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28/07/2013

Guillaume Macaire, entraîneur

Hier, à une réception, j’ai rencontré Guillaume Macaire, entraîneur de chevaux de course, un homme passionné et passionnant. Les cheveux frisés, la pommette haute, le sourcil broussailleux, il semble vous regarder du haut de sa corpulencepassion, course, cheval gentille, le menton levé sur ses certitudes. Il n’a qu’une petite taille, mais sa passion en fait un grand homme.

Il faut l’écouter parler de sa préoccupation permanente, le cheval bien sûr. C’est une passion dévorante, qui l’allège, l’éclaire, lui donne des ailes lorsqu’il se laisse aller à ses confidences. Tout son visage s’illumine, son sourire devient intérieur : il parle de ce qu’il aime, de cet animal sacré qui a transformé sa vie et en fait une légende. Et vous ne pouvez qu’écouter cet homme respectable et respecté parler de son affection unique, grandiose, exaltante, pour les courses, et derrière les courses, les chevaux. A dix ans, il est emmené par ses parents sur l’hippodrome de Compiègne. Il regarde ce monde inconnu de lui, admire l’agitation grave des soigneurs autour du dieu fringuant, observe l’attitude des spectateurs dont les yeux reflètent une vive inclinaison vers cet animal extraordinaire (mais les cavaliers ne parlent jamais d’animal lorsqu’ils parlent de leurs chevaux), aux membres racés, à la robe fine et brillante, qui piétine sur place comme en un jeu subtil pour mettre en évidence sa force, sa fougue, sa verve, sa maturité au jour de la course. Et en un instant, il se dit : « Ce sera mon métier ! »

Il s’anime, explique, raconte sa vision du cheval et sa manière de le débourrer, de le dresser, de le préparer psychologiquement, d’en faire un être surnaturel qui se donne à fond pour son cavalier : « Le cheval se donne tout entier. Le seul problème est de savoir l’obtenir. Certains cavaliers sont maladroits, autoritaires, bloqués sur des principes, alors qu’il faut laisser vivre sa monture pour qu’elle donne le meilleur d’elle-même. » Il vous dit cela de sa face réjouie, un sourire large, l’œil pétillant. Elle rayonne de bonheur rien que d’évoquer sa passion. Il enchaîne sans cesse de nouvelles remarques, des arguments, des commentaires, des précisions, des références, et rien n’arrête son discours passionnant parce que passionné.

Il s’est fait tout seul. Il conserve de ses jeunes années le souvenir vif de l’ambiance sacré qui règne autour des chevaux et du monde des courses, de cette attention permanente des hommes aux soins à donner à ces créatures merveilleuses. On voit dans ses pensées les images de ces années difficiles, mais combien passionnantes : les odeurs de l’écurie au petit matin, la senteur de la mousse blanche sur l’encolure que laisse la transpiration après le galop, le bruit léger des galops sur les pistes de terre, la dépression subtile de l’air au passage d’un étalon lancé à pleine vitesse.

Sa passion s’appuie sur une réflexion, une éthique de vie, une vocation qui s’est affirmée au fil des années jusqu’à le modeler dans toute sa sagesse d’homme de cheval qui voit ses rapports avec le monde en amoureux de la vie. Oui, c’est l’amour qui l’anime, lui donne joie, le tranforme en philosophe, tout cela grâce à l’image vivante en lui de l’association de l’homme et du cheval dans une chevauchée fantastique qui peuple ses rêves depuis plus de cinquante ans.

Oui, Monsieur Macaire est un homme enviable. Il a fait de sa vie un rêve qui l’élève et qu’il sait transmettre aux autres. Cela mérite le respect !

27/07/2013

Le portrait

Faire un portrait… Non point en image…
Mais en quelques mots bien affilés
Décrire au-delà des apparences
Les foncières qualités et insuffisances d’un être
Lui montrer que l’on a pensé à lui...
Seul dans la nuit de la foule atone
Faire jaillir une étincelle vivante
De ces lignes malhabiles, mais véridiques
Pour qu’il se reconnaisse et les autres aussi...
Oui, c’est un métier au pinceau acerbe
C’est un don au bout de la langue
Qui expose la pensée en musique des lettres
Et imprime dans l’air du temps
Cet instant imprévisible où apparut
Derrière l’être de chair l’ombre divine
Qui fait que les mots sortent, un à un
Sans peine ni repos, espacés parfois
Mais toujours incisifs, appropriés
Hauts en couleurs, sonorité brillante
Comme un arrière-goût d’inventaire...
Nez, bouche, oreilles, quel mélange
Chaque morceau d’être à sa particularité
Sa couleur unique, sa musique spécifique
Et tous se rassemblent en une danse
Qui en fait un tableau vivant
Vibrant de sentences alertes

