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18/10/2015

Destinée

La vie, c’est cette tête d’épingle
Que l’on a du mal à domestiquer
Ce n’est ni le mont Everest
Ni les collines de la satiété

C’est un pic qui vous fait frissonner
C’est un creux où l’on enfonce le doigt
Il ne dure qu’un instant, immense
Et s’en va aussi vite qu’il est venu
Vous laissant hagard et délirant
Secoué de tremblements de bonheur

La vie se révèle alors, intense
Embrasant l’univers, vous et lui
D’une même flamme aspirante
Qui vous fait repartir, ragaillardi
Vers un autre sommet, différent

Et c’est cette succession de haut et de bas
Qui fait la magnificence d’une destinée
Différente pour chacun, inégalée
En intensité et en circonstances
Mais qui conduit, pour tous
A cette extase d’un jour qui vous fait dire
Si c’est à refaire ? Oui, tout de suite !

Peut-être cela sera différent
On ne peut vivre deux fois la même chose
Mais les péripéties n’ont pas d’importance
Seul compte le frisson d’un instant
Cette envolée inénarrable de quelques secondes
Qui transforme l’homme ou la femme
Et le ou la fait devenir Dieu

Dieu a fait l’homme pour que l’homme devienne Dieu

©  Loup Francart

17/10/2015

Voix bulgares

https://www.youtube.com/watch?v=7gaQMUecZQc

Comment ne pas résister à ces voix qui nous disent la beauté des montagnes bulgares et le bien-être des rencontres humaines. Pourtant ces voix ne sont pas travaillées à la manière occidentale en utilisant la résonance du pharynx. Elles sortent le plus souvent directement de la gorge (exemple en 19:00), style de chant inacceptable en musique classique.

On pourrait penser au chant corse dans la manière d’improviser sur la note de départ, s’éloignant progressivement de celle-ci en commençant par des écarts d’un seul ton, forme inusitée également en musique classique. Celle-ci tourne autour de la voix principale, s’enroule comme un serpent autour de celle-ci, revenant souvent à l’accord de seconde, caractéristique du chant bulgare.

Le chant est souvent rompu par des changements de rythme, comme un vent de folie dans l’écoulement du temps et des choses.

Enfin, quatrième caractéristique, le chant est parfois rythmé par la parole, un peu à la manière du chant parlé (si l’on peut appeler ainsi ce genre) ou du spoken word ou encore du slam.

Cela peut devenir une véritable cacophonie comme en 39 :12. Mais même celle-ci est belle en ce sens qu’elle exprime la particularité du pays, la résonance des voix au travers des montagnes, le son des cloches se propageant dans la froideur de l’air.

 

16/10/2015

Youth 2

Dans la nuit m'est venue une réflexion sur le film :

Le film est également plus profond qu’il n’y paraît de prime abord. Il met en évidence diverses façons de devenir vieux.

La première est celle choisie par le chef d’orchestre : je prends ma retraite, donc je ne fais rien et je vis l’instant, sans continuité. Il abandonne même la passion de sa vie, la musique, à laquelle il a tout sacrifié.

La seconde manière, à l’opposé, consiste à poursuivre ses activités premières jusqu’au bout, à ne jamais s’arrêter, à mourir debout, à la barre, sans un soupir de soulagement. C’est ce qu’a fait le réalisateur qui s’est jeté par la fenêtre de déconvenue. Son dernier film, son chef d’œuvre, ne sera pas. Youth n’évoque que très brièvement la troisième manière de vieillir et la quatrième n’est pas recensée.

La troisième emprunte au démon de la quarantaine. Changer de vie, la reprendre d’une manière plus dissolue, faire sauter les contraintes et jouir de la vie sans se soucier des conséquences. Abandonner sa femme, laisser ses enfants, choisir une jeunesse ou au moins une plus jeune et se donner l’illusion que la vie reprend avec dix ou vingt ans de moins. On efface tout et on recommence. C’est un peu, maladroitement, ce qu’a tenté la belle Jane Fonda dans une crise de rupture avec le réalisateur. Elle se la reprochera jusqu’à la fin.

