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21/02/2016

L'accent

C’est pourtant un bien bel effet que cet accent chantant que nous avons oublié depuis que tous montent vers Paris pour étudier. Le poème devient chanson parlée à nos oreilles.

C’est l’été, les vacances avancent leur museau et ouvrent le rideau.

20/02/2016

Mandala

Un mandala moderne qui trompe par ses irrégularités :

16-02-20 Réversible.jpg

19/02/2016

La fin de l'histoire (18)

Il se décida à revoir la jeune fille que Charles avait rencontrée à Montmartre. Il dut prendre des précautions ne voulant pas qu’une maladresse de sa part lui cause un préjudice irréversible. Il la suivit quelque temps dans ses trajets habituels. Un jour, dans un autobus, il saisit l’occasion d’une place libre à côté d’elle pour engager une conversation anodine. Elle se souvenait bien de lui sans le dire ouvertement. Il la convia à prendre un café dans un bistrot place Clichy. Là, perdus dans la foule anonyme des consommateurs, ils purent échanger quelques mots.

– L’avez-vous vu souvent avant sa disparition ? lui demanda-t-il après les échanges habituels de gens qui se connaissent peu.

– À peu près une dizaine de fois. C’était quelqu’un qui parlait peu, assez discret. Mais lorsqu’un sujet l’intéressait, il faisait preuve de connaissances que je n’aurai pas soupçonnées chez lui. Il s’intéressait particulièrement à la philosophie et la mystique dont il parlait à mots couverts. Un livre l’avait profondément marqué. Il s’appelait d’un nom bizarre. Autant que je me souvienne, quelque chose comme philocaïde. Il m’a parlé de manière d’être et d’exercices destinés à améliorer la perception du monde.

– Ne s’agit-il pas plutôt de philocalie ?

– Oui, ça doit être ça. Mais il ajoutait une drôle d’expression, quelque chose comme philocalie des frères nautiques. Il n’a pas eu le temps de m’en dire plus. J’avoue que je ne sais ce que signifie l’expression des frères nautiques. Je suppose qu’il s’agit d’un lieu de réunion de passionnés de navigation ou d’un club d’aviron. Mais ce sont de pures suppositions.

– Je pense que vous confondez. Il doit s’agir de la Philocalie des Pères neptiques, un livre mystique écrit au XVIIIe siècle et qui s’est répandu dans toute l’Europe au début du XIXe. Un très beau livre de réalisation intérieure.

– Pardonnez-moi, je n’y connais rien. De quoi s’agit-il ?

– C’est un recueil de textes de la spiritualité orthodoxe. Le terme philocalie signifie « amour de la beauté ». Il s’agit là de la vraie beauté, celle du monde invisible, caché derrière le monde visible. Les textes parlent tous de la manière d’atteindre ce monde invisible, par la prière.

– Vous y croyez, vous ? C’est quoi ce monde invisible ? lui demanda-t-elle abruptement.

Nicéphore eut tout à coup des doutes. Cette fille a-t-elle été l’amie de Charles où ne serait-elle pas une espionne de la dP ? Ne s’était-il pas trop engagé ?

– Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire des pensées et comment envisager le monde. J’écris un livre sur les différentes utopies ayant régné en Europe depuis le Moyen âge. Les utopies religieuses ont été nombreuses et variées. Celle de la philocalie a été particulièrement importante grâce à la diffusion d’un livre appelé « Récit d’un pèlerin russe ».

Nicéphore s’en tira ainsi et n’osa plus insister. Cette fille était un peu bécasse et il fallait s’en méfier. Ils bavardèrent encore quelques instants, puis elle se leva en posant une question :

– Charles m’a dit que pour connaître le monde, il fallait le désapprendre. Est-ce vrai ?

– Je… Je ne sais pas. Vous parlez du monde invisible ou du monde visible ?

– Je m’interroge sur ce qu’il appelait le monde invisible. Comment désapprendre quelque chose qu’on ne connaît pas ?

Elle le quitta sur ces paroles qui ne manquaient pas d’intelligence, ce qui l’intrigua. Il n’arrivait pas à la saisir. Elle semblait fuir comme une anguille que l’on serra dans ses mains. Impossible de la maîtriser. Néanmoins elle fit un effort de mondanité qui lui sembla de bon augure.

– Je m’appelle Margit et vous pouvez m’appeler ainsi. Et vous ?

– Nicéphore.

– Je ne sais si nous aurons l’occasion de nous revoir, mais cette conversation m’a fait du bien. Au revoir, Nicéphore. Au fait, j’habite au 15 rue Tellurique, dans le 13e arrondissement.

– Au revoir Margit.