Oui, un portrait est plus qu’une image
C’est un monde en soi, insolite
Sortant du cerveau bouillonnant
D’un observateur impartial

26/07/2013

Les hérons

Ce matin, courant près du canal Saint Martin, je tombai en arrêt face à une devanture dans laquelle les mannequins étaient semblables à des hérons. Leurs pattes étaient tellement fines qu’ils semblaient sortir de l’eau, l’air sérieux, une main en l’air, la taille étroite, la cuisse moulée, le mollet gainé. Telle est la mode. Il faut un chausse-pied pour enfiler ce pantalon de toile non élastique qui est une double peau. Aussi fais-je maintenant attention au profil des jeunes hérons qui se promènent dans la rue. Ne pas les bousculer, le pantalon risque de craquer sous la pression psychique et même physique d’un effort inconsidéré.

Le terme héron est un terme générique désignant de nombreuses espèces d'oiseaux appartenant à différents genres d’une même famille. Il y a des Hérons Cendrés, très courants, habillés de gris foncé, mal engoncés dans leur costume de commercial. Il y a de Grands Hérons, espèce moins fréquente, mais en augmentation. Ils croissent en taille et en nombre. Il y a également des Hérons Coiffés, de panama de préférence. On trouve aussi  des Hérons Impériaux, la tête haute, le corps stylisé, se tenant sur une patte, étroite bien sûr, élégamment vêtus d’un pantalon rouge débordant largement sur des chaussures bateau aux lacets roses, mais toujours serré sur le mollet.

Le héron est toujours du sexe masculin avec ses petits héronneaux. Il n’y a pas de héronne. C’est normal. Elle porte le même pantalon étroit et fume les mêmes cigarettes. Seule différenciation : le sac pendule, plein à craquer de trésors cachés dans lequel il convient de fouiller longuement avant de trouver l’objet désiré, un téléphone, qui s’arrête de sonner lorsqu’on met la main dessus. Son aigrette a du charme et lui donne l’œil égrillard. La cendre qu’elle revêt est plus lumineuse. Elle marche souvent en héronnière, devisant avec ses compagnes, voire même quelques hérons. Elle marche sur la pointe des pieds disposant d’un ergot spécifique lui permettant de montrer un mollet avantageux aux hérons. Parfois, et souvent même, elle s’arrête, prise d’une inspiration, et se repose sur une jambe étirée, l’autre paisiblement croisée pour mettre en évidence le galbe de son avant-jambe. Et si le héron lui plaît elle bat des ailes comme pour s’envoler. Elle se soulève de quelques centimètres, en lévitation, avant de redescendre près des jambières du mâle choisi. On ne sait plus alors quelle patte appartient à qui.

C’est une mode bien plaisante. Elle met de la couleur à défaut d’épaisseur : rouge, nous l’avons dit, mais également jaune canari, vert pistache, bleu azur, orange et autres ravissements de mélange bizarre. Mais cela sera rangé à la fin de l’été, lorsque les hérons redeviendront de simples citoyens vêtus bien sûr de noir, y compris la chemise. Employés des pompes funèbres sont-ils ?

25/07/2013

Le kouan

Le kouan, c’est la contemplation d’un être sur le monde, en prenant de la hauteur, comme s’il regardait du haut d’une tour. C’est une vision nouvelle qui donne le pouvoir de passer du matériel au spirituel.

Ce dessin fait à l’encre de Chine met en évidence le contraste entre la verticalité du pont représentant le matériel et l’horizontalité de l’eau et de la terre. La lune crée le lien entre les deux.

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24/07/2013

le bourdon

La chaleur a l’avantage de nous sortir de notre mode de vie habituel. L’activité forcenée n’est plus de mise dans cette atmosphère moite et étouffante, quand le ciel surchargé de nuages ne sait où déverser son déluge. Aussi, hier, à l’instar du chat crémeux à la queue bariolée, ou encore de l’écureuil caché derrière la branche, à l’ombre, m’étais-je étendu sur l’herbe attendant que la canicule ne me pousse dans la piscine. Je lisais tranquillement, savourant cet instant de solitude et de calme, lorsque mon regard fut attiré par un mouvement dans l’herbe rase. 