Enfin, la quatrième solution est tout simplement de vivre sa vieillesse : utiliser ce temps utile pour se découvrir soi-même, pour développer ce qu’il n’a fait qu’entre-apercevoir, pour laisser murir son vrai moi, non pas celui que la société a voulu de lui, mais celui auquel il a rêvé sans se donner la peine de le construire, trop pris par ses nombreuses activités qui lui cachait ce soi inscrit au plus profond de lui-même. Plus de faux semblant, plus de leurre, face à soi-même vivre dans la plénitude en s’allégeant des obligations et construire sa vraie personne en découvrant et développant ce pour quoi il a été fait. Chaque homme, chaque femme dispose en lui, en elle, d’un potentiel, le plus souvent insoupçonné, de réalisation de soi. Seuls quelques rares humains le met en oeuvre au cours de leur vie active, d’autres ne le font qu’au cours de leur retraite, d’autres encore y rêvent toute leur vie sans jamais oser se lancer, enfin certains ne saisissent pas de quoi il s’agit. Le dépouillement n’est pas leur fort. Ils préfèrent finir riches extérieurement et pauvres intérieurement plutôt que l’inverse. Mais ces deux alternatives cachent la vérité : dépasser ces opposés. Thèse, antithèse, synthèse, direz-vous. Non, découvrir l’invisible derrière le visible.

15/10/2015

Youth, film de Paolo Sorrentino

Un film magnifique qui réconcilie avec le cinéma dont les nouveautés sont plutôt désolantes en ce moment.

Les critiques dont tout l’art est de trouver parmi des images enchanteresses et des réparties divines, la faille qui renverse la vapeur et fait d’une merveille un15-10-15 Youth.jpg navet, ces critiques nous disent que c’est un film vieux pour les vieux. Et il s’appelle « youth ». Quelle idée ! Il est vrai qu’il n’y a pas grand monde dans la salle, une dizaine de personnes au mieux. Heureusement, la vendeuse de billets me dit d’un air sérieux : « Ah, le magnifique Youth ! ». Rien de plus, mais elle avait senti le génie du réalisateur : faire un film sur la jeunesse en la regardant avec les yeux d’un vieux. On croise de nombreux vieillards caractériels et plaisantins : en tout premier l’acteur Michael Caine, 82 ans, un chef d’orchestre en retraite, et son ami Harvey Keitel, 76 ans, réalisateur, Jane Fonda, star dédaigneuse de 77 ans, et quelques jeunes dont Paul Dano, un acteur au sourire sympathique, mais timide, ou Rachel Seisz jouant la fille du chef d’orchestre et délaissée par son mari le fils du réalisateur.

Mais les acteurs ne font pas tout le charme du film qui est plein de trouvailles et de bons mots. Des flashes sans rapport avec l’histoire apparaissent et donnent au film une tension bizarre, comme un brouillard dans la tête des spectateurs ou une remémoration sans fil directeur. Oui, c’est la vieillesse, direz-vous. Et c’est bien plus, c’est le souvenir d’un instant, le désir d’un temps qui reste, la réalité d’un temps qui passe. C’est la démonstration du réalisateur lorsqu’il montre à une jeune fille les montagnes lointaines au travers d’une lunette : comme elles semblent près, lui dit-il. Puis il retourne l’appareil et lui montre ses amis qui sont près d’eux : comme ils vous semblent loin. C’est ce qu’on voit quand est vieux, finit-il par lâcher.

Finalement le film tourne autour de ce qui caractérise la vie pour Paolo Sorrentino : le désir. Ses personnages continuent à avoir des désirs, malgré leur âge. Ce sont des désirs ténus : un clin d’œil sur Miss Univers qui descend nue dans la piscine, un regard sur la brutalité de l’amour et de l’assouvissement, le corps dansant de la jeune masseuse et même le bouddhiste qui se met finalement à léviter contre toute attente. Le désir, c’est la preuve qu’on est vivant, explique le chef d’orchestre.

Que leur reste-il ? Les émotions qui avivent le désir et le rend plus pénétrant jusqu’à se laisser mourir s’il n’est plus, tel le réalisateur. Tu dis que les émotions sont surestimées, mais les émotions sont tout ce qu’on a, nous dit Michael Caine. Ce ne sont pas des émotions visibles, provoquées. Ce sont des instants de bonheur subtil qui vous font dire qu’au travers de ces scènes où la vieillesse tient le rôle principal, la vie reste toujours aussi déconcertante de beauté.

14/10/2015

Marine

Il partit loin de tout, au-delà de sa volonté
Il enjamba de nombreux barrages
Il se contorsionna et s’enveloppa de courage
Il arriva au port du fond des mers
Et coucha dans le premier lit venu
Le lendemain il embarqua sur le voilier
Et partit sur l'océan, assoiffé…
Il parcourut la moitié de la terre
Et la moitié des cieux bleus
Toujours enfoui à mi-torse
Dans les huniers au sommet des mâts
Il voyait les animaux volants autour de lui
Il sentait la fin arriver, un air de musique
Tendu entre deux cordes raides
Crac. Elle cède sous la pression inusitée
Des vers de carabin enfilés sur une aiguille
Et l’homme dénudé s’engloutit dans les eaux
En fumant sa pipe vénérée. Ah, la marine !

