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19/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite 5)

En fait nous n’étions pas plus avancés dans notre quête. Il nous avait plutôt embrouillés le cerveau sans nous apporter quelque chose de constructif. Mais il nous avait dit quelque chose d’essentiel, qui resurgit avant de quitter Mathias : un vrai hacker ne compte que sur lui. Je lui en fis part. Il me regarda effaré et dit :

– Tu sais bien que nous sommes incapables de résoudre ce problème. Personne ne la fait et très peu se pose la question. Comment veux-tu que nous arrivions à un résultat ?

– C’est vrai, mais pourquoi ne pas essayer puisque la question nous passionne. Et puis, nous sommes deux. A deux, nous pouvons nous soutenir le moral, corriger les erreurs de l’autre, grandir en marchant.

Nous nous quittâmes par une accolade qui avait valeur de promesse. Nous irions jusqu’au bout.

Le lendemain Mathias me téléphona. 

– Le hacker nous a parlé de l’union des contraires en nous disant que cette notion se trouve exposée en philosophie. As-tu quelque connaissance sur le sujet ?

Ainsi il me tutoyait depuis que nous avions passé notre pacte. Loin de me choquer, cette familiarité renforça notre entente.

– Non, mais je vais chercher tenter d’en avoir une idée claire. Je te rappelle dans deux jours. 

Mais tout d’abord, que signifiait l’union des contraires. Anaximandre prétend que tout naît de la séparation des contraires. Très vite, allait s’opposer la réflexion entre une loi de l’Un et une loi des contraires. La première avance que le monde est un, la seconde affirme qu’il est de nature binaire, dans la complémentarité comme dans l’opposition. Effectivement, nous avons tendance à voir le monde en tandem. L’Un ne serait-il pas l’addition de deux opposés, créant ainsi une sagesse naturelle dépassant celle des nombres ? Kant n’a-t-il pas avancé la notion d’antinomie : « Dans la résolution d'une antinomie, il importe seulement que deux propositions qui se contredisent en apparence, ne se contredisent pas en fait et puissent se maintenir l'une à côté de l'autre (...) »[1] Rien ne pourrait être pensé sans son contraire. Plutôt que d’opposition, on peut penser le monde en termes de complémentarité.

Je me souvins alors d’un poème de Lao-Tseu : 

En effet, le caché et le manifeste naissent l'un de l'autre.
Le difficile et le facile se complémentent l'un et l'autre.
Le long et le court se montrent l'un l'autre.
Le haut et le bas se définissent l'un par l'autre.
La voix et le son s'harmonisent l'un et l'autre.
L'arrière et l'avant se suivent.

Ainsi, à côté de la vision occidentale pour laquelle la différence crée le monde (rien ne peut être pensé sans son contraire) apparaît une vision orientale pour laquelle toute chose est harmonie par complémentarité. Pythagore prétend que le monde dépend de l’interaction entre les contraires (mâle/femelle, sec/humide, froid/chaud...). Lao Tsé énonce le contraire : la gauche et la droite sont les deux faces d’une même réalité.

Cependant intuitivement, d’autres sentent que ce n’est pas si simple. Que le binaire soit contradictoire ou complémentaire, il est, avant tout. Que la symétrie règne sur le monde ou qu’inversement elle ne soit qu’une invention humaine, il y a toujours deux ou encore +1 et -1. Le zéro est toujours au milieu, séparateur de toutes choses. On ne peut réellement parler d’union des contraires, tout au moins dans le monde réel. Peut-être y a-t-il en mathématiques des possibilités d’assemblage grâce à des théorèmes particuliers. Mais je ne suis pas suffisamment pointu dans ce domaine pour me prononcer.

Etant assez proche de Lydie, je lui fis part de mes recherches. Elle m’écouta attentivement, hochant parfois la tête, approuvant du menton, mais restant profondément étrangère à notre histoire. Elle me répéta ce qu’elle m’avait dit quelques jours auparavant : « Prend garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la passion. Oui, la connaissance c’est l’infini, mais un infini imaginaire, un puits sans fond. Seule compte l’action dans notre monde. » Elle n’ajouta cependant pas, comme elle l’avait fait la fois précédente, que l’action est le zéro. Elle commençait à douter de ses propres affirmations.

