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04/01/2015

Zen

J’ai découvert qu’il est nécessaire, absolument nécessaire, de ne croire en rien. C’est-à-dire : nous devons croire en quelque chose qui n’a ni forme ni couleur – quelque chose qui existe avant l’apparition de toute forme et de toute couleur.

Shunryu Suzuki, Esprit zen, esprit neuf, Le Seuil, 1977

 

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Stephen Hawking, Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? Odile Jacob, 2010.

 

Les mêmes interrogations dans deux personnalités franchement différentes. Mais, me direz-vous, ces deux propos n’ont rien à voir entre eux ! L’un nous dit de ne croire en rien ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas croire. Trouvez ce qu’il y a au-delà de tout. Quel programme !

Stephen Hawking prend le problème à l’envers : pourquoi y a-t-il quelque chose. Et que nous dit-il ? La gravitation déformant l’espace et le temps, elle autorise l’espace-temps à être localement stable mais globalement instable. À l’échelle de l’Univers entier, l’énergie positive de la matière peut être compensée par l’énergie négative gravitationnelle, ce qui ôte toute restriction à la création d’univers entiers. Parce qu’une loi comme la gravitation existe, l’Univers peut se créer et se créera spontanément à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il existe quelque chose plutôt que rien, pourquoi l’Univers existe, pourquoi nous existons. Il n’est nul besoin d’invoquer Dieu pour qu’il allume la mèche et fasse naître l’Univers. L’univers serait donc né du néant et retournerait au néant.

Dans les deux cas la vie est éphémère. Mais pour l’un il y a quelque chose au-delà du tout, alors que pour l’autre il n’y a rien. Et nous en sommes réduits au mystère de l'avant Big bang : qu'y a-t-il derrière le mur de Plank, interrogation virtuelle sur l’information. Dieu serait information, un mathématicien de génie, qui par la puissance de sa pensée a créé l’univers. On commence à rejoindre la bible : une étincelle et le monde est créé, Que la lumière soit et la lumière fut. Mais la bible nous dit qu’au commencement Dieu créa les cieux et la terre, c’est-à-dire un monde visible et un monde invisible ou encore un monde immatériel et un monde matériel, avant même l’étincelle de la première lumière. Et le monde invisible se mouvait au-dessus du monde visible qui était informe et vide, c’est-à-dire à l’état d’informations, un monde virtuel qui naîtra avec le Big bang.

Toujours la même question : l’univers est-il ou non né de rien, c’est-à-dire du néant. Mais on peut poursuivre l’interrogation : qu’est-ce que le néant ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr c’est que ce monde ne peut connaître que ce qu’il conçoit et que concevoir le néant et l’au-delà du néant est une tâche impossible à qui vit dans le monde.

Alors poursuivons avec détermination notre quête, tout en acceptant notre sort.

Le téléphone

Un téléphone : vous venez de recevoir ce petit boitier plat que vous promenez maintenant avec vous, dans la poche de votre veston, comme une relique. Il repose sur le cœur, il bat au rythme des appels, alertes, avertissements, etc.

Il est vivant ! Si vivant que le monde entier vous parle sans cesse. C’est une sorte de cloche de résonance des ébats du monde : avion disparu, tremblement de terre, froid intense, cambriolage place Vendôme, chien du président, bref, le village à votre portée, sans effort, juste un petit coup de doigt et tout vient dans le désordre.

Il est beau, d’une beauté sévère, impeccable, comme le valet de pied d’un livre d’autrefois. Sa dignité n’en est que renforcée. Noir devant, en attente d’utilisation, acier brossé derrière. Une pomme croquée se pavane au milieu, plus foncée, sa virgule dressée, en pleine forme malgré son manque. Ne suis-je pas belle, semble-t-elle dire. Mais elle reste modeste, sans bouger de sa place de reine, semblant tenir en suspension, comme un vrai lévitant.

Qu’il est agréable de toucher le boitier… Une véritable sculpture. Il tient dans la main offerte, il se recroqueville au fond des doigts pour permettre au pouce de ronronner sur le clavier avec aisance. Mieux vaut dans cette posture des doigts de femme qui caressent voluptueusement chaque touche ronde, délicate, munie d’un chiffre qui donne tous les aspects de la vie : l’unité, le couple, la trinité, l’amitié, le groupe, l’harmonie, la singularité, la manipulation et l’altruisme. L’infini, le tout, règne en bas au centre comme un roi, au-dessus d’un point vert où l’on appuie avec délectation. Sonnerie… Silence… Allo : le bavardage reprend, s’amplifie, se décuple, s’entortille. Le sang vous monte à la tête. Le monde vous invite à sa fête. Vous pouvez danser avec les autres, hurler avec les loups, chanter la ronde de l’information et communiquer avec Toi, Qui que Tu Sois.