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Un bourdon voletait de fleur en fleur, ces fleurs proliférantes, aux pétales pointus, fleurs de trèfle qui jonchent la pelouse. J’avais le visage au même niveau que ces fleurs et observais ce ballet inlassable accompagné du bourdonnement caractéristique de ce corps rondouillard et agile. Je m’aperçus très vite qu’il s’agissait réellement d’un véritable travail, incessant, un travail à la chaîne, solitaire certes, mais reproduisant sans cesse les mêmes gestes : voleter au-dessus du trèfle pour repérer une fleur chargée de pollen, l’aborder en essayant d’accrocher ses pattes sur deux ou trois pistiles ou sur une feuille à proximité, plonger sa langue pour aspirer le nectar dans chaque calice et reprendre son vol vers une autre fleur. Une récente découverte a mis en évidence que « les fleurs se manifestent aux butineurs par un signal électrique, un peu l’équivalent d’une enseigne au néon au-dessus d’une vitrine. A leur surprise, les chercheurs ont découvert que les bourdons terrestres (Bombus terrestris) sont effectivement capables de détecter les champs électriques des fleurs, et apprennent à utiliser les variations de ces champs comme indication pour reconnaître les fleurs les plus intéressantes à butiner – celles où ils pourront trouver le plus de nectar. (…) En somme, la situation d’interdépendance entre les fleurs et les insectes pollinisateurs fournit, selon Daniel Robert, « une leçon de publicité sincère », l’intérêt de la fleur étant de « dire la vérité » sur son état. » 

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Et, inlassablement, le bourdon ne cessait de voler, se poser, aspirer, repartir pour une autre fleur plus blanche, plus chargée de pollen. Un ballet au premier abord, puis, en observant plus longuement, un travail de forçat, car sans un instant d’arrêt, il ne cesse d’aspirer pour, plus tard, dégorger sa récolte et revenir avec autant d’allant et de célérité vers le champ permanent des fleurs de trèfle. J’ai eu la vision des ouvriers en usine, accomplissant sans cesse le même geste, infatigables, s’essuyant parfois le front pour retenir les gouttes de transpiration au bord des cils.

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Un bruit proche me fit lever les yeux et perdre cette contemplation fascinante. Retour à la vie normale après une plongée dans le petit monde des parterres piétinés.

23/07/2013

Quatuor pour la fin du temps, Olivier Messiaen

 

http://www.youtube.com/watch?v=jXxmvsllhCg

 

"Lorsque j’étais prisonnier, et j’ai conçu et écrit ce quatuor pendant ma captivité à Görlitz en 1941, l’absence de nourritures me donnait des rêves colorés : je voyais l’arc-en-ciel en l’ange et d’étranges tournoiements de couleurs. Mais le choix de l’Ange qui annonce la fin du Temps, repose sur des raisons beaucoup plus graves.

Musicien, j’ai travaillé le rythme. Le rythme est par essence changement et division. Etudier le changement et la division, c’est étudier le Temps. Le Temps (mesuré, relatif, physiologique, psychologique) se divise de mille manières dont la plus immédiate pour est une perpétuelle conversion de l’avenir en passé. Dans l’éternité, ces choses n’existeront plus. Que de problèmes ! Ces problèmes, je les ai posés dans mon quatuor.

Au nom de l’apocalypse on a reproché à mon œuvre son calme et son dépouillement. Mes détracteurs oublient que l’apocalypse ne contient pas que des monstres et des cataclysmes : on y trouve aussi des silences et des adorations, de merveilleuses visions de paix." (Olivier Messiaen)

Ce quatuor contient huit mouvements : Liturgie de cristal ; Vocalise pour l'Ange qui annonce la fin du Temps ; Abîme des oiseaux ; Intermède ; Louange à l'éternité de Jésus ; Danse de la fureur pour les sept trompettes ; Fouillis d'arcs-en-ciel, pour l'Ange qui annonce la fin du Temps ; Louange à l'immortalité de Jésus.

Le rythme est le sujet du quatuor. Le Temps est dilaté, il s’écarte du rythme de la vie quotidienne, matérielle. Il prend ses aises, refuse la mesure rythmique, la périodicité, la mélodie ordinaire fondée sur des reprises. Messiaen va même jusqu’à écrire : « Une musique rythmique est une musique qui méprise la répétition, la carrure et les divisions égales, qui s’inspire en somme des mouvements de la nature, mouvement de durées libres et irrégulières ».

On est parfois choqué par la dureté du piano, l’aigu de la clarinette. Mais bien souvent on respire les sons authentiques de l’éternité, juché sur un savon qui se laisse glisser du bord du lavabo jusqu’au siphon où le temps s’arrête. Et par cet étranglement, on écoute fasciné, les sons d’un monde sans temporalité.

22/07/2013

Le soleil éclairait la nuit d'encre

Le soleil éclairait la nuit d’encre
Des mâts de la mer indivisible

Au creux des rochers sanglants
Se perdent ses rayons d’enluminure

Les pins s’échappent vers l’azur léger
Où les mouettes blanches épanchent leur griserie

Les vagues dorment au sein des terres
Alourdies par la pesanteur de l’homme

Les toits gris d’ardoise des maisons
Oublient leur blancheur de sel et de vent
Pour blêmir dans la brume des soleils trop vivants
Qui couvrent les herbes de tiédeur morose

La fin des matins sur la mer
Pointe son triste clocher de pierre

Une cloche sonne, puis deux, puis trois,
Auxquelles répondent les coups sourds
Du travail des eaux sur les coques de bois