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07/08/2016

La mue (13)

Aujourd’hui, il est huit heures du soir. Je perçois la clé dans la serrure. La porte se referme. J’entends parler Joséphine. Je ne sais ce qu’elle dit, mais une voix d’homme lui répond, assez grave et douce. Puis j’entends « Chut ! » Elle vient vers moi, seule et l’air de rien. Elle prend le voile opaque et le met sur la cage. Je ne vois plus et entends très mal, d’autant plus qu’elle met une symphonie de Beethoven assez fort, la 3e dite héroïque, si vivante qu’elle me fit dresser les plumes sur le corps et plus particulièrement mon aigrette qui se tient raide comme un balai. J’ai beau tendre l’oreille, je ne comprends pas ce qu’ils se disent. J’ai beau faire du bruit, agiter mes ailes, cogner mon bec sur les barreaux, rien n’y fait. Je ne suis plus là pour elle et elle m’ignore totalement.

Après leur diner, il semble s’incruster. La musique devient douce et moderne. Un chanteur noir remplace le classique. Oui, ce n’est pas mal, mais que font-ils ? Je n’entends plus rien, sauf quelques soupirs de temps à autre. Je comprends que j’ai définitivement perdu l’amour de Joséphine ou, au moins, que je suis remplacé comme prétendant. Cela me fit une drôle d’impression. C’était une deuxième rupture, presque plus pénible que celle de la mue. Joséphine, que fais-tu ? Je me souvins des nuits passées à nous raconter nos vies respectives, à nous caresser doucement, à échanger nos salives dans des baisers de feu, à explorer nos corps et à les rapprocher. Elle avait un grain de peau très doux, elle savait m’embrasser avec fougue, passer ses doigts sur mon dos pour le faire frémir. Je lui prenais la tête et baisais son cou qui sentait le caramel. Je lui imprimais mes mains sur ses seins et parfois m’aventurais plus bas. Et tout cela n’est plus. Je suis remplacé par un inconnu qui peut faire la même chose, sans vergogne. Non, je ne chanterai pas pour protester, je resterai silencieux. Je finis par m’endormir, blotti sur mon nid douillet.

 

06/08/2016

Nuit, toujours

La nuit te prend parfois, au creux de ton sommeil, et te renvoie à ton image dans le brouillard des jours lorsque l’éveil succède au rêve sans transition, comme le passage d’un métro qui ne t’est pas destiné. Alors tu descends sans bruit vers la cuisine, ce refuge de tes nuits discrètes où ton cœur chavire de bonheur d’être seul éveillé dans un village où tous dorment d’un sommeil lourd et chargé d’ignorance. Et cette descente vers le paradis, marche après marche, t’encourage dans ta décision de t’éveiller et de laisser aller ton inconscient à de longues phrases sans fin qui, comme une robe de mariée, déroule sa traîne de quart d’heure en quart d’heure, jusqu’à ne plus distinguer le moment où tu es descendu et celui où tu remontes, déjà rassasié de ce temps qui s’écoule sans raison, par inadvertance, telle une bouteille à la cave qui a perdu inopinément son bouchon, va-t’en savoir pourquoi.

Tu t’installes dans cette attitude particulière aux nuits où tu te sais seul point de réflexion, petite marmite où bouillonnent les idées alors que tous ont mis au frigidaire leurs soucis, leurs joies, leurs espérances et que tous encore ont capitulé devant l’inanité de la vie et fermé leurs cœur et leur intelligence ou même leur âme à l’attrait d’un désert où l’on erre sans relâche jusqu’à ne plus savoir si l’on va s’en sortir. Tu bois ton café qui a filtré pendant tes réflexions entrecoupées de regards vers la machine dans l’attente d’un réchauffement du corps en parallèle à la tiédeur de l’esprit qui s’installe en toi. Le breuvage aussitôt filtré, tu as empli ton bol, jeté un nuage de lait dans le liquide noir pour qu’il prenne l’expression d’une métisse rondouillarde qui enchante le palais et tu t’es lancé dans cette divine inconnaissance qui guette tout homme à trois heures du matin, éveillé mais plein de songes qui, pour autant qu’ils te semblent, feront ton délice d’une nuit. L’œil vague, la main reposant sur la table, l’autre tenant ton bol à hauteur de ton visage, tu laisses errer ta conscience sans savoir où elle s’échappe, comme ces souris que tu vois apparaître parfois entre la cuisinière et tes pieds, ombres vivaces qui te font prendre conscience de ta vanité d’humain. Alors un sourire discret se dessine sur ton visage, car tu te vois enfant réveillé à la même heure et perdu dans une cuisine autre, terrifié mais fier d’être debout pendant que tous dorment encore.

