Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/05/2011

Portes sur l'avenir

 

L'avenir reste insaisissable, et pourtant il s'encadre dans des champs de possibles. Il est la porte qui ouvre le passage du monde visible au monde invisible. Il est quasiment impossible de dire quel décalage existe entre la fenêtre du visible et celle de l'invisible. Seule l'intuition mêlée de logique peut en donner une idée.

Ce dessin qui comporte une illusion d'optique exprime cette difficulté.

 

dessin,op'art,art cinétique

 

 

 

21/05/2011

Jeu de volant, de Maurice Denis, 1900 (impressionistes, au muée d'Orsay)

Jeu de volant M Denis.jpg

Atmosphère, atmosphère… Une forêt d’arbres mauves, comme des tuyaux enchevêtrés, une mare miroir dans laquelle se baignent deux enfants, et des personnages hors du temps, comme figés dans leur mouvement, les yeux clos. L’une se coiffe, à genoux, nue, à la sortie du bain. Deux adolescentes fabriquent une couronne de fleurs. Deux jeunes femmes jouent au volant. Toutes, car il n’y a que des femmes, ont l’air endormies, anesthésiées par le décor irréel d’une forêt figée au sol gazonneux.

La reproduction que je produis n’a rien à voir avec le tableau, mais je n’ai trouvé que cette photographie. En premier lieu, celle-ci est inversée, les joueuses de volants étant à droite sur l’original. En second lieu, les contrastes sont plus violents que dans le tableau où tout n’est que « sweat context ». On dirait un extrait d’un mauvais dessin animé à l’américaine, nettement moins bon que Wald Disney.

Non, l’original est beau, d’une beauté artificielle certes, mais ensorceleuse, apportant une atmosphère propre, mystérieuse, non dénouée d’émotion, mais malgré tout intemporelle, comme figée dans sa beauté formelle.

 

Maurice Denis fonda avec quelques amis peintres le groupe des nabis. Le terme de " nabi ", qui signifie, en hébreu, illuminé, prophète, avait été découvert par le poète Cazalis. Ils se donnèrent pour mission de conduire l’art vers de nouvelles voies, plus spirituelles et authentiques, proches de l’ésotérisme à la mode. En 1890, à l’âge de 20 ans, Maurice Denis rédigera la « Définition du néo-traditionnisme », théorie de ce nouvel art.

Rappelons-nous le conseil de Gauguin à Sérusier : "Comment voyez-vous cet arbre? Il est bien vert. Mettez donc du vert, le plus beau de votre palette. Et cette ombre ? Plutôt bleue. Ne craignez donc pas de la peindre aussi bleue que possible." C'est l'avènement de la couleur pure, du cloisonnement par la forme et de l’absence de perspective, permettant une impression particulière du sujet, qu’il soit paysage ou portrait.

Très travailleur, Maurice Denis a laissé des centaines et des centaines de tableaux, de dessins, d'illustrations de livres, des dizaines de fresques et de vitraux dans les églises. Il était de plus excellent écrivain et a laissé de nombreux livres. Son œuvre est emprunte de sacré, car il était "peintre chrétien" comme il l’écrit dès l’adolescence. Pour lui, l’art est « une sanctification de la nature ».

 

 

 

20/05/2011

Chaque jour te voir

 

Chaque jour te voir

Voir ce visage transparent

Aux yeux ouverts sur le monde

Voir ces lèvres qui me parlent

Et me disent leur amour

 

Te voir entière et séparée

Et voir chaque chose par toi

Comme le reflet de ta lumière

 

Tu as des bras de cygne

Qui sont les pôles de l’horizon

 Où je m’épanouis sans cesse

 

Tu es l’horloge de l’éternité

Le ressort brisé des jours

La vague chaude des nuits

L’ombre de mes rêves

Le retour de ma jeunesse

 

Chaque jour te voir

Et redevenir l’aveugle

Que tu conduis à ta lumière

 Pour son émerveillement

 

 

19/05/2011

Formes contiguës

La linogravure est une gravure en relief où "la planche est creusée partout où l'impression ne doit pas avoir d'effet ; le dessin seul est conservé au niveau initial de la surface de la planche, il est épargné" (André Béguin). On parle de taille d'épargne. D'usage aisé, la linogravure permet de nombreux effets, figuratifs ou non. Les couleurs d'encre sont variées et profondes.

