Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/02/2016

Indifférence (1)

Vous marchez, sans souci, regardant autour de vous le jour nouveau qui se lève. Vous êtes, ce matin, optimiste, presque heureux intérieurement. Vous vous engagez sur un étroit trottoir, passant sous l’échafaudage d’une maison en ravalement. Entré dans ce tunnel de tubes, vous ne pouvez qu’en ressortir de l’autre côté. Comme vous regardez une vitrine éclairée sur le trottoir en face, vous ne faites pas attention à l’homme qui se tient à la sortie de l’étroit passage, vous tournant le dos. Trop tard, vous êtes déjà engagé, alors vous lui demanderez de vous laisser passer. Intentionnellement, vous accentuez le bruit de vos chaussures sur le sol pour faire comprendre à l’individu que quelqu’un approche et souhaite passer. Rien n’y fait. L’homme n’entend rien ou fait comme s’il n’entendait rien. Il est occupé à téléphoner. La main à l’oreille droite, tenant le bijou, il compresse la sénestre d’un doigt. Immobile, il ne voit rien et n’entend rien. Il est dans son monde, dans la bulle intérieure du moi, avec son interlocuteur au bout des ondes (pas au bout du fil, car il n’y a plus de fil sur ces téléphones qui fonctionnent presque sous l’eau !). Vous faites : « Hum, hum ! » Pas de réaction ! L’autre parle, parle, parle… Vous lui frappez doucement l’épaule, faisant le geste de vouloir passer. Quelle impudence ! Le déranger pendant qu’il traitait une affaire. On n’a pas idée.

L’homme vous regarde d’un air furieux, sans bouger et vous fait signe de passer à côté. Mais il tient toute la place, le trottoir étant minuscule. Sans parler (puisqu’il parle), vous lui faites signe que c’est impossible. Alors il vous fait signe de revenir en arrière et de passer sur la chaussée pour contourner l’échafaudage. Là, vous vous sentez offusqué. Votre sang ne fait qu’un tour et vous lui criez près de son autre oreille : « Laissez-moi passer ! » Mais il continue de parler : « Mais non, ne fais pas cela... Etc. Etc. » Vous n’existez pas à ses yeux. Vous n’êtes qu’un nuage gris qui passe dans le ciel de sa compréhension et vous l’empêchez de voir son projet inscrit dans l’azur de sa suffisance. Vous lui prenez la main droite et l’écartez de son oreille en lui disant : « Je veux passer. Écartez-vous, s’il vous plaît ! » Alors, seulement, il avance de deux pas, sort de l’étroit couloir et vous laisse passer sans un mot d’excuse. Il n’a rien vu, rien compris, uniquement occupé par son téléphone, dans ce casque d’ondes qui crée un espace d’isolement entre lui et son interlocuteur. Il est en quasi lévitation, indifférent à tout ce qui n’est pas lui ou celui qu’il a au bout des ondes.

C’est le monde de la communication. Une fois établie, elle efface toute convenance, tout regard sur son environnement. Le communicant est dans sa bulle d’ondes et de paroles, rien ne l’en fera sortir. Il ne s’inquiète pas des autres, il ne les voit pas, ne les entend pas, ce ne sont que des ombres qui passent à côté de cet échange qui seul compte.

06/02/2016

Suis-je réel ?

Suis-je réel ?

Cela vous arrive-t-il de vous demander
Si vous-même n’êtes qu’une seule conscience
Sans limitation ni précise consistance
Errant dans un univers sans finalité

Ou encore, avez-vous imaginé
Que ce que vous voyez est bien réel
Mais que votre personne, elle
N’est qu’une idée effleurant la vérité

Pire encore, ces deux chimères
Se côtoient-elles dans la danse charnelle
Tel un sucre dans la boisson mortelle
Qui refroidit au fond d’une théière ?

Peut-être êtes-vous le non-être
Face à l’autre si plein de volonté
Ou cet autre est-il vierge de réalité
Une amibe transparente dans l’éther ?

Qu’importe ! Vous pouvez être seul
A vous heurter à la matière persistante
Ou, parmi la multitude chatoyante
N’avoir jamais été de chair et de gueule

Votre seule conviction, si floue
Est cette lumière, une petite fenêtre
Qui flotte autour de votre être
Et fait de vous l’unique dans le tout

©  Loup Francart

05/02/2016

Haïku

 

De retour chez toi
Le noir absolu
Elle ouvre. Éblouissement

©  Loup Francart

 

Noirs et blancs, l'éblouissement des mots éclaire l'âme qui erre en toi !

