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24/05/2015

Nostalgie

Noce… (T)... Algie…
Quelle douleur douce au toucher…
Et cette caresse de l’âme, vous y revenez
Vous ne pouvez vous empêcher
De la renouveler…
C’est un baume sublime
Entretenu comme une démangeaison…
C’est la noce du mieux et du pire
Qui produit cette peine sensible
Et vos poils se hérissent
Au plumeau de souvenirs
Au son d’une voix perdue
Au goût d’une madeleine
A la vue d’un livre d’autrefois
Au toucher d’un être disparu…
Mais le T qu’en faites-vous ?
Celui qui relie ce mariage à l’affliction…
Le T c’est le Toi
C’est ta noce et ton ressenti
Instant délicat où l’autre se mêle à toi
Jusqu’à ne plus faire qu’un…
Alors tu lis dans l’autre tes pensées
Tu retrouves tes sensations d’antan
Ce pincement des émotions
Qui t’envoie valser
Dans un souvenir figé…
Arrêt sur image...
Le film est cassé...
Blanc… La page blanche se déroule
Elle tourne dans le vide et s’étire
Et votre rêve s’arrête
Incapable de poursuivre
Cette plongée en eau douce
Il ne vous reste que les battements
D’un cœur fragile et nu
Qui vous donne la chair de poule…
Le poing de Dieu se resserre
Et étreint votre âme
D’un joyeux Shake-hand…
A bientôt…

©  Loup Francart

23/05/2015

Le grille-pain

Il y a quelques jours, le grille-pain ne grillait plus les braves tranches de pain qu’elle introduisait dans ses fentes. Mettant la main au-dessus, elle constata que celui-ci ne chauffait que très faiblement. Elle l’avait pourtant acheté il y a peu, sur Internet bien sûr. Quelques mois suffirent pour qu’il rende l’âme, une face sur deux restant noire alors que l’autre émettait encore un rayonnement rouge brique chauffant légèrement un pain qui ne rosissait pas, devenait dur comme la pierre au bout de dix minutes et restait blanc comme un drap. Impossible de se régaler le matin au sortir d’une nuit sans problème. Elle mit du temps à se décider à en acheter un nouveau, surtout pas sur Internet. Renvoyer le carton, perdu bien sûr, lui demandait un effort surhumain et quasiment aussi coûteux qu’en acheter un neuf. 

Ils se mirent à rêver, elle et son mari, d’un appareil mirifique. Comment en une minute disposer de deux tranches de pain grillées et chaudes à souhait ? Ils se glissaient en pensée au cœur de ces deux tranches, se laissaient rôtir avec force grillotements, éprouvant l’égale chaleur à droite comme à gauche, dans un équilibre parfait, déclenchant subrepticement l’éjecteur automatique et se retrouvant dans une assiette chaude, enrobée d’une serviette blanche, offert à tous les regards et toutes les convoitises. Pendant ce temps, tous les matins, se succédaient les tranches d’un pain tiède, si peu bronzé qu’on eut dit qu’il sortait de l’antarctique et sur lesquelles le beurre sorti du frigidaire n’arrivait à former qu’un ramassis de boules dures environnées de miettes du plus mauvais effet.

Ce matin, elle partit à la recherche de l’idéal. Non, ils avaient déjà tenté Tarty qui n’avait que des usines monumentales et chères pour transformer de manière magistrale une mie limpide en peau de faisan doré cuit au bois. Dirigeons-nous vers le centre de Paris où converge la population pour trouver le magasin idoine, pensait-elle en marchant. Elle se rappela le magasin sur les grands boulevards qui vendait toutes sortes de marchandises à prix réduit. Deux grille-pains lui tendaient leurs fentes, larges comme une main qu’elle enfonça pour en éprouver la profondeur. Ils n’étaient pas branchés, cela va de soi. Elle appela son mari au téléphone pour lui dire qu’elle avait trouvé l’idéal, et même deux idéaux. Quelle profusion ! Il sauta sur son vélo, fut là dans les cinq minutes et l’aperçut errant dans les articles d’un regard concupiscent.