Cette période "gravure" m'a laissé de bons souvenirs de mélange d'encre et de mouillage de papier qu'il fallait ensuite plus ou moins faire sécher entre deux feuilles de buvard.

 

IMG_4948 Grav Formes contigües VD red.jpg

 

 

 

18/05/2011

Au fil des boutiques : La Maison Fabre

 

Les jardins du Palais Royal sont entourés de boutiques diverses, certaines vieillottes, d’autres trop modernes pour le décor, d’autres encore en perpétuel changement de propriétaires, enfin quelques unes insolites, comme la Maison Fabre, au 128, boutique de gants, extraordinaires de profusion et d’ingéniosité dans la présentation de leurs appareils à cinq doigts que l’on enfile gracieusement pour être élégant lors d’une occasion chic, pour avoir chaud dans ses extrémités, pour pratiquer des travaux réputés sales (mais ce n’est pas le genre de la boutique !), enfin pour se faire plaisir en toute occasion un soir de déprime quand l’alcool ne suffit pas.

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

Il y a des gants dont la raideur du support fait penser aux épouvantails que l’on croise parfois, de moins en moins, dans les champs pour éloigner les oiseaux. Mais là, il s’agit d’attirer le client en faisant contraster le support rigide et neutre de son gris uniforme avec le velouté, la brillance d’un cuir de première qualité. Vous remarquez bien sûr qu’il manque le pouce dont la dissymétrie par rapport aux autres doigts choquerait ici le regard, c’est pourquoi ces gants semblent si élégants dans leur amputation discrète, mais réelle. Mains rouges pour les mariages, assorties avec un chapeau que l’on tient du bout des doigts ne serait ce que pour faire remarquer l’harmonie qu’il possède avec ces gants magnifiques,  mains jaunes pour le sport (carton jaune, évidemment), mains bleus pour les conversations affables en ville entre dames ou avec des messieurs, dans un lieu appelé bistrot qui fait plutôt penser aux salons de ces hôtels du style de « L’année dernière à Marienbad », enfin mains brunes des promenades dans les bois un après-midi de campagne lorsque le chien tire la laisse et vous oblige à marcher-courir sans relâche.

 

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

 

D’autres gants sont alignés comme à la parade, formant des compagnies entières, massives, en arrière-fond des présentations plus originales mises en valeur par la sobriété de la quantité comme de la qualité. Ils sont couchés tels des alignements de dominos que l’on fait s’écrouler d’une pichenette pour les voir tomber les uns sur les autres avec la régularité d’un stand de tir. Mais ils sont plus divertissants que ces pièces de bois uniformes, surmontées d’ivoire maintenant faux et marquées de points de un à six, et ils donnent une impression de profusion colorée dans laquelle on a envie de mettre le nez pour sentir l’odeur subtile d’un cuir parfaitement tanné. Après un tel rite, il est évident que la deuxième envie est de les enfiler tous. Dommage que nous ne soyons pas Vishnou, incarnation de la création, car il est certain que le plaisir ne manquerait pas de créer des harmonies de couleurs au bout des bras qui, dansant discrètement, donneraient un spectacle enchanteur, comme des feux de Bengale tourbillonnant dans l’espace.

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

Mais l’on trouve également des sortes de petits manchons destinés à recouvrir la main en laissant les doigts libres de jouer avec les plis d’une robe solennelle, blanche ou noire naturellement. Ornées de petits boutons sur les côtés, ils pourraient aussi servir d’ornements des chevilles, utilisés par les sportives qui s’adonnent à la gymnastique en salle, pour empêcher vraisemblablement la transpiration de pénétrer dans les chaussures unicolores qu’il ne faut pas abîmer en raison de leur prix.