04/02/2016

La fin de l'histoire (15)

Ainsi Charles s’était fait prendre malgré les précautions qu’il avait utilisées. Il avait pourtant l’air sûr de lui. Il maîtrisait les astuces pour ne pas éveiller les soupçons, il n’allait jamais au-delà de qu’il pouvait contrôler. Pourquoi ? Et puis, que signifiait les termes importuner et plus particulièrement une jeune fille. Qui était-elle ? Pourquoi parlait-il à ces étudiants ? Que leur disait-il ? Il faut le savoir. Nicéphore prit la résolution de savoir exactement ce qu’il s’était passé. Ce compte-rendu laconique donné par les médias n’en rendait pas compte.

Nicéphore dut s’interrompre dans ses réflexions. Il commençait à ressentir des picotements à hauteur des yeux. Il ne devait pas se laisser pas envahir par son personnage justicier. Se remettre en méditation ! Il s’assit en tailleur, se décontracta, tenta de passer d’un état d’être indigné ou au moins inquiet à un état lui permettant d’évacuer les pensées négatives. Il laissa se creuser le sillon de respiration entre l’entrée dans le nez, le passage dans le conduit nasal, l’arrivée au carrefour de la gorge, l’entrée dans les poumons et l’atteinte du plexus solaire. Repos, puis expiration, lente, permettant d’évacuer les miasmes d’émotions, de laisser filer un air qui nettoie le personnage qui s’installait en lui. Ouf, il est parti en fumée. Il distingue clairement la réalité des faits, sans les connaître, ni les comprendre. Il faut fouiller pour savoir, puis réfléchir pour connaître. Allons-y, se dit-il.

Ce n’était cependant pas aussi simple qu’il l’avait pensé. Comment retrouver les étudiants et la jeune fille en particulier ? Comment ne pas éveiller les soupçons de ceux qu’il interrogerait à propos d’une affaire sans intérêt ? Le journaliste, oui ! Il fallait commencer par-là, mais éveiller son attention. Comment faire ? Dans tous les cas, détourner l’attention du journaliste en lui montrant qu’il ne s’intéressait nullement à ce que Charles et elle avaient échangés, mais qu’il défendait la jeune fille contre les attaques de ce dernier. Oui, il devait se faire passer pour un ardent défenseur du féminisme et le questionner sur les atteintes au droit de la femme et la nécessité de l’interroger pour connaître son adresse. Ainsi, à peu près assuré de ne pouvoir être dévoilé, il se lança dans son enquête.

Il réussit sans trop de difficulté à obtenir l’adresse de la jeune fille et des quelques compagnons ayant été agressés par Charles. Il choisit d’aller directement interroger la demoiselle plutôt que d’éveiller éventuellement des soupçons de la part de ceux qui l’accompagnaient. Le lendemain, il se présenta en se faisant passer pour un membre de l’association Bergères et Brebis. Cette association prétendait assurer la garde du troupeau des femmes et les défendre contre les attaques physiques, sociales et psychologiques que la société machiste ne cessait de leur infliger. Fort d’une telle couverture (il se présentait comme un membre actif faisant partie du bureau), il obtiendrait, sans aucun doute, un blanc-seing de la part des autorités curieuses qui pourraient s’inquiéter de ses interrogations.

03/02/2016

Le chant du violoncelle

https://www.youtube.com/watch?v=Ry4BzonlVlw

L’interprétation de cette Suite pour violoncelle N°1 en Sol Majeur Bwv1007 de Jean-Sébastien Bach est osée et n’a pas dû être facile à enregistrer, mais n’est-elle pas enchanteresse.

Ajouter un accompagnement à la suite, il fallait y songer !

02/02/2016

Recherche

L’homme est insatiable
Sans cesse occupé à chercher…

Une vie en recherche…
Des grands explorateurs
Il passe aux astronautes
Enfourchant son moteur
Il erre dans la matière
Et palpe toute chose
En les nommant, tel un Dieu…

D’autres inversent la proposition
Ils cherchent en eux-mêmes
Ils se penchent sur leur nombril
Et regardent béatement
Les plis accumulés de leur être…

Ils n’entrent pas dans ces cachots
Qu’y découvriraient-ils ?
Un peu de terre et de salive
Qui, réunis et mêlées, forment boue
Et ne guérit que les corps

Seul l’esprit doit revivre !
Oui, mais… Où est-il ?
Personne ne l’a trouvé !
C’est un parfum trop puissant
Une note trop harmonieuse
Une couleur si chaleureuse
Qu’il est exclu de la connaissance
Et va ainsi dans le monde
Inconnu de la face des hommes…

Toutefois, l’enfant innocent
Voit en lui l’avenir étoilé
Et, regardant au loin
Se laisse guider sans interrogation
Au fil des rencontres ailées

©  Loup Francart

01/02/2016

Pluie

La pluie est arrivée subrepticement. On ne l’attendait pas, on ne l’avait même pas prévue. Ce matin, l’horizon s’est découvert un ciel d’écailles. Tous les poissons de la mer sont montés à la surface. Le ciel s’est obscurci de reflets gris clair, presque blancs. Le vent les mouvait au gré de sa direction. On relevait alors le col pour s’abriter de la bise, on cherchait son parapluie et on poursuivait sa route.