13/10/2015

Le miroir 6

Depuis cet incident, je me tenais sur mes gardes. Pas question de recommencer un tel cirque ! Tout d’abord j’évitais tous les miroirs. Ce n’était pas facile, car je devais être constamment attentif. Certains surgissaient juste derrière un angle mort. J’avais un sursaut indigné et faisais immédiatement demi-tour. D’autres se cachaient derrière une porte. Je la fermais aussitôt. J’évitais également les rues trop peuplées et préférais les petites ruelles calmes dans lesquels les pièges pouvaient être déjoués. Cette tactique fonctionna très bien pendant pas mal de temps.

Un matin, sortant de la douche nu comme un vers, je me rendis compte que mon double disparaissait dans la glace. Ah ! Le fait d’être nu à un impact sur ton comportement, lui murmurai-je. J’échafaudai plusieurs plans pour utiliser cette information intéressante, mais j’en revenais toujours au même point : je ne pouvais sortir dehors nu sous prétexte que mon double ne pouvait plus me créer d’ennui. J’avais vu la veille à la télévision une émission assez drôle et instructive intitulée « Nus et culottés ». Deux hommes faisaient le pari d’atteindre telle région en partant nus comme des vers d’un endroit éloigné. Il leur fallait trouver de quoi aborder quelqu’un qui pourrait leur prêter des vêtements. Ils cherchaient dans les champs de la mousse, une vieille bâche, tout ce qui pourrait au minimum protéger leur sexe du regard des autres. L’émission était drôle, les acolytes délurés, les participants généralement bons enfants. Mais je dus abandonner cet espoir. Dès que je me procurais le moindre cache d’une partie de mon corps, mon double était à nouveau là, pouvant gâcher une journée de quelque manière que ce soit.

Au fil du temps je m’habituai à cette situation imprécise dans laquelle je devais être en permanence sur mes gardes tout en étant détendu. Mon acolyte me laissa tranquille pendant plus d’un mois, préparant son coup final lui permettant d’échapper à sa situation de copiste et de prendre une indépendance bien méritée, du moins devait-il le penser. Un après-midi, devant prendre l’avion pour New-York, je me trouvais à l’aéroport Charles de Gaulle, sortant de la navette reliant les différents terminaux. J’avais bien entendu repéré le passage entre deux miroirs assez importants, mais ne pouvais  trouver un autre chemin pour atteindre la porte 7 où se trouvait l’embarquement. Regardant bien droit devant moi, je me proposai de passer d’un pas rapide, les yeux quasi fermés. Malheureusement, la jeune femme qui marchait devant moi cassa une roulette de sa valise. Celle-ci s’ouvrit et se rependît par terre, me faisant tomber parmi des bas et des petites culottes. Celle-ci, confuse de montrer tous ses dessous (même si elle ne les portait pas !), me regarda d’un air furieux.

– Vous pourriez faire attention, me lança-t-elle.

– Mais Mademoiselle, je n’y suis pour rien. Quelle idée de voyager avec une valise aussi peu sûre.

Évidemment, j’oubliai mes précautions, dirigeant mon regard à droite et à gauche pour prendre les passants à témoin. Je vis alors mon double se détacher de moi, se diriger vers la femme, ma foi assez jolie, et la saisir par le cou d’un air furieux. Il révéla en un instant sa véritable nature, je dois dire assez différente de la mienne. J’étais moi-même calme, ayant compris le cocasse de la situation, alors que lui se sentait ridiculisé et s’offusquait. La jeune femme était elle-même assez troublée. Elle me regarda d’abord directement, semblant prendre elle-même conscience du comique de la situation, puis tournant la tête vers le miroir, prit un air affolé à la vue de l’action qu’entreprenait mon double. Son regard devint trouble. Elle ne comprenait plus ce qui se passait. Je la vis porter sa main à son cœur, pousser un grand cri qui fit se retourner les gens, puis tomber à terre comme une poupée de chiffon. Je vis également mon double lui sauter dessus, lui arracher son collier, prendre ma valise et partir tranquillement sans que personne n’ose s’interposer. Quant à moi, j’étais les bras ballants, décontenancé, tentant de relever la jeune femme. Les voisins immédiats s’en prirent aussitôt à moi :

– Mais Monsieur, que faites-vous ? Ne bougez plus. Nous appelons la police de l’aéroport.