 

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

 

Certains sont réservés à des instants spécifiques où le rôle tenu doit être en accord avec l’importance de l’apparence, tels, par exemple, le mariage de William and Kate auquel vous auriez été invitée, empanachée et gantée de gris foncé, orné de fleurs aux pistils blancs, pour vous glisser subrepticement, dans la cathédrale et mettre en évidence cette parure des mains avec ostentation. La peau de serpent ne serait sans doute pas très bien vue dans une telle assemblée dans laquelle l’écologie est un art de vivre avec cependant quelques sélections des objets sur lesquels porte le graal de cette nouvelle religion.

 

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

 

Ballets de « gantitude » ou ronde élégante de mains autonomes comme des prêtresses caressant leur dieu avec légèreté et admiration dans un silence respectueux et les sourires convenus de telles cérémonies. La déesse s’abandonne avec humilité à cette adoration, acceptant du bout des doigts de se laisser caresser tout en protégeant une main fine de dentelles tricotées pour lui assurer la sécurité contre toute violation de son intimité.

promenade,littérature,pésie,culture,exposition

Enfin la suprême élégance, plutôt masculine, mais que l’on verrait bien sur les mains de femme, ce gant simple, en veau d’un blond semblable aux cheveux d’une Ophélie nordique, au mi-doigts coupés à angle droit que compense la rondeur de l’arrière main faite pour montrer la peau tendre d’un poignet de femme ou la vigueur d’une poigne d’homme. Abandonné, comme flottant dans l’espace, les doigts élastiques, le poignet détendu, cette main attend une autre main, tout aussi délicate, peut-être une de celles du « ballet de gantitude », pour s’unir avec lenteur et respect pour la vie.

 

 

 

 

17/05/2011

Ne plus connaître qu’une étoile

 

Ne plus connaître qu’une étoile
A la forme des planètes
A l’éclat du soleil
Et pouvoir y contempler la nuit et y apprendre le jour

J’y ai vu l’ellipse pure des astres
Le lent cheminement de la sève
Le déferlement assourdi de l’écume
Sans pouvoir en détacher mon regard

Si par hasard l’étoile s’éteignait
Pourrai-je encore voir et entendre ?

Penché longtemps sur l’astéroïde
J’ai voulu en connaître chaque contour
Et pouvoir à tout moment
Réinventer la couleur de son paysage
Et les reflets de la joie qui l’habite
Mais le souvenir de son éclat est fragile
Sauras-tu encore garder les yeux ouverts ?

Hiver, triste, l’étoile s’atténue
Printemps, j’y redécouvre la joie
Soumise aux saisons de sa temporalité
Elle a parfois la mélancolie des automnes
Ou l’insouciance des ciels d’été

Mon astre lumineux
Retrouver dans mon regard sur toutes choses
Le reflet de tes yeux et ne plus rien en perdre
Pas même lorsque la nuit s’attriste

 

16/05/2011

Illumination

 

Illumination. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Tout revit, tout redevient : consistance, perplexité, immesurable. Je viens de percer un mur et m’enfonce lentement, émerveillé, dans un monde indéfinissable, comme si ma chambre était partie à la dérive au-delà de la ville, au-delà de la terre, vers un univers d’apesanteur et de compréhension. Comme une momie, ressuscitée par son transport vers une atmosphère régénératrice, je me débarrasse de mes bandelettes où s’accrochent quelques lambeaux de chair desséchée. Tout s’allège et perd peu à peu de cette consistance qui fait la réalité. Je regarde les objets de ma vie quotidienne, ils me paraissent si lointains. Encore quelques bandelettes à dérouler et il ne restera plus rien, qu’une chambre nue, vide d’objets, vide de ma présence, mais que je verrai encore comme si j’étais attaché, alors que déjà j’aurai amorcé le voyage incohérent au-delà de l’atmosphère oppressante qui nous entoure.