– Si tu veux à tout prix poursuivre sur cette voie, n’oublie pas la théorie avancée par le français Georges Polti (1867-1946) dans son livre « Les 36 situations dramatiques[2] ».

– De quoi me parles-tu ?

– Polti prétend qu’il existerait, pour tout type de scénario, 36 situations dramatiques de base. Chacune d’elle est explicitée par des exemples dans la vie réelle, mais également le roman, les contes et le théâtre, à toutes les époques et  sur tous les continents. A travers ces situations, Polti prétend avoir recensé toutes les émotions que peut éprouver un être vivant au cours de sa courte vie.

– Si je comprends bien cet homme sait tout sur la vie !

– Ce n’est pas exactement cela. Il ignore les situations de rapprochement entre les hommes. Il ne voit que les intentions d’opposition, que ce qui singularise un homme par rapport à un autre homme. Comme tous les Occidentaux, il voit la division au lieu de constater l’unité.

– Mais en quoi tout ceci me concerne ?

– Il y a une situation qui t’intéresse. C’est la 9 : « Être audacieux : un personnage tente d’obtenir l’inatteignable. » Mais cette situation est à rapprocher de la 30ème : « L'ambition : un personnage est prêt à tout pour concrétiser son ambition. » Prends garde. On franchit vite le pas entre la première situation et la seconde. Et celle-ci est bien une situation dramatique.

Ne sachant que répondre à ces mises en garde, je prétextais un rendez-vous urgent et passais un imperméable. Comme je partais, Lydie m’embrassa sur la bouche et me dit :

– Bientôt, je serai contrainte de te dire à Dieu si tu poursuis dans cette voie délirante.

Je ne compris pas sur le moment pourquoi elle m’avait dit cela. Ce n’est que beaucoup plus tard que cette phrase me revint à l’esprit.


 

[1]Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, Section II, §57, p165.

[2]Georges Polti, Les 36 situations dramatiques, Paris, Mercure de France, 1895.

 

18/07/2015

Le feu purificateur (récit : 1/2)

Ils partirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. L’un grand, l’autre petit. Ils se complétaient, l’un tout sourire, l’autre de marbre. Pourquoi partirent-ils ensemble ? Nul ne le sait. L’un emmenait un sac à dos, l’autre portait un sac en bandoulière.  Qu’y avait-il dedans ? Nul ne le sait.

Ils marchèrent longtemps, seuls dans les rues désertes. Ils marchaient le long des façades mornes, sans commerce allumé, comme dans une forêt noire, l’un devant, l’autre derrière. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. Ils marchaient vite, sans s’arrêter et sans regarder leur montre. Bientôt un filet de lumière naquit derrière les immeubles, puis monta dans le ciel d’encre. Ils sortirent leurs lunettes noires et poursuivirent leur marche, en accélérant. Mais bientôt ils durent s’arrêter. Ils poussèrent une porte, descendirent les marches et se couchèrent dans la cave, écrasés de fatigue.

Le jour passa. Ils ne se réveillèrent pas une fois. Le soir, à l’instant où la nuit tombait dans les rues, ils ouvrirent un œil, se regardèrent, reprirent leur fardeau et sortirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. Ils marchaient courbés vers l’avant. Une bise de printemps ralentissait leur pas. Mais pas un seul ne ralentit. La nuit s’écoula, tendre. Elle les vit passer du centre vers les faubourgs, des immeubles chics aux maisons en meulière, puis aux ateliers d’artisans exténués. Ils marchaient les yeux ouverts sur la nuit, l'ouïe attentive, une main devant eux.

