésotérisme, science, spiritualité | Imprimer
08/03/2018
Présomptueux
En un instant, l'homme de chair vivante, de gestes inconnus, de paroles sans réponse, devient un corps raide, immobile, sans esprit. Un mort, matière revenue à la matière, qui, une seconde auparavant, était le monde.
La noblesse, la beauté, le savoir, puis le néant.
Il n'imagine pas le monde sans lui. Le monde est sa propriété, sa joie, sa raison de vivre. Quand il disparaîtra, le monde cessera de tourner.
07:20 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mort, matière, fin dernière | Imprimer
07/03/2018
Sable
Les sables sont le plus souvent mouvants
La confiance n’est pas de mise avec eux
Qu’un papillon passe, la tempête se produit
Vous étiez au sommet et vous voici à terre
Les vents sont contraires, vous dit-on
Le Sahara apporte les fantômes d’une nuit
Une neige jaune et gluante recouvre cet été
La campagne habituée au blanc hivernal
Chaque grain de sable n’est rien
Qu’un pet dans la symphonie de l’univers
Mais quel bruit effroyable se produirait
Si venait le vent du doute irrationnel
Bâtie sur le sable, votre vie s’affole
Vous avancez un foulard sur le nez
Et même vos yeux sont fermés. Seul
Le bruit de l’innocence vous fait avancer
Et pourtant, le sable peut servir de moule
Mais il ne sert qu’une fois et meurt
C’est la beauté du provisoire et de l’unique
Où l’on se moule pour la vie, seul au monde
Certains échouent et proclament haut et fort
Je suis sur le sable, sur un banc en pleine mer
Aucun fou ne vient les voir. Personne n’ose
Affronter l’infini des mers et du sable réunis
D’autres ont les yeux qui piquent
Le marchand de sable est toujours présent pour eux
Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez
Et se contentent de leur myopie reposante
Il arrive cependant que d’autres s’élèvent
En une rage incompressible et fugace
En statue de sable érigée sur la notoriété
Qui, un jour, fondra au soleil de la vérité
Les psychologues bâtissent des jeux de sable
Où l’inconscient s’ébat lourdement dans les grains
Jusqu’au moment où jaillit la guérison
Alors le patient s’étale au soleil et pleure
Dans le sablier s’écoule votre destin…
Se perdre dans les sables
Et ne plus voir l’horizon
Est bien une souffrance humaine...
© Loup Francart
05:35 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
06/03/2018
Pourquoi ne nous parle-t-on plus de l'âme ?
L’âme n’est plus un mystère. Elle n’existe plus. En avez-vous entendu parler ? Même au catéchisme, elle est ignorée le plus souvent. C’est vrai qu’il est difficile de parler de ce qui vous est le plus intime et dont on ignore tout au départ de la vie.
Mais, est-ce d’abord si sûr ? En réfléchissant les premières années de la vie sont un réservoir de l’approche de l’âme par les sensations et les quelques images qui nous restent de certains moments dont on se souvient encore, souvenirs qui viennent dont ne sait où, mais qui vous marquent au fer rouge. Puis en vieillissant, on ne perçoit plus cette aide. On se fait confiance à soi-même, c’est-à-dire à tout ce qui nous sollicite, attire nos sens et notre intelligence si peu que nous en ayons un peu (et tous nous en avons, Dieu soit loué). Il y a cependant des sursauts épisodiques qui nous ramènent à une réflexion irraisonnée. Souvenir d’adolescent : j’emmène une cousine une journée. Elle est jeune, belle, douce, amusante parfois. Nous avions déjà tenté de nous rapprocher par des contacts de mains, par des regards sensibles, par mille détails qui nous font dire qu’il faut aller plus loin dans l’aventure. J’étais heureux, comme elle je pense, de pouvoir le faire au cours de cette journée. Nous partons en voiture, parlons de choses et d’autres, chacun pensant à ce rapprochement des aimants qui s’attirent à une certaine distance. Nous étions proches de cette zone d’influence qui obligatoirement nous projette l’un vers l’autre. Après avoir laissé nos mains errer autour du changement de vitesse, elles finirent par se toucher, d’abord de manière occasionnelle, puis volontairement, jusqu’à se caresser, puis se serrer avec bonheur. Nos regards se croisent, nos yeux se disent des paroles qu’on ne peut proclamer, nous nous enflammons et nous rapprochons. Tout à coup, du fond de moi-même, au plus intime, monte cet interdit : « Non, tu ne peux trahir la confiance que t’a faite ton oncle en l’autorisant à venir avec toi. » Je doute de cette contre-pensée qui m’enlève une occasion d’expérience de la vie. Je poursuis nos serrements de mains, mais peu à peu le doute s’installe. « Tu ne peux trahir. On te regarde d’en haut et on sait ce que tu fais. » Idiot, me direz-vous ! Peut-être, mais efficace. Nous ne sommes jamais allés plus loin, un interdit était tombé venant du plus profond de moi et je n’ai pu que le suivre, finalement pour mon plus grand bien.