Il dort dans une pochette qui fut choisie couleur cuir de Cordoue, délice pour le cœur, enchantement pour les yeux. Posé n’importe où, on ne peut faire autrement que de le regarder. Il trône de sa couleur orange sucrée comme un phare en Méditerranée. Les eaux de la concupiscence se pressent autour de lui, les regards deviennent flous, les battements du cœur s’accélèrent, vous ne pouvez vous empêcher de le tripoter et de l’ouvrir. L’ouvre-t-on vraiment ? Non, on le sort de sa coque de cuir comme un enfant que l’on sort du berceau avec précaution en espérant qu’il ne va pas pleurer. Il ne dit rien. Il est obéissant. Ah, oui, il faut le mettre en route, allumer son cœur artificiel, appuyer avec détermination sur le bouton en haut à droite. Un tout petit bouton. On ne le voit pratiquement pas, mais on le sent, il est là sous le doigt, il émet un son  profond et doux et s’allume après une seconde de réflexion. Zut, il s’éteint. Il était pourtant beau, dévoilant sa photo, une constellation d’étoiles. Je sais quelle heure il est, à la minute près. C’est important de nos jours, le soleil étant caché par les immeubles plus hauts que nature. Ah, c’est vrai, notre monde est un monde pressé. Il s’est éteint. Ne pas oublier de mettre un doigt ou un pouce sur l’incurvation arrondie qui ausculte vos profondeurs et vous dit si vous êtes bien toujours vous-même. Oui, c’est bien moi ! Alors, lumière et sapin de Noël.

Une profusion de carrés aux angles arrondis, contenant des signes colorés, tous différents, d’une beauté éblouissante sur lesquels on a envie immédiatement de passer un doigt inquisiteur. Non ! Légèrement… Avec la délicatesse des princesses qui touche la joue de leur prince charmant. Effeuiller les fleurs de cette plaquette magique et vous serez récompensé hautement de votre curiosité. En voici un qui s’ouvre. Quoi ? Il calcule le nombre de pas que vous faites dans la journée. Ça donne de drôle de courbes, mais c’est la vie que l’on mange à pleines dents. Pas encore de prévision, mais cela ne saurait tarder, vous contraignant à effectuer le nombre de pas réglementaires qui montre votre soif de vivre, d’entreprendre, de réussir. Et il faut que vous l’emmeniez quand vous allez courir. On est moderne ou on ne l’est pas !

Vous appuyez sur un autre carré coloré. Tiens ! Il remplace vos yeux et vous montre ce que vous voyez. Comme c’est formidable ces appareils qui vous dédouble le corps. Ils voient à votre place et vous retransmettent l’information sagement en l’agrandissant. Cela peut même servir de rétroviseur. Vous voyez derrière vous sans bouger la tête, n’est-ce pas merveilleux ! Clic, vous effleurez une touche ; clic, clic, clic, clic, clic, etc. Quelle rafale, on dirait un orage. Mais il faut retirer son doigt, s’exclame mon maître en téléphone, un enfant de dix ans qui maîtrise la bête avec un sérieux imperturbable. Du coup, vous le prenez en photo, le visage déformé par la proximité, l’air anxieux, la bouche tordue d’inquiétude. Ah non ! Je ne suis pas beau ! Il l’efface d’un coup de doigt. L’enfance est susceptible quand à l’apparence et elle a raison. Communiquer, c’est paraître. Paraître, c’est être soi-même. Alors vous vous prenez également en photo, vous pouvez même vous éloigner du trésor pour paraître plus grand, plus avenant, plus communiquant. Bravo ! Belle prestation, vous dit-il. Mon Dieu ! Vous vous dédoublez des centaines de fois avec un sourire figé dans la glace. Vous vous regardez vous observez. Quel jeu bizarre !