Elle l’entraîna dans le coin des accessoires électriques de cuisine, ces appareils miraculeux sur lesquels on appuie pour qu’ils déroulent un programme complexe destiné à vous livrer ce que vous obtenez en moins de temps avec un effort limité. L’un d’eux était noir comme du marbre, étincelant. Il se vit en le prenant en main, un sourire idiot et déformé sur un visage tordu. Pouah ! Quelle idée d’afficher une telle publicité, se dit-il sans avoir conscience qu’il s’agissait du reflet de son propre visage. L’autre était en métal brossé, d’un blanc mat somptueux, offrant ses lèvres amoureusement au regard des acheteurs potentiels. Côte à côte, leur ouverture chatoyante vous faisaient de l’œil. Il en vit même une qui se fermait pendant que l’autre souriait béatement. Prenez-moi, je ne suis pas cher et je chauffe bien ! Stupidement, il tomba amoureux de ce modèle, si l’on peut parler ainsi. De plus il était en réclame. Ils l’auscultèrent, le regardèrent dans tous les sens sans déjouer pièges ou tromperies, laissant leurs doigts glisser sur le métal qui ne reflétait rien, vierge tous les jours de ces attouchements sensuels et impatients de la délivrance de belles tranches dorées. C’est lui qu’il nous faut, pensaient-ils.

Deux minutes plus tard, ils sortaient du magasin avec un carton énorme dans lequel se promenait l’appareil devenu objet de fantasmes. Il le mit sur son porte-bagage et repartit vers leur appartement pédalant avec précaution. Dès l’ouverture de la porte, il le déballa, l’installa à la place de son prédécesseur, le brancha et sentit la chaleur fulgurante qui émanait de ses fentes rougeoyantes. Alors il coupa un petit morceau de pain, le coupa à nouveau en deux et l’introduisit dans la fournaise. En moins d’une minute, il commença à blondir, puis quasiment noircir. Il sortit le beurre qui fondit voluptueusement sur la tranche, se coulant dans les interstices jusqu’à pénétrer dans l’âme même du pain, là où l’équilibre des contraires, le mou du beurre liquéfié et le dur d’une mie grillé à souhait, devient l’extase à petit prix. Quelle journée réussie, pensa-t-il.

22/05/2015

Un couple insolite (11 fin)

Le soir même, Damien et Isabelle se retrouvèrent au pied de leur immeuble. Ils ne cherchèrent pas un instant à s’embrasser ou même à se serrer la main, sachant tous deux la déception qui les attendait. Ils se sourirent, l’air gêné et prirent un air dégagé qui ne les trompa ni l’un, ni l’autre. Ils choisirent d’aller prendre un café au bistrot du coin pour se raconter leur week-end. Ils s’assirent pensifs, se regardant avec avidité, mais sans que l’un ou l’autre tendent une main secourable ou même esquisse un geste tendre vers l’autre. Alors Damien raconta sa journée d’hier. Isabelle fut horrifié : « Il a osé et, pire, cela a marché. Suis-je donc la seule qu’il ne puisse toucher alors qu’auparavant nous nous fondions l’un en l’autre avec amour ? » Damien tenta de se justifier :

– Ce fut soudain, comme un irrépressible besoin que je ne maîtrisais pas. Il fallait que je sache. Ce fut un soulagement. J’en conclus que j’étais normal et qu’il se passait quelque chose entre nous deux. Quoi, je ne le savais, mais j’avais l’esprit rassuré et c’était déjà un soulagement.

Il raconta ensuite ce qui s’était passé ce dimanche, son ennui et sa rencontre fortuitement avec le vieillard. Isabelle qui jusque-là restait circonspecte, s’anima soudain.

– La voilà la solution, s’écria-t-elle joyeusement. Elle lui prit la main, lui dit de laisser un billet sur la table et, sans plus attendre, l’entraîna vers leur immeuble.

Jamais jusqu’à présent elle n’avait fait attention à l’orientation de l’immeuble, de leur appartement et encore moins de leur chambre et de leur lit. Sa place leur importait peu, seul comptait le rectangle sur lequel ils pouvaient s’étendre, se raconter leur bonheur au fil des jours. Ils ouvrirent la porte fébrilement, se débarrassèrent de leur manteau et coururent vers leur chambre.

– Stop ! dit Damien. Avant de nous précipiter, réfléchissons. Comment placer notre lit autrement ?

Ils constatèrent qu’il n’était guère possible de le tourner dans l’autre sens, c’est-à-dire verticalement par rapport à l’emplacement actuel.

– Peut-être en le mettant dans ce coin, suggéra Isabelle en montrant du doigt l’opposé de l’emplacement actuel.

