02/12/2018
Imagination
Imagination périlleuse du rêve qui navigue entre la veille et le sommeil. Le souvenir en reste plus fidèle, comme un parfum d’amateur que l’on traine avec soi tout le jour, après avoir entrouvert une porte défendue et vu ce qui dépasse l’imagination ordinaire.
Ne pas s’abandonner à de tels délices, mais au contraire refréner tout excès d’imagination en dehors de l’imagination créatrice. Tourner son imagination vers la réalité et y englober l’univers entier jusque à faire soi les autres.
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01/12/2018
Ephistole Tecque (21)
Il se vit enfin, il se regarda comme vous regardez quelqu'un que vous connaissez un peu sans toutefois avoir pu saisir ses ultimes pensées, comme vous regardez vivre vos compagnons de travail avec lesquels vous vous êtes enchaînés sans même vous en rendre compte. Il vit Ephistole vivre une de ces journées où l'atmosphère grisâtre d'un ciel d'automne répand dans les esprits un mélange d'amertume et d'acceptation. Ephistole Tecque se lever à l'heure habituelle, sept heures, encore un peu engourdi par le sommeil, la paupière lourde, se raser et peut-être remarquer dans la glace une lueur d'ennui atténuée par l'habitude. Monsieur Tecque et Sigalène sa secrétaire, travaillant avec la même application, un peu scolaire, un peu trop sérieuse, faisant de leur travail l'unique préoccupation de la journée, comme si rien d'autre ne comptait pour eux en dehors des chiffres et des résultats accumulés au bas des pages, puis soigneusement enfermés dans une chemise qui traînait sur le bureau. Ephistole enfin, rentrant chez lui, se déshabillant et se couchant comme vous le faites, vous aussi, chaque jour.
Peut-être étaient-ce tous ces mouvements indéfiniment répétés de vie en vie qui permettaient cet impensable déroulement du temps, qui autorisaient la bonne marche de la terre autour du soleil, le ballet inlassable des étoiles sans qu'aucune ne s'entrechoque apparemment. Sans doute est-ce cette dépense inlassable d'énergie qui se renouvelait périodiquement par la mort et la naissance, en un cycle infernal pour chacun, qui permit de construire cette maison, d'accumuler les pierres les unes sur les autres, d'y pratiquer des ouvertures symétriques, d'y placer un cadre de bois assemblé adroitement par d'étroites chevilles à l'intérieur duquel pouvait s'incruster avec précision le verre plat et lisse autorisant la vue à l'extérieur et enfin de l'avoir muni d'une poignée commandant une tringlerie qui permettait l'ouverture et la fermeture, régulière, à volonté, des deux battants constituant la fenêtre. Et comme cette construction des murs, des ouvertures, des montants et de la poignée ne pouvait avoir en fin de compte d'autre but que d'encourager le même déroulement inlassable des évènements et des choses, après avoir connu quelques années de liberté, accordées vraisemblablement pour le préparer à sa tâche, il était maintenant condamné à répéter inlassablement le même geste inachevé, de son lit à la fenêtre, en passant par un certain nombre d'états intermédiaires tendus vers ce but unique, la poignée, résultante finale du travail de ces hommes qui bâtissent sans discontinuer les uns des murs, d'autres des fenêtres, d'autres encore des tringleries et des poignées.
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30/11/2018
Nombres (3/3)
D’autres jeux de cache-cache existent et existeront
C’est ainsi qu’on inventa les pourcentages
Cela permit de renforcer les impressions
Et de mesurer les différences entre les produits
Quel pourcentage entre les nombres de bergères et de moutons ?
Quel pourcentage de taille entre la puce et l’éléphant ?
Ce comptage devint un changement d’horizon
Des plaines on passait aux montagnes
Les différences s’accentuèrent selon les administrés
Et l’on visait bien sûr les plus hauts ou les plus bas
Les moutons regardaient au plus terre à terre
Les jeunes bergères levaient les yeux aux cieux
Les uns restaient périssables pour le bien de l’homme
Les autres exaltaient le bonheur d’être humain
Puis, de bataille on passa à la guerre
Elle dure toujours. Le pourcentage en devint le nerf
On spécula sur la différence entre deux pourcentages
Non sur la réalité de l’évolution des sujets ou objets réels
Cela renforça le pouvoir des politiques
Commodément, ils avaient découvert la tromperie :
Passer de cinq pour cent à dix pour cent
N’est qu’une augmentation de 5 points de pourcentage
C’est une façon très utile pour ne pas dévoiler
Le doublement des impôts et des taxes
Mais on n’en resta pas là dans la duperie
On inventa l’analogique et le numérique
L’analogique reproduit les variations au plus près
Et reste le plus fidèle à l’état du sujet
Le numérique transforme le signal
En une suite de zéro et de un, soit deux amplitudes
Au lieu d’une multitude dans l’analogique
Le premier représente la danseuse idéalisée
L’image dans la tête du sculpteur
Le second n’est que l’essence du mouvement
Succession de sauts entre ciel et terre
Bon, on arrête ! Il n’y a ni moutons ni bergères
Il n’y a que des êtres diaphanes
Errant dans les mondes des nombres
Auquel s’ajoutent maintenant des lettres
Qui représentent des nombres
C’est l’invasion ! Sauve qui peut
Les migrants sont là, ils avancent
Les mots étouffent et la poésie s’effondre
Le numérique nous étrangle
Mayday… Mayday… Mayday…
© Loup Francart
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29/11/2018
Nombres (2/3)
Pythagore, un petit malin, découvrit les nombres irrationnels
On ne peut les écrire sous forme d’une fraction :
La diagonale d’un carré n’est pas exprimable
En un nombre rationnel qu’il soit entier ou fractionnaire
Tel est le nombre Pi, illimité en décimales
Serait-ce un nombre fini qui s’exprime en infini ?