Le plus grand s’arrêta. Il venait de toucher un corps. Il ne le voyait pas. Il ne savait à qui il appartenait. Puis plus rien. Un filet d’air plus insistant. C’est tout. A partir de ce moment, ils marchèrent avec plus de circonspection, côte à côte, se tenant épaule contre épaule. Rien ne semblait changé. Mais l’atmosphère était plus lourde. Ils avaient du mal à avancer, comme retenus par une force collante qui compliquait leur démarche. Brusquement, le petit s’arrêta, il venait de heurter quelque chose. Qu’était-ce ? Nul ne le sait, et eux encore moins que les autres. La crainte se lit sur leur visage. L’ainé sort un couteau, ouvre la lame et marche en la maintenant en avant. Les maisons se raréfient. Des enclos s’ouvrent entre les bâtiments, des cours vides, encombrées d’objets hétéroclites, des hangars bondés de vieux pneus, des friches pleines d’herbes folâtres. Comme les premières lueurs du jour apparaissaient, ils cherchèrent un lieu où se reposer. Ils trouvèrent un dépôt contenant des ballots de chiffons. Ils s’endormirent très vite sans un mot. Cela faisait deux jours qu’ils étaient partis. Ils n’avaient ni bu, ni mangé.

Au crépuscule, ils se levèrent, la tête embrouillée. Plus la ville s’éloignait, plus il devenait difficile de marcher. Une herbe épaisse courrait maintenant sur les trottoirs, les obligeant à lever haut les pieds. Les rares maisons se dressaient telles des fantômes. Qu’y avait-il entre celles-ci ? Nul ne le sait. C’était un vide immense et tentaculaire. Mais ils avançaient toujours, courbés sous le poids de leur bagage. Ils se heurtaient de plus en plus souvent à des corps qu’ils n’arrivaient pas à distinguer. Ceux-ci s’écartaient aussitôt, sans un mot, sans un regard, sans un geste. Aucun échange entre leurs deux mondes. Ils vivaient côte à côte, sans se voir. Juste un simple contact et la réaction de retrait des deux partis. Plus une maison maintenant. La campagne peut-être ? Non, une sorte de no-man’s land informe, encombré d’une végétation extravagante, sans même un chemin indiquant un lieu où aller. Il fallait marcher en levant les genoux pour ne pas trébucher dans les ronces qui courraient par terre. Les mains en avant, de façon à éviter les corps qui marchaient eux aussi sans les voir, ils progressaient toujours. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. En fin de nuit, ils arrivèrent au bout des terres. Une immense coupure rocheuse entamait le paysage qui s’arrêtait devant une mer de sable, ondulée, aux grains clairs. Elle couvrait l’horizon. Rien que du sable à perte de vue. Au fond la lueur de l’aube commençait à monter. Il fallait trouver un abri. Ils se réfugièrent dans une anfractuosité rocheuse. S’endormirent aussitôt. Ils avaient soif et faim, la langue enflée, mais leur détermination restait sans faille. Cette fois-ci ils furent réveillés vers deux heures de l’après-midi. Aveuglés, ils mirent leurs lunettes noires et contemplèrent la mer de sable. Une multitude de corps étaient couchés sur le sable. Ils semblaient endormis. L’étaient-ils ? Nul ne le sait. Ils se regardèrent. L’épreuve allait commencer.

17/07/2015

Envol

Entre en toi !
Quitte le nuage de tes opinions
Et plonge entier et nu
Dans le vide céleste

Plus rien ne te retient
Ni l’oiseau au réveil
Ni le bâton de feu à midi
Ni la crème rosée du soir

Entre en toi !
Franchis la grille de ton apparence
Laisse le nombril de ton personnage
Et choit jusqu’à la délivrance

Dépasse ce cercle de chair
Aspire à la chute vertigineuse
Au fond de ton être un brasier
Suspendu à ton abandon

Entre en toi !
Fais-toi fugace, entre ta clé
Dans l’œilleton de ta suffisance
Et plane sur les eaux primordiales

L’air frais du renouvellement
Réveille tes sens endoloris
Le parfum iodé du large
Te prend à la gorge

Entre en toi !
Saute dans l’azur imprécis
Et, d’une ivresse sans fin
Noie ton être dans la lumière

©  Loup Francart 

16/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 4)

J’entendis une voix sûre d’elle, ronde, élégante mais pas recherchée, incisive aussi, une voix peu ordinaire parce qu’elle utilise la résonance de la poitrine de façon naturelle. Elle me plut aussitôt. Allez dire pourquoi ! Il entra le premier suivi de Mathias. Il était grand, pas trop, un mètre quatre-vingt au plus, mais il se tenait droit ce qui augmentait cette impression de grandeur. Je ne sais si vous l’avez remarqué, mais généralement les gens assez grands se tiennent un peu courbés pour se mettre à la portée des autres. Lui rayonnait de sa hauteur, sans aucune gêne.

