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11/08/2013

Une goutte de pensée

Une goutte de pensée... Cela peut-il se dessiner et se peindre ? Probablement non, mais on aime se dire que la pensée n'est rien d'autre que cette poche emplie de fragments agglomérés qui s'échappent au dehors par une bouche moustachue. Et la pensée suit son cours dans le monde, au fil des lieux et des temps.

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10/08/2013

Je ne suis plus qu'un morceau d'être

Je ne suis plus qu’un morceau d’être
Qui vit encore, pour vivre,
Ne connaissant pas les frontières de la mort.
Un morceau d’être encore vivant.

Loin de toi, je ne suis rien.
Je me regarde, je m’interroge,
Nu, dévêtu de ta chaleur,
Pauvre, démuni de toute richesse.

Mon âme devenue désert
Guette dans l’ombre ta présence.
J’erre dans la nuit des jours,
Attendant patiemment ton retour.

09/08/2013

La chapelle

Elle se trouve au bord d’une petite route, en face d’une maison enfouie dans les arbres. On ne se doute pas qu’il puisse y avoir là une chapelle avant de l’apercevoir. A la sortie d’un tournant elle est là, blanche, immaculée, fraichement repeinte, pierre précieuse dans la campagne.

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Elle a un nom, elle a un lieu, elle a une histoire, mais j’ai tout oublié. Seul reste dans le secret de13-08-06 La chapelle7.JPG ma mémoire, sa blancheur crème et son clocheton surmontant son toit pentu.  Elle dispose d’un enclos encombrée de quelques arbres. Il n’est pas bien entretenu, mais ce désordre lui plaît, elle n’en paraît que plus naturelle. Marie au milieu des passants, qui ne se distingue en rien. Et pourtant quelle distinction. Une porte surmontée d’un pilastre modeste, mais élégant, lui-même surmonté d’une niche dans laquelle se trouve la vierge avec l’enfant tenu à bout de bras, comme montré à la foule des pèlerins.

Car c’est un lieu de pèlerinage. Dans la première semaine de septembre a lieu à la chapelle une messe, le jour de la nativité de Marie. « Des enfants gardant leurs moutons sur un terrain appelé l'allée de la Tremblaye, virent dans un chêne une petite statuette qu'ils prirent pour une poupée et qu'ils remportèrent chez eux. » La chapelle fut édifiée en 1631.

13-08-06 La chapelle1.JPGLe clocheton a été refait. Il brille de tous ses feux et donne à l’édifice un air vague de chapelle orthodoxe, sans doute en raison de sa forme et de la boule qui porte la croix.

 

La porte est ouverte, entrons ! Venant du dehors, aveuglés par la lumière de l’après-midi, nous sommes surpris par son éclat. Il vient du vitrail en damier bleu et blanc par lequel perce un rayon de soleil. Lumière irréelle, irradiant l’autel. Tout est propre, bien rangé, fleuri, prêt pour une messe de mariage. Les noces de la nature et de la mystique !

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Un nuage passe. L’intérieur reprend un aspect naturel : une petite chapelle perdue au milieu des champs qui offre au passant un instant de prière dans le calme.

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Enfant, nous aimions nous arrêter dans un tel lieu, à genoux, la tête vide, attendant on ne sait quoi. Même impression. Je perds ma rationalité et prend le large sur les nuages de mes souvenirs. Quelques instants dans le passé, avec les yeux de l’enfance innocente. N’est-ce pas le dessein des constructeurs. "Eveillez-vous et priez l’immaculée !"

Où est-ce ? Vous pourriez trouver, les indices ne manquent pas. Dites-le-moi si vous le découvrez !

08/08/2013

Le chat

J’ai hérité d’un chat. Pour quelques jours, Dieu soit loué. Impassible, il contemple les papillons et lève la patte pour tenter de les attraper. Mais ce sont des papillons de nuit qui s’élèvent haut dans le ciel. Alors il lève ses moustaches et les regarde partir jusqu’à ce qu’ils soient hors de sa vue. Il semble dormir, mi-assis mi-couché sur le lit, mais le moindre bruit le fait sursauter. De temps à autre, un frémissement parcourt sa colonne vertébrale, comme la main d’un spectre fouillant sa fourrure.

