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07/08/2013

La magie d'un instant

Ce matin, elle est descendue à la cuisine comme tous les jours. Après avoir allumé, elle mit la hauteur d’eau nécessaire dans le réservoir de la cafetière, retira l’ancien filtre, en inséra un nouveau et versa dedans ce qu’elle estimait être la bonne proportion pour obtenir un café ni trop fort, ni eau de vaisselle. Elle n’utilisait pas de doseur, estimant qu’elle devait seule en face de la machine à café prendre ses responsabilité en ce qui concernait le dosage. Elle s’assit, ouvrit son livre du moment et se plongea dans un autre monde déconnecté des tracas quotidiens comme des indigences du corps. Pendant ce temps, l’eau, réchauffée par les résistances, s’infiltrait dans le café en poudre bien tassé dans le filtre, le faisait gonfler, puis suintait en quelques gouttes dorées au-delà du papier blanc, et passait dans l’étroit goulet permettant à chaque goutte de la précieuse liqueur de tomber en gerbe au fond de la carafe. Progressivement, celle-ci se remplissait d’abord en étincelles giclant sur l’intérieur de la carafe, puis, dès l’instant où la surface du fond fut recouverte d’une couche de liquide d’une dorure rougeâtre, tendant vers le brun, en cercles concentriques s’écartant du centre pour se perdre sur le rivage de l’enveloppe et revenir amoindri à la rencontre d’un autre cercle émis par les jets de liquide venant du haut.

Ça y est, le café est prêt ! Elle avait sous les yeux ce breuvage délicat, non plus doré, mais presque noir, qui avait des reflets plus clairs si on sortait la carafe de son logement. En tendant le bras et ouvrant la main pour saisir la poignée, elle vit un éclair de l’œil droit, une sorte de feu interne, rouge comme une pivoine, qui ne dura qu’un très bref instant. Il venait de la fenêtre derrière la cafetière.

– Un reflet dans la vitre, c’est tout, pensa-t-elle.

Elle tendit à nouveau la main vers l’anse et cette fois-ci perçut un reflet bleu nuit, comme un scintillement dans la pâleur de la nuit qui devint vert. Curieuse et étonnée, elle se pencha vers ce feu tonifiant qui semblait la narguer. C’était maintenant un petit point rouge vif, incroyablement lumineux, comme une virgule suspendue dans l’air, avertissement d’une journée différente, comme un signe de bonheur ouvert sur le monde. Le jour était là, mais la lueur continuait son embrasement, resplendissante. Elle bougea un peu la tête, montant le menton de quelques millimètres et la flamme s’allongea, prenant des teintes successivement de rouge, jaune, vert et bleu. C’était un ruban qui s’étirait, n’émettant qu’une seule couleur, mais qui se transformait au fil du déplacement de la tête. Voulant en avoir le cœur net, elle se pencha vers la fenêtre, cherchant quel était cet éclat qui se propageait sur la vitre. Elle comprit que ce n’était pas celle-ci qui émettait le reflet. Au-delà, sur l’évier de pierre, se trouvait un petit panier contenant divers objets, dont un disque d’ordinateur de couleur acier qui créait la lueur fascinante. L’ampoule électrique du plafond se reflétait sur le disque, créant une réfraction et dispersant chaque couleur l’une après l’autre et non ensemble comme pour l’arc-en-ciel habituel. Bougeant précautionneusement la tête, elle ne se lassait pas de faire surgir d’abord un rouge brillant, chaleureux, chaud comme un incendie, puis un orange lumineux, ensoleillant, puis un jaune paille étincelant, à lécher, puis un vert plus pâlot, émeraude pure, enfin un bleu nuit éblouissant, pur, qui s’éteignait en améthyste sombre. Quelle merveille que ce reflet unique qui se contorsionnait sous ses yeux, prenant sur la largeur du disque un spectre irréel qui lui chatouillait l’œil et entrait dans son cerveau en feu follet. Pas d’autre pensée. Pas la moindre distraction. Le feu sacré de la lumière décomposée pour elle, ce matin. Surprise d’un jour nouveau, la main sur la cafetière, le regard fixé, qui rendait son corps transparent. Elle devenait l’esprit du feu. Elle était la lumière pure, franche, vivante en elle-même, irradiant sur le monde sa nouvelle virginité.

Quel instant ! Elle dut se forcer à se détacher, à remplir sa tasse de café, à y mettre une goutte de lait qui s’élargissait en nuage dans le liquide noir et lui donnait une teinte plus claire, virant à l’ocre. Elle but le breuvage chaud comme à une source vive, pensant intérieurement à un bain nettoyant son être intérieur pour lui donner l’aspect d’une glace réfléchissante sans l’ombre d’une poussière. Après avoir bu, elle quitta sa place, abandonnant le reflet magique et alla éteindre la lumière, mettant fin à un moment d’éternité.

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