Une fois dehors, Nicéphore s’interrogea sur le sens de son interrogation : comment désapprendre quelque chose qu’on ne connaît pas ? Il ne s’était jamais posé la question. « Au fond, cette fille est peut-être plus intelligente qu’elle veut bien le laisser croire. Je ne sais. Je dois sans doute la revoir une nouvelle fois, en lui avouant mes réelles recherches. C’est un risque à prendre. »

18/02/2016

Le mont Saint Michel

Les revenants descendent
Les portes d’en face se ferment
L’escargot ouvre sa coquille
Vous montez : serrez-vous !
Le mont est là qui vous écrase
Il se dresse humblement, seul
Dans une plaine sans fin
Où court un fil d’argent
Aimablement suivi par le conducteur

Le contrefort devient rocher
Le rocher devient forteresse
Et celle-ci hommage de dentelles et de croix mêlées
Au ciel pur et vierge de soucis
L’horizon pour toute assise
La verticale s’empare de votre vue
Vous grandissez et vous effilochez
Dans ces ruelles aux bras levés
Sur lesquelles la mouette pousse son cri

Couleurs du gris qui vire au jaune
Au blanc, au bleu des reflets
De l’azur qui chante dans cette élévation
Vous palpez cet univers liquide
Vous vous couchez dans ces ravins d’eau claire
Froide par nature et par résolution
Vous frissonnez à la bise du matin
Et vous montez toujours plus
Au long des pierres millénaires
Dans le bourdonnement des pas sur les marches sacrées

Et tous vont jusqu’à la montée d’escalier
Telle l’entrée au paradis ouvert sur l’océan
Vous êtes aspirés hors de l’espace et du temps
Et vos cheveux se dressés droits sur votre chef
Vous tirent vers l’abîme des cieux
Jusqu’à la lévitation promise et envoûtante

Mais plus haut encore, Saint Michel se dresse
Les ailes déployées, l’épée levée, terrassant les âmes

©  Loup Francart

17/02/2016

Amour et beauté

La preuve décisive de son aptitude (celle de l’amour) à s’harmoniser à tout et de la souplesse de sa nature, elle est dans cette beauté de la forme, que précisément, Amour, en vertu d’un consentement unanime, possède à un degré exceptionnel ; car entre laideur et amour il y a de l’un à l’autre, un perpétuel conflit. (…)

Il n’est personne, en tout cas, dût-on même jusque-là sans culture, qui ne devienne poète quand de lui Amour s’est emparé !

(Platon, Le banquet, Première partie, discours d’Agathon, la nature de l’amour, La pléiade, 1940)

 

Quel sujet de controverse : l’amour naît-il de la beauté ou la beauté naît-elle de l’amour ? Très certainement, la question est abrupte et trop catégorique. Tous diront l’un et l’autre. Pourtant elle est intéressante, car elle nous contraint à aller au fond des choses.

C’est un fait certain que l’amour naît de la beauté. Chaque homme et chaque femme aimera son vis-à-vis par la beauté qu’il possède, que celle-ci soit physique, intellectuelle ou morale. Mais en disant cela, nous avons déjà fait une concession au principe de la beauté : elle n’est pas que physique. Ainsi la beauté intérieure d’un être peut faire surgir l’amour même si celui qui en est l’objet ne dispose que d’une piètre beauté physique. Mieux même, cette disposition intérieure fera apparaître beau l’être qui n’a pas les caractéristiques de la beauté. Ainsi notre proposition se retourne, l’amour fait naître la beauté là où rien ne suggère l’irradiation du beau.

Et si l’on se donne la peine de d’interpréter ce constat, on s’aperçoit qu’il en est de même entre l’amour humain et l’amour divin, l’éros et l’agapè. Pour le premier, l’amour naît de la beauté éprouvée et supposée d’un autre être. Pour le second, l’amour fait naître la beauté dans le cœur de celui qui aime et sème la beauté dans l’être aimé.

L’amour n’est-il pas ensorceleur !

16/02/2016

Le Carême

L’année liturgique tourne autour de deux grands mystères : le mystère de l’incarnation et le mystère de la résurrection.

Elle est donc naturellement divisée en deux grands cycles :

* Le cycle de Noël avec le temps de l’Avent, le temps de Noël et le temps après l’Epiphanie ;

* Le cycle de Pâques avec le temps du Carême, et le temps pascal jusqu’à la Pentecôte. On peut y ajouter le temps après la Pentecôte avec les trois fêtes qui suivent : fêtes de la Sainte Trinité, du Corps et du Sang du Christ et du Cœur du Christ.

Le cycle de Pâques est le cœur de l’année liturgique et le cycle de Noël ne fait que le préparer. Chacun des deux cycles nous préparent à la rencontre du divin. Quelle différence ?

