Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/05/2017

La grande nuit

La grande nuit approche
Dans ces derniers instants
Au soir d’une vie bien remplie
Tu t’interroges : qu’en ai-je fait ?
Tu fouilles en ta mémoire perdue

En premier lieu la caresse
Celle des mains sur le piano
Celle de l’air au printemps
Celle du pinceau sur la toile
Et surtout celle de l’aimée
Une caresse d’huile parfumée
Sur ton corps de fantôme

En second lieu l’imaginaire
Tels les rêves d’écrivains
Qui projettent leurs passions
Sur les battements de ton cœur
Tels aussi le souffle créateur
Qui montent du puits de l’être
Et crie au monde sa vision
Je ne suis rien et c’est là
Dans cet instant de vide
Que je suis le plus pleinement

En troisième lieu l’action
Moment précaire, à saisir :
Ne tarde pas, il part cet instant
Et fuit ton être immobile
Trompe-toi, mais agis
Ne renonce pas à l’engagement
Tu en porteras les conséquences
Mais tu n’auras pas de regrets
Soigne le geste précis
Jusqu’à la perfection
Répète sans relâche
L’exercice qui te sortira
D’une indolence à fuir
Et évade-toi un jour
Sans pouvoir le prévoir
Dans la beauté limpide
Du geste parfait
Qui te rend transparent

En dernier lieu, ce double
Qui grandit en toi
Imperceptiblement
Image de ton idéal
Accomplissement d’homme
Vertu découverte
Un jour de spleen
Et recherchée sans cesse
Souvent perdue
Parfois même oubliée
Puis revenue au cœur
De ton être rêvé
Lumière éblouissante
Éclairant l’horizon

La nuit est tombée
Plus rien ne te retient
L’attente mortelle
Sauvagement t’embrasse
Elle guette la lueur inconnue
De l’aurore mystique
Où tu gagneras ce double
Et ne deviendras qu’un
Celui que tu as construit
Tout au long de ta vie

 ©  Loup Francart

06/05/2017

Assemblage

Un assemblage fractal au microscope :

1-17-05-05 E23 Rotation.jpg

05/05/2017

La minute présente

Ne jamais trouver cette satisfaction intérieure de l’âme et toujours se dire, après avoir éprouvé un certain bonheur alors que j’avais le choix entre plusieurs, et hélas il faut bien choisir l’un d’eux faute de pouvoir les goûter tous à la fois, que j’aurais peut-être été plus heureux à ce moment si j’avais choisi un autre lieu et d’autres personnes pour écouler ces instants.

De même avant le choix, malgré cette philosophie que je me suis créé et que je proclame car je la crois juste (goûter à chaque instant la joie de la minute présente sans penser au futur ou au passé), je vacille entre plusieurs côtés dans l’incertitude totale, me posant mille questions quant à l’opportunité d’un choix plutôt qu’un autre, questions qui restent d’ailleurs inutiles puisque j’en connais d’avance la réponse, la faisant osciller certes, mais sans arriver à la faire toucher terre d’un côté. Et toujours j’essaie de penser à l’instant présent, d’en goûter la suavité, toute la délicatesse d’une chose palpable et vivante en moi. Déjà je pense à l’autre côté du choix, à ce plateau de la balance qui, par ma volonté même, non pas objective ou subjective, mais hasardeuse et involontaire bien que dépendant uniquement de moi-même, est resté suspendu en l’air chargé de volutes d’espoir et de regret, de bonheur promis en nuages colorés et parfumés par l’imagination. Incertitude, ce mot qui enveloppe souvent la tristesse de l’homme, tissant par cet étrange cheminement du cerveau dans un labyrinthe qui possède parfois plusieurs sorties connues, mais qu’on ne peut choisir, une toile compliquée et fragile autour de l’âme, l’empêchant de respirer de tous ses poumons la joie du monde.

 

04/05/2017

Habitudes

 

Le monde vit d’habitudes.

Il a pris l’habitude de l’habitude.

Je veux que tu te jettes dans le chaos de l’existence

Sans y chercher le renoncement de l’habitude.

 

03/05/2017

Seul et deux

Il allait deux par deux, en paire
L’extérieur et l’intérieur, liés
Par l’injonction du double
Unique au regard de l’autre
Ils avaient bien tenté une séparation
Prendre une réelle indépendance
Mais toujours revenait l’attirance
L’association, le franc accouplement
Des contraires associés dans l’éternité

Tiens donc, se disait-il
Ferme l’obscure lumière du songe
Et coule-toi dans l’ombre
Dans le silence de l’absence
Laisse glisser ton être
Entre les vitres de la bienséance
Et évanouis-toi dans la nuit
Sens-tu cette présence en toi ?