Les présentations faites, nous nous assîmes autour de la table basse, et Mathias, beau parleur, expliqua les raisons de notre intérêt pour ses travaux. Il écoutait tranquillement, l’air calme et reposé, approuvant parfois d’un hochement de tête, s’étonnant d’une mimique des sourcils, s’interrogeant d’un écarquillement des yeux. Il avait une tête puissante, presque ronde, les cheveux en bataille, le cou assez épais. Mais cette morphologie ne l’empêchait pas d’être très mobile, très expressive, à la manière d’un oiseau de proie, regardant sur plusieurs côtés en même temps, rapidement, attentivement. Une tête captivante avec un sourire rare, mais ouvert. Cependant, en réponse à une explication maladroite de Mathias, il marqua sa réprobation d’une manière sans doute exagérée, trop franche et trop brusque. Attention, ne pas trop se frotter à sa réprobation, me dis-je. Mathias le comprit et conclut assez rapidement ses explications difficiles et quelque peu embrouillées.

Le hacker ne fit aucune allusion à ce discours. Il expliqua comment il était « entré en hack », c’était son expression, comme on entre en religion.

– Le hack est une manipulation permettant de contourner un problème, une sorte de bricolage qui sépare des blocs d’écriture et les réorganise de façon à créer une nouvelle cohérence qui permet de faire fonctionner le système même s’il est protégé. Je me suis toujours intéressé à l’écriture mathématique. Lorsque j’étais enfant, je réfléchissais déjà à l’agencement des nombres et plus particulièrement aux paradoxes qu’ils contiennent. Vous connaissez bien sûr cette phrase de Bertrand Russel : « Les mathématiques sont la seule science où on ne sait pas de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai. » J’aimais cette ambiguïté des mathématiques. Dans le même temps les nombres sont le moyen de cerner la réalité d’une manière particulièrement efficace, mille fois plus que les paroles. Ils rendent compte des caractéristiques de chaque objet, voire de chaque concept, mais également de leur rapport avec les autres choses. D’ailleurs les nombres sont les seuls mots de la langue française à avoir deux écritures : lettres et chiffres. Cela montre bien leur ambiguïté. Progressivement, à force de manipuler les nombres, je me suis passionné pour les bases de numération : pourquoi d’autres, tels les Anglais, comptaient dans leur monnaie sur une base de douze chiffres? Pourquoi le temps se compte de 60 en 60 ? Qu’est-ce que la numérotation binaire ? Pourquoi les ordinateurs ne comptent qu'avec deux chiffres?

En une prise de parole, il était entré dans nos interrogations, l’air de rien, parlant de ses souvenirs d’enfance. Il semblait très en avance sur nous dans ces réflexions. L’œil de mon ami Mathias brillait. Il était tout ouï. Pourtant, rien ne se passa comme il l’espérait. Il s’attendait à un discours explicatif donnant des pistes de réflexion, voire des solutions aux questions que nous nous posions. Mais progressivement, le hacker se mit à s’interroger comme s’il était seul en face de ce problème. Il nous oubliait. Son discours devient une péroraison intérieure à laquelle il était difficile d’adhérer par manque de compréhension.

La dualité a toujours été présente dans la pensée humaine. Pourtant il lui fallut du temps pour s’imposer dans les mathématiques. Joseph Diaz Gergonne, après Poncelet, s’est intéressé à la géométrie projective qui étudie les propriétés des figures qui sont stables par projection. Très vite, la dualité apparut dans de nombreuses disciplines mathématiques. Elle se développa d'abord en géométrie, puis en algèbre, en analyse fonctionnelle, en théorie des graphes. La dualité dépasse d’ailleurs les mathématiques. Elle entre en jeu dans la philosophie. Elle indique une duplicité dans laquelle les deux éléments de correspondent et se complémentent. Pire même, certains philosophes, ou peut-être mystiques, pensent que les contraires se rejoignent en un certain point, ou certain plan, changeant ainsi la face du monde.