Mais l’âme est bien autre chose. Dans l’adolescence, elle se manifeste d’autres manières, dans ces bouffées de chaleur dont parlent les femmes et qui sont des trous d’air devant la beauté du monde et de la vie. Un souvenir : premier séjour en montagne, j’avais vingt ans. On montait en voiture sur des routes enneigées et la nuit tombait. Peu à peu, les lumières de chaque maison se sont allumées. Comme nous n’étions plus en plaine, elles s’accrochaient en hauteur, de manière féérique, comme des âmes dans le noir luisantes d’espoir. J’en ai conservé un souvenir merveilleux, comme une sortie de l’être ordinaire pour s’emplir d’évanescence. Sans doute d’ailleurs est-ce la présence des femmes qui me fit le plus prendre conscience de cette présence intime en nous qui nous dépasse et nous guide. Les femmes sont la mémoire de l’humanité pour ce qui concerne l’expérience de l’intimité personnelle. Elles ne disent rien, mais étendent leur filet de grâce sur vous et vous transforment en profondeur sans qu’on s’en rende compte, jusqu’au jour où l’on rencontre la femme. Elle devient votre modèle, vous modèle, vous projette hors de vous-même et vous fait entrer dans ce monde de l’âme où rien n’est écrit, mais où tout est légèreté palpitante qui ouvre au monde. Vous savez alors que vous avez une âme, qu’elle est plus qu’un guide ou qu’une morale. Elle est la vie même, au plus intime, plus vous-même que vous-même. Vous découvrez votre âme et vous la sentez. Elle est là, elle vous appartient et vous êtes heureux d’en posséder une.
François Cheng a écrit un livre merveilleux qui s’intitule De l’âme (Albin Michel, 2016). C’est une suite de sept lettres en réponse aux lettres d’une femme qu’il a connue autrefois quand elle était jeune et qu’elle osa, un jour dans le métro, alors qu’elle était assise en face de lui, s’assoir à son côté et lui parler de ses livres. Il lui dit : « Comment faites-vous pour assumer votre beauté ? » Et il s’interroge : « D’où vient que cette beauté soit ? » Sa réponse : « Il y a l’âme du monde qui aspire à la beauté, et il y a l’âme humaine qui y répond, par la création artistique, par la beauté intérieure propre à une âme aimante et aimantante – beauté du regard, du geste, de la donation, qui porte le beau nom de sainteté ». Vingt ans plus tard, elle lui écrit : « Je me découvre une âme. Non que j’ignorais son existence, mais je ne sentais pas sa réalité. Acceptez-vous de me parler de l’âme ? »
Lire et relire ce livre poétique et formateur à un mysticisme quotidien et naturel : la merveilleuse sensation d’avoir une âme et d’en vivre au plus intime de soi-même.
Nos contemporains balancent sans cesse entre le corps et l’esprit (ou l’intelligence ou la conscience ou le système nerveux ou… bien d’autres choses encore). C’est un équilibre instable qu’ils forment entre eux et ils sont tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. François Cheng nous dit, comme Pascal, que l’homme est constitué de trois parties : le corps, l’esprit et l’âme. Alors vient l’équilibre et l’homme devient adulte. Il sait où il va, ce qu’il fait, même si ce qu’il fait ou ce qu’il pense va à l’encontre des pensées du moment.
Dorénavant, non seulement cultivons notre âme, mais parlons-en. Elle nous enchantera et enchantera les autres.
07:33 Publié dans 11. Considérations diverses, 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : âme, esprit, corps, vie intérieure, psychologie, connaissance de soi | Imprimer
05/03/2018
Le nombre manquant (43)
– Au fait que désirez-vous savoir ? me demanda l’artiste.
– Eh bien, je vous avoue que cela fait maintenant deux jours que le professeur et sa secrétaire sont absents et peut-être pourriez-vous me renseigner sur leur emploi du temps ou les raisons de leur absence.
– Je vous avoue que les pensionnaires ne sont pas mieux placés pour connaître l’emploi du temps du professeur. Peut-être devriez-vous vous adresser à la secrétaire générale, elle sera plus à même de vous indiquer où se trouvent le professeur et son assistante. Je vais la prévenir de façon à ce que vous n’attendiez pas.
Je rencontrais la secrétaire générale, une femme efficace, semblait-il, mais qui ne savait rien sur l’absence du professeur et encore moins sur celle de son assistante.
– Nos responsables ont besoin de nombreux contacts extérieurs et pour cela sont très libres dans leur emploi du temps, me dit-elle.
L’heure avançait, je devais rentrer à l’hôtel pour la réunion programmée. Aussi quittais-je la villa Médicis, sans avoir pu véritablement progresser sur la disparition de Claire et du professeur.
– Voilà. J’ai repris le tableau que nous avions fait à Paris. Que nous apprend-il ? s’interrogea Vincent.
– Plus je réfléchis, remarqua Mathias, sur les auteurs de ces actes encore non identifiés, plus je penche vers trois catégories de personnes : en premier lieu les religions toujours poussées par la protection des dogmes et de la morale ; en second lieu, les organisations à visée dominantes stimulées par la connaissance et l’influence ; enfin, les États dont l’objectif est la conquête ou le maintien à la fois au plus haut niveau géopolitique et en même temps réservé à la caste des politiques. Il me paraît évident que la première catégorie est la plus susceptible d’avoir un rôle dans nos difficultés. Juste un mot encore. On pourrait ajouter à ces trois possibilités certains scientifiques, individuellement, dont l’objectif pourrait être la reconnaissance de la communauté savante. Il y a et il y aura toujours des savants fous !
– Gardons cette hypothèse à 3% de possibilités, mais les recherches dans ce cas seront très difficiles, voire quasiment impossibles sauf erreur de sa ou de leur part, remarqua Vincent.
– Pourquoi ? Je te fais remarquer que nous avions mis un indice de 2 pour cette catégorie de personnes.
– Oui, c’est exact. Mais autant je vois la possibilité d’une intervention de scientifiques pour connaître nos recherches, autant je ne les vois pas organisant un kidnapping ou une action de force.
– Je le concède, cet élément nouveau, une éventuelle action contre Claire ou même le professeur change la donne des possibilités.
– En fait, remarquais-je, tout ceci ne nous apprend rien de plus que ce que nous savions déjà.
07:41 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme, ésotérisme, science, spiritualité | Imprimer