Bien que le lit ne semblait pas offrir le même équilibre dans l’agencement de la pièce, ils acceptèrent l’idée de dormir dans un lit coincé dans un coin. L'inconvénient était majeur. L’un d’eux ne pouvait trouver sa place qu’en montant sur le lit avant de pouvoir glisser ses jambes dans les draps. Damien convint que cette gymnastique lui appartenait, prétendant que si tout se passait bien elle serait vite enceinte et ne pourrait plus exécuter ces gestes simples, mais pénibles pour quelqu’un qui n’a plus sa souplesse habituelle.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ils modifièrent l’emplacement du lit, de la commode et des deux chaises qui leur permettaient de ranger leurs vêtements le soir. Heureux, ils se regardèrent, les yeux brillants, impatients de cette nuit qui venait et annonçait la fin de leur cauchemar. Ils décidèrent d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter cet espoir revenu. Isabelle prépara un plateau, quelques friandises. Damien fit sauter le bouchon avec douceur, ne laissant entendre qu’un petit pschitt délicat, comme un avant-goût des baisers qu’ils comptaient bien échanger en se réveillant. Ils trinquèrent, burent, burent à nouveau tant si bien qu’ils se couchèrent sans réelle conscience de la solennité de l’instant. Isabelle s’endormit très vite. Damien mit quelques minutes de plus, pensant au vieil homme qu’il avait heurté. Quelle bizarre rencontre, inattendue et miraculeuse. Un signe du destin !

Ils se réveillèrent tôt, vers cinq heures du matin, presqu’en même temps. Dans le noir, sans bouger, Damien appela Isabelle, ou plutôt, murmura son prénom. Elle lui répondit avec chaleur et se tourna vers lui. Il ne peut attendre plus longtemps et lui ouvrit les bras. Elle s’y blottit avec ardeur. Il retrouvait cette sensation infiniment merveilleuse d’un autre monde, fait de hérissement du moindre poil, de frottement des chairs, de caresses insolites, de soupirs involontaires, de chaleur du souffle, de baisers avides. Isabelle pleurait de bonheur : « Mon chéri, mon chéri ! », ne cessait-elle de répéter. Elle s’offrit à leurs retrouvailles, l’esprit ouvert, vide de toute pensée, le corps tendu. « Quel cauchemar nous avons vécu », pensa-t-elle. Elle pleurait en petits hoquets, incapable de se contrôler, riant en même temps. Damien la serrait contre lui, avec précaution, comme un trésor destructible par une simple maladresse. « Mon Dieu, le cauchemar est fini », pensa-t-il avant de se noyer dans cet amour retrouvé.

 

21/05/2015

Ravissement

Ce tableau m'a demandé plus d'un mois de travail, pas à temps plein bien sûr.

Jaillissant du fond du cosmos surgit l'esprit. Il éclaire tout, il se charge de mille ravissements. Il se protège aussi en rougissant. Il regarde partout comme l'œil de la mouche. On ne sait s'il se contemple ou s'il admire le monde. Il est, épanoui, somptueux, magicien et débordant de bonheur!

15-05-20 Concentration.JPG

Acrylique

0,60 x 0,60 m

2015

20/05/2015

Espoir

Ce filet d’air entre en tête
Tu sens juste un vague souffle
Tu ne perçois pas encore
L’espoir qui surgit en toi...
Ton horizon s’élargit cependant...
La prison ouvre ses portes
Située haut sur le cap
Elle est placée pour contempler
L’océan immense et vide
Mais souvent… une brume empêche
Le cœur de porter aussi loin...
Tu n’entends que les flots
Qui voyagent en train
Et s’écrasent à leur rythme
Sur les lèvres blondes de la berge
Il y fait chaud sur cet observatoire
L’œil faibli en luminosité
Perdu dans l’étoupe tiède
Pour tout horizon…
Cette maigre caresse légère
Profite de ton ignorance…
Elle emprunte la route
Des départs imprévus
Tu montes dans la barque
Qui tangue de colère
Qui agite ses bras de bois
Au rythme des ondulations
Tu peines à t’assoir, mal vêtue
Ta robe de pourpre éblouissante
Entre en conflit avec le gris vautour…
Simultanément, tu observes
Cette glissade lente et majestueuse
Vers le trou de l’enfer
Ou, peut-être, du paradis…
Sais-tu le lieu de ce pays
Où vêtue de papier crépon
Tu agites les mains en tous sens...
Personne ne vient à ton aide…
Sur la pointe de la caresse ailée
Tu divagues et balances
Et les espoirs déçus
Lancés comme des grains de semis
Deviennent geyser à la surface
Tu t’allèges pour être prête
A aborder l’avenir sans fin
Dont tu ignores encore
Le moment qu’il choisira
Pour couper le cordon
Qui te relie au monde...
Tu partiras vaillamment
Ramant de toutes tes forces
Puis, bientôt, cesseras même
Le mouvement des bras
Pour te laisser prendre
Dans la douce froideur
Du souffle divin

19/05/2015

Un couple insolite (10: c'est bientôt fini)

Le vieil homme sourit doucement, d’un air amusé, et dit :

– Je crois comprendre ce qui s’est passé. Vous avez été victime d’un décalage temporaire et spatial simultané. En règne général, ces décalages sont rares et ne se produisent que dans le temps ou encore dans l’espace. La conjonction des deux phénomènes entraîne de grandes difficultés et créent un trouble important chez ceux qui le subissent. J’en ai fait l’expérience. Cela m’est arrivé dans mon lit. C’était du temps où ma femme était encore là. Une nuit, je me réveillai transpirant, étouffant presque sous les couvertures. Je me levai, marchai quelque pas avant de me recoucher. Par inadvertance, je touchai du bout du pied le mollet de ma femme endormie. Elle se retourna. Je lui murmurai :

– Pardonne-moi… 

Elle me répondit d’une voix claire :

– Ce n’est rien, mon chéri. Serre-moi dans tes bras.