Il poursuivit pendant un quart d’heure, mais tous avait décroché, malgré une attention éperdue. Lorsqu’il s’arrêta, ils n’eurent aucune question à poser. Ils étaient abasourdis, la mâchoire décrochée, l’œil vide, le cerveau sans aucun circuit neuronique activé. Il les regarda, compris qu’il s’était laissé aller, s’excusa et leur proposa d’en reparler de manière plus approfondie. Leur dialogue, qui fut un monologue, en resta là. Ils échangèrent des banalités, se serrèrent la main chaleureusement et se donnèrent rendez-vous la semaine suivante. Après son départ, Mathias se contenta de dire :

– C’est vraiment un être supérieur. Je n’ai rien compris à sa démonstration ou plutôt ses raisonnements. Mais il a dès le départ enregistré notre problème, celui de la dualité. Ce n’est certes pas l’explication finale et ne conduit pas directement à la découverte d’un nouveau nombre, mais c’est une approche originale prometteuse.  

15/07/2015

Portes (2)

Comme un bonbon offert d’une main secourable, elle reluit de ses feux d’un bleu profond et lisse. On a envie de goûter ses parois acidulées, de sentir ses fleurs stylisées, de lécher son digicode doré. C’est un porche de cinéma, fait de carton-pâte, digne d’un Hollywood parisien. Heureux les habitants de cet immeuble, ils entrent chaque jour au paradis, les yeux exorbités, la main caressante, le corps parcouru d’une envie d’aimer.

Celle-ci a la tendresse de la Provence. C’est un coin rafraichissant, un havre de paix, rond de froideur dans lequel on fait une halte doucereuse qui lave le corps de ses gouttelettes de transpiration naissantes. Vous avez envie de rester… Là… tranquillement… Mais il faut bien repartir… Allons, un peu de courage… Vous êtes requinqué. Adieu, fraicheur… Êtes-vous allés voir derrière l’entrée ce rond de lumière débordant de promesse ?

Elle était belle et majestueuse, ornée de pierres sculptées, de femmes et d’enfants portant sur leurs épaules le poids de la société. La fenêtre veillait gentiment sur le sommeil de ses habitants, vigie aux commandes du navire lancé en pleine mer comme un aveugle dans l’éclairage du matin. Se réfugier là, ouvrir la porte, pénétrer dans l’obscurité du porche, et attendre que le soir vous prenne dans ses rêves. Vous êtes la marquise, le valet de pied, le facteur, le visiteur… Peu importe, vous êtes entré dans l’histoire, par cette porte qui pourtant mériterait bien un coup de peinture.

14/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 3)

 Dans mon lit, je me suis longuement retourné. Et si réellement on trouvait une piste ? J’étais profondément excité. Je me suis relevé à un moment pour vérifier sur Internet ce que mon ami entendait par hacker. Je découvris qu’un hacker est une personne qui cherche à comprend et qui comprend même, de façon approfondie, le fonctionnement interne d’un système. C’est un passionné, un peu comme l'étaient les radio-amateurs il y a quelques dizaines d'années. Ce sont eux qui ont créé l’Internet. Leur savoir-faire s’enrichit chaque jour dans des domaines comme la programmation, la sécurité informatique, l’administration d’un système ou de réseau, et même l’architecture matérielle d’un ordinateur. Un hacker n’a rien à voir avec les crackers qui agissent illégalement et de manière malveillante. En fait le hacker est un bidouilleur de première classe pour qui toute informatique est libre par nature. Son but : créer une prouesse informatique, seule hiérarchie dans leur monde. Cette explication me permit de faire connaissance avec un hacker et d’envisager une collaboration.

 Lydie, ma femme, à qui j’avais raconté ma rencontre avec l’informaticien, me dit :

 – Prends garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la connaissance. Elle est à l’opposé de l’action, c’est-à-dire de la vie. La connaissance c’est l’infini, l’action c’est le zéro.

 En une phrase bien sentie, elle avait résumé le problème. On peut toujours penser  à une infinité de sujets, même les plus irrationnels et les plus impossibles. Mais on ne pourra jamais faire des actions contraires aux lois de l’univers. Le zéro est contraint par le un, voire par les millions de zéro plus un chiffre avant le 1. Il se heurte à l’entendement d’un chiffre pour exprimer sa puissance. Sans le un, le zéro n’existe pas, seul l’infini peut encore exister.

 Quelques jours plus tard, je reçu un coup de téléphone. C’était mon ami l’informaticien, Mathias de son prénom.

 – Il est disponible demain.

 – Qui ?

 – Mais le hacker dont nous avons parlé l’autre jour. Il est décidé à vous rencontrer. Il ne sait pas exactement pourquoi, mais il faut en profiter, car il peut rester plus de quinze jours sans voir quelqu’un.

 Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain. Mathias semblait aussi impatience que moi. J’arrivai chez lui avec dix minutes d’avance. Il habitait une sorte de studio en haut d’un immeuble dans le 5ème arrondissement. Il était encombré d’écran, d’appareils, de haut-parleurs  et tout baignait dans une lueur vert pomme que procuraient les boutons ornant certains instruments. Il avait cependant aménagé dans un coin une sorte de petit salon avec un canapé, deux fauteuils et une table basse. Il m’y entraîna, me fit assoir et prit la précaution de m’expliquer ce qu’il ne convenait pas de dire en sa présence. Par exemple, le terme « incompréhensible » le met dans une rage qui lui coupe tous ses moyens. Alors, à éviter. De même, le terme « chercheur ». Il ne peut pas les voir. D’après lui, ils ne font que chercher, mais ils ne trouvent jamais. Ce sont des interrogateurs, mais pas des résolveurs. Ils laissent leur esprit rêver dans un monde confus et volontairement compliqué et se perdent dans des raisonnements tordus qui ne mènent nullement part. Parfois, l’un d’eux trouve quelque chose. C’est la gloire. Il met un habit de soirée, monte sur une estrade, reçoit un objet en or devant un parterre d’applaudisseurs et fait l’objet de nombreux articles de journaux vantant son intelligence, son ouverture d’esprit, son agilité naturelle. Mais la plupart du temps, ils finissent directeur de recherche, un poste administratif qui lui retire toute faculté de penser. Tout alors est lié aux chiffres. Combien coûte tel appareil, combien faut-il engager de chercheurs, combien de temps faut-il pour avoir l’espoir de…

 – Un vrai hacker ne compte que sur lui, me dit Mathias. Il se met face à un problème, se fait une réserve de sandwichs et de bières, ferme sa porte à clé et commence à réfléchir. Cela peut durer plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines. Il ne dormira pratiquement pas pendant ces jours de concentration. Sa machine intellectuelle fonctionne à plein régime. Il émet des hypothèses, les vérifie, les écarte jusqu’à ce que l’une d’entre elles se révèle prometteuse. Il approche, presque, il redouble de réflexion. Jamais une impatience, l’expression d’un manque d’aide ou une vielle résurgence envers la société. Le hacker n’a…

La sonnerie de la porte d’entrée émit un bruit bizarre, comme le couinement d’un lapin qui se fait prendre la patte dans un piège. Mathias se leva : 

– Le voici. Je suis impatient.

13/07/2015

Pourquoi ?

Dis Maman, pourquoi les canards ont des plumes ?
Dis Maman, pourquoi n’ai-je pas des écailles ?
Dis Maman, pourquoi les singes sont poilus ?

Dis Papa, pourquoi les étoiles sont brillantes ?
Dis Papa, pourquoi le jour se lève ?
Dis Papa, pourquoi la nuit est noire ?

Que de questions se bousculent dans sa bouche
Que d’interrogations devant le monde
Que d’étonnement dans ce qui est naturel

Combien les adultes sont heureux et fiers
De ne plus se poser ces questions
Ils en rient entre eux, moqueurs

Ils ont perdu leur innocence
Ils n’ont plus l’esprit curieux
Mais... Pourquoi ne s'émerveillent-ils plus ?

©  Loup Francart