le bourdon (24/07/2013)
La chaleur a l’avantage de nous sortir de notre mode de vie habituel. L’activité forcenée n’est plus de mise dans cette atmosphère moite et étouffante, quand le ciel surchargé de nuages ne sait où déverser son déluge. Aussi, hier, à l’instar du chat crémeux à la queue bariolée, ou encore de l’écureuil caché derrière la branche, à l’ombre, m’étais-je étendu sur l’herbe attendant que la canicule ne me pousse dans la piscine. Je lisais tranquillement, savourant cet instant de solitude et de calme, lorsque mon regard fut attiré par un mouvement dans l’herbe rase.
Un bourdon voletait de fleur en fleur, ces fleurs proliférantes, aux pétales pointus, fleurs de trèfle qui jonchent la pelouse. J’avais le visage au même niveau que ces fleurs et observais ce ballet inlassable accompagné du bourdonnement caractéristique de ce corps rondouillard et agile. Je m’aperçus très vite qu’il s’agissait réellement d’un véritable travail, incessant, un travail à la chaîne, solitaire certes, mais reproduisant sans cesse les mêmes gestes : voleter au-dessus du trèfle pour repérer une fleur chargée de pollen, l’aborder en essayant d’accrocher ses pattes sur deux ou trois pistiles ou sur une feuille à proximité, plonger sa langue pour aspirer le nectar dans chaque calice et reprendre son vol vers une autre fleur. Une récente découverte a mis en évidence que « les fleurs se manifestent aux butineurs par un signal électrique, un peu l’équivalent d’une enseigne au néon au-dessus d’une vitrine. A leur surprise, les chercheurs ont découvert que les bourdons terrestres (Bombus terrestris) sont effectivement capables de détecter les champs électriques des fleurs, et apprennent à utiliser les variations de ces champs comme indication pour reconnaître les fleurs les plus intéressantes à butiner – celles où ils pourront trouver le plus de nectar. (…) En somme, la situation d’interdépendance entre les fleurs et les insectes pollinisateurs fournit, selon Daniel Robert, « une leçon de publicité sincère », l’intérêt de la fleur étant de « dire la vérité » sur son état. »
Et, inlassablement, le bourdon ne cessait de voler, se poser, aspirer, repartir pour une autre fleur plus blanche, plus chargée de pollen. Un ballet au premier abord, puis, en observant plus longuement, un travail de forçat, car sans un instant d’arrêt, il ne cesse d’aspirer pour, plus tard, dégorger sa récolte et revenir avec autant d’allant et de célérité vers le champ permanent des fleurs de trèfle. J’ai eu la vision des ouvriers en usine, accomplissant sans cesse le même geste, infatigables, s’essuyant parfois le front pour retenir les gouttes de transpiration au bord des cils.
Un bruit proche me fit lever les yeux et perdre cette contemplation fascinante. Retour à la vie normale après une plongée dans le petit monde des parterres piétinés.
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