Puis, tu montes enfouir ta personne dans un bureau devenu ton refuge, loin des cris et des pleurs d’enfants que tes propres enfants ont eux-mêmes engendrés, et tu entres dans ce monde imaginaire auquel tu te livres entièrement, dans lequel tu te baignes et t’immerges avec une délectation que tu ne soupçonnais quelques minutes auparavant. Là, devant ton ordinateur et tes méninges, tu laisses filer les mots qui sortent en chapelet et les rattrapes dans un filet à papillons qui laisse parfois filtrer des paroles doucereuses ou malveillantes mais toujours apaisées par l’ouate de l’obscurité.

Enfin, viens le moment où, ayant déversé une littérature sauvage sur l’écran sans savoir ce que tu veux en faire, tu es las et à nouveau le corps cède au sommeil qui te gagne, tu sens la pesanteur des petits matins, avant l’aurore, et te laisse gagner par un engourdissement dans lequel tu te sens bien. Il est temps de fermer ta machine, d’arrêter de mouliner ces flots de paroles vaines, même si par acquit de conscience, tu relis une nouvelle fois ce que ton jus à produit, sans toutefois avoir la lucidité pour corriger quelques fautes d’orthographe ou de style qui resteront jusqu’à la prochaine lecture, demain ou un autre jour, ou même jamais comme cela t’arrive bien souvent.

Tu éteins la lumière, te glisses en catimini dans la chambre conjugale, entres sans bruit entre les draps maintenus frais par une fenêtre ouverte été comme hiver pour laisser entrer les secrets du monde invisible qui enchanteront tes rêves lorsque le soleil se sera montré. Et chaque jour, la journée commencera en pensant à une nuit de bonheur où tu sentis en toi l’infini travailler et te tendre la main.

05/08/2016

La mue (12)

Je sors avant qu’elle n’ait le temps de refermer. Oui, je la connais Joséphine, elle est juste un peu lente. Non, cela ne se voit pas, mais c’est suffisant pour me permettre, moi qui la connais, de me glisser dehors. Elle est furieuse, mais n’ose encore pas le montrer. Elle m’appelle :

– Rémi, comment vas-tu ? Comme tu le vois, je t’ai préparé ton diner. Tu ne veux pas le prendre ?

Je fais non de la tête et lui pépie mes conditions. Je dois pouvoir ouvrir la cage quand je le veux. Elle doit me montrer comment je peux ouvrir. Elle fait semblant de ne pas comprendre. Mais devant mon insistance, elle finit par céder. Elle me montre comment je peux ouvrir. C’est simple. Mais a-t-elle le pouvoir de bloquer le système. Oui, je le vois bien. Alors, je me jette sur sa tête et lui cogne deux fois celle-ci avec mon bec. Elle comprend et supprime sa possibilité. Je suis maintenant libre comme je le veux, tout en étant protégé par Joséphine. Que demander de mieux ?

Nous avons chacun pris notre indépendance tout en nous respectant mutuellement. Je prends garde de ne pas faire trop de bruit le matin alors que je suis réveillé tôt. Elle m’apporte chaque jour mes repas avec assiduité. Elle écoute parfois de la musique. Heureusement, elle a de l’oreille et du goût et ne consomme que de la musique classique. J’aime, particulièrement depuis que j’ai mué, la musique de Janequin (Le Chant des Oiseaux) ou Joseph Haydn avec La Poule. Elle me fait plaisir à petits prix et je peux m’exercer à triller tant et plus. Pendant la journée, j’ouvre la cage et je me promène dans l’appartement. Je dois faire attention de ne pas me laisser aller. Il y a deux jours, j’ai lâché une crotte au cours de mes vols et Joséphine était furieuse. Elle m’a recouvert d’un voile opaque pendant la journée et je n’ai rien pu faire. En rentrant le soir, elle m’a dit :

 – J’espère que tu as compris. Sinon je serai obligé de t’enfermer définitivement.