Puis, quelques gouttes sont tombées. Presque rien. Juste de quoi assombrir les trottoirs et faire rentrer les vieux accroupis sur le pas de leur porte. Les yeux des passants se sont ouverts. Ils ne craignaient plus le sable. Certains ont même mis leurs lunettes dans la poche et regardé les dunes sans crainte. Mais les plus âgés leur disaient de prendre garde, le sable se cache là où l’on ne l’attend pas. Une certaine fraicheur, toute relative, a envahi l’atmosphère. On respirait mieux, à plus grandes goulées et cette fraicheur descendait au fond de la gorge et glissait le long de l’œsophage jusqu’au plexus solaire. On se purifiait par la volonté de la nature et on se laissait faire. Les enfants de mirent à rire plus bruyamment, à courir plus vite, à crier plus fort. Les femmes dégageaient leurs voiles et découvraient leurs épaules. Les hommes, toujours prudents, attendaient de voir.

Déception. La petite pluie s’arrête. Cela n’aura duré que deux ou trois minutes. Mais il fait meilleur malgré tout. Tiens, on entend les grenouilles coasser. Cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé. Le vent se calme, les herbes se redressent et l'on voit plus loin vers l’horizon. Une accalmie, dirait-on. Les humains se détendent, se posent çà et là, assis au bord des maisons... sans abri, à quoi bon. Les bébés arrêtent leurs pleurs et sourient à leurs mères. Celles-ci osent une chanson douce comme l’air rajeuni.

Brusquement, une bourrasque, sèche, brutale, comme un coup de balai. Les voiles s’agitent, les chiens aboient, les poules caquettent, les chaumes grincent. Les enfants crient de joie. Une odeur fanée envahit l’air, portée par les rafales qui maintenant s’engouffrent entre les maisons : relents d’herbes séchées, de mares putrides, d’excréments déshydratés. Elle assèche la bouche, encombre le nez, obscurcit les yeux. On entend au loin un grondement puissant, presque des tambours en folie sonnant la charge. La pluie arrive. Elle fouette soudain le passant de mille piqures glacées, colle les tissus à même la peau, mettant à nu les seins des femmes qui courent se mettre à l’abri. Les enfants, eux, s’exposent à l’eau, découvrant largement leur torse maigre, voire, pour certains, les plus osés, retirant tout vêtement et se laissant balayer, nus, par l’eau fraiche. Ils crient, certains chantent même. Les hommes, plus lents à se réjouir, regardent le ciel et sourient dans leur barbe. Leurs yeux s’allument d’une étincelle de vie. Ils se lèvent, prennent leur bâton et marchent jusqu’à l’orée du village. La plaine prend une couleur argentée. Quelques flaques très vite se forment. Elles grossissent, deviennent mare. Puis se forme un ruisseau qui descend tranquillement la pente. La terre a d’abord bu, assoiffée. Mais l’eau coule toujours. Elle ne peut plus rien avaler. Les ruisselets deviennent ruisseaux, les ruisseaux rivières, les rivières torrents. L’eau emporte sur son passage les déchets accumulés, les branchages inutiles, les récipients non arrimés, et même un berceau dans lequel un bébé crie, terrorisé. Un homme se précipite, l’empoigne et le ramène à sa propriétaire éplorée.

D’un coup, la pluie cesse. Juste quelques gouttes encore martèlent les toits de tôle après le vrombissement au plus fort de la chute des eaux. Le silence maintenant, impressionnant. On entend encore l’écoulement des flots rassemblés en longues colonnes tumultueuses. Mais c’est un chant irréel, un frémissement bourbeux, jaunâtre, enveloppé des coups de boutoir des troncs qui s’entrechoquent. Sur le promontoire du village, les hommes regardent, hébétés. Certaines femmes pleurent sans savoir pourquoi. Les vieux jettent un œil par la porte et sourient, édentés. Les enfants vont constater le devenir de leurs cachettes. La vie reprend au village, sous un rayon de soleil suffisant pour réjouir le cœur. Tiens ! On entend le forgeron qui reprend ses coups de marteau sur l’enclume. Tout va bien !