Ce matin, je suis parti courir dans la campagne, bien sûr accompagné de mon téléphone. On m’a dit qu’il suffisait de le connecter et qu’il vous calculait tout : le nombre de foulées, le kilométrage parcouru, la vitesse, les pulsions cardiaques, à quel moment vous désirez marcher un peu, quand il faut repartir, bref tout. Les initiatives sont plutôt limitées. Certes, vous avez le droit d’éternuer, mais ce n’est pas bon si cela fait baisser la moyenne ! J’ai eu un moment de liberté quand la connexion a disparu. La courbe est devenue plate comme un élastique tendue. Cela m’a fait l’effet inverse : une détente doucereuse et maligne qui vous dit gentiment : « Ne te laisse pas faire par cette machine barbare. » Mais comme je n’avais pas arrêté de courir elle reprit sans difficulté ses mesures, donnant un maximum d’informations sur rien. Car lorsque vous courez, il ne se passe rien, si ce n’est l’expression heureuse de celui qui se laisse aller pour recharger sa batterie.

Un peu épuisé par ces nouveautés, vous désirez faire une pause. Sans même le lui dire, il s’endort gentiment après une brève période de semi-somnolence, les yeux à demi-fermés. Vous le remettez dans sa pochette toujours aussi belle, aguichante et réelle. Vous avez un téléphone et bien d’autres choses encore. C’est votre deuxième cervelle. Un coup de doigt et vous voilà connecté à vos neurones et au monde dans une gigantesque danse autour de vous, en vous.

Mais… Où suis-je dans tout cela ?

02/01/2015

Heure

Je n’ai pas une heure à moi, s’exclame-t-elle
Et pourtant que de temps elle passe à rêver
Aux jours heureux où elle allait seule
Se promener au village, la jupe courte
Retroussée sur ses genoux dorés
Tous l’admiraient avant qu’elle disparaisse
Un jour de pluie, fondue comme neige au soleil

Depuis les hommes courent à sa recherche
Et ne trouvent que le vide sidéral
Qui recouvre sa vie désespérée
Rien ne viendra d’elle-même. Ni le lys
Ni la rose ne peuvent la sauver
Elle était pourtant belle comme la main
Qui caresse le ventre des phoques
Ou comme la joue odorante et câline
Des femmes en mal d’être et de vie

Mais l’heure est achevée, trompeuse
Elle a tourné la tête du patient
Et comme la mécanique céleste
A déposé l’annonce à la chambrée
Qui sonna cette cinquième partie du jour
Une heure, c’est soixante minutes
Une minute, c’est soixante secondes
En êtes-vous si sûr ?

Elle vivait les heures comme en suçant
Un bonbon à la guimauve
Elle pouvait s’allonger en ver de terre
Elle pouvait rapetisser en gnome
Chaque heure devenait la dernière
Au-delà de la seconde rien que le vide

D’ailleurs on constatait qu’elle errait  
Ignorante de son savoir à venir
Il lui venait d’un coup, comme une pioche
Qui cogne sur le sel et le rend mesurable
Elle n’était payée que cent sous de l’heure
Pour une œuvre de salut public
Regarder l’horloge et annoncer son écoulement
Dans un temps devenu brouillard

Il lui arrivait de passer un mauvais quart d’heure
Arcboutée sur la petite aiguille
Pour l’empêcher de franchir
Le cap fatidique d’une journée
Elle rentrait épuisée de ces séances
Où le froid et l’effort se conjuguaient
Et l’entraînaient dans la folie
Les heures devenaient mortelles
Elles ne s’écoulaient plus
Et rampaient sous ses pieds malhabiles
La faisant choir du haut de ses vingt ans

Elle connut l’amour sans le vivre
Elle mourut à vingt ans et une heure
Vécue son dernier quart d’heure
Lovée sur elle-même, en prière
La prière de quarante heures

De son corps on ne sait rien
Il s’est évanoui le lendemain
Lorsqu’on ouvrit la salle
Où elle reposait, seule et vierge…

Depuis la vie est un désert !

 

© Loup Francart

 

01/01/2015

Nouvel an

Le nouvel an, c’est une valise ouverte sur l’avenir. On y voit le quotidien, mais aussi l’accessoire, l’extraordinaire et, hélas, tout ce que nous ne vivrons plus. Un véritable bric à brac émotionnel, comme un feu de paille qui couve doucement pour exploser ce jour-là par hasard.

Mais ne l'oublions pas, il y a toujours d’autres êtres à connaître, d’autres choses à découvrir, d’autres idées à inventorier. Et chacun de nous garde, dans le secret de son avenir, une infinie possibilité de création.

Alors, tous, n’hésitons pas, plongeons-nous dans cette nouvelle année et, selon les tempéraments, à la brasse ou en nageant le crawl, poursuivons notre aventure le cœur léger.