Noël met l’accent sur la naissance de Dieu en nous. Pâques met l’accent sur notre naissance en Dieu, avec la nécessité de se transformer pour renaître en Dieu ou ressusciter. Plus exactement, le cycle de Pâques est là pour nous inciter à mourir à nous-mêmes pour renaître en Dieu.

Le Carême nous permet de réaliser la kénose, c’est-à-dire nous vider de nous-mêmes, mieux, mourir à nous-mêmes.

15/02/2016

La fin de l'histoire (17)

Le lendemain, il écrivit une petite annonce anonyme : « Cherche jeune homme, disparu il y a deux jours, suite à un incident dans la rue Patrick Boujoux, 13e. Vous adressez à poste restante N°1024 dans le 11e arrondissement. » Il n’osa pas être plus clair et donner le nom de Charles. Il la fit publier dans deux journaux de petites annonces et dans un quotidien national. Il rentra ensuite chez lui et reprit sa méditation. Celle-ci lui était devenue indispensable et faisait maintenant partie de sa nature profonde. Il avait trouvé le trou noir existant en lui. Il n’avait pas encore franchi sa porte, mais avait entrevu certaines caractéristiques de celui-ci : un vide attirant qui procurait un bienfaisant soutien permettant de faire face aux événements qui n’allaient pas tarder à arriver. Il ferma les yeux, se concentrant sur le passage de l’air dans son corps, s’efforçant d’évacuer ses interrogations et sa colère. Il parvint progressivement à la paix intérieure, ne conservant qu’une mince pellicule entre son moi et le monde extérieur. Désormais, il se savait insaisissable, parvenant à contrôler les impulsions mettant en route l’indicateur. Il était arrivé à se créer une cuirasse qui était, chose curieuse, transparente, ténue, fragile, mais efficace et indétectable. Le plus curieux cependant tenait au fait que plus il pensait à la nécessité de ne rien dévoiler, plus il se sentait vulnérable. Il lui fallait atteindre un état de non pensée pour ressentir la certitude bienfaisante d’être inébranlable.

Il chercha d’autres voies pour connaître le sort de Charles. Il prenait cependant garde de n’être pas soupçonné de déviationnisme et ainsi risquer l’enfermement. Il lut chaque jour les journaux, espérant apprendre quelque chose, même s’il savait qu’une fois pris, les non collectifs (ils étaient ainsi dénommés par la population) n’étaient plus jamais évoqués dans les médias. Ceux-ci se conformaient strictement aux consignes données par le gouvernement et même si un journaliste apprenait quelque chose, dès l’instant où la personne avait été déclarée déviationniste, elle ne pouvait plus être évoquée. De même, la plupart des personnes sensées dès l’instant où elles comprenaient qu’il s’agissait de non collectifs se refusaient à en parler. Une sorte d’atonie s’emparait d’eux et ils gardaient les yeux dans le vague tant que leur interlocuteur évoquait l’individu. Néanmoins, il restait des traces de leur passage sur cette terre. Tout d’abord, il était possible de chercher dans les archives des journaux ce qu’avait fait la personne en question avant sa maladie. Cela permettait de se renseigner sur ses pôles d’intérêt, ses habitudes, ses passions, sa manière de vivre. On pouvait ainsi reconstituer ce qui avait marqué son passage sur terre et disposer d’une biographie, élémentaire certes, mais utile. On pouvait également visiter les lieux qu’elle avait fréquentés, sa maison, son école ou son université, son club de sport, éventuellement son église. Enfin, et c’était sans doute le plus précieux, on pouvait rencontrer les gens qu’elle avait côtoyés, à condition de n’évoquer aucune amitié ou même rapport avec elle. Il fallait donc recourir à des subterfuges tels qu’une recherche commerciale ou administrative, ou encore la volonté de réunir sur une même photo des camarades de classe ou tout autre prétexte futile.

Toutes ces recherches restèrent vaines. Rien ne transparaissait de ce qu’était de venu Charles. Certes, il avait bien récolté quelques éléments de biographie : les quelques collèges où il avait suivi sa scolarité, le club d’échecs où il avait brillé, les voyages effectués à l’étranger. Mais rien de tout cela n’induisait sa manière de penser, ses habitudes intimes, ses rencontres improbables, ses lectures et tout ce qui pourrait lui donner des pistes. Rien. Rien de rien ne transparaissait dans tout cela. De même, les petites annonces mises dans certains journaux ne donnèrent rien. Aucune allusion à cette disparition. Tout se passait comme si Charles n’avait existé que dans l’imagination de quelques Parisiens frileux et déjà âgés. De sa vie récente, rien.