Archimède en montra la transcendance
C’est un nombre non algébrique et non constructible
Pi serait-il un nombre univers, c’est-à-dire un nombre réel
Contenant n'importe quelle succession de chiffres de longueur finie ?
Si la bibliothèque de Jorge Luis Borges était de chiffres
Il en remplirait sans aucun doute la totalité, et même plus
Mais heureusement on s’aperçut qu’il n’était pas seul
On aurait pu penser que la transcendance est Une
(Au même titre que Dieu en tant qu’indénombrable)
Eh bien non ! Le nombre d’Euler, découvert bien plus tard
Est noté e, nombre dont le logarithme est l’unité
Il est irrationnel et transcendant
Et c’est un nombre réel et normal
Avouons que là moutons et bergères
Sont singulièrement coupés de la réalité
Jusqu’au moindre poil ou cheveux
Dommage, on aime bien les nombres de tous les jours !
Enfin on appela, parce qu’il faut bien les nommer
Les ensembles précédents des nombres réels
Soit le total de ces nombres, avec ou sans virgule
Positifs ou négatifs, qu’ils soient rationnels ou non
Le nombre réel est un nombre représenté
Par une partie entière et une liste finie ou infinie de décimales
Les moutons en gains ou en pertes
Les bergères qu’elles soient vierges ou déjà femmes
les deux, même morts et coupés en morceaux
Font partie de cette foule infinie des nombres
Aurait-on fini cette énumération des types de nombres
Qui sont bien réels et manipulables ?
Au fond, y a-t-il des nombres non réels
Des nombres à part entière qui tirent leur existence
De la pensée sans réalité palpable ?
Eh bien oui ! Ce sont les nombres imaginaires
Et, encore, les nombres complexes
Une famille qui s’agrandit presque chaque jour
Les moutons créent des agneaux
Et les bergères deviennent mères de famille
Les prénoms y sont bizarres :
Quaternions, octavions, sédénions
Et même cyclotomiques
Mais là, ne m’en demandez pas trop
Mon imagination ne va pas jusque là
Car la complexité devient virtuelle
07:34 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
28/11/2018
Nombres (1/3)
L'homme, dans sa maison, n'habite pas l'escalier, mais il s'en sert pour monter et pénétrer partout ; ainsi l'esprit humain ne séjourne pas dans les nombres, mais il arrive par eux à la science et à tous les arts. (Comte de Rivarol)
De nos jours, tout se fait avec des nombres
Le mot n’est rien, il est fait de lettres
Et les lettres ne sont que des sons
Certes, les chiffres sont parfois écrits en lettres
Et ne constituent qu’un élément d’écriture
Mais le chiffre est aussi un signe
Qui sert à l’écriture d’un nombre
Une lettre n’a pas de sens en soi
Tandis que le nombre engage qui l’utilise
Et peut le précipiter dans le tout ou le rien
Le chiffre a un poids que la lettre n’a pas
Auparavant la famille des nombres était simple
De zéro à neuf, puis mélange cousins cousines
On comptait les moutons avant de dormir
Et les jeunes bergères croisées dans la journée
Il suffisait de savoir compter pour vivre bien
La famille des nombres entiers naturels
Ce sont les nombres de tous les jours qui servent à compter.
