Armen, de Jean-Pierre Abraham (02/05/2017)

Une longue méditation d'un gardien de phare face aux embruns, au vent, à l’eau imprévisible. Les jours traînent en longueur, les nuits de veille sont pires : Passé à écrire, ces heures de la nuit perdent toute consistance. J’écris debout à l’établi, le dos contre l’un des piliers de fer, peints en rouge, qui soutiennent la cuve de mercure et l’appareil optique. Je m’arrête souvent.17-05-01 Armen de JP Abraham.jpg Je sors sur la galerie pour observer les feux. Je reviens m’asseoir dans le vieux fauteuil d’automobile qui nous sert de banc de quart. J’écoute. Tout recommence.

Progressivement, le lecteur devient gardien du phare, vivant dans un brouillard, passant de la contemplation à l’attention sur un travail précis, du vague à l’âme au remplacement d’un carreau du projecteur : 8h30. Tout écrire de cette nuit ! Les mots bien rassurants ! Je viens d’éteindre. Le ciel est gris. La mer laide, en cheveux, entièrement blanche jusqu’à l’île. Nuit inutile. Aube sans moi. Faire tout de suite le nettoyage là-haut. Puis descendre préparer le pot-au-feu. Quand Martin se réveillera, je serai souriant. Noël approche.

L’auteur parle peu de ses sentiments. Tout s’ »exprime par de sensations, des émotions parfois un détachement nécessaire pour survivre dans ces pièces  les unes sur les autres, étroites et dans cet escalier où l’on monte et descend toutes les journées. Dans ma chambre, on peut faire six pas. Mon Dieu, comme le temps fraîchit.

Cette fois-ci, il refuse de descendre : « A terre, personne ne m’attend. (…) Je suis gouverné devant ce que j’aime par une angoisse qui interdit tout commentaire arrogant. Au mieux, je puis aller d’image en image, revenir, rôder, épier ces visages sans être vu. C’est le pire de moi qui s’ »active alors.  Gardien de musée. Gardien de prison. Gardien de monastère désaffecté. J’ai cru entendre sonner l’heure. Chaque bruit répété, chaque bruit qui évoque un pas tranquille, un doigt contre la porte, me déchire. Tout bat en moi.

Les jours s’étirent comme un train dans l’étendue du désert. Ça vous sert à quoi, finalement, de vivre là-haut ? Vous tournez en rond, vous n’avancez rien. Qu’est-ce que vous faites de vos nuits ? Il fallait bien répondre quelque chose. J’attends.

La relève arrive, en retard, comme d’habitude ! Nous avons décidé de changer une grande vitre de la lanterne, celle qui est fendue de haut en bas, dans le suroît. (…) Un travail délicat, qui nous a occupés beaucoup plus longtemps que nous ne le pensions. La vedette était déjà en vue, contournant le pont de Sein, lorsque nous avons terminé. Martin et moi, nous avons saisi les deux parties de vitre ancienne. Nous sommes descendus. Nous les avons fait glisser doucement dans la mer. Elles ont filé de biais, miroitantes, et pendant quelques secondes encore nous avons pu les suivre des yeux.

Ainsi finit cet étrange livre, celui des prisonniers de l’Ar Men qui signifie la pierre en breton. Qu’avait-elle de particulier cette roche pour qu’on la nomme ainsi, parmi les dizaines d’autres qui émergent sur la Basse-Froide ? J’aime ce nom.

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