Un homme vigoureux me prit par le cou, m’immobilisant d’une prise de judo efficace. Je ne pouvais même pas parler et protester. Je vis mon double sortir du miroir et je sus que j’allais avoir des ennuis. Il avait attendu jusqu’à maintenant, mais il avait su profiter de la situation avec un aplomb incroyable. Tourné vers la sortie du couloir, je ne savais si on voyait l’absence de mon double. La police de l’aéroport arriva assez vite, écouta les explications des personnes présentes sans même m’interroger. Les agents de sécurité me passèrent les menottes. J’étais tellement suffoqué que je ne pus dire trois mots d’explication. Je ne comprenais d’ailleurs rien à ce qui s’était réellement passé. La jeune femme me regardait d’un air triste, ne comprenant pas non plus l’enchaînement des situations. Nous fûmes emmenés au poste de police de l’aéroport. J’avais tout perdu, ma valise, mes papiers qui se trouvaient dans la poche de sécurité de celle-ci et mon double. J’étais quasiment nu, tout au moins psychologiquement. Je me sentais cependant libéré d’un poids. J’étais plus léger, plus aérien. J’avais presqu’envie de rire. La situation n’invitait cependant pas à cela. La jeune femme me regardait maintenant avec attendrissement. J’avais contemplé un instant son intimité et cela semblait l’amuser après le moment de honte qu’elle avait manifesté au début. Elle avait oublié l’incident provoqué par mon double, portait bien son collier qui lui avait cependant été subtilisé par quelqu’un qui me ressemblait étrangement et elle s’amusait de cette situation rocambolesque. Les policiers procédèrent avec méthode, entendant quelques témoins, la plaignante, puis finalement le suspect, c’est-à-dire moi-même. Ils se demandaient si nous n’étions pas tous fous. Personne n’était capable de décrire réellement ce qui s’était passé, chacun donnant une version tellement insolite qu’ils finirent par dire à la jeune femme :

– Bon, nous n’arrivons à rien. Voulez-vous porter plainte ou non ?

Celle-ci me regarda gentiment. Elle avait un agréable visage ovale, des lèvres gorgées de jeunesse, l’œil pétillant. Elle se caressa la joue, semblant s’interroger.

  Non, finalement il ne s’est rien passé. Nous avons tous paniqués et cela a créé une confusion regrettable. Ce Monsieur n’a fait que tomber dans mes affaires répandues sur le plancher. Nous avons sans doute été victime d’une illusion collective.

12/10/2015

Comprendre l'Islam

Le livre de Frithjof Schuon, Comprendre l’Islam, (Editions du Seuil, 1976) devrait être lu par tous ceux qui parlent de l’Islam aujourd’hui, sans bien savoir de quoi ils parlent.

« Le contenu du Coran est fait, non d’exposés doctrinaux, mais de récits historiques et symboliques et de peintures eschatologiques ; la doctrine pure se détache de ces deux genres de tableaux, elle y est comme enchâssée. Abstraction faire de la majesté du texte arabe et de ses résonances quasi magiques, on pourrait se lasser du contenu si on ne savait pas qu’il nous concerne d’une façon concrète et directe, c’est-à-dire que les mécréants (kâfirûn), les associateurs de gausses divinités (mushrikûn) et les hypocrites (munâfiqûn) sont en nous-mêmes ; que les prophètes représentent notre intellect et notre conscience ; que toutes les histoires coraniques se déroulent presque journalièrement  dans notre âme ; que la Mecque est notre cœur ; que la dîme, le jeûne, le pèlerinage, la guerre sainte, sont autant d’attitudes contemplatives. » (p.57) 

Origène nous dit la même chose à propos de la Bible :

  « L’écorce amère, c’est la lettre qui tue et qu’il faut rejeter. La coque protectrice, c’est l’enseignement éthique, qui suscite, comme un nécessaire chemin d’approfondissement, une ascèse de purification et d’attention. Alors on parvient au noyau spirituel, qui seul compte, et qui nourrit l’âme des mystères de la sagesse divine. »

Disons simplement que l’Écriture derrière le sens premier, apparent, celui de la lettre, qui raconte une histoire, un événement ou donne une leçon de comportement, révèle un deuxième sens, caché, plus profond, celui de l’esprit, esprit du texte au-delà des mots bien sûr, mais surtout Esprit de Dieu qui se manifeste.

 Dieu est Esprit. Nous devons entendre spirituellement ce que dit l’Esprit. « Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et Vie ».

Origène

Hom. Lev.  4

 On est loin d’une lecture simpliste du Coran ou de la Bible. La porte est étroite et peu sont élus. L’essentiel : se débarrasser de sa vision du monde. C’est en cela que les enfants sont les bienvenus dans le royaume des cieux : ils sont vierges de toute pensée et contemplent sans a priori.