Ah ! Il se lève et vient près de moi en ronronnant. Il se couche complètement et son ventre respire au rythme de ses grognements chaleureux. Sa queue remue parfois, juste à la pointe, comme un être à part entière, indépendant de la masse de poils bercée par la brise venant de la fenêtre ouverte. Le bruit de l’envol d’un pigeon dans le noir le redresse instantanément, les yeux apeurés. Il est souple, vif, et reposé, serein, presqu’apathique. Il passe ses jours et ses nuits assis, couché, sur un tapis, dans un fauteuil, sur un lit.

Tiens ! Nouveau petit bruit qui le conduit à la porte fenêtre. Il s’assied face à l’obscurité, le visage tourné vers la lune, baigné d’une faible lueur, comme une porcelaine. Il sort même sur la terrasse et ses yeux luisent dans le noir. Mais bien vite, il rentre d’un pas délié, remuant sa fourrure avec noblesse, faisant admirer les liaisons entre son corps et ses membres. Oui, un chat se déplace avec fierté ou en folie, griffant le sol, courant entre les pieds des fauteuils, dérapant sur les tapis, pour atteindre en une seconde la porte entrouverte.

C’est un compagnon qui s’adapte à votre rythme. Il ne veut qu’une chose, quelques caresses sur son dos arrondi, couché contre votre corps, s’imposant pour un bain d’intimité. Puis il repart comme s’il ne vous connaissait pas, indépendant, solitaire. Quelle drôle de vie que celle d’un chat ! Indépendance et affection ou, tout simplement, une vie de chat.

07/08/2013

La magie d'un instant

Ce matin, elle est descendue à la cuisine comme tous les jours. Après avoir allumé, elle mit la hauteur d’eau nécessaire dans le réservoir de la cafetière, retira l’ancien filtre, en inséra un nouveau et versa dedans ce qu’elle estimait être la bonne proportion pour obtenir un café ni trop fort, ni eau de vaisselle. Elle n’utilisait pas de doseur, estimant qu’elle devait seule en face de la machine à café prendre ses responsabilité en ce qui concernait le dosage. Elle s’assit, ouvrit son livre du moment et se plongea dans un autre monde déconnecté des tracas quotidiens comme des indigences du corps. Pendant ce temps, l’eau, réchauffée par les résistances, s’infiltrait dans le café en poudre bien tassé dans le filtre, le faisait gonfler, puis suintait en quelques gouttes dorées au-delà du papier blanc, et passait dans l’étroit goulet permettant à chaque goutte de la précieuse liqueur de tomber en gerbe au fond de la carafe. Progressivement, celle-ci se remplissait d’abord en étincelles giclant sur l’intérieur de la carafe, puis, dès l’instant où la surface du fond fut recouverte d’une couche de liquide d’une dorure rougeâtre, tendant vers le brun, en cercles concentriques s’écartant du centre pour se perdre sur le rivage de l’enveloppe et revenir amoindri à la rencontre d’un autre cercle émis par les jets de liquide venant du haut.

Ça y est, le café est prêt ! Elle avait sous les yeux ce breuvage délicat, non plus doré, mais presque noir, qui avait des reflets plus clairs si on sortait la carafe de son logement. En tendant le bras et ouvrant la main pour saisir la poignée, elle vit un éclair de l’œil droit, une sorte de feu interne, rouge comme une pivoine, qui ne dura qu’un très bref instant. Il venait de la fenêtre derrière la cafetière.

– Un reflet dans la vitre, c’est tout, pensa-t-elle.