 

Bon premier de l’an et bonne année 2015 !

 

31/12/2014

Le grand saut (1)

Elle sortit, ferma la porte à clef, jeta son trousseau dans l’herbe de l’allée et s’en alla sans même tourner la tête une dernière fois. Son destin allait se jouer, irrémédiablement en ces quelques heures. Il n’était plus question de regarder en arrière. Tout lui disait : va et ne te retourne pas. Elle n’emportait avec elle qu’un petit sac ne contenant qu’une chemise de nuit, sa brosse à dents et ses pilules pour les maux de ventre qu’elle avait parfois sans prévenir. Elle sourit intérieurement, ne laissant apparaître aux passants qu’une vague lueur de contentement. Elle ne savait pas où elle allait, mais elle partit d’un pas léger et décontracté, dans une ville qu’elle ne connaissait pas encore hier. Elle était arrivée au soir, avait ouvert la porte qui grinçait un peu, avait bu un verre d’eau et s’était couchée dans le grand lit, blotti sous la couette chaude.

Le soleil se levait, l’air était encore frais, mais elle avait besoin d’un certain piquant pour entreprendre ce qu’elle avait décidé sur un coup de tête. Elle devait auparavant récupérer à la gare son sac professionnel. Elle prit ensuite la direction du centre-ville, plus particulièrement de la tour construite en face de la mairie. Arrivé à ses pieds, elle la contempla, impassible, cherchant déjà comment l’aborder. Elle commençait toujours par le haut contrairement à la plupart de ses coreligionnaires. Tout en continuant à chercher la meilleure face, elle trouva un petit jardin empli de végétaux qui lui permettrait de se changer sans être vu par la multitude de passants. Il était important de ne pas se faire remarquer avant de passer à l’action. On risquait d’être environné de curieux dont un, à un moment ou un autre, appellerait le service de police. Elle se changea dans un buisson épais. Elle enfila sa combinaison rouge fluo, ses chaussons, laça ses cheveux d’un mince fil de soie, accrocha son sac de colophane, se recueillit pendant une minute, puis, d’un pas décidé, se rendit au pied de la tour. Elle enfila alors son mince parachute. Il ne la gênait pas, léger et discret, collé au dos. Elle avait choisi de partir à gauche de la porte d’entrée, là où la maçonnerie imitait la pierre avec de larges encoches qui permettait un départ rapide et aisé avant que les passants ou même la police ne tente d’arrêter son initiative. En une minute elle fut hors de portée de tout empêcheur de tourner en rond. Désormais elle ne pouvait se fier qu’à elle-même dans le silence d’une tête bien faite, mais pas encore sûre d’elle. Très vite elle n’entendit plus le bruit de la circulation, juste un léger bourdonnement ininterrompu. Elle avançait à son rythme, ni trop vite pour être sûre d’atteindre le haut, ni trop lentement pour ne pas se lasser ou être surprise par la chaleur de midi. Mécaniquement elle montait d’un bras, d’une jambe, puis de l’autre bras et de la jambe opposée. Parfois elle croisait le regard d’une personne effarée qui, dans son bureau, la voyait passer comme une araignée. Les fenêtres étant fixes, la climatisation étant assurée automatiquement, elle ne risquait aucune ouverture intempestive. Arrivé au 46ème étage, elle eut un coup de barre et dut s’arrêter quelques minutes bien assuré sur un contrehaut de construction. Elle regarda vers le bas. Un certain nombre de spectateurs regardait vers le haut. Une voiture de police se tenait près d’eux, mais les deux policiers étaient intéressés par son ascension et ne semblait pas chercher à l’empêcher de poursuivre. Elle se remit en route, plus lentement, assurant ses prises, restant décontractée, mais vigilante. Ah ! Sa main a glissé sur une prise. S’était déposée là une fiente de pigeon. Elle s’essuya dans son pantalon de combinaison, repris un peu de colophane, et repartit. D’en bas les gens ne sont doutés de rien. Elle avait eu peur tout d’un coup et elle sentit comme un grand vide en elle. Elle respira fort, soufflant jusqu’au fond des bronches l’air de la peur. Elle fit le vide en elle, ne pensant qu’à sa respiration, jusqu’à ce qu’elle retrouve son équilibre mental. Alors elle repartit, avec attention. Arrivée au 67ème étage, elle fit une courte pause, regardant au loin les faubourgs de la ville, oubliant totalement ceux qui se trouvait sous elle. Elle leva la tête et sans trop se détacher de la paroi, compta le nombre d’étages restant à gravir. Une quarantaine encore. La matinée était bien avancée, le soleil commençait à taper sur les vitres réchauffant les montants d’aluminium sans toutefois les rendre brûlants. Elle but un peu d’eau, se remit un peu de colophane sur le bout des doigts et elle repartit avec la même assurance, songeant à rester décontractée et à ne penser à rien d’autre qu’aux prises qu’elle enchaînait sans discontinuer. Peu après, combien de temps elle ne sait pas, elle atteignit le 100ème étage. L’architecte avait construit 102 étages, comme s’il se mettait un défi en tête : dépasser les 100 niveaux, peu importe la suite. Elle attrapa les barreaux de la rampe entourant le sommet de l’immeuble, se glissa entre eux et se laissa aller, heureuse d’avoir fini cette première partie de l’épreuve. Elle pensa à ses débuts, quand avec son père elle escaladait la maison qu’ils habitaient. Il la conseillait sur les prises possibles, lui apprenant à gravir avec sûreté, sans penser à rien. Le mental était si important qu’il l’obligeait à faire quelques postures de yoga avant de commencer à grimper. Elle partait l’esprit libre et tranquille, certaine d’arriver au bout de son effort de concentration physique et mental. Aujourd’hui encore, elle se modèle l’esprit avant toute ascension. Elle sait le moment où elle est prête et peut entrer en mouvement sans problème. Après quelques instants de repos, elle se releva et, s’avançant vers le parapet, fit un signe aux spectateurs qui se tenaient encore en bas. Une grande rumeur lui répondit. Quelques larmes lui montèrent aux yeux. Elle avait vaincu et elle se sentait bien.

30/12/2014

Le liseur du 6h27, roman de Jean-Paul Didierlaurent

Guilain Vignolles prend chaque jour le RER pour se rendre au travail. Et chaque jour, il devient le liseur, ce type étrange qui, tous les jours de la semaine, parcourait à haute et intelligible voix les quelques pages tirés de sa serviette. (…). Et à chaque fois, la magie s’opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écœurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine.

Guilain est en charge d’une broyeuse de livres invendus, la Zerstor Fünf Hundert 500, un redoutable engin qui transforme sans pitié les pages en boue gluante. Il lui arrive de récupérer quelques feuilles volantes, jamais un livre complet, ni même un chapitre. Et il les lit dans le RER. Tous attendent cet instant qu’ils passent en rêvant. Arrivé à l’usine, Guilain rencontre le gardien à l’entrée, Yvon Grimbert, un "alexandrophile", qui lui déclame deux vers de sa composition :

« L’averse se précipite, soudaine et mystérieuse,
Cognant sur ma guérite en une grêle nerveuse. »

Pour se distraire et échapper à l’atmosphère pesante, il va voir fréquemment son ami Giuseppe qui s’est fait broyer les jambes par la machine. C’est lui qui le délivrera de cette vie ratée en trouvant le centre commercial où une jeune fille est dame pipi. L’épousera-t-elle ? On ne sait, mais cela semble bien parti.

Il est un jour invité par une vieille dame charmante à faire la lecture dans une pension appelée les Glycines, face à des vieillards qui se délectent de cet instant de plaisir. Jusqu’au jour où il amène avec lui Yvon, rasé de près, l’air plus guilleret que jamais, qui emporte l’adhésion et le relègue dans un rôle de valet de pied. Yvon séduit en un tour de main l’assemblée par quelques vers bien sentis :

« Dieu que ce hall est grand, comme il est imposant.
Nulle entrée ne peut être plus proche du firmament.
Heureux ses occupants, qu’ils savourent leur chance,
D’avoir si bel endroit pour terminer leur danse. »

Un livre à l’histoire loufoque, avec des personnages truculents. On se lasse cependant du récit qui traîne un peu en longueur. Il faut bien faire un roman. L’existence maussade et quelque peu solitaire du personnage principal déteint sur le lecteur. Mais le livre fait malgré tout rêver. Sa cocasserie est exemplaire et parfaitement réaliste. On a l’impression de passer entre les deux feuilles d’un livre à détruire et d’y laisser un peu de soi-même.

29/12/2014

Etonnement

L'étonnement ouvre le corps à l'inconnu et le sort de sa stature habituelle, mais plus encore c'est également l'esprit qui se montre dérouté. La mécanique ne tourne plus, les signes d'anormalité, sous des dehors policés, mettent en évidence l'étrangeté de la situation.

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