Je me suis mis en posture de soumission sur le nid et elle a paru rassurée.

04/08/2016

La chambre verte

Dans ce jardin immense où piaillent les enfants,
On trouve une petite chambre dissimulée
Sous des arbres menteurs et bien vêtus
Qui cachent un paradis de douceur ignoré.

Il faut s’enfoncer sans peur
Dans cette noire épaisseur
Que borde le soleil
Sans jamais la pénétrer.

S’ouvre alors devant vous,
Après un instant prolongé
D’obscure ambiance moite,
L’écoulement des eaux.

Elle franchit ses bassins
En roucoulant de joie,
Glougloutant sauvagement
Et pressée d’en finir.

L’architecte des liquides
Sournoisement a conçu
Un cheminement tortueux
Bordé d’arrêts obligés.

Et là vous méditez
Dans ce concert ailé
Sur le temps qui passe
Et l’espace qui s’enroule.

Cette chambre en plein air
Est le refuge des bien-portants
Qui y viennent ruminer
Leurs erreurs pardonnées
Et leurs espoirs d’un devenir meilleur.

©  Loup Francart

03/08/2016

Jean-Emile Charon

Un homme qui a été à l’encontre de tous les préjugés dans le monde des physiciens en parlant de conscience ou d’esprit logé au cœur même de la matière. Il explora la frontière entre le vivant et le non-vivant et conclut qu’elle n’existait pas. L’esprit et la matière représentent les deux faces d’une même réalité, laquelle commence au Big Bang et naît dans les plus petites particules, les électrons. L’électron, partie matérielle de la particule, serait donc pensant et sa partie pensante, il l’appelle éon.

"On ne peut plus être aujourd'hui un "physiciste" (mot dérivé du mot américain "physicist" : physicien) pur, qui ne s'intéresse qu'aux propriétés de la matière, qui renonce à parler de la conscience, de l'esprit, en espérant, contre tout espoir, qu'un jour l'esprit sera réduit aux seules lois physiques", explique Raymond Ruyer dans la revue Question de janvier-février 1978.

Pour Jean Charon, l’électron est un univers en soi. Comme l’univers qui lui-même comme l’homme pense, l’électron possède une capacité de penser son environnement, il reçoit des informations du monde observable (la connaissance), il échange ces informations avec les autres électrons (l’amour, c’est le terme choisi par Jean Charon), il interprète des informations (réflexion) et enfin il agit (acte). Cet ensemble d’activités n’est possible que grâce à la lumière contenue enroulée dans l’électron qui inverse le mouvement naturel du monde matériel à l’entropie et crée la néguentropie (accroissement permanent du niveau de psychisme). Les éons conservent la totalité des informations qu’ils emmagasinent et créent sans cesse des configurations plus ordonnées. C’est donc la combinaison, chez l’homme, des éons intemporels et de nos neurones temporaires qui permettent la conscience.

Jean-E. Charon part d’une analyse des « trous noirs », sujet n° 1 de l’astrophysique actuelle :

« Le trou noir est ce qui va rester d’une étoile qui vieillit, qui a brûlé son oxygène, puis son hélium, qui commence par éclater, puis qui se contracte de plus en plus sous l’effet des forces gravitationnelles au point que la densité de sa matière devient de l’ordre de la matière dans un neutron.

Brusquement la contraction devient si forte, qu’il se produit un phénomène curieux: l’étoile courbe l’espace de l’univers.

En quelque sorte l’étoile « crève » l’espace-temps de la Matière pour « naître » dans un nouvel espace-temps qui lui est propre, et dont les caractéristiques très différentes de celles de notre espace-temps permettent d’être appelées les caractéristiques d’un espace-temps de l’Esprit ».

Pour une meilleure compréhension de l’auditoire, Jean Charon compare l’univers à un ballon rouge. La peau du ballon se courbe et forme une petite protubérance.

« Un nouvel espace a été formé. La protubérance a un seul point de contact avec la peau du ballon. C’est un espace séparé du reste et pourtant encore relié au ballon. »

… « Le trou noir est comme extirpé de notre univers.