Elle tendit à nouveau la main vers l’anse et cette fois-ci perçut un reflet bleu nuit, comme un scintillement dans la pâleur de la nuit qui devint vert. Curieuse et étonnée, elle se pencha vers ce feu tonifiant qui semblait la narguer. C’était maintenant un petit point rouge vif, incroyablement lumineux, comme une virgule suspendue dans l’air, avertissement d’une journée différente, comme un signe de bonheur ouvert sur le monde. Le jour était là, mais la lueur continuait son embrasement, resplendissante. Elle bougea un peu la tête, montant le menton de quelques millimètres et la flamme s’allongea, prenant des teintes successivement de rouge, jaune, vert et bleu. C’était un ruban qui s’étirait, n’émettant qu’une seule couleur, mais qui se transformait au fil du déplacement de la tête. Voulant en avoir le cœur net, elle se pencha vers la fenêtre, cherchant quel était cet éclat qui se propageait sur la vitre. Elle comprit que ce n’était pas celle-ci qui émettait le reflet. Au-delà, sur l’évier de pierre, se trouvait un petit panier contenant divers objets, dont un disque d’ordinateur de couleur acier qui créait la lueur fascinante. L’ampoule électrique du plafond se reflétait sur le disque, créant une réfraction et dispersant chaque couleur l’une après l’autre et non ensemble comme pour l’arc-en-ciel habituel. Bougeant précautionneusement la tête, elle ne se lassait pas de faire surgir d’abord un rouge brillant, chaleureux, chaud comme un incendie, puis un orange lumineux, ensoleillant, puis un jaune paille étincelant, à lécher, puis un vert plus pâlot, émeraude pure, enfin un bleu nuit éblouissant, pur, qui s’éteignait en améthyste sombre. Quelle merveille que ce reflet unique qui se contorsionnait sous ses yeux, prenant sur la largeur du disque un spectre irréel qui lui chatouillait l’œil et entrait dans son cerveau en feu follet. Pas d’autre pensée. Pas la moindre distraction. Le feu sacré de la lumière décomposée pour elle, ce matin. Surprise d’un jour nouveau, la main sur la cafetière, le regard fixé, qui rendait son corps transparent. Elle devenait l’esprit du feu. Elle était la lumière pure, franche, vivante en elle-même, irradiant sur le monde sa nouvelle virginité.

Quel instant ! Elle dut se forcer à se détacher, à remplir sa tasse de café, à y mettre une goutte de lait qui s’élargissait en nuage dans le liquide noir et lui donnait une teinte plus claire, virant à l’ocre. Elle but le breuvage chaud comme à une source vive, pensant intérieurement à un bain nettoyant son être intérieur pour lui donner l’aspect d’une glace réfléchissante sans l’ombre d’une poussière. Après avoir bu, elle quitta sa place, abandonnant le reflet magique et alla éteindre la lumière, mettant fin à un moment d’éternité.

06/08/2013

Lumière

Il a piégé la lumière un jour de grand vent. Elle est apparue au bout de son pinceau, innocemment, sans mot dire, nitescence des couleurs : bleu et vert, d’où transparaissent le jaune et le rouge. Quelle cacophonie ! Cet assemblage hétéroclite devient vitrail.

Ce matin, il s’est levé, a contemplé la naissance du jour, a imprimé cet embrasement : l’immanence divine…

 

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05/08/2013

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement

« Elle me donne sans cesse en exemple le génie d’Einstein : ses conclusions sont toujours claires et ses calculs souvent faux, ce qui le distingue de la plupart des chercheurs dont la rigueur alimente  l’hermétisme. En fait, il trouve d’abord, et il cherche après. Il a l’intuition de la théorie, il en déduit le résultat, puis il en développe les conséquences jusqu’à les rendre limpides – et par là même incontournables. Alors il revient en arrière pour étayer sa découverte par les calculs nécessaires à la démonstration, mais à ses yeux, c’est du temps perdu. »  (Didiervan Cauwelaert, La femme de nos vies, Albin Michel, 2013, p.138).

Platon avait bien saisi cette différence majeure entre la pensée rationnelle, déductive et argumentative, la dianoia, et la pensée perceptible, immédiate et évidente, le noûs. Mais le siècle des Lumières nous a fait perdre l’intuition au profit du rationnel, reléguant la première parmi les faux amis. Cela s’est accentué au XIXème siècle. L’intuition ne joue qu’un rôle négatif, elle ne peut délivrer de message que si elle est relayée par la rationalité qui seule peut consacrer la vérité. Et si cela n’était que prudence et précaution de la part d’hommes à l’imagination limitée ?

Tout d’abord, reconnaissons que l’intuition va au-delà de l’inférence. Elle ne chemine pas entre les propositions jusqu’à une conclusion. Elle va droit au but, sans masque, et s’impose par la force de la pensée avant d’être ensuite disséquée dans une démonstration à trouver. C’est le propre du génie. C’est un éclair de vérité qui émerge des nuages de pensée et s’impose à celui qui le vit. C’est la pomme de Newton dont la chute entraîne la pensée vers la conclusion recherchée depuis longtemps. C’est justement parce qu’elle est recherchée depuis longtemps qu’elle apparaît soudain, claire et impérative. Sans travail, l’intuition n’existe pas.

Alors, soignons nos intuitions, tendons l’oreille à leurs murmures. Ensuite viendra le travail de démonstration, la construction rigoureuse d’une pensée qui ne laisse aucune fuite dans sa logique.