L’autre toi-même, encouragé
Dresse un regard inquisiteur
Et contemple cette ombre
Derrière les lunettes de la vérité
Elle plane encapuchonnée
Dans ce corps vide de sens
Tordu d’interrogations
Comme un mirage épuisé

Ensemble, toujours un
Confondus dans l’unité
Des contraires associés
Marchant en équilibre
Sur le faîte du chemin
De la vie en mouvement
Il allait deux par deux
L’intérieur dans l’extérieur
L’extérieur empli d’assurance
Eclairé de présence pleine
D’un devenir en  pointillé
Qui conduit vers le rien
Et ouvre sur le tout

Oui, tu es, seul et double
Le regard sur le monde
Doublé d’un œil intérieur
Et tu fouilles d’un doigt avide
L’âme qui s’éveille et t’entraîne
Vers sa résolution inconnue
Pleinement consciente
De cette unité à deux
Se rejoignant imperceptiblement
Derrière le cercle de la vie

 ©  Loup Francart

02/05/2017

Armen, de Jean-Pierre Abraham

Une longue méditation d'un gardien de phare face aux embruns, au vent, à l’eau imprévisible. Les jours traînent en longueur, les nuits de veille sont pires : Passé à écrire, ces heures de la nuit perdent toute consistance. J’écris debout à l’établi, le dos contre l’un des piliers de fer, peints en rouge, qui soutiennent la cuve de mercure et l’appareil optique. Je m’arrête souvent.17-05-01 Armen de JP Abraham.jpg Je sors sur la galerie pour observer les feux. Je reviens m’asseoir dans le vieux fauteuil d’automobile qui nous sert de banc de quart. J’écoute. Tout recommence.

Progressivement, le lecteur devient gardien du phare, vivant dans un brouillard, passant de la contemplation à l’attention sur un travail précis, du vague à l’âme au remplacement d’un carreau du projecteur : 8h30. Tout écrire de cette nuit ! Les mots bien rassurants ! Je viens d’éteindre. Le ciel est gris. La mer laide, en cheveux, entièrement blanche jusqu’à l’île. Nuit inutile. Aube sans moi. Faire tout de suite le nettoyage là-haut. Puis descendre préparer le pot-au-feu. Quand Martin se réveillera, je serai souriant. Noël approche.

L’auteur parle peu de ses sentiments. Tout s’ »exprime par de sensations, des émotions parfois un détachement nécessaire pour survivre dans ces pièces  les unes sur les autres, étroites et dans cet escalier où l’on monte et descend toutes les journées. Dans ma chambre, on peut faire six pas. Mon Dieu, comme le temps fraîchit.

Cette fois-ci, il refuse de descendre : « A terre, personne ne m’attend. (…) Je suis gouverné devant ce que j’aime par une angoisse qui interdit tout commentaire arrogant. Au mieux, je puis aller d’image en image, revenir, rôder, épier ces visages sans être vu. C’est le pire de moi qui s’ »active alors.  Gardien de musée. Gardien de prison. Gardien de monastère désaffecté. J’ai cru entendre sonner l’heure. Chaque bruit répété, chaque bruit qui évoque un pas tranquille, un doigt contre la porte, me déchire. Tout bat en moi.

Les jours s’étirent comme un train dans l’étendue du désert. Ça vous sert à quoi, finalement, de vivre là-haut ? Vous tournez en rond, vous n’avancez rien. Qu’est-ce que vous faites de vos nuits ? Il fallait bien répondre quelque chose. J’attends.

La relève arrive, en retard, comme d’habitude ! Nous avons décidé de changer une grande vitre de la lanterne, celle qui est fendue de haut en bas, dans le suroît. (…) Un travail délicat, qui nous a occupés beaucoup plus longtemps que nous ne le pensions. La vedette était déjà en vue, contournant le pont de Sein, lorsque nous avons terminé. Martin et moi, nous avons saisi les deux parties de vitre ancienne. Nous sommes descendus. Nous les avons fait glisser doucement dans la mer. Elles ont filé de biais, miroitantes, et pendant quelques secondes encore nous avons pu les suivre des yeux.

Ainsi finit cet étrange livre, celui des prisonniers de l’Ar Men qui signifie la pierre en breton. Qu’avait-elle de particulier cette roche pour qu’on la nomme ainsi, parmi les dizaines d’autres qui émergent sur la Basse-Froide ? J’aime ce nom.

01/05/2017

Jeune moine bouddhiste

Revenu des songes, il allait sans vergogne
Qu’avait-il à dire aux touristes perdus
Il courrait avec agitation, sans savoir
Il fuyait le monde et les hommes
Et s’enfonçait dans la solitude, éperdument
En garçon sans éducation ni conscience
Dans sa robe rouge, il contemplait
Les vallées qui coulent vers les mers
Et, levant les yeux, il célébrait l’aurore
Viens, lui disait le vent et la pluie
Et il allait sans gêne ni douleur
Méditer sur la colline isolée
Dans un monde sans souvenirs
Envahi de silence et d’absence
Rien ne lui dictait sa conduite
Ni l’homme, ni même la nature
Il allait seul contemplant les hommes
Comme appartenant à une autre race
Transparent et insaisissable
Venu de millénaires instantanés
Comme une offrande nouvelle
Offerte au monde déboussolé

L’enfant vaut-il mieux qu’un homme ?
Il n’a rien derrière lui
L’avenir en visée
Le présent en partage
L’existence comme seul point commun

 ©  Loup Francart