Cette voix était la voix de Pascaline (c’était le prénom de mon épouse, me précisa-t-il), mais une voix beaucoup plus jeune, avec une étincelle de jeunesse qu’elle avait perdu depuis. Je fus pleinement réveillé et la serrai dans mes bras. Moi-même je me sentais jeune, svelte et vif. Nous avions notre corps des vingt ans, notre cœur amoureux et l’âme transpercée. Nous fîmes l’amour d’une manière extraordinaire, avec la fougue de nos vingt ans, mais l’expérience de nos cinquante ans. Pardonnez-moi de vous parler de cela, mais c’est nécessaire pour que vous compreniez la suite. Pascaline est maintenant partie, mais chaque nuit je revis ces moments fabuleux. Nous finîmes par nous endormir, heureux et légers. Le lendemain matin nous avions retrouvé nos corps habituels, encore alertes, mais sans surprise.

Voulant en avoir le cœur net, nous nous sommes adressés à un radiesthésiste. Celui-ci nous examina, mais pas à la manière d’un docteur. Il passa sur nous ses mains sans nous toucher et nous déclara : « Vous avez été victimes ou vous avez profité d’un décalage simultané du temps et de l’espace. Vous avez bien ressenti le changement de temporalité, mais vous n’avez pas enregistrés le décalage spatial. Il a eu lieu cependant. Je me suis alors souvenu d’un tremblement du lit pendant les quelques secondes où je me demandais s’il s’agissait bien de mon épouse. » Le radiesthésiste nous recommanda de modifier l’emplacement du lit et son orientation et cela ne s’est plus jamais produit.

– J’aurai plutôt fait tout le contraire pour profiter à nouveau de cette échappée au monde normal.

Oui, c’est vrai. Mais j’ai oublié de vous dire que le lendemain, en allant faire notre toilette, nous avons eu l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Entre l’espoir de revivre sa jeunesse et l’horreur d’une fin qui s’annonce à toute vitesse, nous avons choisi la prudence et déplacé notre lit.

Damien lui raconta alors le calvaire de son couple. L’homme n’en fut pas surpris.

– Ce qui vous est arrivé tout à l’heure est la conséquence de ce que vous vivez depuis plusieurs jours avec votre épouse. Croyez-moi, changez votre lit de place, couchez-vous sans penser à rien et vous vous réveillerez normaux.

Ils burent leur café tranquillement, comme deux vieux amis heureux de se retrouver, puis le vieil homme prit congé après que Damien l’ait chaleureusement remercié pour ses conseils. Ils n’échangèrent pas de carte. Ils savaient cette rencontre éphémère, provoquée par le destin ou par un dieu généreux. Cela leur suffisait.

18/05/2015

Camouflage et tromperie

Nous n’appréhendons la réalité qu’à travers la connaissance que nous en avons et la compréhension que nous tirons de cette connaissance. Ainsi, « la réalité première » n’est en fait qu’un état de connaissance de la réalité, lié à l’information accumulée sur celle-ci par nos capacités de perception (sens et senseurs). On peut dire « Je sais que cette chose existe » parce qu’on peut la toucher ou, au moins, la voir. Il y a une autre réalité qu’on peut dire secondaire, qui est l’interprétation que nous faisons de cette connaissance. Cette dernière est une opération supplémentaire qui replace la connaissance dans notre propre cadre mental. Celui-ci est constitué par les filtres des différents champs du moi et du soi social. Il interprète la réalité et permet d’agir, mais il est également déformant. C’est pourquoi on peut savoir quelque chose, en connaître la réalité, mais ne pas comprendre ce qu’elle est, ce qu’elle va devenir, ce qu’elle a été.

L’art de la tromperie est vieux comme le monde. Au niveau le plus simple, il consiste simplement à dissimuler la réalité. Mais l’effet est bien plus trompeur lorsque la dissimulation est cachée derrière la simulation. Dissimuler en simulant une autre image, un autre son, une autre sensation, tel est l’art de la tromperie.

En voici un exemple ludique qui trompe son monde. Ce caméléon réserve des surprises :

https://www.youtube.com/watch?v=97vPNAUYJsc