Il forme un espace à lui dans lequel le temps est retourné. Au lieu en effet qu’il s’écoule comme dans notre univers, ce qui a pour conséquence l’entropie croissante, il est inverse, et il y a néguentropie.

1) Les choses vont aller toujours en se mémorisant davantage et à jamais.

2) Parvenue au trou noir, l’information ne se fera pas n’importe comment mais en se structurant dans l’espace, s’ordonnant et devenant de plus en plus consciente ».

Pour l’auteur, l’électron serait un micro-trou noir, emmagasinant les informations et les pensant pour agir depuis que le Big-bang a eu lieu.

Mais pour la plupart des physiciens, jean Charon est un vieux fou dont les idées sont à hurler de rire.

Ne peut-on laisser errer son imagination aux frontières de l’inconnu ?

02/08/2016

La mue (11)

Je lui explique par un vol imagé ma promenade dans la ville. Évidemment, je ne lui dis pas que je l’ai suivi ce matin. Elle fait semblant de comprendre, sourit et me prends dans ses mains. Comme c’est bon, presque autant que l’amour. Elle me fait entrer dans l’appartement, m’ouvre la cage qu’elle a achetée en prévision de ce qui s’est passé. Elle y a installé un petit nid douillet, un réservoir plein d’eau et un bac à graines qui est déjà rempli. Quel luxe. Lorsque j’ai fini, je mets mon bec au creux de la commissure de ses lèvres. Elle me prend, me dépose dans la cage et… elle referme. Je suis prisonnier. Je proteste doucement, puis un peu plus énergiquement en tapant du bec sur les barreaux. Mais rien n’y fait. Elle m’a déjà tourné le dos et se prépare son diner, un délicieux plat de pâte avec une sauce tomate italienne que je connais bien. Il ne me reste à moi que les graines et quelques gouttes d’eau. Je pépie, je pousse de petits cris, je piaille. Rien n’y fait. Je reste seul. Oublié Rémi. Il ne compte plus. Ce n’est qu’un oiseau de compagnie à qui l’on donne quelques graines pour qu’il vous enchante les oreilles.

Je rumine, je rumine. Il faut que j’apprenne à ouvrir cette cage, sinon je vais devenir fou. Je dois faire attention quand elle viendra remettre de l’eau ou des graines. Quand je pense qu’auparavant c’est moi qui allais faire les courses ! Joséphine, que se passe-t-il ? Tu as toujours été tendre avec moi. Tu m’attendais le soir dans le lit et tu l’ouvrais à mon arrivée. Je me jetais dans tes bras et nous partions ensemble au septième ciel. Quelle froideur tout d’un coup. Je ne comprends pas. Que s’est-il passé ? Oui, c’est vrai, j’ai un peu changé, mais je suis toujours Rémi, ton amant, ton petit ami, ton compagnon, ton presque mari. Alors ?

Rien. Elle m’ignore. Je n’existe plus, ma parole. Vite, mangeons toutes les graines, qu’elle soit obligée de les remplacer. De même pour l’eau. Un quart d’heure après, je m’installe dans mon nid, le ventre lourd, la démarche peu assurée. Oui, j’ai trop mangé. Mais c’est pour la bonne cause. J’attends. Le soir est tombé. Elle a allumé la lampe au plafond. Elle est trop puissante et m’aveugle quelque peu. Peu importe. J’attends. Je l’entends entrer dans la salle de bain. Elle ne ferme plus la porte. Elle chantonne, revient dans la chambre, retourne se regarder dans la glace et, tout d’un coup, réapparaît nue, tranquille, comme si elle était seule. Elle passe sa main sous les bras : non cela peut attendre, je me raserai dans deux ou trois jours, semble-t-elle se dire. Enfin, elle vient vers la cage, constate le  manque de nourriture et d’eau, va à la cuisine et ouvre la cage pour y glisser les deux contenus.

01/08/2016

Emprise

Et toujours tu me suis
Où que je sois parti
L’ombre a son emprise
Et dit sa traîtrise

Elle se lève aux rayons
D’un soleil tatillon
Elle englobe le jour
Et se veut sans retour

Tout sauf l’émergence
D’une folle connivence
Au jour anniversaire

Nul ne peut prédire
Le radieux avenir
De son propriétaire

©  Loup Francart