Peu à peu, au cours de la journée, subtilement, s’est établie une intense lucidité mêlée d’un détachement des sens, jusqu’à cet instant, jusqu’à tout à l’heure, où j’étouffais, où je criais d’angoisse et de joie. Effet de l’imagination ou possibilité d’une autre réalité, insoupçonnée, découverte par hasard, indéfinissable, que je ne peux définir, mais qui m’étreint et me transporte dans la joie de l’absolu et l’angoisse du néant. Une autre voix me parlait… Qui es-tu ? … Je ne sais pas… Que fais-tu ? Je ne sais pas… Que deviens-tu ? Rien encore, peut-être, un jour… Le jour est là, il se lève, regarde-le au dessus des toits luisants, regarde le soleil ouaté monter dans le brouillard vert de la nuit… Je ne vois rien… Mais si, regarde bien, ouvre les yeux, éveille-toi…

Et je m’éveille. Je vois la ville mauve prenant parfois des teintes d’un rouge insoutenable, alors qu’ailleurs certaines maisons s’estompent dans un gris diffus. Je vois ce soleil, presqu’invisible, mais perceptible cependant, qui s’élève lentement dans la nuit verte, la parant d’une lueur translucide… Aimer, me dit-on dans l’oreille, voilà ce que tu dois aimer. Regarde, regarde bien ces gens qui courent nus, habillés de bijoux et d’étoffes luxueuses, dans le jardin qui borde la ville où vient se baigner le fleuve. Regarde-les parler, faire des gestes, se voir dans les glaces, rire brutalement et pleurer en cachette derrière un arbre au feuillage bleui par la nuit. Il faut les aimer, car ils sont malheureux, comme tu l’étais toi-même, comme tu le seras à nouveau sans pouvoir rien faire d’autre que jouer dans le jardin baigné par le fleuve, jouer avec les bijoux suspendus au cou des femmes et avec les cerceaux des enfants qui effleurent les adultes. Tu devines cent histoires qu’ils racontent, mille vies qu’ils égrainent, ces destins par centaine de milliers qui s’entassent dans le jardin et tournent sur leur orbite, se projetant de plus en plus dans ce mouvement infini semblable à la course folle de notre planète dans le vide de l’espace. Tu t’éveilles lentement de ce cauchemar du jardin, tu franchis les portes bétonnées et menues, et tu t’enfonces dans la glaise glissante jusqu’à la plage de sable fin, où chaque grain contient une histoire que tu pourras voir de tes yeux ouverts en le tenant au creux de ta main.

Je me souviens d’Almostasim[1], de cette progression ascendante vers Almostasim, l’homme qui possède la clarté et la transparence, que personne n’a pu voir, que personne ne verra, parce que personne ne veut s’en donner la peine ou ne peut parvenir au bout du voyage, ou encore, meurt à l’instant de le voir. Je me souviens aussi de la bibliothèque de Babel[2], cette bibliothèque qui est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque et dont la circonférence est inaccessible, dans laquelle il y a des centaines de millions de livres dont un seul d’entre eux contient le volume qui rassemble tous les volumes, le volume qui seul signifie quelque chose dans le fatras de lettres, de points, de virgules, de marges, d’espaces vides des autres livres. Des centaines de bibliothécaires passent leur vie à chercher le livre, mais aucun jusqu’à présent ne l’a peut-être trouvé.

Est-ce possible, est-ce seulement possible une telle difficulté d’être, une telle impossibilité de respiration dans l’atmosphère où baignent ces objets ? Vouloir être, plus je creuse cette volonté, plus l’espace s’ouvre, comme par un phénomène de perspective, vers de nouveaux horizons, de plus en plus coupés, tortueux, délabrés, où chaque sommet fait apparaître d’autres montagnes encore plus belles, plus légères, plus aériennes, recouvertes de fleurs transparentes, de personnes sans corps ou de corps imperceptibles, froids, translucides, impalpables. Et plus j’avance, plus les corps perdent de leur consistance jusqu’à ne plus être que des émanations gazeuses du sol, comme forgés dans de petites boursouflures qui crèvent de temps à autre.

Poursuis ta route, sans autre préoccupation, sans regarder en arrière, jusqu’à ce qu’elle prenne fin !



[1]Voir Histoire de l’éternité, de Jorge Luis Borges.

[2]Voir Fictions, de Jorge Luis Borges