Ils pèsent plus ou moins lourds et sont toujours positifs
Mais un jour la tartine tomba à l’envers
Dévoilant les cuisses de dame numéro
Alors on compara les nombres entre eux
Certains en sortirent gonflés d’orgueil
D’autres se tournèrent vers la pauvreté
Et descendirent aux enfers
De plus, il arrive qu’il y ait des pertes
Les moutons se font manger par les loups
Les bergères perdent leur virginité
Alors, d’un coup de doigt, on conçut le moins
Les nombres pouvaient devenir négatifs
On comptait à l’envers et ce fut l’enfer
Il y eut ainsi les nombres entiers négatifs
On les plaça aux côtés des nombres positifs
Créant ainsi les nombres entiers relatifs
Mais on prit conscience, en toute innocence
Que si l’on multiplie deux nombres entiers
On obtient en toute logique un autre nombre entier
Alors que si on le divise peut surgir une fraction
Le nombre ainsi trouvé devient fractionnaire
Pourquoi l’appelle-t-on couramment nombre rationnel
Alors qu’il peut être totalement irrationnel :
La moitié de cinq jeunes bergères ne peut être deux et demie
Il faudra en ajouter ou en retrancher une
Si belle ou si riche soit-elle, dans l’une ou l’autre union
07:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
27/11/2018
Ephistole Tecque (20)
Il haletait étrangement dans son lit, brassant l'air de ses deux bras libérés des couvertures, cherchant désespérément son souffle, cherchant vainement à sortir de cet incompréhensible enroulement du temps qui semblait ne plus vouloir aller au-delà du geste vers la fenêtre, au-delà du contact de sa poignée elliptique, comme s'il venait buter contre un obstacle et était renvoyé en arrière avant de pouvoir reprendre son déroulement normal et venir à nouveau buter contre cet obstacle. Ephistole Tecque suffoquait et tentait de sortir de cette angoisse cotonneuse qui l'étouffait peu à peu, lui permettant pendant une fraction de seconde de reprendre son souffle avant de replonger dans les déferlements de l'éternité.
Il faut que je ferme cette fenêtre ! Il faut que je ferme cette fenêtre ! se répétait-il sans cesse, se raccrochant à cette unique pensée qui paraissait pouvoir l'empêcher de sombrer complètement dans cet arrêt infernal de la temporalité, dans ce tourbillonnement invraisemblable qui l'engloutissait lentement, éteignant en lui toute capacité de faire un geste et même toute volonté de commander à son corps un mouvement quelconque qui fut ordonné en vue de l'action bien précise d'ouvrir la fenêtre.
Il n'aurait su dire combien de temps dura cet étrange débat qui devint une véritable lutte contre la congélation consciente du corps et de l'esprit. Était-il condamné à faire ces mêmes mouvements pendant des heures, des années, peut-être pendant l'éternité ? Il pensa à ces esclaves qu'on enfermait à l'intérieur d'une roue munie de barreaux et qui devaient marcher sans arrêt pour la faire tourner et alimenter en eau les jardins du maître. Il pensa à Sisyphe condamné au même geste, au même effort infernal. Il vit aussi ces abeilles qui pendant la durée de leur courte vie accomplissent le même trajet entre les fleurs et la ruche pour alimenter leur reine. Il aperçut encore les coolies chinois transportant inlassablement, dans un grouillement inextricable, mais ordonné, des pierres dans un panier fixé sur leur dos pour bâtir cet immense édifice, ce long serpent d'architecture guerrière cheminant à travers la montagne qu'est la muraille de Chine. Cet ouvrier aussi qu'il allait voir parfois dans les vastes bâtiments situés au-delà de la cour de l'usine, lui apparut, accomplissant inlassablement le même geste réglé mathématiquement : lever une poignée, glisser une pièce de métal sur la forme de la machine, abaisser la grille, appuyer sur la poignée et la relever quelques instants après pour recommencer, avec la même patience, le même dégoût, la même obscure volonté pendant des heures, pendant des jours, jusqu'à celui tant mérité du repos.
07:47 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, récit, vie, vacuité, mal-être | Imprimer
26/11/2018
Métamorphose
Il vécut comme il mourut, prestement
En étoile filante, comme un souffle silencieux
Dieu, que d’arrogance dans cet entrefilet
Où l’homme devient singe hirsute
Baillant aux corneilles étonnées
L'histoire d’une femme délaissée
Quelle pitié que cette jeunesse enfermée
Dans un corps sans contour ni forme
L’homme saisit un bout de chair
Tâta prestement du doigt son élasticité
Puis, délaissant la fraîcheur odorante
Se tourna vers l’ombre vivifiante
Où donc vas-tu aller, toi l’autocrate
Aux poils longs et vigoureux ?
Rien ne va plus ! La mort entre
Pliée en deux, le regard avide
Elle ne dit mot, mais d’un doigt
Ouvrit le cœur de l’homme ébahi
Un filet d’air se glissa dans la fente
Ouvrant sur une couleur inédite
Le pincrol, mélange surchargé
Qui fait pleurer les yeux fatigués
Le sang gicla comme une fontaine
Mais la couleur âcre et inodore
Étalait la tache sur son corps
Et l’emplissait de dédicaces
L’être allait et venait en lui
Sans jamais s’écarter du sujet
Proche de l’impossible vengeance
Prononçant trop tôt le mot fin
Sous la lampe blafarde
Sous l’ombre vivifiante
Devant cette statue irradiante
Il perdit pied et ouvrit les mains
Plus rien ne va dans sa tête
Enveloppé de contentement
Il regarde le ciel, bouche ouverte
Et pousse le seul cri qui soit possible
« Dieu, rejoins-moi, soutiens-moi
Berce-moi, embrasse-moi
Et rend ce passage insensible
Me voici, plus vivant que jamais »
© Loup Francart
07:45 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer